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les managements liberticides de demain

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Cet article s’adresse à tous ceux qui veulent défendre les libertés dans l’entreprise ,et notamment aux délégués du personnel, dont on rappelle qu’ils sont statutairement les « défenseurs des libertés individuelles dans l’entreprise »(L2313-2CT).

Les formes tendancielles du management aujourd’hui vont dans un sens qui se caractérise ainsi:

par un contrôle de plus en plus total, non seulement sur la force de travail du salarié, mais aussi sur sa personne, sur son comportement et sur sa pensée.

Pour introduire cette idée , laissons d’abord parler Martin Richer, consultant RH ,qui nous offre l’occasion, à travers une image saisissante, de voir la perspective qui s’engage pour les nouveaux managements ,grâce aux développements technologiques dans les années à venir, en décrivant leurs applications aux collaborateurs de demain:

«  . …Les collaborateurs sont reliés en permanence au réseau par un bracelet électronique contenant toutes leurs données (identité, santé, banque, droits d’accès aux projets …), des capteurs ou des lunettes connectées avec réalité augmentée. Les capteurs mesurent en permanence leur état de santé mais aussi le nombre de pas effectués (optimisation du déplacement d’un salarié du picking dans un entrepôt), le nombre de pages internet consultées, etc. Philippe Loiret, en charge de la stratégie technologique chez Orange, estime que l’on va vers 50 à 80 capteurs par personne. Le web 4.0 verra bientôt l’avènement d’un homme connecté – grâce à une puce RFID sur ou sous la peau – lui permettant d’agir simplement par la pensée et par la voix. Une vision riche de potentiel mais aussi de dangers » (in Management&RSE »,Martin Richer)

Cette vision cauchemardesque  du management de demain n’est pas un rêve : c’est une perspective tranquillement assurée

C’est par ailleurs dans l’évolution du travail une vision tout à fait réaliste, et en ce sens assez probable de l’avenir du travail, s’appuyant sur quatre constats :

1°) les managements ont aujourd’hui le champ libre pour s’emparer de l’homme en totalité, et non plus seulement de sa force de travail

2°) le développement des technologies de contrôle permet l’utilisation de moyens technologiques sans précédents pour le faire

3°) le développement économique du capitalisme contemporain vise à exploiter toutes les dimensions de l’homme, et non plus sa seule force de travail

4°) l’évolution des formes de travail, de plus en plus polymorphes, permet de flexibiliser tous les rapports de travail et de rendre exploitable sous n’importe quelle forme ,l’individu ,sous le rapport salarial ou sous un autre rapport (stagiaire, client, auto entrepreneur, sous traitant)

Reprenons ces quatre points :

1°) les managements ont le champ libre pour s’emparer de l’homme en totalité, et non plus seulement de sa force de travail

Ils ont le champ libre parce que ce qui pouvait résister à cette appropriation totale avait un champ de forces protectrice qui est entrain de disparaître : cela s’appelait la solidarité collective au travail, et s’inscrivait dans une valeur forgée au cours de l’Histoire sociale, et qu’on peut résumer sous le nom de culture  salariale de solidarité .

La fin des solidarités naturelles au travail, c’est-à-dire la fin des solidarités permises autour de l’organisation structurée d’un collectif de travail soutenant et reconnaissant du travail au sein des lieux  de travail collectifs (lieux qui vont tendre à disparaître avec  l’imprimerie 3D  et la miniaturisation qui fait qu’on pourra produire industriellement d’un espace pas plus grand qu’un garage avec quelques employés seulement.) est en filigrane de la reprise en main de ce collectif par le management de demain et déjà ,de celui d’aujourd’hui .

Autrement dit, la mort des cultures salariales, héritées de la culture ouvrière qui valorisait des solidarités collectives transcendant les individus particuliers ,a conduit et continue de conduire à l’isolement progressif des salariés , à la fin de leur solidarité active sur un lieu  encore commun et encore repérable comme un lieu collectif de travail.

On ne verra plus, ou de moins en moins, de salariés par milliers concentrés pendant vingt ans ou plus sur un même lieu de production, le temps que se constitue une nouvelle « solidarité collective autonome » , d’une part parce que de tels lieux, même s’ils se constituent, n’ont plus cette espérance pérenne de production sur un long terme, et d’autre part, parce que les unités de production bénéficient et vont bénéficier de plus en plus d’un effet de délocalisation et de la miniaturisation des matériels de production ,qui vont permettre de se passer de tels regroupements humains dans un lieu concentré (sauf exceptions).

Par conséquent, les cultures salariales qui forgent dans le temps les mentalités solidaires au travail, à partir d’une expérience au travail partagé dans un terme suffisamment long,n’ont plus et auront de moins en moins « d’espace temps » pour apparaître réellement de façon autonome.

Dés lors que ces cultures autonomes autour de  l’expérience longue d’un travail partagé en commun meurent, déstructurées par les formes d’organisation du travail conduisant à un isolement progressif des salariés, isolement conduit sous le registre de l’éclatement des statuts au travail (précaires, temps partiels, horaires décalés, travail à domicile, loin d’un lieu collectif de travail, sous traitance généralisée, auto entrepreneuriat), le collectif  peut alors devenir un « pur objet de traitement managérial » .

Manipulé par le management, ce collectif se traite et se reconstitue alors sous son contrôle exclusif .

Ce collectif, reconstitué, peut alors faire l’objet d’une reprise en mains sous forme de « team building », où les managers font participer leurs collaborateurs à des « jeux de rôle » jamais innocents, et qui sous tendent l’évaluation permanente dont les collaborateurs sont plus ou moins discrètement l’objet.

Ce collectif façonné par le management est alors régi par des chartes d’entreprise,  aujourd’hui surabondantes et pourtant juridiquement infondées car contraires à l’article L1121-2CT : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché »

Ces chartes imposent de fait des normes de comportement non justifiées par la tâche à accomplir,  et des pressions pour se conformer aux normes en vigueur qui visent à réguler la course individuelle et concurrentielle à la performance de chaque salarié.

Dés lors, le simple « rapport de subordination » qui caractérise le contrat de travail et relie l’employeur et le salarié pour l’exécution de sa tâche précise est « enfoncé ».Il s’agit de modeler des comportements , bien au delà de fixer des procédures de travail . Ceci permet le contrôle total sur la psyché individuelle et justifie l’intrusion massive dans la vie privée du salarié : ses données médicales, financières, sociales, ses fréquentations , ses addictions, tout cela fait désormais partie de l’objet du management « pour le plus grand bien de l’entreprise et de l’individu ». Que l’on regarde l’actuelle tentative de contrôle des sociétés Apple et Face book pour différer la grossesse des jeunes salariées en leur offrant de congeler leurs ovocytes, et on comprend jusqu’où ce contrôle de la vie intime permet d’aller sous couvert d’une « meilleure harmonie entre vie privée et vie professionnelle ».

Cette confusion des genres est tout à fait juridiquement amorcée en France, notamment par l’ANI du 19/06/2013 sur la qualité de vie au travail , qui permet et encourage l’entreprise à intervenir sur le champ de la vie privée du salarié, sous prétexte « d’améliorer sa qualité de vie au travail » .

Demain « pour le bien des salariés », cela permettra d’intervenir dans le champ propre de ses libertés fondamentales , comme par exemple dans le choix de son domicile (n’habitez pas loin de l’entreprise , ainsi vous aurez moins de problème de trajet),dans sa santé ( maigrissez et vous vous sentirez mieux et vous serez plus productif),dans la mise à disposition de ses ressources personnelles pour l’entreprise (travaillez à domicile, prenez un grand garage pour stocker des imprimantes 3D , cela vous permettra de devenir aussi notre sous traitant) ,dans la mise à disposition de ses propres réseaux amicaux pour démarcher des clientèles, etc.
Cette confusion entre la vie privée et la vie de l’entreprise est déjà vécue sous la forme de la dématérialisation du travail, un ordinateur portable et une tablette devenant un bureau ambulant ,et elle met fin à toute idée même de limite à la durée effective du travail, voir à celle de « domicilie privé ».

Par ailleurs, les entreprises comme Google encouragent déjà leurs salariés à rester le soir au bureau (cafétéria confortable, ambiance cocooning,  de nombreux jeux à disposition), afin qu’ils ne perdent même pas de temps à rentrer chez eux.

2°) Le deuxième constat qui permet l’arrivée de cette perspective cauchemardesque comme étant réaliste est le développement sans précédant des technologies permettant le contrôle individuel des salariés. Ces technologies ont dores et déjà mis fin à la (petite) liberté encore existante des chauffeurs routiers, pistés et tracés comme ils le sont par leur GPS, mais ce n’est qu’un début. Tout ce qui permet de contrôler à distance se développe, et bien sûr trouve son utilisation dans le cadre du rapport de normalisation des comportements et de conformité à tous moments qui englobe les salariés dans leur ensemble, qu’ils soient cadres ou non : la notion de liberté individuelle pour continuer de disposer d’un espace réservé alors que la technologie utilisable permet un contrôle de plus en plus rapproché de chacun, sans qu’il soit possible d’établir une frontière précise entre ce qui ressort du domaine personnel et du domaine professionnel ,tend à s’éclipser ou à se limiter entre le choix de se marginaliser ou d’accepter sous contrainte « l’innovation »et l’entrave à la liberté qu’elle autorise .

Le fait qu’il devienne possible de munir chacun d’une puce électronique pour contrôler les facteurs de santé ouvre une porte béante sur feu le secret médical entre salariés et médecins du travail .

La miniaturisation, ainsi que le contrôle à distance, rendront obsolètes les pointeuses visibles, le développement de l’imagerie permettant par ailleurs déjà un contrôle en temps réel et le traçage de tout salarié, où qu’il soit et quoi qu’il fasse.

3°) le troisième constat  est économique, et tient au fait que le dégagement des marges suffisantes pour alimenter le système actuel de distribution des dividendes ne peut plus reposer que sur des processus qui tirent partie de l’exploitation totale de l’humain ,et non plus de sa seule force de travail, comme c’était encore le cas dans le système taylorien classique.

Ce  fait n’est pas tant ici lié au déclin industriel, que l’on constate notamment en France aujourd’hui ,qu’à l’intrication croissante de l’industrie dans les services et des services dans l’industrie : ce qui est exploitation du « capital » ne se distingue plus guère de ce qui est exploitation du « travail », et c’est la personne elle même qui devient de plus en plus une figure « capital, travail » à exploiter (au sens littéral) ; c’est elle le fond de la richesse d’où s’extrait le profit, et non plus « sa seule force de travail ».

Que l’on regarde comment Facebook exploite à son profit « des millions d’amis à travers la planète » et l’on comprendra ce point : chacun contribue ainsi à développer Facebook, gratuitement et sans même se rendre compte de l’exploitation dont il est l’objet en tant que personne, et non plus comme « force de travail ».Ainsi les « amis  Facebook » n’ont-ils pas l’impression de « travailler » et pourtant ils contribuent chaque jour au développement de la multinationale .

D’ailleurs le fin du fin de cette exploitation est de laisser croire à chacun qu’il cultive sa propre personne et son propre développement personnel, en contribuant ainsi à sa propre exploitation au bénéfice des multinationales ou des banques qui suivent tout à fait actuellement ce trajet :

Ainsi, quand la banque , appelons là « le Crédit mutualisant », aura réussi à persuader chaque client  d’assurer sa voiture, de prendre son téléphone portable et de prendre une mutuelle santé chez elle, et de gérer ses comptes bancaires de même, toutes les données individuelles, concentrées au Crédit mutualisant ,permettront de contrôler toutes les options vitales de l’individu en un lieu unique, et si en plus, on est salarié du crédit mutualisant, autant dire que sa liberté individuelle sera rétrécie au  point d’ apparaître comme un  pur élément de langage virtuel se référant à un siècle déjà obsolète.

4) Enfin le quatrième constat est celui de la porosité croissante des frontières entre les statuts, statuts salariés et les statuts bénévoles, entre les stages et le travail (génération stagiaire), entre le travail et la formation ,entre le travail même et le loisir , entre le travail et le développement personnel,entre le client et le salarié même(chaque salarié devenant client de l’entreprise et contributeur en tant que client au profit de l’entreprise), entre les contrats de travail et la sous traitance et pour finir, entre un salarié et un employeur.

C’est alors la fin du lien univoque entre le salarié et l’employeur qui autorise le développement  des formes  réticulaires de l’emploi, ce qui n’abolit pas le rapport de subordination entre un employeur et un salarié ,mais le conduit plutôt à se transformer en un rapport de soumission aux codes et agencements flexibles .

Cette forme de soumission aux codes de la flexibilité généralisée conduit à une sur- adaptation permanente au nouveau système mondialisé de gestion des flux de travail de capital et de marchandises, les notions mêmes de marchandise, de capital et de travail ,s’interpénétrant par ailleurs.Cette irisation de l’ensemble du vécu personnel sous le rapport de l’exploitation capitalistique produit alors un individu « sur-adapté » .

l’individu sur-adapté est un individu dont la survie psychique est accrochée à un système dont il ne peut plus se détacher, et qui le mène à « faire su zèle » pour anticiper ce qu’il croit être le désir de l’autre, l’autre étant le système auquel il est accroché et dont il est devenu dépendant.

Le caractère liberticide de cette évolution

Si l’on considère que la liberté est constituée, d’abord et avant tout ,de la possibilité pour l’individu de développer  un espace intérieur qui lui est propre, et qui se doit d’être respecté par tous, c’est à dire d’être non submergé,par l’Etat, ou par l’Entreprise, ou par la pression sociale normative, espace  permettant le développement d’une personne qui n’a pas à être sur-adaptée à son environnement pour avoir le droit d’y vivre sans être relégué socialement et/ou psychologiquement, voir sans se faire désigner par les psychologues du travail comme « étant socialement rigide » alors oui, ce qui se prépare dans ces laboratoires managériaux est au sens propre, liberticide.

La liberté occupe l’espace des interstices non gérés socialement et institutionnellement. Le fait que le droit défende cette liberté par un interdit d’aller au delà d’une limite, par exemple dans la phrase de l’article L1121-2 CT:« Nul ne peut apporter aux libertés individuelles et collectives des restrictions, si ce n’est pour… »n’est pas qu’une tournure sémantique, mais indique bien qu’il y a un seuil au delà duquel personne n’a le droit de restreindre des libertés  , c’est à dire l’espace que se réserve l’individu, .En ce sens, ce que défend la liberté est le quant à soi, c’est-à-dire  l’espace réservé que  garde tout individu à ne pas devoir adhérer pleinement ,corps et âme, à une pratique immiscée insidieusement dans tous les compartiments de sa vie(travail, consommation, loisirs,santé,famille,vie intime).

En ce sens, un management qui prétend prendre en compte tous les aspects de la vie de la personne et de les amalgamer (pour le bien de la personne et de l’entreprise dont elle définit elle même le contour par sa propre charte d’entreprise,par exemple) est totalitaire dans son esprit. Les syndicats qui n’ont pas compris cela en signant l’accord sur la qualité de vie au travail du 19/06/2013, n’ont pas compris que la liberté est irréductible ,et consiste à prendre en charge soi même les interstices que la vie sociale créé nécessairement ,interstices entre vie publique et vie privée, entre vie à l’entreprise et vie de famille, entre vie intime et vie familiale, et que quiconque prétend gérer à la place des individus ces interstices porte un projet qui n’est pas « global », mais totalitaire au sens strict.

Ces signataires ont par ailleurs totalement oublié que l’espace de transition entre vie personnelle et vie au travail était justement assuré par le Comité d’entreprise (pour les plus de 50 salariés), qui n’est pas ,par principe un lieu imbibé par la pression managériale, et auquel le Législateur a confié le monopole des activités sociales et culturelles aussi pour que l’employeur ne s’immisce pas en direct dans la vie personnelle du salarié.

 

Vers une sur-adaptation généralisée ?

Une conséquence de l’emprise totalitaire des nouveaux managements est de déplacer le rapport de subordination qui existait relativement à des tâches précises, vers une forme de sur-adaptation à un contexte général, qui implique une emprise sur les comportements, sur les agir et sur les pensées ; on parlera donc d’une sur-adaptation requise et d’une soumission aux normes ( et non plus d’une simple subordination relative aux tâches telle que la prévoit le droit du travail)

Dans ce contexte, la discipline n’est plus celle qu’impose un règlement, mais celle que constitue un acquiescement, requis en permanence, aux conduites et comportements issus des normes en vigueur(d’où la charte d’entreprise). Le risque de transgresser ces normes n’est plus tant la sanction, restée extérieure, que la marginalisation et l’exclusion de la référence au collectif ainsi reconstitué par le management. Le risque pour le salarié qui rejetterait cette normalisation n’est plus alors de se retrouver en faute, mais de se sentir isolé et rejeté de son groupe d’appartenance , de se sentir à la limite « fou », c’est-à-dire incompréhensible ou « bizarre »pour le groupe  qui continuera,lui, d’adhérer à cette norme.

Ce risque est renforcé par le fait très insidieux que ces nouveaux managements recueillent souvent l’assentiment, au moins passif, des salariés, dans la mesure où ce collectif inféodé aux objectifs managériaux constitue désormais leurs normes et donc, leurs seuls soutiens, du fait de la disparition du soutien traditionnel du collectif de travail non façonné par le management, et qui n’existe quasi plus.

Les salariés peuvent même se retrouver heureux de cette perte de liberté comme sont parfaitement heureux , jusqu’à un certain moment du moins, les membres d’une secte, car le mécanisme pervers qui opère y est du même ordre : en cas de dénonciation d’un abus relatif à la normalisation généralisée des comportements ainsi instituée ,la victime qui découvre qu’elle a été abusée, découvre aussi qu’elle ne peut plus compter sur les membres de la secte qui dés lors, la regarderont comme étant folle,anormale, ou hostile. Il n’y a plus alors, comme dans une secte, aucune structure interne susceptible d’entendre et de recueillir un discours différent de celui qui correspond à la norme dominante, et qui est diffusée à longueur d’actions et de temps , comme dans un haut parleur permanent, mais branché à l’intérieur de soi depuis des années.

Ce risque totalitaire diffus n’opère pas par une violence externe, mais par une persuasion intime et quotidienne, et quand le réveil sonne, la remise en cause de ce totalitarisme ne peut plus passer que par un déchirement psychique, avec le vague sentiment pour ses victimes,d’un réveil amer et culpabilisant, en ayant  été auparavant un long moment complices .

Aussi les défenseurs de la liberté individuelle doivent ils être attentifs à veiller avant tout à ce que les espaces délimités que constituent ,l’espace intime , l’espace privé ,et l’espace de travail d’où seulement une contrainte légitime peut s’exercer(relative aux contraintes nécessaires à l’exécution d’une tâche et proportionnellement à celle-ci comme l’indique le code du travail), soient respectés , peu importent « les bonnes raisons » qu’il ’y aurait de ne pas les respecter.

Cela demande du courage, et parfois de lutter contre une certaine démagogie , contre un certain découragement, contre un esprit de renonciation qui sous couvert d’un sentiment d’impuissance ,gangrène par ailleurs le monde du travail, mais l’honneur d’être un vrai défenseur de liberté a toujours requis au moins cette vertu, quelques soient les Temps : le courage

Mais pour exercer cette vertu à bon escient et ne pas se tromper de cible, il vaut mieux connaitre le visage sous lequel l’adversaire aujourd’hui se présente, et l’on espérera que ce modeste article permettra au mieux de le saisir.

Thierry Ponsot

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Six idées fausses et rebattues sur le droit du travail

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 Six idées fausses sur le droit du travail règnent actuellement et envahissent le champ des discours entendus de partout: réglons leur le sort qu’elles méritent . Ces idées peuvent se libeller ainsi:

1°)Le droit du travail est trop complexe ; 2°) Le droit du travail est trop rigide ; 3°) Le droit du travail est trop contraignant; 4°)  Le droit du travail est un frein à l’emploi ; 5°)Le droit du travail est trop protecteur 6°) Le droit du travail bloque les initiatives.

1°) le droit du travail est trop complexe

Cette idée particulièrement rebattue appelle immédiatement la question : mais quel serait donc un droit « simple et non complexe » ?

Un droit simple et non complexe serait un droit qui s’appliquerait sans aucune nuance, à tous et de la même façon, quelque soit la taille, l’activité, le secteur, et qui serait dés lors et à juste titre taxé d’être totalement inadapté aux situations concrètes que vivent les entreprises ou les organisations qui relèvent de ce droit du travail sur le terrain.

Car il ne peut y avoir aucun miracle possible : plus le droit s’adapte à la multiplicité des situations dont il est censé établir le cadre, plus il sera complexe, et  plus on pourra toujours feindre ensuite de s’étonner qu’il soit volumineux.

Aussi n’est ce pas le moindre des paradoxes d’entendre les mêmes qui se plaignent à la fois, de ce que le droit « soit trop complexe », et qui se plaignent aussi de « ce qu’il ne soit pas adapté à leur situation particulière ».

En réalité ce n’est pas le droit du travail qui en l’occurrence est trop complexe en reflétant la complexité des situations qu’il envisage, mais c’est bien le monde du travail et des entreprises qui est d’une grande complexité de telle sorte qu’un droit unique doit pouvoir s’appliquer :

  • A des TPE
  • A des associations à but non lucratif
  • A des PME
  • A des Etablissements ayant mission de service public
  • A des filiales de grands groupes internationaux
  • A des établissements d’enseignement privé
  • A de grosses industries
  • A des commerçants et artisans……

Voudrait on qu’il y ait autant de droits du travail que de secteurs reflétant l’incroyable diversité des situations qu’il recouvre, et on ne dira plus alors que le droit du travail est trop complexe, mais qu’il serait totalement éclaté.

En réalité on peut voir poindre derrière cette critique récurrente de la complexité du droit du travail , la nostalgie d’un monde simple et qui n’existe plus qu’en fantasme .

Aussi,  ceux qui dénoncent à corps et à cri la complexité du droit du travail peuvent se rassurer tout de suite : sans être forcément adepte d’Edgard Morin[1], le monde et notamment celui du travail, avec l’incroyable diversité des statuts et des conditions des entreprises et organisations qui en relèvent, ne cessera plus jamais d’être complexe et cela ne va pas aller en s’arrangeant.. .

A moins bien sûr, que leur critique sur le droit du travail trop complexe ait un autre sens en fait, et qu’en dénonçant sa complexité, ils entendent surtout lui reprocher d’être toujours trop encombrant pour régler les rapports au travail, avec cette idée au fond que le monde du travail se régulerait mieux sans lui.

Evidemment c’est une toute autre idée.

2°) le droit du travail est trop rigide.

Cette critique est tout à fait antinomique avec la précédente : parce qu’il existe une réelle souplesse de ce droit, il peut apparaître aussi dense et donc, forcément complexe.

Effectivement le droit du travail, c’est non seulement le code du travail mais l’ensemble des conventions et accords collectifs qui permettent une souplesse sans précédant à l’application rigide de la loi.

On peut donner des milliers d’exemples, mais que l’on songe seulement à cette souplesse donnée par exemple à la durée du mandat d’un CE : portée à 4 ans par la loi, elle peut, par dérogation grâce à un accord collectif passé avec les organisations syndicales, être ramené à 3, ou à 2 ans.

Ainsi ce système, fondant une loi unique avec des possibilités de dérogation à la condition d’un accord, est au contraire un principe de souplesse considérant des situations spécifiques, et qui cependant maintient un principe directeur et universalisant : on imagine mal un principe plus souple et plus efficace pour peu qu’on considère qu’il y ait  nécessité, et de légiférer, et de permettre cependant une souplesse d’adaptation à la loi.

En réalité le droit du travail est truffé de dérogations possibles et la hiérarchie du droit constitue, de fait, un principe dérogatoire particulier qui permet au code du travail de fixer seulement un minimum.

Il est d’ailleurs à préciser que ce minimum est souvent assez faible et les salariés le savent bien. Par l’exemple l’indemnité légale de licenciement (motif non économique) est en réalité faible (pour dix ans d’ancienneté moins de deux mois de salaire)  et ce sont les indemnités conventionnelles spécifiques à chaque branche qui viennent relever ce minimum.

La souplesse réelle du droit du travail ne conduit cependant pas à une anarchie, car elle suppose qu’on déroge à la loi dans le cadre de la dérogation que permet la loi. Alors, bien sûr, certains préféreraient sans doute que ce cadre dérogatoire lui-même soit aboli et là, ce qui serait attaqué, au-delà de la souplesse du droit, c’est l’idée du droit en tant que cadre de régulation des rapports au travail entre employeurs et salariés.

On voit donc bien souvent, que derrière la critique de la rigidité du droit du travail, se profile celle ,plus fondamentale, qui conteste la qualité du droit du travail à fixer non pas, des lois, mais un cadre.

Or ce cadre que permet la loi, y compris par ses dérogations, est en fait la protection réelle et la garantie qu’elle apporte : garantie contre quoi ? Garantie contre la violence de l’arbitraire qui se manifesterait alors si un cadre n’était pas posé aux relations entre les individus.

Il faut réaliser de manière générale d’abord, que c’est le cadre posé par le droit qui protège chacun contre l’arbitraire que suppose l’état de violence, et que l’état de droit (état écrit avec un e minuscule) protège contre l’état de violence et de l’arbitraire qu’elle engendre .

Il faut ensuite réaliser ,de manière particulière, que le cadre posé par le droit du travail garantit contre l’arbitraire, comme tout droit (comme le droit de la propriété qui garantit que chacun soit sécurisé dans ses possessions, par exemple) ,mais qu’en plus, il garantit les salariés contre l’arbitraire qu’un employeur pourrait exercer, dés lors que le salarié est par principe subordonné à l’employeur dans l’exécution de ses tâches.

Double protection du cadre de loi qui permet, non seulement de protéger tout un chacun  contre l’état arbitraire (et donc violent), mais aussi de rétablir une protection spécifique du salarié contre l’arbitraire que pourrait occasionner le rapport de subordination inhérent au rapport salarial.

3) le droit du travail est trop contraignant

Pour analyser cette critique, il faut distinguer deux choses en permanence confondues par ceux qui l’invoquent.

  1. La critique contre les contraintes administratives que génère l’application de règles particulières issues du droit
  2. La critique contre la contrainte que génère l’application du  droit en lui-même
  1. Critique contre les contraintes administratives que génère l’application des règles particulières issues du droit du travail

Une contrainte administrative a ceci de particulier par rapport à une contrainte du droit lui-même : elle est par nature insupportable et il faut bien évidemment, tant que faire se peut,  la diminuer.

L’exemple le plus simple que l’on puisse donner, et en même temps le plus universel , est évidemment le remplissage (numérique ou non) des formulaires, imprimés Cerfa en tous genres, déclarations sociales et « paperasses »  diverses. La « simplification administrative » étant en cours, on ne peut  qu’espérer sa réussite(en même temps d’ailleurs qu’en douter).

Concernant le droit du travail, on ne pourrait que féliciter l’initiative du ministre ou du secrétaire d’Etat qui, enfin, permettrait de simplifier la rédaction des bulletins de salaire dont le libellé, en sa complexité d’écriture et de lecture, dépasse tout ce que Courteline aurait pu imaginer.

Mais ce qu’on ne fera pas ici , et ce que certains  généralement font pourtant, c’est de confondre ce type de contraintes administratives ,qu’il faut réduire tant que faire se peut et qui sont effectivement toujours trop  lourdes au point qu’il faille toujours essayer de les réduire, avec celles que génère le droit en lui-même.

Et c’est là que réside le malentendu (savamment entretenu par certains) : réduire la contrainte administrative n’a rien à voir avec  réduire la contrainte juridique de la loi.

  1. Critique contre la contrainte du droit lui-même

Pour expliquer la différence entre la contrainte du droit et la contrainte administrative que la règle peut générer, il faut non seulement distinguer la loi et son esprit d’avec  le règlement d’application, mais peut être aussi, ce qui donne valeur éthique à la loi , ce qui fait que chacun doit s’attacher à la respecter , et ce qui ressort de la seule contrainte administrative .

Si je m’arrête au feu rouge, c’est que je respecte la loi et le cadre de protection qu’elle offre pour tous. Si je remplis une attestation administrative,  je le fais parce que je ne peux pas faire autrement et si je pouvais m’en passer ce serait aussi bien. Je peux souhaiter remplir moins de formulaire  ou même pas du tout, si un moyen permet de s’en passer,.

Est ce pour autant qu’il faudrait souhaiter qu’il n’y ait plus de feux rouges et donc pas de feux du tout ? Permettre ainsi aux automobilistes d’écraser « très librement » les piétons en libérant ainsi leurs « forces créatives »? Or le problème est justement celui là : on ne peut ajouter des contraintes non souhaitables (administratives) avec des contraintes tout à fait nécessaires et de l’ordre du respect légitime de la loi et de l’ordre qu’elle suppose, pour les sommer indûment, et déclarer ensuite que le droit du travail générerait  globalement « trop de contraintes ». Et c’est exactement ce que font les critiques du droit du travail quand  ils le déclarent globalement « trop contraignant ».

Il est très nécessaire qu’il y ait une durée maximum du travail, tant quotidienne qu’hebdomadaire et on peut certes estimer qu’elle doit être plus ou moins longue ,mais cette limitation sera toujours une contrainte nécessaire du droit du travail, sinon cela laisserait place à l’abus, à l’arbitraire exercé par certains employeurs contre certains salariés ; ceci est une contrainte dont le plus obtus libéralisme doit pourtant s’accommoder, et cela devrait même s’apparenter à une éthique de responsabilité que de le comprendre. De la même manière, interdire le travail salarié des enfants est une contrainte qu’il ne devrait  même pas être question de mettre en cause (sauf à en revenir à Germinal).

Par contre il ne peut être que souhaitable d’alléger les contraintes des entreprises de manière à ce qu’elles ne soient pas submergées par l’inflation des prescriptions administratives qui n’ont rien à voir , ni avec le droit, ni avec la loi et le respect de son principe, mais avec les habitudes dans lesquelles  les administrations elles mêmes ont des difficultés à comprendre l’ensemble des contraintes qu’elles représentent pour les administrés, et qu’on pourrait  et devrait alléger au maximum.

Aussi le principe de minimum de contraintes administratives doit il rester compatible avec  la nécessaire contrainte qu’impose une loi  éthiquement fondée.

Parfois on regrettera que le législateur lui même ne procède pas à cette distinction entre contrainte administrative et nécessaire contrainte juridique, en contraignant administrativement beaucoup, pour une médiocre efficacité juridique .Hélas,un exemple récent vient encore le montrer à travers l’institution du compte pénibilité à compter du 1/01/2015, en faisant endosser la contrainte administrative énorme de calculer sous l’angle de 10 facteurs la pénibilité subie par tous les salariés exposés ,plutôt que de laisser ce soin à un expert uniquement dans le cas où la pénibilité pose problème, ce qui aurait pu être décelé à travers un simple droit d’alerte déclenché par le médecin du travail et/ou le CHSCT.

L’efficacité juridique de la contrainte aurait été alors plus efficace (droit d’alerte généralisé avec expertise obligatoire au bout) et la contrainte administrative beaucoup moins lourde, parce que non généralisée, à priori, à l’ensemble des employeurs!

Les employeurs ont alors beau jeu de rejeter « dans le même sac » la contrainte administrative (trop lourde) avec la contrainte juridique pourtant nécessaire à la prévention, et qui aurait pu être généralisée par un simple droit d’alerte.

C’est pourquoi plaider globalement pour la « baisse des contraintes du droit du travail » n’a pas de sens , sinon celui là : sous prétexte de vouloir diminuer  des contraintes administratives ( ce qui est toujours légitime), vouloir s’affranchir du minimum d’éthique qu’exprime la loi dans son principe(ce qui est toujours illégitime).

4)Le droit du travail est un frein à l’emploi

Rengaine reprise en chœur par nombre d’institutions officielles et d’organismes européens , c’est d’abord d’un point de vue macro-économique une critique du droit du travail que rien ne justifie ; il n’ y a en réalité pas de lien qui puisse valoir entre le droit du travail et le carnet de commandes de l’entreprise ; or ,quelque soit le type de raisonnement  macro-économique que l’on puisse tenir,  il est impossible de mettre en lien direct la loi et l’emploi ; par ailleurs si un carnet de commandes est vide , il reste vide, même si on abolit le code du travail, et s’il est plein, le code du travail qui fixe notamment des règles applicables à l’emploi, n’est qu’une modalité selon laquelle l’emploi peut exister et ne le créé pas, de toutes façons. Il est à ce point de vue irrationnel de croire qu’une modification du droit, quelle qu’elle soit, « créerait de l’emploi ». C’est un peu comme si l’on affirmait que la façon d’orienter un parasol pour se protéger du soleil était responsable de la présence ou non du soleil. L’orienter mieux protégera sans doute plus si le soleil brille, mais ne le fera pas apparaître  s’il pleut.

Les variables macro-économiques  directes qui agissent, à court et moyen terme, sur le niveau de l’emploi sont les suivantes :

a) l’état des commandes c’est à dire de la demande

b) la capacité de l’offre à répondre à cette demande et qui dépend elle même de

-l’investissement productif

– l’état de la technologie ( productivité du travail et du capital, et non pas seulement coût du travail ou coût du capital)

– les taux d’intérêt et d’inflation ( accès au crédit et niveau général des prix)

– la valeur de la monnaie( taux de change notamment euro/dollar)

Nul modèle macro économique n’inclue les conditions d’emploi et de rupture d’emploi (licenciements et autres modalités de rupture, seuils sociaux) pour déterminer principalement un niveau d’emploi dans une économie à court ou à moyen terme.

Le fait qu’il y ait dans le cadre du droit du travail des modalités contraignantes d’emploi n’est pas une variable déterminante de l’emploi au sens macro-économique, mais un élément qui pourra éventuellement secondairement jouer un rôle à la marge, au même titre que toute une série de variables qui ont aussi un impact marginal (à court ou moyen terme) ; on peut citer de manière non exhaustive, à ce titre :

  • Le niveau de formation des salariés
  • Le niveau d’infrastructures ( qualitatif et quantitatif)
  • Le développement des services intermédiaires
  • La réglementation sociale et fiscale
  • Le prix des matières premières
  • La qualité des services publics (et oui)

La différence entre variables principales et secondaires n’est pas que quantitative ; la variable est secondaire parce qu’elle ne joue que marginalement et par rapport à des variables primaires : par exemple , aujourd’hui accroître l’investissement productif et baisser la valeur de la monnaie auraient un impact sur l’emploi tel qu’à coté, la seule modification des règles d’embauche ou de licenciement ne serait que marginale par rapport à l’effet général  produit.

En aucun cas une variable secondaire ne serait susceptible d’inverser l’effet d’une variable primaire (en tous cas à court ou à moyen terme). Tout au plus pourrait elle accompagner l’effet d’une variable primaire.

La rationalité économique implique donc, pour développer l’emploi , de s’attaquer, premièrement aux variables primaires déterminantes et aux variables secondaires  seulement en second:  d’autant que s’attaquer au droit social signifie, ipso facto,  bouleverser une donne sociale importante qui stabilise une société, et l’instabilité juridique est un véritable fléau dont tous peuvent être amenés à souffrir .

Ainsi pourquoi ajouter l’instabilité juridique à l’instabilité économique et fragiliser alors, pour un résultat économique incertain et marginal, les principes du droit social qui fondent la cohésion du pacte social?

D’autant que s’il s’agit en fait de déstabiliser le droit pour un résultat économique  seulement marginal (et par ailleurs très incertain), ceci est le contraire d’une action efficace ( action efficace= minimum de moyens mis en œuvre pour un maximum de résultats et non pas maximum de bouleversement pour un résultat minime et qui plus est, incertain).

Alors pourquoi cet acharnement sur le code du travail et non pas sur des variables directement économiques , comme  le taux de change, ou le niveau d’investissement productif, le niveau des exportations et celui des importations, qui ont un impact direct et premier sur le niveau d’emploi?

Pourquoi s’acharner plus sur le code du travail et les règles d’embauche ou de rupture, sur les effets de seuil sociaux par exemple, que sur le niveau d’infrastructure qui ont  l’un et l’autre des impacts secondaires et marginaux sur l’emploi ?ou sur la formation des salariés ?

A l’aulne d’un raisonnement de type économique , l’acharnement à dénoncer le code du travail comme obstacle principal à l’emploi ressort de l’idéologie ; Il s’agit en fait que les salariés « payent le prix » de leur emploi en les culpabilisant sur le chômage et en leur signifiant que c’est  parce qu’ils  auraient « trop de droits » qu’il y aurait autant de chômage.

Nos mémoires  paresseuses devraient nous le rappeler, mais nous sommes toujours oublieux : n’avait -on pas entendu ce genre de promesse, au moment de la création de la DUP (Délégation Unique du Personnel regroupant les élus CE et DP) qui a considérablement assoupli les seuils sociaux  en permettant aux employeurs d’entreprises de moins de 200 salariés d’avoir une seule structure de représentants du personnel, avec moins de délégués et moins d’heures de délégation au total,  que des centaines de milliers d’emploi allaient être créés à l’issue de cet assouplissement des seuils sociaux ?

La DUP existe bel et bien aujourd’hui et on aurait du mal à prouver que ne serait ce qu’un seul emploi ait été créé grâce à cette mesure .

Mauvais jeu de mots,  certes , mais en reviendrait on aujourd’hui  encore à un nouveau et sempiternel  jeu de DUP…ES ?

5) Le droit du travail est trop protecteur

Deux représentations sous tendent cette idée: la première concerne le très haut niveau général de protection qu’offrirait le droit du travail en général pour les salariés, et la deuxième concerne plus spécifiquement l’idée selon laquelle il serait impossible de licencier un salarié à cause de l’extraordinaire protection qu’offrirait le contrat à durée indéterminée

le droit du travail offrirait  en général un haut niveau de protection aux salariés

Que le droit du travail offre un certain niveau de protection minimum , c’est certain, que ce niveau soit en général très élevé, c’est très discutable si on considère les faits suivants:

Ainsi le niveau de protection offert par le droit du travail n’a jamais empêché: Qu’un salarié soit licencié dés l’instant ou il y a un motif réel et sérieux de licenciement; qu’un salarié reste 20 ans dans une entreprise sans même bénéficier d’une heure de formation professionnelle continue( ce qui pourra changer, on l’espère , avec la nouvelle loi du 5/03/2014 où une réelle obligation de formation prend forme); qu’il y ait une explosion de recours à toutes les formes de contrats précaires et d’intérims par des motifs légaux sans cesse plus nombreux et divers ; qu’un salarié en longue maladie soit licencié après un certain temps déterminé par les conventions collectives; que les indemnités de licenciement légales soient en réalité très faibles; que la France soit très en retard sur la prévention des risques psychosociaux peu intégrés aux obligations de prévention de l’employeur; que les amendes payées en cas d’infraction au code du travail soient la plupart du temps dérisoires; que les salaires minima conventionnels soient si bas que 50%des salariés gagnent moins de 1500€ net par mois.

Si l’on considère que ces éléments sont caractéristiques d’un très haut niveau de protection , que serait alors un bas niveau de protection ?

Mais le point le plus crucial autour duquel s’accroche la représentation d’un droit du travail qui serait surprotecteur est certainement celui qui présente le fameux cdi (contrat à durée indéterminée) comme une quasi assurance d’emploi à vie, et que le malheureux employeur ne pourrait jamais « rompre » dés l’instant où il embauche un salarié.

Le cdi surprotecteur?

Un point sémantique d’abord: contrat à durée indéterminé signifie contrat sans terme déterminé et non pas contrat à vie, ou contrat à durée infinie!

En réalité, il y a maintenant, mise à part la démission du salarié , deux moyens principaux de rompre un cdi, le licenciement et depuis 2008, la rupture conventionnelle; il semblerait que les mémoires oublieuses et qui considèrent toujours que le cdi est en béton incassable, aient un peu oublié l’existence de cette modalité de rupture, la rupture conventionnelle, dont on rappelle qu’elle ne nécessite aucun motif, mais seulement un accord entre l’employeur et le salarié pour rompre le cdi à l’amiable : les employeurs y recourent d’ailleurs de façon très abondante, à tel point qu’on soit actuellement sur un rythme de 30 000 ruptures conventionnelles par mois!

Et cela n’empêche toujours pas certains de considérer le cdi comme un incontournable, bétonné, qui « empêcherait les embauches » en terrorisant les malheureux employeurs qui, à cause de lui, ne pourraient plus avoir suffisamment de flexibilité pour gérer leurs effectifs!

Jusqu’à quel chiffre de ruptures conventionnelles mensuelles  faut il aller pour que  tombe cette rengaine du cdi indestructible? 40 000 par mois?50 000?100 000?

Quant au licenciement, le droit oblige  seulement l’employeur à licencier avec un « motif réel et sérieux ». C’est tout de même un minimum et on ne voit pas très bien comment on pourrait faire moins s’agissant d’une mesure unilatérale de l’employeur et qui a d’énormes conséquences pour les salariés, surtout s’ils ont plus de 45 ans et qu’ils auront les pires difficultés à retrouver un emploi.

Alors bien sûr, ce qui gêne certains employeurs, c’est que le salarié puisse recourir devant une juridiction s’il estime que le motif de licenciement n’est pas réel, ou pas suffisamment sérieux, ou les deux. Certains employeurs ont une hantise des tribunaux,prud’hommes notamment; mais là on retombe sur une intangible contrainte qui est celle ci et que chacun , dans un Etat de droit , doit accepter: non, on ne peut arbitrairement décider ce qu’on veut dans un rapport de droit qui relie des catégories de citoyens, sans le légitime recours à l’autorité judiciaire en cas de litige, parce que nous sommes une démocratie sociale (article 1 de la constitution) et que les litiges se règlent par le droit et par l’autorité judiciaire qui dit le droit.

On rappelle que les régimes qui abolissent le droit et l’indépendance de l’autorité judiciaire s’appellent des dictatures.

6) Le droit du travail bloque les initiatives

Cette critique qui doit être prise à part est assez intéressante, car elle met le doigt sur une méconnaissance assez partagée dans notre pays sur ce qu’est fondamentalement le droit , et sur la représentation qu’on peut en avoir.

Bien sûr, et nous l’avons déjà évoqué, le droit impose des contraintes légitimes , et si elles sont contraignantes , sa contrainte cependant légitime ne saurait être écartée,parce que c’est elle qui nous civilise et oblige à ce que les pulsions violentes n’envahissent pas  le champ social ; à ce titre là tous les droits, et pas seulement le droit pénal, sont concernés par le degré de contrainte légitime que le droit impose : c’est peut être en ce sens que le chanteur Daniel Balavoine chantait à juste titre son regret en constatant « qu’aujourd’hui , la Loi ne fait plus l’Homme ,mais que quelques hommes font la loi ». Bel aphorisme et qui a le mérite de bien comprendre l’enjeu légitime formatif  d’éducation sociale dont  la Loi (L majuscule)  procède, bien au-delà de ses règlements.

Mais au-delà de cette part de contrainte légitime, ce que le droit offre et ce que le droit du travail offre en particulier et qui est si mal utilisé, si mal compris et si mal appliqué, c’est un cadre : et notamment un cadre d’initiative et de création !

Il faudrait écrire un livre sur le rapport très complexe et ambivalent qu’entretiennent les français au droit, qu’ils appellent de leurs vœux les plus chers (ils pensent qu’une loi va tout résoudre) mais qu’ils ne supportent pas par ailleurs (sauf pour qu’il s’applique …aux autres).

Mais contentons nous de décrire le peu d’utilisation du cadre qu’il offre à travers des exemples concrets relatif  au droit du travail.

Qu’ont donc fait les partenaires sociaux  ,dans leur ensemble, du cadre très ouvert qu’offrent les lois Auroux sur le droit d’expression des salariés et cela depuis le 4/08/1982 , alors que ce cadre serait aujourd’hui si utile à enfin mettre en place des systèmes de prévention des risques psycho sociaux  non seulement pertinents et stables, mais démocratiques, et assurant une protection juridique à l’expression légitime des salariés sur leurs conditions de travail? Ils l’ont quasi ….enterré à quelques exceptions près.

En réalité, ils n’ont su qu’en faire pour de multiples raisons , certes ,mais dont la première est celle-ci : la méconnaissance à utiliser un cadre de liberté offert par une loi : l’idée même que la loi, en offrant un cadre, offre en fait aussi une liberté est quasi méconnue et pratiquement pas exploitée (peut être que la liberté fait peur?).

Enfermé dans la représentation d’un « droit châtiment », parce que le cadre posé par la loi  génère forcément une contrainte, l’aspect libérateur que le cadre permet n’est même plus entrevu.

Le lien entre contrainte et liberté dont procède la loi n’est pas dans la représentation mentale des français en général, sauf exceptions, ce pourquoi on créé plus de lois que nécessaire et qu’on n’appliquera pas ensuite, parce qu’on n’utilise pas créativement le cadre posé par la loi et dés lors, en ne sachant pas utiliser la créativité que permet la loi , elle n’atteint pas son effet et on créera  plutôt..une autre loi pour y remédier.

Inflation législative et méconnaissance du droit vont ainsi main dans la main…

illustre cette méconnaissance l’ANI (Accord National Interprofessionnel) du 19/06/2013 : Pourquoi vient on par cet ANI ,reposer un cadre qui existe déjà et dont on ne s’est pas servi ( loi Auroux sur le droit d’expression), pour reformuler finalement, de manière peu claire et extrêmement ambiguë , l’intérêt qu’il y aurait à créer des espaces de « discussion au travail » à travers un ANI laborieux sur la qualité de vie au travail, et qui mélange vie privée du salarié et conditions de travail dans l’entreprise ? Pourquoi faire compliqué quand on aurait pu faire simple, en commençant par faire appliquer ce qui existait déjà et depuis longtemps, à savoir la loi Auroux du 4 Aout 1982 ?

Pourquoi les Comités d’entreprise et les comités d’hygiène Sécurité n’utilisent généralement pas le cadre de l’avis consultatif (L2323-3 CT ) pour faire une série de contre propositions aux projets de l’employeur que celui-ci aurait quelque mal à réfuter une par une, surtout si ces contre propositions sont nombreuses et solidement étayées ?Pourquoi certains d’entre eux s’acharnent ils alors à demander un droit de veto plutôt que d’apprendre à utiliser créativement le droit qu’ils ont et qu’ils ne savent pas utiliser?

Pourquoi les délégués syndicaux ne prêtent ils pas plus souvent main forte pour demander la signature d’accords d’entreprise permettant de garantir juridiquement à des membres du CHSCT leur présence dans les comités de pilotage qui ont des impacts sur des risques psycho sociaux , comme ils en auraient le pouvoir?

Pourquoi les CHSCT ne structurent ils pas les délégués du personnel pour leur permettre de leur apporter des renseignements intéressants sur tout ce qui peut concerner leur mission, comme le rend possible l’article L 2313-9 CT   ?

On pourrait rallonger cette liste mais elle est éloquente : en réalité on ne réfléchit pas assez à la Loi elle-même de manière à envisager les possibles qu’elle permet , mais on va se focaliser sur :

  • Son aspect interdicteur
  • La façon la plus astucieuse de contourner l’interdit.
  • et réclamer une autre Loi pour atteindre l’objectif de la précédente qu’on ne sait pas utiliser créativement

Ainsi oppose-t-on la créativité et la loi, en pensant systématiquement la loi comme obstacle, entrave à la créativité, à l’initiative, et en fin de compte comme entrave  à la liberté, avec l’idée que la loi s’oppose à la liberté , un peu comme dans le système scolaire on pense généralement qu’être littéraire,  c’est forcément ne pas être matheux, et qu’être matheux, c’est forcément ne pas être littéraire.

C’est en vérité une méconnaissance de ce que permet et autorise la loi, mais il faut reconnaître que c’est à chacun d’apprendre à penser dans son cadre de permission, et que  ceci n’est pas un savoir faire qu’on apprend au lycée, ni même à l’université.

Au fait, où en est l’éducation juridique dans nos lycées, censés former de futurs citoyens éclairés et conscients de l’importance et de la réalité du droit dans une démocratie qui se dit sociale?

Conclusion

Le droit du travail est complexe parce qu’il reflète la complexité du monde du travail et qui va en se complexifiant, et c’est tant mieux s’il s’adapte à cette complexité: la loi et le principe de ses dérogations, notamment par accord de branche ou d’entreprise , est plutôt un principe efficace  et démocratique pour que la loi reste le pivot du principe d’égalité qu’elle représente, et que les dérogations négociées représentent sa souplesse nécessaire.

Le cadre que représente le droit du travail règle le rapport entre ceux qui travaillent et ceux qui les emploient en empêchant, et c’est légitime , l’abus que la situation de subordination des salariés ne manquerait pas d’entrainer si  la loi ne s’interposait pas ; en ce sens, s’il est légitime de vouloir s’affranchir des contraintes administratives que le droit entraîne, il n’est pas légitime de vouloir s’affranchir du rapport de droit que la loi pose entre les salariés et les employeurs, si ce n’est à plaider pour le retour à une situation d’arbitraire et de violence première.

Le droit du travail, en réglant les normes d’emploi et de licenciement ne saurait être tenu responsable, sinon marginalement, du niveau intolérable du chômage ; tout au plus et seulement dans le cadre d’une politique macroéconomique complète et ,s’appuyant sur bien d’autres variables déterminantes (investissement, prix, taux de change, exportations, importations , productivité du travail et du capital), l’action à la marge sur les conditions d’embauche, de rupture de contrat de travail et sur les  seuils sociaux, pourrait accompagner une politique économique ,sans d’ailleurs qu’il soit réellement possible de quantifier ce que cette action à la marge permettrait ou non de création  d’emplois :

Ainsi la focalisation obsessionnelle sur le droit du travail comme fauteur de chômage relève d’une psychologie de l’inconscient collectif, bien plus que de l’économie politique.

Le niveau général de protection qu’offre le droit du travail est en réalité plus proche d’un minimum que d’un maximum, sinon le niveau médian des salaires ne serait pas désespérément si bas en France; le contrat à durée indéterminé ,présenté comme le maximum de protection garanti pour un emploi stable est en réalité très friable , comme le montre d’ailleurs le nombre vertigineux de ruptures conventionnelles en cours actuellement, et comme le montre aussi le droit du licenciement, en réalité minimaliste pour les salariés.

Enfin il est clair que le droit en général, et notamment le droit du travail en particulier ,est peu et mal utilisé sur le versant créatif du cadre qu’il pose, ce qui explique aussi la tentation d’inflation législative qui manifeste toujours plus l’envie de créer une nouvelle loi, plutôt que de faire l’effort d’appliquer et de comprendre les opportunités qu’ouvrent déjà celles qui existent.

 C’est vrai, un certain rapport au droit reste ambiguë de la part de nos concitoyens, et n’est pas exempt d’un certain fétichisme, attendant du droit qu’il résolve tous les problèmes, estimant qu’il devrait plus s’appliquer  à l’autre qu’à soi même, ne sachant pas l’utiliser et le décriant aussi facilement, tout en l’appelant tout de même sans arrêt à la rescousse, en s’étonnant alors qu’il ne soit que ce qu’il peut être : une modalité de rapport nécessaire entre les citoyens ou entre des catégories de citoyens (salarié/employeurs pour le droit du travail ; commerçants/clients pour le droit de la consommation), et qui n’est pas là pour se substituer à ce qu’il reste à inventer, au-delà de lui, notamment comme relations vraiment humaines, mais qui les rend possibles, en purgeant à priori ce qu’elles pourraient contenir de violence et d’arbitraire.

Thierry Ponsot

[1] Edgard Morin « introduction à la pensée complexe » le seuil, 1990

l’avenir professionnel des salariés en questions

 

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Plusieurs questions se posent désormais au sujet de l’avenir professionnel des salariés  et des moyens à leurs dispositions pour se projeter dans l’avenir.

Essayons d’abord de faire un point sur la notion d’avenir professionnel.

Le salarié pouvait encore envisager hier  son avenir professionnel dans l’entreprise (disons il y a trente ans et plus), pour y projeter son propre avenir professionnel. L’espérance qu’il avait de faire carrière dans une entreprise était encore raisonnable

Compte tenu de l’évolution des organisations, et de l’évolution des horizons actuellement prévisibles, tant concernant la prévisibilité économique ,que celui de la prévisibilité des métiers  et de l’avenir des emplois dans les entreprises , l’avenir des salariés correspond il aujourd’hui à celui que peuvent projeter les entreprises ? L’avenir du salarié est il encore correspondant à celui de l’entreprise et si oui, à quelles conditions ?

1°)  il y a trente ans et plus, le salarié pouvait parfaitement imaginer une projection de son avenir professionnel dans une entreprise et confondre alors son avenir dans l’entreprise avec celui de l’entreprise. Sauf accident de parcours (qui pouvait se révéler n’importe quand), ce calcul était statistiquement suffisamment probable : le salarié s’investissant dans l’entreprise pouvait y investir personnellement son avenir, car sauf incident majeur ou circonstance peu probable, il pouvait raisonnablement espérer rester dans une entreprise pour y faire carrière .Si toutefois tel n’était pas le cas ,il pouvait encore dans plusieurs entreprises exercer un même métier et une même compétence tout au long de sa vie professionnelle.

2°)  il y a trente ans et plus, un avenir suffisamment certain pour les entreprises permettait au salarié d’appréhender l’avenir à court et à moyen terme et à long terme, pour envisager quelles étaient les perspectives les plus intéressantes pour sa propre carrière.

En confondant son propre avenir à celui de l’entreprise, cela permettait alors aux salariés de connaitre ses points forts et ses points faibles et ainsi d’orienter sa propre formation professionnelle de manière à améliorer ses compétences et les chances que ces compétences soient reconnues pour la suite de sa carrière professionnelle, dans l’entreprise, et même éventuellement dans une autre entreprise où elles seraient alors naturellement reconnues.

3) il y a trente ans, la visibilité économique des marchés, celle des métiers et des évolutions technologiques conséquents à la perspective économique,  pouvaient encore se projeter la plupart du temps sur 5 ans voire au-delà, en tous cas à plus de deux ans avec une bonne probabilité.

 

Or les trois points précités de certitude relative (jamais absolue) ont basculé aujourd’hui du côté de l’imprévisibilité, ce qu’on peut décrire ainsi :

  • Celui qui prétendrait s’appuyer sur un horizon à peu près certain au-delà des cinq années du long terme, quant à l’évolution économique et en conséquence , des métiers et des compétences requises prend un risque majeur ; non pas que cela soit impossible aujourd’hui d’établir une prévision, même juste, mais la probabilité que cette prévision se réalise devient incertaine, au point qu’elle n’est plus alors une prévision raisonnable : elle devient ce qu’on appelle une pure  hypothèse d’école (peut être juste ou peut être fausse).
  • Le salarié qui, entrant dans une entreprise aujourd’hui, imagine qu’il y fera sa carrière n’est pas forcément fou, mais il prend alors un risque sans commune mesure à ce qu’était ce même risque dans le même contexte il y a trente ans ou plus. L’espérance, qu’on peut qualifier de raisonnable, n’est plus alors qu’il reste dans l’entreprise, mais qu’au bout d’un nombre d’années, parfaitement calculables au demeurant, il parte, et la probabilité raisonnable qu’il y reste s’échelonne désormais sur un nombre d’années dont l’espérance statistique reflète précisément le turn over (croissant) dans les entreprises.
  • Dés lors, l’ensemble des prévisions que peuvent faire les salariés concernant leurs carrières ,leurs emplois et leurs formations pour les projeter de manière adéquats aux horizons statistiquement rétrécis des évolutions contemporaines, tant de la prévisibilité économique et/ou technologiques et/ou des emplois et des métiers dans l’entreprise, doivent en moyenne être rétrécis de cette façon :
  1. Pour la plupart des entreprises, au mieux au moyen terme (inférieur à 5 ans en tous cas)
  2. Pour beaucoup d’entre elles, au court terme (2 ans ou moins) et pour un nombre non négligeable encore, même au très court terme (moins de 6 mois)
  3. Pour une petite partie d’entre elles et dans quelques rares secteurs, cet horizon est encore au long terme (exemples : quand il y a des commandes à plus de 5 ans seulement dans quelques secteurs : nucléaire, avionique)

Chaque salarié, sauf celui qui se trouve travailler dans un secteur ou l’idée d’une prévisibilité à long terme continue d’offrir une espérance  statistiquement raisonnable (sans devenir une pure hypothèse d’école), est donc placé dans l’alternative suivante :

  • A) Ou bien continuer de projeter son propre avenir dans l’horizon forcément rétréci de l’ actuelle prévisibilité des entreprises, et réduire son propre horizon de projection personnelle d’autant.
  • B) Ou bien continuer de projeter son propre avenir dans l’entreprise au-delà de  son horizon de prévisibilité statistiquement raisonnable, et adopter donc le pari risqué de « l’hypothèse d’école » ( une chance minime et non statistiquement raisonnable que l’avenir qu’il projette ainsi se réalise pour lui dans son entreprise)
  • C) ou bien projeter son avenir professionnel en dehors de l’entreprise à laquelle il appartient pour le moment, au-delà de l’horizon moyen de prévisibilité dans cette même entreprise.

A partir de ces alternatives , énonçons les conditions dans lesquelles le choix entre A,B et C, peut être éclairé.

Reprenons donc les conditions de ce choix

Le choix A : rétrécir son horizon professionnel à l’horizon moyen de prévisibilité dans l’entreprise

Ce choix  a l’avantage d’être une stratégie adaptative; il va alors consister à découper sa propre ligne d’horizon professionnelle  suivant le nombre d’entreprises ou d’organisations dans lesquels  le salarié serait amené à travailler, ou suivant le nombre d’emplois ou de métiers qu’il serait appeler à tenir.

Cette stratégie est donc bien « flexible », mais quels en sont les points aveugles,  c’est-à-dire les risques non pris en compte ?

Le risque majeur, c’est évidemment ce qu’il va se passer entre les points de passage de l’entreprise A, à l’entreprise B, à l’entreprise C , ou entre le métier A, le métier B et le métier C: combien de temps de chômage entre deux ? Combien de temps de reconversions ? Combien de reconversions en métiers? Selon quels critères ? Pour aller vers quoi ?

Arrivé après 45 ans que va-t-il se passer pour le salarié ? Et entre 55 et 65 ans ?

Evidemment des variantes au sein même du choix A peuvent apparaître et elles sont multiples.

Le salarié peut envisager d’évoluer au sein d’un groupe suffisamment grand dans lequel plusieurs métiers et/ ou des types d’emploi différents au sein d’une même entité. Mais dans ce cas, avec quel degré de maitrise réelle de l’aléa que représente cette évolution ?

Aussi le choix du « grand groupe », qui parait statistiquement offrir plus d’options par rapport à la PME, ou même que l’entreprise unique, peut constituer un leurre statistique : il y a effectivement plus d’options  dans un groupe, mais elles sont infiniment moins maîtrisables par le salarié et dépendent des quasi permanentes restructurations de périmètres auxquelles opèrent sans cesse ces groupes.

Or si les options sont plus nombreuses mais leur maîtrise incertaine, la projection d’un avenir désiré et projeté n’y est au total, pas plus sûr.

De plus, le choix de morceler ainsi son avenir professionnel au gré des entreprises rencontrés lors de sa carrière , n’assume pas d’avenir personnel sur un long terme et n’inscrit pas le sujet dans une position assumée d’un parcours, mais dans l’inscription erratique d’une trajectoire en réalité incontrôlée.

Le choix B : se projeter dans et avec l’entreprise mais au-delà de l’horizon statistiquement prévisible dans cette entreprise.

Stratégie volontaire qui a une caractéristique intéressante : sa dynamique volontariste est psychologiquement saine, car elle correspond aux conditions de préservation de la santé mentale ; elle met le sujet dans la projection concrète d’un idéal de long terme.

C’est sans doute ce qui, en partie, explique le succès de la stratégie B contre « vents et marées », c’est-à-dire contre la réalité du rétrécissement de tous les  horizons raisonnablement prévisibles ; l’autre explication est alors celle-ci : les managements ont évidemment intérêt à laisser croire à chaque salarié entrant dans l’entreprise que toutes les portes lui sont ouvertes et qu’il va pouvoir projeter son avenir professionnel en son sein. A contrario, il est tout de même assez rare qu’un DRH accueille un nouvel entrant en lui tenant ce discours : « cher ami, dans deux ans en moyenne, vous ne serez déjà plus parmi nous ».

Est-ce pour autant que cette stratégie ne comporte pas de risques pour le salarié, là sera la question :

Or le gros  risque pris est ici celui de la déception qui va s’ensuivre, et qui est statistiquement mesurable à la mesure du dépassement de l’espérance moyenne de prévisibilité entre l’investissement  personnel du salarié et l’horizon prévisible de sa propre espérance de rester dans l’entreprise. Autrement dit, c’est, mathématiquement, une déception assurée dans la mesure du différentiel entre espérance raisonnable de rester dans l’entreprise avec ses horizons raccourcis, et l’hypothèse d’école que  projette le salarié dans cette entreprise (ou le groupe) en pensant y rester…indéfiniment[1].

Combien de cadres (petits, moyens, supérieurs) se sont laissés prendre, et combien encore se laisseront prendre à ce qui constitue dés lors « un mirage » ?

Combien de salariés ont, encore et toujours , depuis trente ans et plus, la surprise et l’amertume de se retrouver pris au dépourvu  quand l’entreprise vient à fermer ses portes et qu’ils sont « sur le carreau » ? Combien avaient  encore cru « à l’entreprise éternelle » qui les embaucherait à vie ? Qu’attendent ils encore  pour ne plus y croire, c’est-à-dire, pour cesser enfin de projeter leur avenir professionnel dans une entreprise ou un groupe en particulier ?

Le problème que pose cette stratégie B se posera de plus en plus dans l’avenir et confronte, dés lors, aussi à ce qu’on appelle une méconnaissance.

Si encore les salariés optaient pour cette stratégie B en connaissance de cause, et puissent assumer son caractère aventureux en pleine conscience, elle serait en fin de compte moins décevante, parce que plus anticipatrice du risque pris. Mais la plupart du temps, les salariés qui empruntent cette voie, en fait, n’ont pas envisagé le risque qu’ils prenaient en la suivant ! Autrement dit, ils ont méconnu le problème que cette stratégie B posait, et posera inexorablement de plus en plus.

 

Le choix C : se projeter hors de l’horizon d’une entreprise avec un horizon de long terme pour soi

Ce choix parait rationnel dans un monde où les horizons prévisibles des entreprises raccourcissent, cependant que l’horizon professionnel de chaque salarié, non seulement ne raccourcit pas, mais tend à augmenter avec le recul de l’âge de la retraite (à peu près certain). Il est donc rationnel que l’horizon du salarié dépende de moins en moins de celui d’une entreprise en particulier(ou même d’un groupe).

Mais si ce choix relève d’une rationalité évidente, il pose néanmoins deux redoutables questions : la première est celle  de la compatibilité entre la projection d’avenir de l’entreprise et la projection d’avenir du salarié, et la deuxième est celle des moyens réels du salarié pour soutenir cette stratégie C.

Première question : comment rendre compatibles les projections du salarié et celle de l’entreprise quant à l’avenir ?

Le problème, c’est que le salarié qui dépend d’une entreprise pour construire son avenir professionnel ne peut pas le construire en dehors d’elle, que cette entreprise soit unique, ou que les entreprises se succèdent pour lui dans le temps. C’est inhérent à  la condition salariale d’être ainsi dépendant d’un employeur, et les seuls qui puissent, sans problème de cet ordre, assumer leurs projections de long terme, sans passer par une dépendance à l’horizon d’une entreprise, ce sont les professions libérales.

Certains salariés peuvent certes être en situation, dans le cadre d’une compétence universellement transférable, d’assumer sans problème la stratégie C, qui leur permet de passer aussi d’ailleurs d’un statut salarié à un statut libéral, ou réciproquement. On peut penser par exemple aux infirmières, ou à certains cuisiniers (qui peuvent se projeter dans l’avenir en prévoyant d’acheter leurs propres restaurants).

Mais est ce que le téléphoniste chez Bouygues peut réellement se projeter, même à long terme, dans une espérance raisonnable, par exemple, de racheter une société de téléphonie en lançant lui-même une OPA ?

On voit que pour toute une partie du salariat, et notamment celle dont la compétence n’est pas aisément monnayable, c’est-à-dire transférable universellement comme l’est celle d’un travailleur d’une profession libérale, la stratégie C est d’autant plus difficile à soutenir.

 

Les moyens réels du salarié pour tenir une stratégie de type C

En réalité, pour soutenir une stratégie de type C qui permette une projection à long terme suffisamment raisonnable, mais qui puisse tenir compte des nécessités et des  projections d’avenir des entreprises qui constitueront le parcours d’un salarié (et non pas son errance), il y a plusieurs variables à prendre en compte :

  1. Le caractère « universel » du métier de base, et de sa ou de ses compétences : ce caractère sera principal et devancera de plus en plus le seul critère de « qualification » du salarié et même celui de son niveau de qualification : très clairement il vaut mieux de ce point de vue, pour maitriser l’avenir incertain, être boucher ou charcutier qu’ingénieur en bio chimie, car la compétence en est plus facilement monnayable, transférable, universalisable et le passage en « position libérale » en est beaucoup plus aisé (ce qui, au vu du marché de l’emploi après 50ans notamment ,est une sérieuse garantie pour le long terme)
  2. Le caractère évolutif de la fonction, du métier ou des compétences de départ. La question est : à partir de sa fonction de départ, de ses compétences de départ, du métier initial, quels sont les postes, les fonctions, les situations proches et si possible les plus nombreuses et les plus ouvertes possibles, qui peuvent être visées et ce, avec le moins de moyens trop importants (en Temps et en argent) à investir?
  3. La facilité avec laquelle le salarié peut envisager des « situations de repli » au cas où son parcours n’est pas celui espéré, sans qu’il en coûte de catastrophes sur le plan de sa santé, de l’équilibre financier de sa famille et sur celui des autres projections du sujet (famille, enfants, territoire etc…).

Mais ces trois critères, objectivement de plus en plus importants au fur et à mesure que les horizons de prévisibilité se raccourcissent pour l’entreprise, et qu’ils se rallongent au contraire pour chaque vie professionnelle, ne sont utiles à connaitre et à adapter que dans le cas où le salarié prend vraiment en charge lui-même de façon délibérée sa propre stratégie.

Alors on s’aperçoit que cette stratégie de type C, plus adaptée aux conditions modernes  de travail et d’emploi, peut du coup prendre une caractéristique intéressante que possédait la stratégie A, et une autre caractéristique intéressante, que possédait la stratégie B.

A l’instar de la stratégie A, a stratégie C peut être flexible, c’est-à-dire s’adapter aux contextes actuels d’imprévisibilité, si le salarié prend soin de ne pas fixer pour lui-même des objectifs de long terme trop précis, mais de se donner plutôt des buts généraux, qui englobent, comme un nuage de points, des objectifs possibles :

Par exemple, plutôt que de se fixer à devenir chef de service dans un secteur de relations humaines, à tous prix , disons qu’un salarié peut se fixer comme but de travailler dans le secteur des relations humaines pour mieux comprendre l’esprit d’équipe et mieux se sentir évoluer en son sein.

Le but, formulé de cette manière, constitue aussi bien une vocation à long terme que le but précédemment formulé , mais permet beaucoup plus une stratégie souple  et du coup, de « rebondir facilement» par les multiples postes qui permettent d’approcher et d’exercer cette légitime ambition, et permet, au cas où une porte imprévue ne vienne à se refermer indument devant sa trajectoire (finalement il ne sera pas chef de service) , de la prendre moins directement et moins violemment sur le nez.

A l’instar de la stratégie B, mais de manière moins risquée, la stratégie C permet de garder pour soi un réel cap de long terme  mais que personne au juste, ni aucune organisation ,ni aucune entreprise ne peut réellement « décevoir » ou casser, c’est-à-dire qu’elle continue de permettre au salarié d’envisager un avenir de long terme pour s’y projeter réellement, en se garantissant psychiquement au mieux des cassures infligées par l’incertitude croissante: bref, elle permet non pas d’ annuler l’incertitude (ce qui est aussi mortifère), mais de la maîtriser souplement et cependant jusqu’au long terme.

 

 

[1] Le contrat à durée dit « indéterminée » n’est pas sans engendrer d’ambigüité sémantique au point que certains salariés finissent par penser qu’il est à durée .. .Infinie : or la durée indéterminée n’est pas une durée sans fin mais seulement  une durée dont on ne connait pas le terme !

 

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Salariés : de l’urgence à devenir stratèges de votre avenir professionnel

  1. De la nécessité d’avoir une stratégie personnelle

Le Temps du salarié  qui pouvait se reposer sur l’entreprise et espérer que celle-ci lui assurerait un avenir professionnel, sans qu’il devienne lui-même l’acteur principal de sa propre stratégie pour construire son propre avenir professionnel, est révolu.

En ce sens on peut dire que la  loi du 5/03/2014, instituant notamment le Compte Personnel de Formation (CPF), prend acte de cette évolution inexorable, plus qu’elle ne l’institue : ce sera au salarié de gérer son avenir professionnel, notamment à travers ce compte formation qui, loin simplement de remplacer le DIF au 1/01/2015, révolutionne son concept en l’instituant comme un moyen personnel de complémenter les formations à l’initiative du salarié, bien au-delà d’un plafond indépassable, puisque même le plafond de 150 heures qu’il prévoit (à la place de 120 heures pour le DIF) pourra largement être dépassé (voir l’article à ce sujet).

Si le salarié  est requis pour devenir le stratège de son propre parcours professionnel dans ou hors l’entreprise aujourd’hui, nous y voyons plusieurs raisons concordantes et qui risquent encore, pour l’avenir, de s’accentuer : ces raisons tiennent d’abord à l’échec, relatif ou total, des dispositifs de prise en charge de l’avenir professionnel du salarié par l’entreprise

  1. L’échec relatif de la Formation Professionnelle Continue(FPC) jusqu’à présent, à donner les véritables moyens d’une seconde chance, comme le prévoyaient les initiateurs de la loi initiale de 1971 sur la Formation Professionnelle Continue, fait que l’obligation de formation de l’employeur n’ a pas suffi aux salariés les moins diplômés à priori pour  garantir leur avenir professionnel par l’augmentation significative de leurs compétences et de leur employabilité au sein, ou même en dehors de l’entreprise.

 Non, cette loi n’a pas permis de donner à ceux qui n’avaient pas eu « la première chance » de suivre des études pour promouvoir leurs compétences dans l’entreprise, mais elle a plutôt bénéficié à ceux qui avaient déjà eu cette première chance, de bénéficier , en plus, de la seconde : en somme les « riches en savoir » se sont encore enrichis (en compétences reconnues) tandis que les pauvres en savoir dès le départ ( en connaissances reconnues ) le sont globalement restés.

Force est donc de constater que les gestionnaires de la FPC , parmi lesquels il faut compter les employeurs avec le plan de formation de l’entreprise, mais aussi les organismes collecteurs et distributeurs de fonds (OPACIF collecteurs des CIF,DIF, et autres fonds de formation) n’ont pas atteint (en 43 ans quand même) ces objectifs et que les CE, dont l’avis consultatif est important en la matière, n’ont pas infléchi la FPC, comme espéré, dans le sens d’une redistribution plus égalitaire des savoirs et des compétences dans l’entreprise.

En ce sens la loi du 5/03/2014 « prend acte » de cet échec , sans le dire bien sûr pour ne vexer personne, et envoie très nettement la balle en direct vers les salariés eux-mêmes ,notamment à travers le CPF, pour sortir de cette ornière.

  1. L’échec relatif des accords GPEC (Gestion Prévisionnel des Emplois et des Compétences pour les entreprises de plus de 300 salariés) complète encore ce tableau. Echec pourquoi ? Echec déjà par le faible nombre d’accords signés, mais aussi par le détournement de sens auquel procèdent la plupart de ces accords .

A l’origine, la Gestion prévisionnelle des Emplois et des Compétences, comme son nom l’indique fort bien, devait « prévoir en interne » la gestion des carrières et des compétences. Or on s’aperçoit que la majorité des accords GPEC servent à accompagner soit des licenciements, soit des restructurations et n’ont pas pour objet de gérer les compétences pour les construire au sein de l’entreprise, mais ont pour objet la plupart du temps de prévoir les départs de salariés ou de distribuer les salariés au gré des  PSE (plan de sauvegarde de l’emploi), ou des restructurations devenues parfois permanentes ou quasi permanentes.

Par ailleurs  et en dehors même de cette problématique de détournement de sens des accords GPEC, se pose le problème de la prévisibilité en elle-même.

Sauf pour des métiers bien précis ou quelques créneaux d’activité (comme dans certaines technologies aéronautiques), il n’est pas faux de dire que la prévisibilité se réduit comme peau de chagrin ; pour certaines fonctions elle est réduite au mois par mois et il est de plus en plus difficile d’y distinguer même ce qui irait  au-delà du court, voire du très court terme.

Très clairement les incertitudes sur l’horizon économique et même technologique, sont telles qu’elles rendent peu raisonnables de la part du salarié une position « d’attente passive » que les événements adviennent, ou que l’entreprise vienne résoudre pour lui et par une gestion prévisionnelle ou le plan de formation, les problématiques posées par exemple, par les évolutions du Marché et/ou de la technologie, ou de l’économie elle-même.

Enfin, l’écart d’horizon entre la gestion de sa vie professionnelle sur une durée qui risque encore de s’allonger avec le recul de l’âge de la retraite, c’est-à-dire sur quarante ans au moins , comparé avec l’horizon moyen de prévisibilité économique, technologique ,actuellement pratiqué comme horizon dans les entreprises ou les groupes , horizon de prévisibilité qui ne cesse de diminuer, implique et indique clairement que c’est et que ce sera de plus en plus au salarié que reviendra la nécessité de gérer par lui-même son emploi, sa carrière et les perspectives qu’il s’ouvrira au fur et à mesure qu’il l’effectuera.

  1. De la nécessité d’une stratégie, oui, mais de quel type ?

De ce que nous venons de dire , il parait découler assez logiquement que si l’horizon de prévisibilité est réduit à tel point parfois qu’on se demande si l’horizon est encore un concept pertinent aujourd’hui, on admettra aussi que cette prévisibilité réduite vaut autant pour le salarié que pour l’organisation à laquelle il appartient. Peut-on alors encore parler de « stratégie » pour le salarié, dans la mesure où toute stratégie inclue de fait, un court, un moyen et un long terme , autrement dit des buts sur un long terme suffisamment prévisible, avec des étapes et des moyens  engagés dès à présent (court terme)pour y parvenir ?

Certainement, mais en changeant peut être quelque chose d’essentiel à ce que l’on peut classiquement appeler stratégie, et en distribuant autrement ses termes de Temps , entre long ,moyen et court terme.

En effet, selon une version classique et traditionnelle, une stratégie consiste à poser un principe de cet ordre :

« Voilà le but fixé à long terme, et en fonction de ce but, voici quels sont les moyens de court et de moyen terme que je me donne pour  y parvenir ».

 Le problème que pose ce type de stratégie aujourd’hui dans un horizon devenu très incertain, est le suivant : l’atteinte du but devient très hypothétique et les moyens mis dès aujourd’hui en œuvre pour l’atteindre risquent beaucoup plus d’être dépensés en vain.

C’est pourquoi le type de stratégie nécessaire au salarié aujourd’hui sera moins risqué, si sa stratégie est de cet ordre :

« Voici ou j’en suis aujourd’hui  et voici les passerelles qui me permettraient, non pas d’aller vers un but fixé , mais dans le même sens que le but que je continue de me fixer ».

C’est remplacer une stratégie de type  rigide dans les termes du Temps, par une stratégie flexible au Temps. Ceci ne veut pas dire renoncer à ses buts projetés dans le Temps, car projeter un avenir reste un enjeu majeur, ne serait ce que pour ne pas sombrer dans le sentiment d’impuissance au travail, véritable gangrène qui menace le salariat, et qui rampe insidieusement sur les voies d’une passivité, dans laquelle l’ombre de la pensée fatale selon quoi « on ne peut rien prévoir et nous ne pouvons que subir », se referme alors comme une tombe.

On peut prévoir le sens du but voulu et désiré,  qui permettra, au fur et à mesure du Temps et des événements , d’agir et d’entreprendre dans ce sens, en passant par des objectifs suffisamment réalistes et avec des chances suffisamment raisonnables de succès, pour maîtriser l’incertitude de l’avenir ,et ne pas la subir.

 A quelles conditions les salariés peuvent il mettre en place une stratégie professionnelle de type flexible au Temps et aux événements ?

Quatre idées force , énonçables sous forme de principes, sous tendent cette stratégie flexible:

  • Principe du sens prioritaire

Le premier principe consiste à dégager le sens du but qu’on se donne à atteindre plutôt que de le fixer de manière trop précise. Ceci nécessite certainement un travail sur le sens de ses propres buts visés. Qu’est ce qui, dans la fonction ou le travail ou la perspective visée fait sens, et quelles sont les raisons conduisant à viser ce but ?

  • Principe holistique d’opportunité

Le deuxième principe consiste à saisir les opportunités, parfois inattendues, pour trouver et emprunter les passerelles,  à partir de sa situation actuelle, que peuvent constituer les formations, les outils ,les actions , les postes ou les fonctions, qui vont permettre de pratiquer déjà dans le sens désiré du but visé (caractère holistique : le sens du but est déjà contenu dans le moyen pour y parvenir), sans attendre une conformité totale et adéquate entre « le désir projeté et la réalité qui se présente ».

  • Principe de prudence

La troisième principe consiste à ne jamais lâcher le fil de SENS inhérent à son but et à progresser en son sens, en prospectant  les moyens raisonnables  à mettre en œuvre ce qui peut y contribuer « tout de suite », de manière à se créer le plus possible un continuum d’actions (et/ou de micro-actions), pour se mettre en condition d’exercer les compétences souhaitées, avant même d’avoir obtenu le poste ou la situation désirée où on serait censé les exercer. Ceci permet à la fois d’atteindre, à chaque action engagée, une étape inhérente au but fixé et, en cas d’échec, de perdre seulement le bénéfice attendu de l’étape, et non pas de perdre la réalisation entière de son but ;

  • Principe de persévérance tactique

Le quatrième principe est le sens tactique persévérant au service des trois premiers. Ce sens tactique permet d’exercer tout le temps et  opportunément les compétences nécessaires, de saisir chaque occasion qui se présente pour les développer dans le sens voulu, de ne pas s’enferrer dans une erreur ou une désillusion et surtout, de savoir tirer parti de ses échecs de toutes façons momentanés, et aux conséquences  de toutes façons limitées par le principe de prudence.

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                                  Illustration

 

Alain, aujourd’hui comptable dans un groupe privé, veut se reconvertir pour devenir enseignant dans le public. Il peut sans doute le faire en utilisant une stratégie classique et, du jour au lendemain , après avoir passé un concours « exercer le métier de son rêve ».

Tant mieux s’il réussit, mais examinons les risques qu’il prend en menant cette stratégie rigide et classique :

  1. Après avoir énormément travaillé , il peut quand même échouer au concours
  2. Après avoir énormément travaillé, il se peut que le nombre de postes ouverts au concours dans sa discipline soit réduit et qu’il n’y ait que deux postes sur deux cent candidats.
  3. Il se peut qu’ayant réussi son concours, il découvre en fait les inconvénients du métier d’enseignant qu’il n’avait pas envisagés, et qu’il souhaite « retourner » dans le privé comme comptable : difficile alors de ne pas enregistrer comme « échec » la période qu’il vient de vivre, surtout s’il ne retrouve alors pas de travail si aisément.

Le cumul des risques a, b et c, est assez élevé sommes toutes, et dissuade sans doute quiconque n’a pas les moyens de les affronter (par exemple dans ce cas, en étant marié avec deux jeunes enfants à charge, le risque d’Alain est un peu plus élevé que s’il est célibataire et sans charge de famille).

Alain doit-il pour autant rester accroché à son poste qu’il ne veut plus exercer, de peur d’entreprendre quoique ce soit qui irait dans le sens de son but désiré ? Alain doit-il se priver d’avenir professionnel, attendre de voir venir et cultiver un sentiment d’impuissance ?

Que donnerait pour Alain le fait d’appliquer une  stratégie flexible, plutôt qu’une stratégie rigide menant soit au poste d’enseignant, soit à l’échec , qui permettrait de limiter son risque tout en allant dans le sens de son but ?

Premier principe : appliquer le sens prioritaire

Quel est donc le sens du but que se fixe Alain ? Peut-être veut-il changer de posture et travailler avec des humains plutôt que de traiter avec les chiffres ? Peut-être veut-il enseigner ? Peut-être veut-il se retrouver devant un public jeune ? Peut-être un mixte des trois , mais qu’est-ce qui est prioritaire et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Peut-être veut-il quitter seulement le secteur privé ?

En travaillant ce sens , on découvre alors que le but n’est pas un point fixe, mais correspond à un nuage étendu de différentes possibilités : certaines sont peut être plus favorables, comme devenir enseignant, mais d’autres en sont proches et peuvent être envisagées dans ce nuage : formateur en entreprise  (en comptabilité ,enseignement mais en entreprise) ou alors éducateur par exemple (se retrouver face à des jeunes ou à des enfants), ou alors contre toute attente, un poste commercial (car c’est un poste en fait face à de l’humain et c’était un sens principal à ce but fixé)

La liste n’est pas exhaustive, mais le but se transforme en « sens » dans lequel l’espace des possibles n’est plus fermé, mais alors ouvert. Pourtant devenir « enseignant » n’est pas exclu, mais devient un possible parmi d’autres.

Principe holistique d’opportunité

Il se trouve qu’Alain a connaissance d’une formation de formateurs au service continu de l’université qui dure 5 jours et qui est à un prix abordable près de chez lui : il ne souhaite pas nécessairement exercer ce métier de formateur, mais comme il est possible et relativement peu onéreux de saisir cette opportunité, et qu’elle peut quand même lui apporter quelque chose qui va dans le sens du but fixé, il s’y inscrit ; or à l’issue de cette formation, il se peut :

  1. Qu’Alain n’en soit pas satisfait du tout et découvre que décidément, la pédagogie n’est pas son affaire. Certes, l’étape lui aura coûté un peu d’argent[1] et un peu de temps , mais beaucoup moins que s’il avait passé le concours d’enseignant pour le découvrir après
  2. Qu’Alain en soit satisfait et qu’il découvre que la pédagogie est ce qui l’intéresse le plus. Dés lors il a progressé dans le sens du but fixé et il peut continuer en posant d’autres actes en continuité de celui là.

L’opportunité est dite ici holistique, car l’action choisie par Alain contient déjà en plein, un sens du but qu’il se fixe , quoique elle ne réalise pas le but ultime ou final ; l’opportunité permet ici donc d’exercer déjà quelque chose du but à travers le sens de l’action menée pour y parvenir.

Principe de prudence

Le principe de prudence  amène, à chaque fois qu’un acte a été posé, comme ici la formation de formateurs, à envisager le suivant dans la continuité de sens du précédant et toujours dans le sens du but projeté , voir en l’infléchissant au fur et à mesure des actes déjà posés.

Ceci limite considérablement les coûts relatifs à des changements de cap brutaux , coûts psychiques ou familiaux, ou financiers.

 Ici Alain vient de découvrir son intérêt pour la pédagogie, mais comment tient-il à un public plutôt qu’à un autre ? Ceci, il pourra le vérifier si nécessaire lors d’une autre opportunité complémentaire : il se trouve que la municipalité demande des parents bénévoles pour encadrer 30 enfants  samedi prochain pour une sortie : opportunité superbe pour Alain de tester ses réactions face à 30 enfants dans un groupe !

Principe d’endurance tactique

On comprend bien que, dés lors qu’Alain choisit une stratégie de type flexible, qu’elle exige de lui une persévérance voire une endurance tactique , c’est-à-dire qu’il doit faire feu de tous bois, et tout le temps, pour se servir de tout événement ou de toute opportunité afin d’aller dans le sens visé: la stratégie souple n’est pas moins exigeante de ce point de vue que la stratégie rigide qui passe pour « volontariste »: il ne faut pas être moins volontariste dans la stratégie souple que dans la stratégie rigide, car la volonté persévérante n’est pas assimilable à la rigidité!.

 Ce principe de persévérance tactique, associé au principe de prudence et d’opportunité holistique,  inscrit le sens de son but et l’enracine déjà dans le quotidien. Ceci évite l’effet de coupure que produit en général la stratégie classique rigide et « qui remet à demain le but idéal » , provoquant ainsi un hiatus ,anxiogène, entre la situation d’aujourd’hui, si peu idéale, et la situation idéalisée de demain, anxiogène dans le sens où , plus ce hiatus est important, et plus le risque que l’idéal ne se réalise pas augmente, et augmente par là même le sentiment d’échec si le but n’est pas réalisé.

 

 Un avantage de la stratégie flexible : Échec réduit et sens de l’échec relativisé

On le voit : la stratégie flexible, en réduisant à des étapes, et même en réduisant à un continuum d’actions à faibles risques les écarts entre le sens visé et la situation actuelle, réduit d’autant le risque d’échec massif.

Par contre, en instituant des parcours qui contiennent déjà le sens que le but se propose d’atteindre,  par les actions menées pour l’accomplir, elle réduit le sentiment d’échec si au final,le but n’est pas atteint dans son « idéalité », mais seulement approché. La stratégie souple évite de « butter sur le but » en permettant d’approcher ce qui va au delà du but butté!

Cette stratégie souple réduit alors l’échec possible  à la seule étape engagée, et non pas au but entier comme c’est le cas d’une stratégie classique rigide qui vise un but précis et qui échoue  lorsque son but final n’est pas atteint.

Le risque pris de l’échec est donc de moindre portée, d’autant  qu’un effet d’apprentissage est à chaque fois contenu dans l’échec lui-même. C’est ce qui fait, non seulement que l’échec est moins conséquent et moins grave, mais qu’en plus, le « sentiment d’échec » devient tout relatif car en définitive, il s’accompagne alors d’un apprentissage progressif.

Ceci  veut dire que le sentiment d’échec se relativisera d’autant plus que l’apprentissage possible qui pourra en être tiré sera conséquent, et donc précis. Or, plus la stratégie s’inscrit comme rigide, dans le tout ou rien du but exclusif et moins, par ailleurs, l’échec sera facilement constitutif d’un apprentissage précis.

Dans le cas illustratif précédant, on le voit bien : quel apprentissage sur lui-même aurait pu tirer Alain de l’échec d’une stratégie de type rigide, clivant entre réussite totale ou échec total, entre le poste de comptable et le concours  pour être enseignant? Cet apprentissage est très difficile à appréhender car une infinité de facteurs pouvaient en être la cause : insuffisance du travail d’Alain, pas de véritables chances de réussir, malchance le jour du concours, mauvais sujet tiré au sort, correcteur trop exigeant, décision de quitter son poste de comptable trop rapide, pas assez rapide, vocation d’enseignant  insuffisante, mauvaise appréhension de ce qu’est la pédagogie, etc. ?

La stratégie flexible permet, par les étapes qu’elle suggère au fur et à mesure que s’effectue quelque chose d’elle par anticipation de réaliser  quelque chose de son idéal à chaque étape,plutôt que de remettre sans cesse à demain cette idéalité dans un but à destination lointaine(caractère holistique de la stratégie qui réalise déjà quelque chose  relatif au sens de son idéal à chaque étape) .

En cas d’échec , celui ci n’étant que relatif à une étape, la stratégie souple permet de cibler beaucoup mieux le défaut « responsable de l’échec », et donc d’en tirer un réel apprentissage pour la suite, parce qu’on aura alors ciblé précisément la cause de l’échec, et que l’on sera beaucoup plus à même de la corriger concrètement et d’en tirer un enseignement pour soi.

Conclusions

Il est possible qu’un certain nombre de lecteurs se disent qu’après tout ils appliquent déjà, peu ou prou, des stratégies flexibles, un peu comme monsieur Jourdain fait de la prose, c’est-à-dire sans le savoir. Tant mieux. Mais il y a une nette différence entre appliquer une stratégie sans le savoir, et l’appliquer en sachant précisément ce qu’on est en train d’appliquer : ce pourquoi la découverte de Monsieur Jourdain est, quoique l’on en dise, et quoique l’on en rie, un réel savoir, parce que maintenant Monsieur Jourdain « sait qu’il sait ».

Or savoir qu’on le sait permet de transférer le savoir dans un autre domaine, ou un autre champ de connaissances et de plus, permet en l’occurrence de savoir quand on reste sur sa stratégie flexible et quand en fait, on s’en écarte. De la même manière que monsieur Jourdain saura désormais, s’il s’écarte de la prose (pour faire de la poésie rimée) ou s’il continue d’en faire, savoir qui lui demeurait inaccessible quand il ne distinguait pas les deux et « qu’il faisait de la prose sans le savoir », connaitre les modalités opératoires d’une stratégie flexible permet, en fait, de savoir comment ne pas s’en écarter.

Ceci est en l’espèce assez important, car la persévérance tactique (4ème principe) que suppose la stratégie flexible est une quasi révolution culturelle de l’esprit et de l’habitude, pas si évidente à maintenir « tout le temps ». De même, le troisième principe de « prudence» suppose de fait une analyse assez fine des actions menées, pour savoir si elles contiennent, ou non, quelque chose du sens voulu et quoi au juste, ainsi que de savoir en quoi les actions peuvent s’enchaîner dans un continuum de sens. De même, le deuxième principe d’opportunité holistique suppose que toutes les opportunités soient de fait détectées et qu’elles aient un sens par rapport au but désiré ; or de telles opportunités ne se voient pas forcément du premier coup d’œil. Le premier principe, quant à lui, celui de l’exploration du sens quant au but fixé, suppose une souplesse psychique et  de ne pas se butter sur des idées fixes à priori.

La réalité de demain favorisera d’autant plus les stratégies flexibles que l’environnement plus incertain multiplie les occasions d’échec sévère lié aux stratégies  trop rigides ; par ailleurs l’absence de stratégie personnelle remet l’avenir dans les mains de plus en plus aléatoires d’organisations, qui elles, mènent des stratégies générales dont les données et les conceptions s’éloignent de plus en plus du terrain où elles vont s’exercer, c’est-à-dire du salarié de base :

conclusion : pour ne pas devenir un hochet entre les mains des organisations, ni se laisser aller à la désespérance d’un avenir où l’on ne se projette plus, salariés, ayez une stratégie d’abord,  et ensuite, une stratégie flexible, si possible, non pas tant pour lever les incertitudes inexorables de l’avenir, mais pour  garder la possibilité par devers vous de pouvoir les gérer au fur et à mesure.

Marie France Fourrat et Thierry Ponsot

[1]  Il pourra utiliser au mieux son CPF pour ce type d’actions !

 

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Ensuite on examinera les hypothèses permettant de comprendre pourquoi et comment cette expérience au travail, telle que notre définition l’approche, tend à ne plus être recherchée en tant que telle dans les organisations du travail contemporaines, voire même constitue parfois un repoussoir pour un certain nombre d’entre elles.

Enfin on cernera les enjeux et les conséquences de ce phénomène qui tend à disqualifier l’expérience au travail.

 A ) La notion d’expérience au travail

Dans la notion d’expérience au travail, on distinguera quatre idées force :

  • L’expérience au travail est inséparable de l’échange interhumain. L’artisan ou l’ingénieur, l’architecte, le coiffeur ou le plombier travaillent certes des matériaux ou de la matière première , mais ce qui fait expérience dans leur approche même des matériaux ou de la matière qu’ils travaillent, les amène à en tirer expérience par rapport à une conduite humaine. Ce qu’ils apprennent, de par leur expérience professionnelle, les réfère et leur permet d’accéder à une référence de conduite qui vaut pour autrui , dans l’ordre humain de l’échange. C’est ainsi que l’artisan « peut transmettre à l’apprenti » ce qu’on appelle, vite fait, son savoir, mais qui est en fait  l’humanité transmise par son savoir faire . L’apprenti  boulanger apprend en se référant à l’expérience transmise par son patron, c’est-à-dire qu’il apprend, au-delà des savoirs faire spécifiques de la boulangerie, ce que c’est que d’être boulanger.
  • La transmission d’homme à homme est inséparable de la notion d’expérience car elle lui est incluse : à contrario, comment imaginer qu’une expérience ne fasse l’objet d’aucune transmission ? A l’instar d’un livre sans lecteur, une expérience sans transmission constituerait une aporie, car la question demeurerait alors : pour qui cette expérience vaut-elle donc expérience ? L’expérience au travail suppose donc un milieu de travail, où des expériences peuvent se transmettre : elle implique donc un milieu de travail où sa propre expérience au travail « vaut pour quelqu’un », et soit donc à fortiori transmissible pour créer de la valeur possible pour autrui. Elle suppose donc un milieu de travail où les savoirs et savoir faire s’échangent et soient collaboratifs .
  • L’expérience au travail suppose qu’elle puisse se développer en fonction d’une appréciation du travail par rapport à un environnement qui en cerne, et la pertinence, et les limites. Là encore, isolé et sans échange avec ceux susceptibles de comprendre et d’apprécier l’expérience, mais aussi susceptibles de l’infléchir, l’expérience se cristallise et n’est plus évolutive. L’échec par exemple, est constitutif d’expérience valable, dans la mesure où les moyens de le surmonter ont été tirés, dans un environnement susceptible d’avoir « donné une leçon » et qui permette d’en tirer des conséquences. L’expérience au travail doit permettre, comme l’indique le philosophe Habermas, de confronter son éthique de travail, d’améliorer sa qualité de travail et d’y mesurer son investissement psycho affectif. La notion d’expérience au travail est donc aussi inséparable d’une forme de reconnaissance du travail , de la qualité du travail et d’un environnement capable d’en apprécier la valeur intrinsèque et donc aussi, d’en juger.
  • Enfin, quatrième dimension inséparable de l’expérience au travail, le Temps. Il est clair que si une notion est susceptible de valoir à la condition d’un Temps suffisant, c’est bien la notion d’expérience, et particulièrement celle d’expérience au travail. De ce point de vue l’insuffisance du Temps dévolu à penser le travail, c’est-à-dire, de Temps pour le considérer comme objet réflexif pour soi , avec et parmi ceux avec qui l’expérience de travail s’échange (environnement et milieu de travail), ne permet pas d’enregistrer ce qui est vécu au travail comme une expérience qui fait sens pour soi, et aussi sens parmi ceux qui échangent autour de l’expérience au travail. La notion de compétence au travail, qui découle de ce Temps de mûrissement de l’expérience au travail et d’échange inter humain qu’il amène avec lui, va alors marquer le caractère transférable de « l’expérience au travail ». L’expérience au travail devient alors valable pour tout un environnement, et pas seulement à l’endroit où elle vient de s’exercer. Ainsi logiquement, l’ancienneté et sa « prime » trouvent-t-elles leurs justifications dans le temps supposé suffisamment long pour avoir occasionné ce phénomène d’expérience au travail, devenu compétence transférable.

 

  • L’expérience au travail

 B)  Or l’expérience au travail, avec les 4 caractéristiques ci-dessus, est un facteur dont  nombre d’organisations contemporaines tentent de s’affranchir aujourd’hui.

  1. A quoi le voit-on ?
  2. Pourquoi ? Hypothèses d’explication
  3. Questions de Temps : Temps du travail et Temps économique

1°) A quoi voit-on que l’expérience au travail est de plus en plus disqualifiée ?

                      Tout d’abord on le voit à une considération, certes macro-économique et encore générale de ce point de vue, mais qui saute cependant aux yeux : ceux évidemment qui peuvent enregistrer, toutes choses égales par ailleurs, une expérience au travail des plus importantes, et notamment de par le Temps d’élaboration de cette expérience au travail, ce sont les seniors. Il faudrait donc être bien naïf, pour ne pas comprendre qu’à travers la mise à l’écart, généralisée en France, des seniors du Marché de l’Emploi, ne soient en cause que leurs prétendus manques d’adaptation, ou leurs prétendues exigences salariales, prétendument immodérées.

Ce qui est en cause,  de façon beaucoup plus fondamentale dans nombre d’organisations contemporaines et dans nombre d’entreprises, à leur propos, c’est bien « la valeur de l’expérience » qu’ils pourraient apporter et dont nombre d’organisations ne veulent tout simplement pas entendre parler. Pourquoi ne veulent-elles pas en entendre parler ? Descendons de l’échelle macro-économique pour le comprendre plus finement :

Elles ne veulent pas entendre parler d’une population censée « apporter de l’expérience de travail », parce que ces organisations cherchent à fonctionner en appliquant des modèles qui évacuent toute forme d’expérience au travail  car cette expérience véhicule, à leurs yeux , les inconvénients suivants :

  • L’expérience au travail , dans la durée et le Temps nécessaire à ce que se constitue cette expérience , crée des solidarités salariales et possiblement donc, des nids de « résistance » aux formes de managements modernes, qui ne les contrôlent pas de fait. L’expérience suppose en effet une capacité de discuter et donc de remettre en cause ce qui paraît inutile, non éthique, inefficace, ce qui amoindrit la qualité, avec des arguments « d’expérience » derrière soi et une mémoire de ce qui « ne marche pas ».
  • L’expérience au travail suppose donc de la pensée au travail , c’est-à-dire des espaces d’élaboration pour penser le travail au-delà des consignes et des procédures applicables, bref, une pensée de l’organisation du travail pour améliorer la qualité du travail en échangeant entre salariés autour des expériences concrètes et quotidiennes qui le constituent.

Or, la tendance actuelle de nombre d’organisations est de remplacer les espaces d’élaboration et d’échange autour du travail par des procédures, des consignes, voire du management par objectifs, voire du lean management, qui, en assignant ses objectifs individualisés et en général quantifiés aux salariés, clôt tout débat sur la nature, éthique ou non, sur l’efficacité, réelle ou non, sur les moyens, suffisants ou non, sur les buts, intéressants ou non, du travail :

Exécutez le travail, et circulez, « il n’y a rien d’autre à penser », voilà le slogan qui pourrait être transcrit au fronton de nombre d’organisations et d’entreprises contemporaines.

Dans ce contexte, on comprend que les « seniors apportant leur expérience » servent de repoussoir, et ce d’autant qu’ils ont connu en général d’autres organisations du travail qui ne fonctionnaient pas forcément sur ce modèle, et qu’ils pourraient alors, en se réclamant de ces expériences, « contaminer les plus jeunes » qui eux, n’ont bien souvent pas d’autres références organisationnelles que celles qu’ils sont entrain de vivre.

 2 Hypothèses explicatives

La notion d’une transmission d’homme à homme de l’expérience qui, peu à peu, se constitue en expérience au travail, suppose un modèle économique qui cherche la performance à travers l’organisation du travail et non pas à travers la performance  de ses salariés.

Cette performance organisationnelle consiste avant tout à y promouvoir la compétence des hommes, c’est-à-dire l’aptitude des hommes à produire ensemble des savoir-faire collaboratifs et à les échanger entre eux.

Loin de cela, nombre de modèles actuels d’organisation du travail ne visent pas la performance de l’organisation du travail par le développement des compétences des salariés et la promotion des savoir faire coopératifs, mais visent le plus souvent à maximiser la performance des salariés et à réduire la performance de l’organisation à la transmission des objectifs individuels, procédures et  consignes nécessaires à cette maximisation.

Productivité et compétence

 

 

En somme, dans de telles organisations, ce sont les salariés qui sont requis pour être performants à la place de l’organisation du travail, organisation qui est requise, elle, à élaborer des procédures, des objectifs individualisés et des consignes afin de se passer de l’expérience au travail transmise d’homme à homme.

Par ailleurs, la promotion du savoir faire collaboratif qu’exige le modèle basé sur la transmission d’homme à homme de l’expérience au travail, est de plus en plus remplacée par un modèle concurrentiel, qui met les salariés en concurrence pour accroître leurs performances individuelles.

Dans ce cadre, le savoir faire collaboratif que suppose le modèle de transmission de l’expérience au travail, se voit remplacé par un modèle agressif, de compétition permanente entre salariés sur le plan du travail devenu un outil de performance individualisé.

Dès lors, les solidarités créées par l’expérience partagée en commun au travail s’estompent, pour laisser place à un savoir qui devient un « savoir exécuter le plus rapidement possible les consignes, les procédures ou les objectifs personnalisés » en étant le plus performant  et le plus rapide possible, et notamment plus performant que ses collègues, devenus concurrents.

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Mais les conséquences de ce phénomène contemporains sont peut être les plus importants encore en ce qu’ils modifient le rapport au Temps, le rapport entre le Temps du travail et le  Temps économique.

3 ) Question de Temps : Temps du travail et Temps économique

                                  Les économistes connaissent bien un attribut particulier du Temps économique que produit un type d’organisation du travail et qu’ils ont repéré sous cette appellation : l’obsolescence ; c’est un attribut étrange, à bien y regarder. Qu’est-ce que l’obsolescence ? C’est un phénomène qui attribue une valeur économique nulle à un capital pourtant tout à fait techniquement productif, voire techniquement performant, mais déjà « obsolète » c’est-à-dire dépassé, non pas par sa valeur technique intrinsèque, mais par sa valeur de « Marché ».

Les français ont connu ce phénomène quand, avec stupeur, ils ont découvert que des usines parfaitement flambant neuves, étaient fermées dés l’ouverture, parce que déjà obsolètes (cela s’est passé dans la sidérurgie notamment dans les années 1980).

L’obsolescence donne ainsi une impression de formidable gâchis de capital productif et ce n’est pas qu’une impression. Ce phénomène n’est pas nouveau en soi et nous le connaissons déjà concernant le capital.

Par contre ce qui nous paraît nouveau, dans le contexte de nombre d’ organisations et entreprises contemporaines, c’est que ce phénomène d’obsolescence s’applique désormais, non seulement au capital, mais aussi au salarié, c’est-à-dire ici au facteur humain.

Comment peut-il se faire que des hommes, qui vivent de plus en plus vieux et en bonne santé (au moins 75 ans en moyenne), soient exclus de plus en plus tôt (vers 45 ans en fait) du marché du travail et que les deux espérances statistiques, celle du travail et celle de la vie, cavalent ainsi en sens inverse ?

On ne peut se contenter de vagues prétextes explicatifs pour le comprendre, surtout si ces « explications » évacuent l’organisation du travail pour retomber sur le dos des intéressés eux-mêmes ( par exemple celle-ci : les seniors auraient des exigences salariales exorbitantes, alors que n’importe quel senior au chômage vous dira qu’il serait bienheureux de travailler, et ce à n’importe quel prix !)

Mais une question demeure quant à cette hypothèse d’obsolescence appliquée au facteur humain : On peut relativement vite changer les générations de capital, par exemple changer les machines et leurs technologies, parce que les machines ne « cumulent pas d’expérience en elles » qui leurs permettraient de s’adapter par elles mêmes (sauf dans la science fiction) ; mais l’humain resterait irremplaçable, et en ce sens résistant au remplacement par d’autres humains, en ce qu’il cumule une expérience au travail lui permettant d’utiliser une mémoire du travail pour s’adapter à des situations nouvelles.

Or, cela est de moins en moins vrai dans la mesure où les modèles organisationnels contemporains éliminent l’expérience au travail parce que l’expérience au travail est un facteur limitant le remplacement d’hommes par des hommes toujours plus performants parce que plus jeunes, et non pas plus compétents, parce qu’ayant cumulé de l’expérience au travail.

L’élimination de l’expérience au travail dans les processus organisationnels est donc une des conditions de l’apparition du phénomène d’obsolescence de la main d’œuvre qui va permettre, quelque soit la compétence, d’éliminer les « obsolètes », c’est-à-dire ceux ne présentant plus le caractère immédiat de la performance maximisée, au plus vite et au moindre coût.

Dans ce sens effectivement, les salariés sont de plus en plus rapidement obsolètes, c’est-à-dire de plus en plus facilement remplaçables par d’autres salariés avec des coûts moins élevés, puisque l’idée même de « prime à l’ancienneté » suppose un fondement selon lequel est valorisée économiquement « l’expérience au travail », et que cette expérience au travail tend à être éliminée du processus de travail, remplacée par des procédures, des consignes et du management par objectifs valorisant les seules performances individuelles.

Alors dans ce contexte, que devient l’argument, très rebattu, selon lequel le manque d’adaptation (aux technologies modernes notamment ) serait, par exemple, ce qui justifierait l’élimination des plus anciens du marché du travail ? Il est parfaitement retourné : dès l’instant où l’obsolescence élimine, de fait, les plus anciens parce qu’il est toujours plus intéressant de prendre des plus jeunes sans beaucoup d’expérience au  travail, que va-t-on s’embarrasser à former les plus anciens?

C’est ce qui explique dés lors, pourquoi malgré l’obligation juridique des employeurs de former les salariés et d’adapter les salariés à leurs postes de travail, (L6321-1 du code du travail), effectivement, nombre de salariés de plus de 45 ans se soient retrouvés sans formation continue adéquate leur permettant de s’adapter, notamment aux technologies modernes.

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C) Conséquences de la disqualification progressive de l’expérience au travail

                 1) Pour le salarié

                 2) Pour les organisations

1°) Pour le salarié

La disqualification de l’expérience au travail change le rapport au travail des salariés et l’espérance de durée de leur emploi, au sens statistique du terme, qu’ils peuvent envisager avant de devenir « obsolètes ».

En exagérant un peu le trait pour mieux le marquer, les salariés sont et seront de plus en plus placés dans un rapport au travail qui ressemble au rapport devant lequel est placé l’athlète de haut niveau face à sa carrière : il sait que son « obsolescence sera très rapide » et que sa performance sportive doit être maximisée à court terme sans défaillance, faute de quoi il se retrouvera hors circuit . Le problème de sa reconversion est donc inéluctable pendant les quarante ans (au moins) où il n’aura plus « le haut niveau ».

Cela supposerait qu’à l’instar de l’athlète de haut niveau, le salarié gère sa carrière par lui-même, c’est-à-dire n’espère plus trop de l’organisation à laquelle il appartient qu’elle la gère pour lui , ou plutôt qu’il ne projette pas son avenir dans l’entreprise, mais quelque soit l’entreprise où il sera amené à travailler. La conséquence en est que le salarié d’aujourd’hui serait mal inspiré de compter sur l’entreprise pour gérer son expérience au travail, mais qu’il serait bien inspiré de gérer par lui même cette expérience au travail afin de la capitaliser pour lui, quelque soit l’entreprise. C’est la démarche prévalente à la validation des acquis d’expérience qui indique que la valeur d’expérience devient un capital personnel, à gérer par soi même. Deux faits soulignent  aujourd’hui ce phénomène en France:

  • L’échec des « GPEC », soit des accords de Gestions Prévisionnelles de l’Emploi et des Compétences actuelles dans les entreprises de plus de trois cent salariés , échec en ce sens que ces accords se mettent en place uniquement quand est prévu le départ des salariés de l’entreprise et qu’ils n’avaient justement pas pour but de prévoir ces départs, mais de les prévenir, ce qui est un détournement total de son objet de « prévision et de prévention de l’emploi en interne ».
  • L’apparition récente, par la loi du 5/03/2014, du Compte Personnel de Formation, qui indique clairement que le salarié est incité désormais à prendre en charge une part beaucoup plus importante de sa formation en dehors de la formation prévue en entreprise (Plan de formation interne) pour se préparer dores et déjà, en fait, à la quitter au mieux de ses intérêts et de sa reconversion personnelle, reconversion qui deviendra de plus en plus permanente.

2) Pour les organisations

  • L’avantage inhérent à l’élimination progressive de l’expérience au travail permet des gains évidents de productivité (apparente) du travail et de flexibilité à court terme, car alors la masse des salariés remplaçables facilement augmente d’autant .
  • Cette masse de salariés sans grande expérience permet, dès lors, de maintenir des bas salaires avec un prétexte idéologique bien commode, et qui ne manque pas de piquant paradoxal, pour ne pas trop payer les jeunes : « c’est normal, ils n’ont pas beaucoup d’expérience au travail ! »
  • Mais cet avantage est de court terme et génère un certain nombre d’effets qui, à moyen ou à long terme, ne manqueront pas de se retourner contre elles, ce dont d’ailleurs on commence à s’apercevoir : la déstructuration du Temps de l’expérience au travail n’est pas sans effet sur une valeur qui se trouve placée juste derrière elle , ou juste au dessus d’elle, et qu’on peut appeler « la conscience au travail ».

Le fait d’accomplir un travail « consciencieusement » le dit clairement : un travail s’exécute en conscience, dès lors qu’il se trouve relié à une valeur de projection de soi (en sa conscience) qui valorise, et le travailleur et le travail, du même coup. Cette conscience est le fruit d’une expérience partagée dans le Temps suffisamment long d’une projection de soi suffisante dans le travail qui fait mesurer la valeur, en soi, du travail (en dehors du fait que le travail soit un moyen de subsistance) .

La question est : comment une génération de « salariés kleenex », jetée au gré des emplois précaires, construirait-elle sa « conscience au travail », et comment la fameuse valeur travail peut-elle s’accommoder de la disparition de l’effet d’expérience que créée la solidarité des savoirs faire construits ensemble, et transmis dans le Temps suffisamment long de la transmission d’homme à homme ?

Pour donner un argument qui touche beaucoup les employeurs, citons celui de la ponctualité comme exemple :

Pourquoi voulez vous que moi, salarié kleenex, j’ai le culte de me présenter à l’heure dite à mon travail et d’y être ponctuel, par référence à une conscience au travail que personne, en vérité, ne m’a donné les moyens de construire ? Où, pour poser la question autrement : mais qu’est-ce donc qui m’aurait donné les moyens de construire une conscience au travail, sinon le partage d’une expérience au travail permettant de prendre le temps d’intégrer et de mesurer le travail comme une valeur en conscience, dont en fait je suis privé et que je ne connais pas, et dont je ne sais même pas d’ailleurs qu’elle aurait à exister ?

Alors bien sûr, certains répondront que le défaut de ponctualité pourra être sanctionné d’autant mieux que le salarié est facilement remplaçable ; certes, mais celui qui le remplacera risque fort d’être « construit dans le même moule », car il fera partie de la même « génération kleenex ».

Une histoire apparemment anecdotique qui s’est passée aux USA figure cet enjeu : un employeur s’est retrouvé à un moment donné sans main d’œuvre disponible et lui est passée par la tête une drôle d’idée : il s’est dit qu’il pourrait recruter des « vieux ». Absolument pas philanthrope, et absolument pas animé par une quelconque idée de charité, il a fait le calcul suivant : si j’embauche des vieux, évidemment ils produiront « moins vite » (ils sont moins performants et cependant pas forcément moins compétents) environ 20% de vitesse de production en moins, mais par contre ils seront plus ponctuels parce qu’ils auront plus de conscience professionnelle et je rattraperai là-dessus la perte de « performance ».

Il a donc embauché des retraités, dont certains dépassent 80 ans, et pour un travail d’ouvrier à la chaîne !

Résultat : absentéisme quasi nul, ponctualité sans défaut, travail  soigné, l’employeur gagne plus d’argent et avec en prime des ouvriers qui sont heureux de faire ce qu’ils font ; les entreprises et les journalistes viennent voir cela de tous le Etats Unis pour comprendre ce qu’il se passe là et elles « n’en croient pas leurs yeux ».

Conscience professionnelle, es tu là, mais comment donc y es-tu arrivée?

Thierry Ponsot et Marie France Fourrat

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les micro-actions

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Les micro-actions

La micro-action est un peu, sur le champ des actions, ce qu’est la micro économie par rapport à la macro-économie.

On considérera donc que la somme des micro-actions configure le sens des actions, de la même manière que la somme des activités micro économiques des agents économiques va configurer la variable macro-économique observable.

La micro-action aura alors ces caractéristiques :

  1. Elle peut être invisible à autrui jusqu’à ce que la somme des micro-actions allant dans le même sens qu’elle finisse par configurer l’action devenue visible aux yeux d’autrui.
  2. Elle va dans le sens de l’action qu’elle préfigure et permet de l’ancrer.
  3. Elle inscrit une balise, qui donne sens à l’action qui la suivra.
  4. Une micro-action est toujours possible à acter à priori, même si l’action, qu’elle préfigure et qu’elle balise, est pour le moment impossible à mettre en acte dés aujourd’hui.
  5. La micro action modifie le problème que l’action est censée résoudre, dans le sens de sa résolution et ce, de façon irréversible.

A quoi sert une micro-action ?

  1. A marquer le sens d’un acte qu’on souhaite poser par une ou des actions à venir.
  2. A rendre immédiatement possible une action par une de ses micro-actions qui la balisent ; en ce sens, la micro action contribue à sortir du sentiment d’impuissance.
  3. A instituer des étapes dans la réalisation d’une action et à faciliter ainsi son émergence.
  4. A rendre la micro-action elle-même agissante dans le sens de l’action souhaitée à venir.
  5. A transformer immédiatement les données du problème que l’action est censée résoudre, dans le sens voulu de sa résolution.

Dans quels domaines peut-on appliquer des micro-actions ?

  1. Dans le domaine personnel et familial
  2. Dans le domaine professionnel
  3. Dans le domaine éducatif et formatif
  4. Dans le domaine de l’organisation du travail

Quels concepts peuvent s’en approcher et qu’est ce qui distingue alors la micro-action de ses concepts approchants ?

  1. La notion d’ancrage en PNL (Programmation Neuro Linguistique) : une ancre, en PNL, a cette caractéristique de poser une balise qui ancre un moment, un état émotionnel, un sentiment ; par contre l’ancrage en PNL ne préfigure pas d’action particulière ; l’ancrage n’y est pas prospectif mais plutôt rétrospectif : quand le sujet sera confronté à une situation particulière ,elle lui « rappellera » l’ancre posée ; la somme des ancrages ne préfigure pas d’action en un sens déterminé, mais constituent des balises bienveillantes qui modifieront les perceptions des situations difficiles à affronter pour l’avenir .
  2. La notion de « Permission[1]» en analyse transactionnelle : la Permission ouvre une possibilité  dans un sens déterminé, comme la micro-action, mais par contre elle ne balise pas une action particulière à venir, mais ouvre plutôt un champ de possibilités nouvelles d’actions, de pensées et de sentiments, pour l’avenir.
  3. La notion systémicienne de « recadrage » (Ecole de Palo Alto). Le recadrage, à l’instar de la micro action, comporte un effet de transformation agissante des données initiales d’un problème. En ce sens, le recadrage est de l’ordre de l’agir ; cependant l’agir recadrant ne préfigure pas d’action particulière ultérieure, la technique de recadrage ne constitue pas un ancrage d’une action spécifique à venir.

La micro-action apparait donc comme une permission qui ancre une action future et recadre un problème, en vue de le solutionner.

 

Exemples d’application

1 Domaine personnel et familial :

Paul a décidé de se rapprocher de son fils qu’il ne comprend plus très bien ; ceci est une action qui prendra du temps et qui sera peut être semée d’embûches…

Néanmoins et de façon immédiate, dans le sens de l’action à venir, Paul prend la décision de mettre la photo de son fils dans sa chambre et de la lui montrer ; ceci est une micro-action immédiatement mise en acte. Cette micro-action va baliser le sens de l’action que Paul se propose de mener vis à vis de son fils. Il faudra peut être encore de nombreuses micro-actions pour que son fils « perçoive l’action en cours » (la micro-action n’est pas un sens forcément visible pour autrui) à travers le sens qui s’en dégage, mais la première micro-action de Paul lui permet déjà d’avoir avancé sur le chemin de la réalisation à venir. A un moment donné, et au bout d’un certain nombre de micro-actions, l’acte posé du rapprochement avec son fils deviendra visible et par ailleurs irréversible dans l’esprit de Paul et de son fils. Ainsi la micro action aura-t-elle elle même agi de manière irréversible pour changer leur rapport.

2 Domaine professionnel

Catherine est noyée dans son travail par les consignes contradictoires des uns et des autres ; l’action envisagée par Catherine est de clarifier vis-à-vis de ses interlocuteurs ce qu’elle doit faire ou non ; c’est une action difficile, parce que cela l’oblige à se confronter à ses chefs et elle risque de ne jamais se décider à entreprendre cette clarification.

Une micro-action peut cependant commencée à être posée rapidement par Catherine : il s’agit de lister tout ce que lui demandent les uns et les autres, et de l’afficher de manière très lisible dans son bureau. Quand un de ses exigeants interlocuteurs viendra lui demander de faire quelque chose qui parait contradictoire à ce qu’un autre interlocuteur exigeant lui demande aussi , elle montrera l’affiche en question et lui demandera poliment comment elle doit s’y prendre pour réaliser les deux objectifs en même temps .

Cette micro action, en soi, ne résoudra pas seule le problème posé mais certainement, elle le balisera. D’autre part cette balise prépare Catherine à se confronter avec ses chefs si nécessaire le jour venu pour discuter de ses fonctions, et instaure de manière irréversible l’acte final qu’elle posera alors au moment où alors il apparaitra comme beaucoup plus simple à acter, dans la mesure où il aura déjà été précédé de nombreuses micro-actions du même genre et allant dans le même sens.

3 Domaine éducatif et formatif

Elisabeth est professeur et elle connait des problèmes récurrents de bavardages qui forment un tel brouhaha dans sa classe, que passé le deuxième rang, Elisabeth devient inaudible.

Bien sûr elle a procédé à de multiples « rappels à l’ordre » qui s’avèrent aussi vains que de tenter de vider le Rhin avec une pelle à tarte. Visiblement, le rappel à l’ordre ne constitue pas « une micro-action ». Pourquoi? Le brouhaha est un agir (comportement) et le rappel à l’ordre n’est pas un agir.

Elisabeth doit donc poser un acte et non pas prêcher : pour obtenir ce qu’elle veut (c’est-à-dire un relatif silence) elle doit donc agir dans le sens de l’acte qu’elle veut poser.

Bien sûr, elle peut « punir ». En pédagogie la punition n’est guère formative ; c’est un acte certes, mais qui ne va nullement dans le sens pédagogique de l’action voulue et cela ne constitue donc pas une « micro-action ».

Par contre un certain nombre de micro-actions s’avèrent possibles en détaillant des étapes de micro-actions qui conduisent au silence voulu: par exemple celles-ci :

1°) distribuer un questionnaire pour savoir combien d’élèves sont dérangés par le bavardage continuel. Ceci n’est pas punitif, mais informatif et balise l’acte sensé : c’est une micro-action directe ayant effet sur les élèves qui remplissent le questionnaire. Cet effet « change la donne », et ceux qui bavardent :remplissant aussi ce questionnaire ils sont mis « devant leur bavardage » par une action (remplir le questionnaire) qui la « transforme en autre chose », et non pas devant « un rappel à l’ordre » qui ne transforme rien parce que ce n’est pas une action .(Point 5 : la micro-action modifie le sens du problème que l’action est censée résoudre, dans le sens de sa résolution, de façon irréversible).

Cela a du sens de demander le silence, notamment pour permettre à ceux qui le souhaitent, d’écouter. Ceux qui le souhaitent sont donc ainsi mis en avant par la micro-action du questionnaire et Elisabeth agit pour eux, et non pas contre les autres (cela transforme pour Elisabeth le sens de l’action qui passe du rappel à l’ordre de son public à l’agir en faveur de son public).

2°) après avoir constaté qu’une majorité d’élèves souhaitent le silence pour écouter, on pourrait proposer une autre micro-action : à chaque cours, les élèves évaluent eux même « la qualité de silence pendant le cours » en le notant de 0 à 4, suivant qu’ils aient pu écouter de manière confortable ou non.

Nouvelle transformation par l’agir : ce sont les élèves qui prennent en charge l’acte qui permet d’instaurer, pas seulement le silence, mais sa qualité.

A cette étape, il est possible que le problème soit en fait résolu et l’acte de créer un silence suffisant aura donc été posé grâce à ces deux micro-actions .

Mais si ce n’est pas encore le cas, on peut envisager encore une étape 3 (il y a autant de micro-actions qu’on le souhaite).

Par exemple instaurer « cinq minutes de bavardage autorisé en fin de cours ».Ceci est une action visant à instaurer un silence suffisant et au lieu d’interdire le bavardage, de l’autoriser mais dans un cadre qui ne perturbe plus le cours. Le bavardage  a alors beaucoup moins d’intérêt puisqu’il n’est plus l’objet d’un interdit. Cette micro-action agit dans l’intérêt du silence, et transforme le bavardage en lui donnant un statut autorisé, et non plus interdit.

4) organisation du travail

Pierre est confronté au problème de tâches qu’on lui demande de faire, mais qu’il n’approuve pas en son for intérieur. Il peut les exécuter et s’en sentir malheureux ou ne pas les exécuter et risquer un licenciement.

L’action visée serait alors de desserrer la contrainte agissante de ce paradoxe stressant, en transformant à la fois la donnée du problème et le niveau où l’organisation du travail place la contrainte sur lui. Il s’agit donc, par des micro-actions , de déplacer les curseurs, à la fois en lui et dans l’organisation du travail .

Plutôt que de s’opposer aux contraintes organisationnelles, ce qui lui vaudrait une résistance de l’organisation, les premières micro-actions peuvent au contraire suggérer l’inverse : à la demande d’exécution des tâches non désirées, Pierre peut suggérer d’ajouter des tâches que lui aimerait faire en plus des tâches non désirées.

Cette première micro-action prend toute résistance de l’organisation à revers : l’organisation n’est pas si habituée que cela à ce que les salariés « demandent des tâches en plus ».

Le problème posé à l’initiale de cette première micro-action a déjà transformé la position respective entre Pierre et l’organisation.

Pierre peut se voir attribuer des tâches qu’il approuve et des tâches qu’il n’approuve pas ; il n’est donc plus seulement confronté à « des tâches qu’il n’approuve pas ».

L’organisation peut certes refuser l’offre de Pierre, mais elle sera  en « porta faux » ; elle devra refuser un concours offert gracieusement et non plus refuser de satisfaire une demande revendicatrice individuelle ; cela créé un précédant (un ancrage nouveau) qui sera utile à en créer d’autres ensuite.

Les autres micro-actions s’insèrent alors dans le continuum que la première a déjà créée : si l’organisation a accepté la proposition de Pierre, Pierre, dans une deuxième micro action,  peut suggérer de construire une « évaluation qualitative de ses tâches » qui pourrait montrer assez rapidement qu’il effectue incomparablement mieux les tâches désirées que les tâches non désirées, qu’il n’accomplit qu’au minimum.

Le problème s’est alors encore « transformé » : l’organisation ne sera plus fixée sur la question de devoir faire exécuter des tâches non désirées, mais sur celui de comparer l’efficacité quant à attribuer à Pierre certaines tâches plutôt que d’autres.

Si l’organisation a refusé à Paul sa proposition, il y a d’autres « micro-actions » à mettre en œuvre ( il y a toujours des micro-actions possibles) en divisant la micro-action refusée en « étapes » pour qu’elle puisse finir par aboutir.

Par exemple, Pierre peut proposer d’effectuer une seule tâche qui lui serait agréable en plus de celles qui ne le sont pas. Difficile de refuser une deuxième fois, car  l’organisation ancrerait alors un deuxième refus de solution qu’elle serait obligée d’ancrer dans sa « mémoire », comme quoi elle refuse de la part des salariés les aides qu’ils lui apportent spontanément (et non pas qu’elle refuse de satisfaire leurs revendications, ce qui peut constituer sa culture habituelle).

En ce cas, Pierre  pourrait encore diviser de nouveau la micro-action. Pierre ne pourrait il pas aider un collègue sur une tâche agréable pour lui au moins un quart d’heure par jour ? Autre refus ? De plus en plus difficile de refuser sans remettre en cause  la culture même de l’organisation, qui devra justifier alors pourquoi elle refuse …l’aide de ses salariés….

La liste des étapes de micro-actions peut être aussi longue que l’on voudra les découper encore, mais chacune d’elles transforme, quoi qu’il en soit :

  • La donnée initiale du problème posé
  • La situation respective du salarié et de l’organisation et leur rapport

Par ailleurs chaque micro-action

  • Peut être mise en acte de façon immédiate
  • Agit dans le sens de l’action voulue pour solutionner le problème posé
  • Crée une ancre irréversible pour soi et pour l’organisation (marquage en mémoire agissant) et impacte donc « la culture organisationnelle ».
  • Sort de l’impuissance à agir et du sentiment d’impuissance, ravageur pour la santé physique et mentale.
  • Peut encore se diviser en autant de micro-actions

La mise en place de micro-actions est d’autant plus efficace que :

  1. Le sens de l’action voulue est clair pour celui qui agit ainsi que le problème que cette action est censée résoudre
  2. La culture organisationnelle est connue par lui et qu’on pourra mettre en place des micro-actions permettant de la « dérouter », c’est-à-dire de l’obliger à se transformer sans qu’elle s’en aperçoive réellement, dans le sens de l’action voulue et de la résolution du problème posé
  3. La division en micro-actions est pensée à l’avance, et que les résultats de ces micro-actions seront évalués au fur et à mesure que chacune est actée, afin de corriger éventuellement les étapes que constitueront les micro-actions ultérieures.

[1] La Permission en analyse transactionnelle ouvre notamment le champ que les injonctions obstruent et empêchent ; à ce point de vue les douze injonctions de l’analyse transactionnelle peuvent se transformer en autant de permissions et ouvrir des champs : par exemple l’injonction « ne pense pas » peut se transformer en « permission de penser » et ouvrir le champ de la « pensée ». Celle qui s’écrit « Ne grandis pas » peut se transformer en permission agissante et ouvrir le champ du « développement » (tu peux « grandir »),etc.

Thierry Ponsot

 

 

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la part de l’organisation dans le sentiment d’impuissance au travail

Le sentiment d’impuissance au travail au cœur de deux injonctions : N’appartiens pas et Ne pense pas.

 

Le sentiment d’impuissance au travail fait son chemin sous les eaux profondes : il apparait à la surface quand il ne reste plus rien d’autre à ressentir pour le salarié que ceci : il n’a pu et ne pourra rien changer à sa condition : sa condition de travail.

On a déjà décrit dans un autre article (Comment sortir du sentiment d’impuissance ?) combien  ce sentiment était laminant et comment il faisait échouer sur le toujours même récif. L’espérance d e sortir  du sentiment d’impuissance oblige  à  détecter ce sentiment en tant que tel, sinon ,il continue de se développer, s’insinue et gangrène l’espérance , c’est-à-dire la faculté de dégager un horizon pour soi.

On a également décrit dans un précédant article (le sentiment d’impuissance au travail), comment ce sentiment pouvait se coaliser avec d’autres sentiments, dont il était proche, et même parfois comme noué avec. Ainsi le sentiment d’impuissance au travail se mêle –t-il souvent à la tristesse (la tristesse de ne pas être reconnu), ou encore la peur (notamment celle de l’avenir), ou simplement à l’angoisse de l’état présent (insécurité psychique au travail).

Néanmoins nous avions retenu comme premier attribut de ce sentiment d’impuissance au travail, son effet disruptif d’un lien au travail. C’est le lien entre l’homme et son travail qui est attaqué par le sentiment d’impuissance, au-delà même de ses conditions de travail. Ainsi l’agriculteur qui travaille au-delà de 60 heures par semaine, et qui sait que quelque soit le nombre d’heures travaillées, il ne parviendra pas à rembourser ses traites ; cet homme n’est pas épuisé par son travail et ses dures conditions , il est pris dans le sentiment d’impuissance, quelques soient ses conditions de travail . « Cela ne fait plus sens de travailler dans ces conditions », voilà, au plus proche, la réflexion (de plus en plus partagée par de nombreux salariés) pendante au sentiment d’impuissance au travail.

Le sentiment d’impuissance au travail provient il d’une dépression spontanée de la part de salariés qui ne seraient plus suffisamment « motivés » dans l’organisation?  Voilà une explication qui serait bien courte, et pourtant elle remporte un certain succès : c’est celle qu’aiment entendre nombre de responsables de l’organisation du travail, car elle a le mérite non seulement, de dédouaner et d’absoudre l’organisation du travail de toute responsabilité( ce sont les salariés qui ne seraient pas assez « motivés ») ,mais encore de suggérer des solutions simplissimes:   « et si on faisait jouer les salariés dans des jeux d’équipe pour les remotiver, en les faisant sauter à l’élastique dans les gorges du Verdon ? Et si on les motivait en leur donnant des « primes au mérite  ? Et si on organisait des jeux de motivations dans l’entreprise où le vainqueur se verrait offrir un week end tous frais payés aux Baléares ? »

La pauvreté affligeante de l’analyse  imputant aux salariés un manque de motivation (venu d’on ne soit où d’ailleurs), entraîne bien, hélas, des conséquences non moins affligeantes . Ces solutions préconisent  en fait l’infantilisation des salariés, à travers des options  dont l’indigence va le disputer ici à l’indécence.

C’est donc important de pouvoir détecter les origines de ce sentiment d’impuissance au travail qui se généralise, sous un mode quasi cancéreux, dans le monde des salariés. C’est important pour les préconisations qui seront issues de cette analyse.

Or, si l’on se tourne vers l’organisation du travail pour comprendre la genèse qui permet la diffusion de ce sentiment d’impuissance, dont chaque salarié prend ensuite sa propre mesure pour lui, que découvre-t-on ?

On découvre ce qu’on appelle en analyse transactionnelle deux injonctions organisationnelles, c’est-à-dire deux messages de contraintes paradoxales implicites, qui ne sont jamais exprimées en tant que telles, mais qui restreignent considérablement la capacité des individus à se reconnaître dans l’organisation du travail et à se projeter pour l’avenir avec elle.  Ces deux injonctions s’écrivent en analyse transactionnelle sous cette forme :

  1.  N’appartiens pas
  2. Ne pense pas

 

  1. N’appartiens pas

Pour le dire de façon littérale, l’injonction paradoxale de nombreuses organisations modernes, et notamment dans nombre de groupes internationaux, qui se développe rapidement, s’écrit à travers le paradoxe suivant :

«  Sentez vous appartenir à notre organisation, mais tenez  vous prêt à chaque instant à en être éjecté ».

Ceci est en somme le récapitulatif, jamais explicite et pourtant implicite, des « messages » qu’adressent de telles organisations à ses membres, par la voie de ses comportements réels, de ses actions ou de ses intentions, voir de sa pensée, à travers, notamment l’idéologie édulcorée et sirupeuse de la « flexibilité » , qui met dans une prose agréable un fait aux conséquences psychiques pourtant dévastatrices.

Pourquoi des conséquences psychiques dévastatrices ?

La notion de paradoxe  inhérente à l’injonction nous le fait comprendre: le fait est que l’organisation, qui plaide ainsi en faveur de la flexibilité ne met pas seulement en place des actions ou des communications qui vont ou iraient en ce sens en signifiant « ne vous sentez pas trop attaché à l’organisation car vous devez être flexible et la quitter à n’importe quel moment », car si elle faisait cela, elle ne prendrait personne au piège paradoxal de la « double contrainte ».

Aujourd’hui ,ce n’est pas seulement cela que les salariés enregistrent : ce qu’ils enregistrent, c’est que tout en émettant des actions ou des communications qui vont dans ce sens ,flexible à tous prix , l’organisation émet , dans l’autre sens, des messages totalement contraires, par exemple , en véhiculant d’incroyables discours sur « la loyauté à l’entreprise », sur « la solidarité nécessaire avec l’entreprise » et sur la responsabilité , sur les valeurs de l’entreprise et sur la nécessité pour les salariés d’y adhérer et surtout,  on assiste à une inflation parfois dithyrambique sur l’objet mythique que constituerait la « sacro sainte culture d’entreprise » ,dont il faudrait par ailleurs, que chaque salarié soit bien sûr imprégné, voir imbibé jusqu’à la moelle.

Ainsi aujourd’hui on relèvera ce paradoxe : moins les salariés ont d’espérance de rester dans l’entreprise et plus on les enjoint à adhérer à ses « valeurs ».

Ne trouve-t-on pas ainsi paradoxal, qu’à l’heure ou quasi aucune entreprise ou groupe, ne puisse assurer à quelque salarié que ce soit une espérance raisonnable de dépasser, disons 5 ans de présence en son sein (au maximum), on voit parallèlement se développer, avec cette précarisation de plus en plus étendue, un discours et une idéologie et des pratiques de plus en plus prégnantes demandant aux salariés d’adhérer corps et âme aux « sacro saintes valeurs et culture de l’entreprise » ?

Cette demande croissante d’adhésion aux valeurs et cultures de l’organisation, certes, pouvait encore se comprendre dans un monde où l’emploi était généralement proche de l’emploi à vie dans la même organisation, mais se retrouve totalement paradoxale dans un monde envahi de précarité tous azimuts.

Ce paradoxe est vécu dans la chair du salarié : il s’exprime par une restriction apportée à leur puissance. Qu’entend-on ici par puissance ? La puissance, c’est la capacité de choisir son avenir avec un sentiment de sécurité psychique suffisant, pour pouvoir s’y projeter avec un ou des projets réels de longue durée dans l’organisation à laquelle il « appartient ».

Un homme vit 75 ans en moyenne, et a 30 ou 40 ans de travail dans sa vie active : ces 30 ou 40 ans sont un espace continu où une projection de soi dans un avenir raisonnable doit être possible ; l’avenir certes, est toujours incertain, mais l’espace raisonnable de projection doit permettre de rendre maîtrisable le sentiment d’incertitude.

C’est là que la précarité devient une atteinte psychique. Non pas que la ligne de l’avenir doive être droite et toute tracée, mais elle doit être « projetable » pour que s’y constituent des « projets » raisonnables (avec une espérance statistique significative de réussir dans une durée suffisante).

Multiplier 1 an par dix contrats d’un an ou 20 contrats de six mois ne constitue pas une ligne d’horizon « projetable » dans le cadre d’une espérance de vie humaine au travail (40 ou 50 ans).

Or, qu’on le veuille ou non, la projection humaine pour l’avenir n’existe et n’est rendue possible qu’à travers une organisation, et singulièrement à travers l’organisation du travail, parce que le travail est un instrument privilégié de projet et de projection pour la vie humaine.

Comment peut on faire tenir ensemble, dans ces conditions, un discours sur la loyauté et la culture d’entreprise et du travail dans l’entreprise qui exige, afin d’être un minimum crédible, une présence longue dans la durée longue avec des pratiques qui mènent bien plutôt un nombre toujours croissant d’organisations à pratiquer un turn over permanent ?

Comment voudrait on alors que les salariés y croient, sinon à restreindre leur horizon de pensée à l’immédiat  ou au quasi immédiat d’un avenir devenu morcelé, c’est-à-dire un avenir où l’on ne puisse plus se projeter ?

Et comment un horizon de pensée et d’action, réduit à l’immédiateté ou presque, ne finirait il pas par entamer la puissance réelle à se projeter dans l’avenir avec une sécurité psychique suffisante pour supporter l’incertitude de l’avenir, en quoi consiste la réelle puissance d’action de chacun ?

Dés lors, comment le sentiment « d’impuissance » ne viendrait il pas hanter le devenir de tout un chacun dans pareille organisation ?

Le sentiment d’impuissance est vécu personnellement par chacun, mais on comprend alors comment il peut trouver aussi une origine qui dépasse chaque cadre individuel.

Certains  croient tenir la solution : celle-ci consisterait à énoncer qu’il ne serait pas grave de changer d’entreprise tous les deux ans et pourquoi pas, de métier tous les cinq ans. Cette élégante solution suppose cependant que le travail soit un projet qui ne s’arrête à aucune organisation particulière du travail.

En réalité il s’agit là d’un idéal de « profession libérale », pour qui le cadre de projection du travail appartient à chaque individu en propre : mais ce cadre suppose que chacun transporte ses « propres moyens de production » avec lui et les possède en propre .Le seul problème est que c’est  justement ce que ne peuvent faire les salariés,  de posséder leur propre outil de production pour se projeter avec dans l’avenir avec lui, car ils ne le possèdent généralement pas ! Ce qu’ils possèdent, c’est une expérience,mais qui ne vaut que par la durée longue dans laquelle s’inscrivent des équipes solidaires. Un avocat possède sa compétence en propre et la transporte avec lui, il peut défendre n’importe quelle cause, mais un sidérurgiste sans les équipes solidaires de son aciérie ?

En réalité, l’expérience du travail au cours des « trente glorieuses » a été marqué par l’expérience de l’organisation et par  la sécurité psychique que pouvait apporter l’organisation du travail pour y fonder une espérance, statistiquement raisonnable pour les salariés, afin qu’ils puissent s’y projeter pour l’avenir. Personne n’avait de garantie juridique d’emploi à vie, mais chacun pouvait raisonnablement se dire que, sauf accident, il pouvait projeter une « carrière » sur un délai suffisamment long dans une, ou deux organisations ou entreprises . C’était en fait la condition qui permettait à ceux dépossédés de leurs propres moyens de production de se projeter dans l’avenir, par leur travail et par la valeur d’expérience qui s’y attachait dans une durée suffisante. Or aujourd’hui, qui en réalité peut compter sur une pareille perspective, étant entendu que le nombre de ceux qui peuvent y compter raisonnablement, et sans d’illusionner, se réduit comme peau de chagrin ?

Il ne faudrait pas sous estimer les conséquences de cette «injonction de non appartenance » qui insécurise psychiquement. Dans un tel système, que vaut l’expérience acquise? L’expérience ne vaut que parce qu’une organisation du travail est un lieu d’investissement personnel et collectif d’hommes et d’équipes qui ensemble se projettent suffisamment ensemble en un lieu commun. C’est pourquoi d’ailleurs, l’organisation tient à ce que cette projection ait lieu et renforce paradoxalement son discours « culturel » d’appartenance, en exigeant de plus en plus des salariés qu’ils adhèrent à sa « culture d’entreprise ». Mais si elle veut que les individus et les équipes se projettent ainsi, néanmoins elle maintient la précarité pour ne pas en payer le prix : car ce prix l’inviterait à rester à échelle humaine dans sa taille, ses projets et ses fonctionnements ; c’est bien pourquoi on parle ici d’injonction, c’est-à-dire de messages souterrains qui coincent dans un paradoxe ceux pris en tenaille dans sa double contrainte : « adhère à fond, mais prépare toi à vider les lieux n’importe quand».

La progression constante, et même rapide, de l’injonction « N’appartiens pas » dans les organisations du travail,  et la précarisation qui n’en est qu’une de ses conséquences visibles, soulève donc une question dans l’ordre psychique pour les salariés qu’aucune autre époque n’a eu à résoudre : non pas celle de bonnes ou de mauvaise conditions de travail (question qui n’est pas nouvelle) ,mais celle de l’insécurité psychique au travail .

Cette insécurité dérobe l’espace de projection pour l’avenir. Elle déstabilise et annihile la mise en puissance du projet d’investissement de soi, tout en l’appelant de ses vœux. Elle fait grimper en flèche la probabilité de se retrouver confronté au sentiment d’impuissance au travail, faute de pouvoir y trouver un espace de projection suffisant pour y construire, et non pas y subir, un avenir raisonnablement escompté.

Ne pense pas

Pour synthétiser au mieux par une formule marquante cette injonction, qui devient majeure dans nombre d’organisations du travail, on pourrait la formuler ainsi :

« Pense ton travail, mais surtout dépêche toi de le faire ».

Commençons par examiner la deuxième branche de la « tenaille » qui constitue le paradoxe ,parce que là se situe l’élément d’observation essentiel qui se trouve à la portée du constat de tout un chacun : en réalité, si l’impression de « devoir se presser continûment» dans son travail est constaté facilement par les salariés , ils ne le rattachent généralement pas ce sentiment d’urgence permanent, à l’injonction fondamentale qui sous tend ce « dépêche toi » (appelé en analyse transactionnelle un « driver » c’est à dire une modalité de comportement automatisé par l’injonction qui le sous tend), à savoir au « Ne pense pas ».

Aussi croit on généralement que le fait de se « dépêcher » tout le temps dans l’exécution du travail est , soit un fait inéluctable dû aux temps modernes(ce qui est une façon de ne pas avoir à penser son origine), soit une nécessité extérieure imposée par le « client Roi » , en somme un fait du consommateur toujours plus pressé et toujours plus exigeant (sans qu’on se demande d’ailleurs au fond pourquoi ?)

Il est rare donc de mettre en cause l’organisation du travail elle-même derrière ce qui parait un fait social acquis , contemporain, et auquel « tout le monde doit se soumettre», comme devant un Dieu moderne, Moloch jamais assez rassasié mangeur de Temps, que nous créons cependant bien nous-mêmes.

Pourquoi le travail s’accomplit il de plus en plus sous le sceau de l’urgence permanente?

Pour le comprendre il faut inverser le raisonnement habituel : ce n’est pas que le travail doive s’accomplir dans un temps de plus en plus court, c’est bien plutôt que l’unité de temps selon laquelle s’effectue la mesure du Temps se raccourcit. Elle se raccourcit selon quel facteur ? Selon un facteur qui s’appelle la capacité de réellement penser son travail, et qui échappe à des franges de plus en plus nombreuses de travailleurs pour se concentrer de plus en plus sur un noyau de plus en plus restreint (et en général anonyme) de décideurs de plus en plus « lointains ». Et comment le voit-on dans l’organisation ? On le voit notamment à ce qui remplace la pensée du travail, à travers ses ersatz constitués par la phénoménale invasion des consignes et des procédures, dont l’effet est encore renforcé par les managements dits « par objectifs ».

C’est à ce point là que l’on saisira l’autre branche du paradoxe : c’est toujours de plus en plus urgent  d’exécuter son travail,  dans la mesure où on ne peut le penser au-delà du temps de son exécution immédiate. Derrière l’exécution immédiate de la tâche, il n’ y alors plus rien d’autre à penser qu’à en exécuter une autre : l’expérience  au travail n’ a plus le temps de se constituer en tant que valeur d’échange entre salariés sur une pensée partagée du travail et s’évapore entre deux tâches exécutées.

C’est donc dans la mesure où l’espace dévolu à la pensée du travail de chacun des travailleurs est réduit de plus en plus à ce qui constitue, soit l’exécution des consignes et des procédures, soit alors, avec les organisations modernes, à ce qu’on appelle « les objectifs personnalisés », qu’il n’est plus possible d’être construit par son travail et que le travail est réduit à l’exécution de ses consignes et procédures ou à « ses objectifs personnalisés ».

Reprenons ces deux points :

L’inflation des procédures et consignes dans le travail

Le fait de devoir travailler avec des consignes et des procédures n’est pas un problème en soi. Ce qui devient un problème, c’est quand les consignes et les procédures en viennent à se substituer à la « pensée du travail », c’est-à-dire à la valeur d’expérience échangée d’homme à homme par le partage humain sur le travail effectué ou à réaliser, ses buts, ses moyens, sa valeur, sa qualité et ses méthodes.

Le problème naît de l’absence d’échange, de discussion, de remise en question à propos de la qualité du travail, de son utilité, de son efficacité, de son but ; c’est-à-dire en fin de compte , d’une pensée du travail qui s’efface de plus en plus derrière des consignes et des procédures, qui se substituent à l’échange humain, à l’expérience transmise d’homme à homme.

On peut dire que le taylorisme avait commencé de confisquer la pensée du travail des ouvriers pour la faire se concentrer dans les bureaux d’études, mais aujourd’hui , les bureaux d’études eux-mêmes sont siphonnés de la pensée du travail, qui se réfugie et se concentre désormais au sein d’un noyau de plus en plus restreint de dirigeants ,entouré de quelques avocats et ingénieurs, qui sont les seuls en réalité, à maîtriser la « destinée du travail » et l’avenir de l’organisation ; à ce titre le taylorisme est dépassé et devient un « super-taylorisme » et les noms qu’on lui donnera («  lean management » par exemple) importent finalement assez peu.

Au fur et à mesure que la pensée du travail se retire, comme la mer, dans des lieux de plus en plus concentrés où elle se trouve concoctée « dans le secret des dieux » (chez Google par exemple), la notion de périphérie s’étend maintenant quasi à tous, sauf au « noyau dur ». Entre le centre et la périphérie, le centre se concentre et la périphérie se distend.

Que l’on prenne un exemple dans un domaine très technologique et que l’on se pose cette question : est ce qu’aujourd’hui un pilote d’Airbus est en mesure de « penser son travail et donc de comprendre son avion »? La réponse est terrible et fait froid dans le dos : non ; le pilote moderne a des consignes et des procédures très nombreuses à respecter, mais il n’est plus en mesure de « comprendre son avion », c’est-à-dire de comprendre, à travers l’ensemble considérable des indicateurs et des systèmes qu’il doit contrôler, comment en réalité fonctionne son avion ; Il ne peut plus penser au delà des procédures multiples dont il est le « super- technicien », mais sûrement pas l’ingénieur. La preuve en est administrée lors des enquêtes d’accident où l’on comprend bien, après coup, pourquoi et comment les pilotes ont pu « mal réagir », par défaut de compréhension de l’avion qu’ils pilotent : on appelle cela « l’interface homme-machine », et la réalité c’est que cette interface échappe au pouvoir du pilote pour se concentrer chez les quelques ingénieurs responsables appartenant à l’entreprise du constructeur. On remarquera que Saint Exupéry, lui, « comprenait son avion », et même éprouvait ses sensations. Aujourd’hui les avions sont des « machines volantes » et les interfaces homme- machine en arrivent à égarer les pilotes au point qu’ils sont susceptibles de ne pas même s’apercevoir qu’ils sont en train de descendre vers le sol et ont perdu toute portance.

Que dit cette perspective sur le « Ne pense pas » appliquée au travail ? Que l’organisation est pensée sur un territoire retiré au plus loin de ceux qui la font fonctionner. Qu’au fur et à mesure qu’on se dirige vers la périphérie, on se dirige vers un espace-temps raccourci et réduit à des consignes et procédures en soi, c’est-à-dire « abstraites du travail », et qui ne permettent plus de prendre quelque temps que ce soit pour  penser son travail à travers elles, c’est-à-dire ,plus loin qu’elles.

« Ne pense pas » est donc constitué d’un hachoir, qui est d’abord un hachoir de Temps et qui le raccourcit de plus en plus: aussi l’urgence à laquelle est contraint le temps du travail provient il moins d’une urgence extérieure, qui n’en est d’ailleurs que le reflet, que d’une conception de l’organisation hyper concentrée et qui confisque le « temps de penser le travail » pour son noyau de plus en plus restreint de décideurs.

L’urgence systématique dans laquelle est plongé le travail, devient donc plus l’étalon d’un Temps sans cesse raccourci au fur et à mesure que le salarié est périphérique  dans l’organisation du travail, et que cette périphérie s’étend et se distend, qu’issue d’un impératif qu’il serait commode de prétendre toujours « extérieur » .

Le Temps de penser son travail se raccourcit sur des « parcelles » de plus en plus étroites, pour un nombre de plus en plus important de salariés « excentrés », de plus en plus loin du pouvoir de penser réellement leur travail.

De ce point de vue, l’excentration entre le grand groupe international et la traditionnelle PME familiale en donne une mesure. Alors que les salariés,  proches du centre de la pensée du travail dans une PME familiale, interpellent directement leur patron pour lui « soumettre une idée » et peuvent s’accrocher directement avec lui en cas de désaccord, que peut le salarié d’un groupe exécutant d’une procédure sur un travail dont il n’a prise, ni sur sa destination, ni sur son utilité , ni sur son efficacité et dont il ne sait pas toujours quel est le but ? Comment « peut il penser son travail » sinon exécuter sa part de procédures et de consignes (qui peuvent être cependant fort complexes) ?

Les objectifs personnalisés

L’irruption massive des objectifs personnalisés dans les organisations et entreprises d’aujourd’hui donne encore une autre ampleur au phénomène du « Ne pense pas ».

Au départ, les objectifs personnalisés constituent ce qu’on peut appeler un masque commode à dissimuler l’absence de plus en plus flagrante de prise réelle du salarié sur la pensée de son travail. C’est la couverture idéologique dont se pare l’organisation pour donner à croire que chacun pense son travail parcellisé, puisque chacun a des « objectifs personnels à tenir dans l’entreprise ».

Le masque tombe cependant bien vite. Pourquoi ? Parce que les objectifs soit disant personnalisés se ramènent généralement à des objectifs chiffrés et d’ordre comptable. Or personne ne pense au-delà d’un chiffre. Le chiffre, dont il faut rappeler l’étymologie en terme de chiffrage et donc de codage, est un arrêt de la pensée ou si l’on veut le dire autrement, une dramatique réduction de celle-ci, ou encore un « bouclage en soi de toute pensée » . Rien n’arrête plus la pensée du travail que de la réduire à un objectif chiffré. Combien de clients, combien de voitures, combien de chiffre d’affaires , toutes ces questions bouclent la pensée du travail et l’arrêtent , c’est-à-dire la terminent. Une fois que le chiffre est atteint, « tout est dit ». Les ravages des objectifs personnalisés en terme de chiffrage, sont une catastrophe pour la pensée qui ne peut se dire pensée que dés lors qu’elle ne s’arrête pas à ce que le chiffre, justement, arrête. La manie comptable du chiffre culte n’est tyrannique que parce qu’elle met le point final à toute pensée et devient alors une finalité en soi.

En réalité les objectifs personnalisés dissimulent la dictature du comptable sur l’espace nécessairement ouvert que représente l’activité de travail. Le comptable dictateur représente l’appauvrissement de la pensée du travail et la forme contemporaine de l’injonction contemporaine galopante du « ne pense pas » (ne pense pas ton travail et ne vois pas au-delà du chiffre), mais « exécute le chiffre de ton objectif personnalisé » (et tais toi).

Objectifs personnalisés et inflation des procédures qui prennent la place de l’échange d’expérience humaine à propos du travail, arrêtent le pouvoir de penser le travail au-delà de son chiffre. Le  travail se rend alors étrange ou étranger à soi même. Le travailleur ne s’y « reconnait plus ». Le philosophe Henri Maldiney a longuement insisté sur la notion d’horizon, qui est la condition humaine sous laquelle se profile un « avenir toujours plus loin ». Un horizon « bouché » figure l’inverse : sans ligne d’horizon, la projection de soi dans le travail devient illusoire. L’idéologie des entreprises qui invitent toujours plus « à s’investir dans le travail » , et qui le précarisent toujours plus par ailleurs , provoque, à défaut d’une saine colère ,l’introjection d’un paradoxe qui fait fléchir la « puissance d’action et de projection» des salariés qui ne peuvent qu’en devenir victimes.

Perdant leur puissance d’action et de projection, les travailleurs perdent effectivement leur « motivation ». Vouloir les « remotiver », sans remonter aux causes réelles du sentiment d’impuissance généré par le paradoxe des injonctions organisationnelles, en leur faisant porter le poids de la fragilité psychique ainsi créée et en tachant de la combattre  par des « jeux infantilisant » ,ou par  des réflexes pavloviens (du style « courez tous après la prime qui vous remotivera »), est comme une seconde insulte au sens du travail , valeur que les salariés ne demanderaient qu’à cultiver.

Conclusion

En analyse transactionnelle nous pouvons disposer d’un concept de lien remarquable, qui relie la « Puissance, la Protection et la Permission ».

La liaison entre les trois indique ceci : pas de réelle Puissance d’action et de projection sans « Protection », c’est-à-dire sans un cadre sécurisant. Il est impossible de développer une puissance de projection sans s’ assurer d’un cadre sécurisant, et tant que l’insécurité règne sur la psyché , il est inutile d’escompter de sa part de la puissance de projection et d’action.

Puissance et Protection suffisante vont donc de pair. La sécurité psychique est la condition de la puissance réelle d’action et de projection pour l’avenir. Sans cette sécurité psychique le « territoire pensable à l’avenir » est réduit comme peau de chagrin.

« Ne pense pas » constitue donc, allié à « N’appartiens pas », le terreau sur lequel pousse le sentiment d’impuissance  et se développe l’insécurité psychique. Privé de sentiment sécurisant l’appartenance et d’espace pour se projeter en pensée dans l’avenir, le salarié, sous ces contraintes, est comme un plongeur à qui l’on aurait retiré l’eau de la piscine, mais à qui on continuerait (avec le sourire) de demander de plonger .

L’impuissance (et la démotivation qui l’accompagne) n’a donc pas pour origine la « fragilité » du salarié, ou même, comme le pensent certains, son exigence trop forte par rapport à l’organisation du travail (c’est une conséquence, mais pas une origine). Le sentiment d’impuissance au travail a pour origine l’insécurité psychique à laquelle conduit l’organisation du travail, notamment sous le coup de cette double injonction – n’appartiens pas et ne pense pas- qui fragilise son sentiment d’appartenance et qui rend vaine sa capacité de penser et de se projeter dans son travail sous un horizon ouvert.

Par rapport à ces conditions, indépendantes de la volonté du salarié , il reste que le sentiment d’impuissance, lui, peut être combattu par le salarié lui-même. C’est là qu’entre en jeu le troisième terme des 3P (Protection, Puissance, Permission), c’est-à-dire la Permission.

Qu’est ce au fond qu’une « Permission » ? Une Permission est ce qui ouvre la capacité d’exercer pleinement et de nouveau sa Puissance. Son origine est à la fois interne et externe. Externe, car l’impulse de cette permission (que l’on ne s’accorde plus spontanément) provient de l’extérieur de soi . Mais interne aussi, car rien ne se passe si la Permission n’est pas internalisée. La Permission est donc un médicament : fabriqué à l’extérieur, il n’est agissant qu’en interne. Il faut l’ingérer.

La Permission de reprendre la prise sur son travail peut s’opérer par une quantité d’actes ou de micro actions , qui vont acter cette permission au sein même de l’activité de travail. Ceci ne modifiera que de façon minime les conditions qui enserrent les conditions de travail en général, mais ces « micro actions » vont déjà commencer d’entamer de desserrer pour soi même les carcans des injonctions paradoxales.

Car si les conditions génératives de l’impuissance au travail existent bel et bien, néanmoins, gérer le sentiment d’impuissance qui en résulte de manière à ne pas en être envahi, reste heureusement à la portée de chacun dans ses actes quotidiens au travail, grâce aux Permissions que chacun peut activer en lui-même.

Thierry Ponsot

 

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Comment sortir du sentiment d’impuissance?

Comment sortir du sentiment d’impuissance ?

Tout d’abord et concernant le sujet de cet article, il faut d’emblée dissiper tout malentendu : si l’impuissance effective est un fait réel, le fait qu’il s’accompagne d’un sentiment d’impuissance est encore un autre fait.

Cet article traite avant tout du sentiment d’impuissance. En sortant du sentiment d’impuissance, on ne prétendra pas que l’impuissance imposée par la réalité des faits disparaisse, mais on pourra prétendre maîtriser le sentiment qui en découle.

Pour aborder le sujet, cernons en le champ d’action: le sentiment d’impuissance n’est pas assimilable à une frustration que l’on peut chaque jour ressentir devant un fait seulement contrariant. C’est un sentiment à part, plus cristallisé et plus amer, qui renvoie à une impression qu’il se dépose sur un fond liquide. C’est d’ailleurs en quoi le sentiment d’impuissance navigue, tel un courant marin, au fond d’un océan d’autres sentiments qui peuvent être, en surface, la colère, la tristesse, ou même la rage (dont on dit d’ailleurs qu’elle est impuissante). Ce sentiment se mêle aussi à l’angoisse de fond , celle qui déjà fait apparaître la réalité sous un jour morne, et s’il s’en distingue cependant, c’est qu’il vise un objet( l’angoisse n’ayant pas d’objet précis). Cet objet précis est comme un récif devant lequel le sentiment d’impuissance « échouerait » sans cesse.

Sortir du sentiment d’impuissance, même devant des faits (ou événements) apparemment incontournables qui confrontent à l’impuissance, a par ailleurs un avantage : cela évite que la réalité des faits et événements, devant lesquels on se sent « impuissant », ne vienne encore accentuer le sentiment d’impuissance ressentie.

Sortir du sentiment d’impuissance en tant que tel, ne résout pas le fait ou l’évènement l’ayant occasionné, car on ne remonte pas le courant des faits et des événements. On ne revient pas en arrière. Par contre, réaliser que le sentiment d’impuissance est contrôlable le fait émerger dans un retournement de sens intéressant : « on n’est pas impuissant face au sentiment d’impuissance ».

Pour réussir à sortir du sentiment d’impuissance, on proposera ici une procédure spécifique.

En fait, on pourra retrouver derrière la procédure ici proposée, des arguments de bon sens, des pratiques déjà  connues, mais qui ne sont pas forcément modélisées dans un ensemble logique cohérent.

Pour rendre claire cette procédure, on la développera suivant sa logique, qui est aussi sa chronologique, en cinq actes, comme dans une bonne pièce de théâtre.

Procédure de sortie du sentiment d’impuissance

Premier acte

Le premier acte de la procédure paraîtra particulièrement paradoxal, il est pourtant indispensable : il s’agit de prendre acte du sentiment d’impuissance.

On l’expliquera ainsi : il faut d’abord constater consciemment ce qui signale le sentiment d’impuissance. Il faut prêter une attention particulière à ce point, parce que justement, il est souvent occulté sous le sceau d’une fausse évidence :

« on voit bien ce qui me rend impuissant, c’est que je ne peux rien changer à la décision qui vient d’être prise à mon encontre » ; fausse évidence, ceci n’est pas un constat sur le sentiment d’impuissance, mais sur l’acte l’ayant provoqué !

Le constat sur le sentiment d’impuissance serait le suivant :

«  Dans la décision qui vient d’être prise, ou l’évènement qui vient de se produire, et qui ne dépend pas de moi, ce qui me fait éprouver un sentiment d’impuissance est que je ne me sens pas capable d’agir sur ses conséquences».

En effet, si l’acte ou l’évènement, n’avait pas de conséquence pour soi, on remarque aussi qu’il ne serait rien » pour soi ». En fait, l’impuissance ressentie projette sur l’avenir les conséquences d’un acte ou d’un événement déjà passé et c’est cette projection de l’impuissance sur l’avenir qui doit être traitée.

Le constat du sentiment d’impuissance, en tant que tel, apparaît indispensable pour ce traitement et aura plusieurs vertus essentielles avant d’aborder la suite du processus.

  1. Il tendra à distinguer le fait ou l’évènement à l’origine de l’impuissance, du sentiment éprouvé à son égard. Car le sentiment est une conséquence du fait et le fait l’ayant généré lui, en soi, n’implique, en soi, aucun sentiment particulier.
    En rendant explicite cette liaison entre le (ou les) fait(s) ou l’événement, et le sentiment éprouvé (en tant que conséquence), on resitue, pour soi, la réalité du sentiment éprouvé. .
  2. Il permettra de décomposer le sentiment d’impuissance lui-même en procédant à l’analyse des conséquences du fait ou de l’évènement l’ayant provoqué « pour soi ». Il s’agira alors de mesurer les conséquences réelles d’un fait ou d’un événement pour reprendre une prise sur ses conséquences.

Exemple : mon employeur m’a affecté à un nouveau service sans me consulter : je me sens « impuissant » face à l’organisation du travail. Les décisions qui me concernent m’échappent et je ne les contrôle pas ; dés lors l’avenir, que je croyais assuré pour une part, échappe à ma perspective et me parait incontrôlable. Le présent m’angoisse, car que va-t-il encore « arriver » qui viendra le perturber ?

Il faut alors recenser les « conséquences » de ce fait qui angoisse le présent et remet en cause l’avenir, en terme de ressenti personnel quant aux conséquences engendrées :

  • A) Je suis triste de perdre des collègues de travail directs que j’apprécie et je ne sais ce que seront mes relations demain avec de nouveaux collègues.
  • B)  J’ai peur du travail qui va m’être donné demain et que je ne connais pas très bien comme je connaissais l’ancien.
  • C) Le service dans lequel on m’a affecté me parait sinistre, j’appréhende de devoir y travailler.
  • D) Etc.

Cet traitement est nécessaire de façon à lister les conséquences envisagées ou envisageables sans crainte. L’effet de la liste elle même permet de cerner des conséquences et engendre un premier sentiment de « reprise en main » des conséquences,même si leurs causes ont pu échapper.

  1. Deuxième acte

On transformera alors le sentiment d’impuissance éprouvé en terme  « d’interrogation sur ses propres capacités», ce qui change singulièrement son statut.

Il ne s’agira alors plus d’une fatalité confrontant à l’impuissance, mais d’une interrogation sur ses propres capacités à y faire face. On découvrira peut être alors certaines incapacités. Mais ces incapacités seront momentanées. De ces  incapacités ressenties momentanément que ces incapacités ressentie soit réelles ou non, il n’y a pas à en juger pour le moment.

En se confrontant aux conséquences, pour soi, de l’acte ou de l’évènement ayant conduit au sentiment d’impuissance, en s’interrogeant sur ses capacités à y faire face,on ne cherche volontairement plus à y parer, mais au contraire, à l’envisager. On cesse donc de « résister » au fait ou à l’évènement, et de continuer ainsi d’effondrer ses propres ressources psychiques dans des résistances déjà bien entamées par le sentiment d’impuissance en cours, car le sentiment d’impuissance est très énergivore.

Cela signifie « accepter l’évènement ou l’acte à l’origine du sentiment d’impuissance», et sûrement pas l’approuver ou même, pas plus,  le condamner. On fera remarquer qu’en le condamnant, on continue cependant de s’y attacher ! Le but est alors non pas de s’y attacher (en le condamnant ou en l’approuvant), mais bien de le « neutraliser » c’est-à-dire de le rendre « neutre »..

En reprenant l’exemple précédant, cette neutralisation va donc s’opérer par un recensement des conséquences, pour soi, de l’acte ou de l’évènement ayant occasionné le sentiment d’impuissance  en terme de capacités personnelles:

– A) je me demande si j’aurai la capacité d’intégrer un nouveau groupe de travail

–  B) je me demande si je pourrai faire face au nouveau travail et en avoir les compétences

–  C) je me demande comment je ferai pour améliorer l’ambiance dans ce nouveau service ou je viens d’être affecté et qui me parait sinistre.

– D) etc.

En réalité, le caractère indispensable de cette étape logique tient à ceci : si elle n’est pas franchie , les autres ne serviront à rien.

Elle suppose bien sûr, de revenir du traumatisme ou de la sidération du fait, de l’évènement ou des faits ou événements ayant généré à l’origine  le sentiment d’impuissance.

3ème acte

  • Une fois isolé le fait de l’impuissance du fait du sentiment qu’il provoque, on réalise alors que ses conséquences restent exprimables en terme d’incapacité, et non plus en terme d’impuissance.
  • Ces incapacités sont peut être justifiées , mais elles sont désormais toutes conditionnelles et elles ne sont plus inconditionnelles, car elles relèvent d’une incapacité momentanée, et non plus d’une impuissance.
  • Elles sont notamment conditionnelles au Temps que l’on pourra se donner pour les relever toutes, une à une.
  • C’est pourquoi il est utile, à cette étape logique, de commencer par se construire un calendrier des temps estimés pour relever les différentes incapacités répertoriées au préalable.

En reprenant l’exemple précédant :

  • A) Temps estimé pour intégrer un nouveau groupe de travail/ 3 mois ?
  • B) Temps estimé pour faire face à un nouveau travail /1 an ?
  • C) Temps estimé pour contribuer à en changer l’ambiance dans le service/2 ans ?
  • D) etc.

Le caractère juste ou non de l’estimation ne doit pas être un critère pour ne pas effectuer cette estimation, car cette estimation pourra toujours être corrigée ensuite, suivant les informations obtenues au cours du Temps.

Ce qui importe, c’est d’établir d’abord ce calendrier et qu’on puisse le corriger au fur et à mesure.

Le fait d’établir un calendrier assure du caractère faisable, dans le Temps, des actions que l’on pourra alors projeter dans un avenir raisonnable, c’est-à-dire un avenir qui n’est plus sous le registre de l’incontrôlable, ou sous celui de la fatalité résignée.

Il n’est pas recommandé, à cette étape, de s’appesantir trop sur le « comment on va  faire », car c’est justement  l’intrusion de cette question encore prématurée  qui, la plupart du temps, fait échouer le processus à cette étape.

La raison en est que le cerveau a besoin de pouvoir se projeter d’abord dans un Espace/Temps, qui va ensuite cadrer ce qu’il projette et non l’inverse : en ce sens ,le premier cadre à construire pour se projeter de nouveau dans un avenir raisonnable est « l’Espace /Temps » que représente le calendrier prévisionnel..

4ème acte

 A cette étape, seulement, on envisage vraiment les actions qui vont pouvoir redonner prise sur les faits et s’attaquer aux conséquences de l’impuissance devant les faits ou événement ayant occasionné le sentiment d’impuissance.

On listera donc ce qu’on appellera les actions désirées et qui seraient souhaitables , sans se poser pour l’instant le fait de savoir comment on va les réaliser.

C’est à ce point là qu’il faut procéder à une inversion de raisonnement qui n’est pas courante.

En général, le raisonnement courant consiste à lister des actions souhaitables (désirées) et à se demander, ensuite, si les actions envisagées sont possibles, ou non, et à quelles conditions, et comment les réaliser.

Ce type de raisonnement classique amène parfois à l’impasse, ou à ce qu’on appellera le « scénario de la jambe de bois », d’ ou l’on se persuade assez vite « qu’aucune solution n’est possible »( d’où la « jambe de bois »  qui ne peut marcher en aucun cas).

C’est pourquoi on suggérera de partir alors sur un raisonnement inverse et de se demander d’abord :

Quelles actions sont à priori les actions possibles, qui iraient dans le sens de mes actions désirées ?

L’avantage premier est d’éviter « le scénario de la jambe de bois », puisque toutes les actions envisagées  sont alors faisables à priori.

L’avantage second est de démultiplier du même coup les options concernant les actions envisageables (actions désirées et actions allant dans le même sens que les actions désirées).

L’avantage troisième est de découvrir alors  l’espace insoupçonné des « micro-actions » qui ne sont jamais ou presque, mises en lumière.

L’espace insoupçonné des micro- actions

  1. Qu’est ce qu’une micro -action ? C’est une action, quasi invisible, qui va dans le même sens qu’une action désirée et visible, et qui en pose un « jalon ». Cette micro action, qui va dans le sens de l’action désirée, est toujours « faisable » par principe, quelque soit la faisabilité de l’action désirée. La micro action est ainsi la promesse que l’on se tient à soi même de l’action désirée, qu’elle préfigure.
  1. Les actions désirées sont toujours divisibles en autant de micro actions allant dans le même sens que l’action désirée, et qui vont la baliser.
  1. L’espace réparti dans le Temps des micro- actions conduit vers l’action désirée, et sort du sentiment d’impuissance auquel l’action désirée était susceptible de conduire, si elle n’avait pas été ainsi balisée.

Exemple précédant

 

Je m’aperçois que pour changer l’ambiance du service dans lequel j’ai été affecté, par une décision de mon employeur qui ne m’a pas consulté, il me faudra deux années au moins .L’action désirée est donc lointaine et de plus, incertaine dans ses effets.

Seulement cette action désirée se divise en autant de micro actions qui possèdent cet avantage incomparable d’être faisables , soit à court ou à moyen terme , et même pour certaines , tout de suite.

Par exemple, une de ses micro actions  serait, plutôt que de me présenter à ce nouveau service en posture de soumission abattue suite à une décision sur laquelle j’ai été mis devant le fait accompli, de me présenter comme celui, certes mis devant le fait accompli, mais qui se trouve prêt à saisir toutes les opportunités de ce nouveau service, pour justement recommencer, sur de nouvelles bases, des nouvelles relations encore meilleures que celles déjà positives, relatives au poste précédant.

Par exemple, plutôt que de me présenter devant mon nouveau travail dans le sentiment de n’en connaitre rien, en apprendre au préalable une petite et simple technique, un geste, une attitude, un savoir spécifique aussi petit soit il.

Ceci n’est pas une « méthode Coué», ceci est une micro action qui commence de baliser l’action désirée et projetée à terme ,et pour laquelle un premier jalon est ainsi posé, dans la mesure ou je me suis effectivement posé comme action désirée de connaitre et de maîtriser mon nouveau travail et d’améliorer l’ambiance de ce service (sinon ce serait de la méthode Coué).

C’est pourquoi cet acte 4 doit être précédé des trois autres car sinon, les actions désirées n’étant pas connues , les micro actions n’auraient aucun sens.

 

Les micro actions sont innombrables et recoupent  aussi bien la parole qui, en un instant donné, pose déjà une balise agissante. Ainsi pouvons nous acter des paroles comme autant de balises sur le chemin de l’action désirée.

Il n’est pas vrai que « de dire n’est pas faire ». Simplement dire ,c’est faire une micro action ,pourvu que l’action désirée au bout du dire oriente cette micro action, et que le sujet s’en tienne à sa propre promesse de faire ce qu’il est entrain de dire, et donc de mettre déjà en acte par le dire, son acte futur, en le disant dans le même sens que l’action encore à venir.

Par exemple, poser en acte son intention de « changer son travail dans un sens désiré», c’est de commencer par le changer en « micro actions » ,de la façon et dans le sens qu’on souhaite l’action désirée pour changer ce travail, pour ensuite poser d’autres micro actions (programmées) qui finiront par aboutir au changement .Cela peut commencer simplement par changer ses propres habitudes dans le travail pourvu que ce changement aille dans le même sens que l’action désirée. Par exemple si l’action désirée est de rendre plus chaleureuses les relations de travail, je peux commencer par changer mes habitudes au travail et être plus chaleureux moi même. Si l’action désirée est de voir mieux ordonnées les fonctions des uns et des autres, je peux afficher la liste précise de mes propres tâches pour « commencer une micro-action qui va dans ce sens ».

Ce changement sera d’abord imperceptible, puis de plus en plus perçu : il actera alors tous les changements déjà opérés par les micro-actions, et dont l’observateur extérieur risque, lui , de s’apercevoir « au dernier moment »quand l’action désirée et son sens apparaîtront visibles aux yeux de tous.

5ème acte

A partir du moment où ces quatre  premiers actes sont posés, il reste alors à respecter le principe suivant :

Commencer tout de suite ou le plus tôt possible,  la première (micro) action sans attendre, et échelonner, pour soi , les actions ou micro actions programmées à mener dans un cadre  où seront toujours distingués court terme, moyen terme, long terme, en fonction de la durée prévisible de l’action désirée . Pourquoi ? Pour se permettre d’agir déjà au plus vite et pour sortir de l’impuissance en action, et poser les jalons des actions  futures qui iront dans le même sens. Par ailleurs:

– s’il n’y a pas de départ immédiat dans le court terme, d’actions ou de micro-actions, le projet d’action désirée risque fortement d’être « ajourné » et le sentiment d’impuissance risque alors de perdurer, ou bien de revenir.

– s’il n’y a pas de moyen terme , le passage entre micro action et l’action désirée risque d’être d’autant plus difficile. Le moyen terme n’étant pas le plus facile à envisager, il est souvent oublié , ce qui explique bien des échecs finaux dans l’action projetée.

– enfin  seul le long terme de l’action projetée et du sens destiné de l’action désirée donne corps à l’échelonnement du projet entre court et moyen terme. En ce sens le but ne doit jamais être  « perdu de vue ».

Ceci est à recommander quelque soit la durée projetée de l’action désirée.

Résumé

Le sentiment d’impuissance peut donc être combattu, quelque soit la réalité du fait ou des actes  ou de l’évènement l’ayant occasionné.

La première condition est de prendre acte de ce sentiment d’impuissance (acte 1), du coup, en le distinguant notamment du fait ou de l’acte l’ayant provoqué.

Dés lors, il devient possible d’en situer les conséquences, pour soi, en listant les incapacités forcément momentanées que ces faits et actes générateurs d’impuissance ont provoquées (acte 2).

Dés lors, en se fabriquant, d’abord, un calendrier d’actions projetées et désirées pour parer à ces incapacités, on relèvera déjà l’impuissance ressentie par un projet d’actions désirées (acte 3).

Ces actions désirées peuvent s’étayer et se soutenir de micro-actions,(acte 4), dont l’avantage est de se révéler innombrables et  toujours possibles à mettre en oeuvre, de par leurs constructions elles mêmes.

Mettre en œuvre les  micro actions et les actions qui les sous tendent, suppose enfin qu’elles  soient planifiées et qu’elles commencent « tout de suite » (acte 5,) en distinguant et en ordonnant actions et micro actions toujours suivant un axe court, moyen et long terme, quelques soient les durées envisagées des actions projetées.

                                         Conclusion

Au final il est peut être plus simple de se demander pourquoi ce processus, pourtant fiable et gagnant, est généralement peu mis en œuvre : en recensant les raisons qui conduisent à ne pas la mettre en œuvre, on s’aperçoit alors du gouffre qui nous sépare généralement de la réussite de ce processus, et paradoxalement, du « peu de chose » qui nous fait souvent passer pourtant « à côté ».

Déjà l’acte 1 est en général négligé : la fausse évidence aveuglante confondant le sentiment d’impuissance à l’action ou au fait l’ayant provoqué, fait oublier de constater le sentiment d’impuissance en lui-même. Il continue alors de « vivre sa vie » en consommant énormément d’énergie et en général il se reportera sur d’autres objets en s’étendant comme une masse diffuse ; en somme s’il n’est « pas pris à temps » ,on l’invitera  de fait à se diffuser. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle ,comme nous l’avions souligné dans l’article sur « le sentiment d’impuissance au travail » , ce sentiment se propage en général au « fond »  d’autres sentiments,  comme au fond d’une piscine, sous d’autres sentiments, comme la tristesse (de ne pas être reconnu), la peur(de l’avenir) ou l’angoisse d’une insécurité du présent.

Ensuite, ce qui contribue à la non prise en compte du sentiment d’impuissance en en tant que tel est certainement ,outre la sidération qu’il provoque sur le moment, que nous souhaitions immédiatement y parer, plutôt que, d’abord, le constater. Car le constater signifie rester un moment avec lui en le neutralisant. Vouloir y parer tout de suite est au contraire s’y attacher et le voir se développer, peut être sous la forme d’une rage impuissante , ou celle d’une tristesse infinie.

 Or, s’il existe bien un « processus « pour le traiter, cela signifie, ipso facto, qu’il faille admettre le sentiment d’impuissance avant de le traiter. La raison de cette intolérance généralement dommageable à admettre le sentiment d’impuissance est encore une confusion : on ne sait distinguer généralement, entre « admettre et subir » : or il ne s’agit pas de le subir, mais de le neutraliser le temps où il sera traité, de l’admettre « pour examen et traitement »,exactement comme un malade hospitalisé qui , avant d’être guéri , doit « être admis et traité» à l’hôpital, tel quel, c’est-à-dire avec sa maladie (ce sans doute pourquoi on le nommera « patient », car il lui faudra aussi de la patience avant de prétendre guérir !).

Enfin, et plus imperceptiblement encore, derrière l’intolérance à accepter le sentiment d’impuissance pour le traiter en tant que tel, il y a souvent le désir inconscient de se venger de celui (ou de ceux) par lequel l’action génératrice de ce sentiment d’impuissance est passé. Derrière le sentiment, justifié, de l’injustice subie du fait de l’impuissance subie, traîne néanmoins, et quoiqu’on en dise, l’idée de « faire payer » celui (qui peut être un être humain ou une institution), par lequel elle arrive. En ce sens, le sentiment d’impuissance renvoie comme image de l’autre, par qui il transite, celui du « tout puissant honni ».

L’impuissance viendrait alors dénoncer la « toute puissance » en son miroir fascinant.
Cette idée n’est pas bonne, parce qu’elle n’est pas bonne pour la santé (et non pas pour la morale, car nous ne faisons pas de morale ici).

Car si la figure d’une vengeance implicite et rageuse s’attache au traitement du sentiment d’impuissance, le sentiment d’impuissance va perdurer d’autant. Le fait est que l’on est très attaché aux objets de haine (on y tient et on tient à les haïr), et l’on va donc s’attacher au sentiment d’impuissance…pour y entretenir une haine en dessous de ce sentiment.

Au contraire, il est nécessaire, pour traiter le sentiment d’impuissance, de lâcher immédiatement celui par lequel il est arrivé, en le considérant comme grammaticalement neutre, c’est-à-dire « comme simple instrument par lequel ce sentiment d’impuissance est arrivé ».

Les autres étapes du processus de traitement peuvent aussi poser des difficultés qui font que nous préférons souvent les occulter :

  • Recadrer le sentiment d’impuissance suivant ses incapacités ressenties (acte 2) risque de faire remonter l’étendue d’incapacités qu’on ne soupçonnait même pas ; mais celles-ci sont en soi, c’est-à-dire traitables par soi même, et non pas « chez l’autre » devant qui on est impuissant. Cette conversion de l’impuissance en incapacités bascule ainsi dans son propre camp la responsabilité d’y remédier.
  • Projeter, sans la juger, la liste des actions possibles et désirées est une épreuve, car nous n’y sommes pas habitués ; en général, nous sommes plus habitués à interrompre cette liste par des jugements péremptoires sur la « nature impossible » des options déployées par les actions ainsi désirées, et nous jugeons des options et actions désirées le plus souvent bien avant d’avoir ,non seulement examiné les options, mais bien parfois même avant d’avoir énoncé les options et actions envisagées.

« Non cela n’est pas possible » est appelé « l’interrupteur », qu’on appelle aussi en analyse transactionnelle le « Parent Jacasseur »,  celui qui interrompt à qui mieux mieux tous les processus laissant libre cours à l’imagination féconde pour aussitôt l’interrompre.

: « Non ce n’est pas possible parce que ceci, parce que cela.. », révélant d’ailleurs par là que l’impuissance apprise est aussi une « culture ».

Ce que Descartes appelait lui-même la « suspension du jugement » pour laisser place à une saine méditation, n’est pas notre première qualité, y compris et peut être surtout au Pays de Descartes.

  • Evidemment la théorie des micro-actions relève d’une micro économie plus usuelle sur le champ économique que sur le champ d’une psychologie sociale. Mais la difficulté principale ne réside pas là, quant à ce processus : c’est qu’elle va à contrario de la pensée générale, selon laquelle seul l’acte visible et final fait sens, et ce qui n’est pas de cet ordre n’est pas supposé faire sens. Or montrer qu’une action, c’est aussi la somme des micro actions invisibles qui lui donnent sens, par la promesse que chacune des micro-actions tient pour sa part, révèle aussi une part invisible de la parole, comme celle-ci : notre parole n’a de poids que si elle tend à être une micro action dans laquelle elle prend sens : les linguistes diraient alors que « tout énoncé est à ce titre performatif », c’est-à-dire que tout énoncé est déjà l’acte qu’il prétend dire.
  • Enfin il y a la question du Temps, que nous ne situons généralement pas dans nos pratiques comme le premier cadre essentiel à poser, en considérant « qu’il va de soi ».Or, concernant la question du sentiment d’impuissance, ce qui se doit d’être extrêmement bien « recadré », c’est justement le « Temps ». Pourquoi ? Parce que le sentiment d’impuissance est justement celui par lequel le cadre de l’avenir s’affaisse , et par lequel celui du présent se met en suspens, comme en point de suspension : intervenir pour combattre ce sentiment d’impuissance en restituant le cadre temporel d’un avenir « possible » à long terme, compatible avec un présent qui retrouve de l’immédiateté, ainsi qu’un moyen terme d’intermédiation entre les deux termes long et court, n’est pas accessoire, mais essentiel à ce sujet.

                                                           Que l’on ne s’y trompe pas, « le sentiment d’impuissance » ,particulièrement dans des organisations de travail, gagne chaque jour du terrain . il y a des raisons objectives au sein des organisations qui expliquent cette progression; dans ce contexte prendre les moyens pour savoir ne pas l’instiller au fond de soi devient une prescription de santé physique et mentale à savoir conserver pour chacun d’entre nous.

Thierry Ponsot

 les lecteurs intéressés par ce sujet peuvent lire sur ce site:

le sentiment d’impuissance au travail

 

 

 

 

 

Pôle Emploi, un pôle attracteur d’agressivité

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Relatons d’abord une petite saynète courante vue dans une file d’attente devant l’hôtesse d’accueil dans un Pôle Emploi de province.

Un monsieur, que nous appellerons monsieur Pressé, apostrophe l’hôtesse d’accueil d’un ton mécontent : il vient d’être convoqué par son conseiller Pole Emploi à une heure où il dit devoir travailler pour un employeur qui l’emploie de façon très intermittente, du jour au lendemain, et sans délai suffisant à l’avance pour communiquer à Pôle Emploi ses horaires.

L’hôtesse ainsi directement prise à partie, rétorque, à juste titre, qu’il est impossible pour le conseiller de lui téléphoner pour savoir s’il sera libre où non de se rendre à son rendez vous, car on conçoit bien que si tel devait être le cas, et vu le nombre de demandeurs que chaque conseiller doit suivre , le malheureux conseiller passerait son temps à négocier avec les uns et les autres des horaires de rendez vous et qu’il n’aurait plus guère le temps de se consacrer aux rendez vous eux-mêmes.

Monsieur Pressé lui, ne l’entend pas de cette oreille, et annonce haut et fort (pour que toutes les personnes présentes dans la file d’attente l’entendent bien) qu’il est inadmissible que « son conseiller » ne tienne aucun compte de ses nécessités à lui, et qu’il ne compte d’ailleurs pas sur lui pour l’aider en quoi que ce soit, et que Pôle Emploi est bien responsable « s’il y a autant de chômage en conséquence du fait que les conseillers ne sont pas à l’écoute des chômeurs ».

La banalité d’une telle scène est justement un indicateur qui nous permet de raisonner sur ce cas, sans devoir nous référer à des incidents bien plus graves.

Il nous en dit par ailleurs assez sur un contexte que souligne cette banalité : personne ne trouve à redire et pas même l’hôtesse d’accueil, sur la façon dont elle est interpellée ,sur la modalité agressive de cette interpellation, sur le fait qu’elle déborde du cadre de la relation entre l’hôtesse et Mr Pressé, pour « arroser » la file d’attente, d’ailleurs totalement amorphe.

On n’est même pas ici dans un cadre qui pourrait constituer, du moins juridiquement, une « agression » de type verbal et aucune injure n’est proférée ; c’est un  tableau courant sur lequel « personne ne trouve à redire ».

Pourtant le relevé des indicateurs dans cette scène et qui concernent les déplacements de « responsabilité », et surtout la vitesse à laquelle ils s’opèrent, en dit long sur ce qu’il en est de la position de cette institution qui « gère le chômage » et sur ce qu’elle représente comme défouloir aux yeux mêmes de ceux qui en relèvent.

  • D’abord il convient de noter que l’hôtesse d’accueil n’est pas le conseiller Pôle Emploi ayant suscité l’ire de Monsieur Pressé. Pourtant, elle est immédiatement identifiée à lui par monsieur Pressé, et il déverse directement sa colère sur elle, sans même prendre le détour de signifier qu’il ferait la distinction entre lui et elle, en indiquant par exemple « qu’il est surpris que son conseiller l’ait convoqué ce jour et qu’il se demande pourquoi » sur un ton aimable et posé et sans assimiler l’hôtesse au conseiller contre lequel il est mécontent.
  • Ainsi est aboli l’espace interpersonnel entre des personnes pour assimiler l’hôtesse et le conseiller « dans le même paquet ».
  • Ensuite, le non respect de la confidentialité délibérément induit par Monsieur Pressé qui interpelle la file d’attente, place immédiatement l’échange sur une scène modifiée, où ce n’est plus une personne qui parle à une autre personne, mais un « public » qui s’adresse, par la voix de Monsieur Pressé, à un « collectif indifférencié » qui est de fait « Pôle emploi ».
  • Certes le dit public ne participe nullement activement à l’échange, mais il est en quelque sorte pris en otage, car monsieur Pressé le prend implicitement à témoin, empêchant alors l’hôtesse de prendre d’autre moyen que celui d’une « réponse publique » à une demande individuelle et qui se devait pourtant de rester privée.
  • Enfin et bien sûr, la généralisation hâtive d’une contrariété ayant suscité une frustration pour Monsieur Pressé l’amenant à la condamnation généralisée de l’ensemble « Pôle Emploi » se fait à une vitesse sidérante, et retombe de façon inexorable et presque attendue sur « la responsabilité de Pôle Emploi » dans le fait du chômage, dont ce derniern’est pourtant que le gestionnaire, et non pas le responsable.

Pour ceux qui penseraient qu’il n’y a là rien de spécifique à cette scène et qu’elle ne traduit qu’un phénomène d’impolitesse banal et courant aujourd’hui, essayons de la transposer ailleurs pour voir,  par exemple entre un client dans une file d’attente devant une boulangerie et la vendeuse dans le magasin.

Imaginons le même Monsieur Pressé mécontent d’une baguette qu’on lui aurait vendu hier trop cuite :

  • Aurait-il pris ainsi la file d’attente comme témoin de son mécontentement ?
  • Aurait- il, avec la même vitesse, pris pour cible de sa colère « toutes les boulangeries de France où l’on ne vendrait que des baguettes trop cuites ? ».
  • La file prise à témoin serait elle restée amorphe et comme désabusée d’un spectacle si banal ?
  • Monsieur Pressé n’aurait il pas été retenu dans sa diatribe généralisatrice par la possibilité de l’intervention d’une personne dans la file, qui aurait pu lui dire qu’il exagérait quelque peu, et ainsi être retenu d’exprimer son mécontentement par une généralisation aussi hâtive qu’abusive devant tout un public?

La façon dont l’institution Pôle Emploi polarise ainsi, avec une célérité surprenante, la responsabilité « de tout ce qui ne va pas », et la façon indifférenciée dans lequel tout événement contrariant qui y survient est immédiatement projeté sous le chapeau de sa responsabilité générale, est quelque chose qui apparaît au contraire, « peu banal ».

D’autant qu’une once de réflexion, sans même rentrer dans des détails juridiques, fait bien voir de quel côté se trouverait la responsabilité réelle de l’ire éprouvée par monsieur Pressé : il est en effet étrange qu’un employeur ne respecte aucun délai de prévenance pour faire travailler ainsi son salarié « du jour au lendemain » quand cela lui chante, et l’on se demandera bien selon quelle convention collective applicable ce phénomène se trouverait-il rendu légal ? La loi en tous cas, elle, ne l’autorise sûrement pas.

L’institution  qui porte le poids du chômage ,Pôle Emploi, est ainsi désignée comme  responsable à priori , de manière indifférenciée  au nom de ce qu’elle gère : le chômage ; à charge pour elle de  s’en défendre . Mais justement, elle  s’en défend comme elle peut . Et l’énergie ainsi passée à se défendre, au jour le jour, personne ne dit jamais où ses agents pourront la récupérer !

Thierry Ponsot

 

 

 

 

 

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Méthodologie pour résoudre les problèmes professionnels

Ce n’est pas sans une certaine fierté que nous pensons que notre site irpforma constitue, de ce point de vue, une exception, en mettant les techniques et méthodologies habituellement réservées à une certaine élite dirigeante, au service des salariés .

 

Cet article aurait il seulement le mérite de rendre conscient de ce que les salariés perdent en ne procédant pas avec une méthodologie de résolution de problèmes pour tout ce qui touche aux problématiques professionnelles, que déjà nous en serions heureux !

Pour traiter de ce sujet on procèdera de la manière suivante

A)      D’abord en expliquant les principes qui fondent cette méthodologie

B)      Ensuite en indiquant les étapes indispensables de la méthodologie en l’illustrant par des exemples concrets

 

 

  • A)      Les principes de la méthodologie de résolution de problèmes

 

Les situations professionnelles délicates sont considérées comme autant de problèmes à résoudre, lesquels problèmes se manifestent par des signaux qui les signalent en tant que tels . Après avoir détecté ces signaux, il s’agit alors d’identifier les problèmes , d’en explorer la signification et d’en dégager les options ;

parmi les options offertes que l’on aura recensées, il s’agira  alors suivant des critères préétablis de choisir des solutions en pratiquant à leur hiérarchisation suivant des choix éclairés par ces critères.

 

Ces principes, tirés essentiellement de l’analyse transactionnelle et du tableau des méconnaissances, nous permettent d’en déduire les étapes de leur résolution

 

1°) avant de savoir quel est le problème à résoudre, il faut en détecter les signaux

2°) avant de résoudre le problème, il faut en explorer la signification

3°) avant de savoir quelles options choisir pour le solutionner, il faut les dégager toutes

4°) avant de choisir l’option ou les options retenues comme solutions, il faut en appliquer les critères qui sont :la faisabilité, l’efficacité et l’occurrence

Chaque fois que l’ordre de ce tableau n’est pas respecté, on s’expose alors à un type particulier de « méconnaissance » qui empêche que le problème posé ne soit en réalité solutionné.

B) Les étapes de la méthode

Etape 1 : les signaux

 

Un signal est un élément qui alerte sur un problème, encore faut il le détecter :

-en tant que signal

– en tant que signalant un problème

– en tant que signalant le « bon problème »

 

Par exemple le fait de ne pas détecter les signaux relatifs au problème posé peut amener à se tromper tout simplement de problème et/ou à ne pas voir le problème posé mais à en voir un autre.

Ceci pourrait paraître s’accorder au simple bon sens et pourtant : combien de salariés cherchent ils à résoudre un problème dont ils n’ont pas identifié les signaux ,par exemple, sans avoir détecté la récurrence d’une situation qu’ils traitent à chaque fois comme si elle se trouvait « inédite » ?

Détecter les situations semblables qui se rééditent fait partie des observations quant aux signaux qui permettent d’alerter sur le problème à résoudre.

La récurrence est donc un critère du signal ; repérer les signaux dysfonctionnels indique l’existence  d’un problème et permet surtout d’alerter sur le problème ; à défaut de repérer les indicateurs signalisant un problème ,il y a ce qu’on appelle « méconnaissance » : à l’instar du professeur qui, dans sa classe, ne voit pas à travers les signaux émis par ses élèves- bruit, chahut, somnolence- que ses élèves ne l’écoutent pas et qui continue tranquillement son cours, on peut dire que les signaux sont souvent peu perçus dans leur ensemble significatif, et quand les signaux ne sont pas perçus, le problème sur lequel ces signaux alertent est alors méconnu.

a)      Ainsi les accrochages et disputes récurrentes dans un service sont elles un signal qui alerte sur un problème qui est organisationnel et non pas inter-individuel, si et seulement si on saisit l’ensemble des disputes comme signal, et non pas seulement chacune d’entre elle comme un phénomène chaque fois isolé et seulement relatif aux individus, et dés lors renvoyé sur « le conflit de caractère entre les personnes».

b)      L’expression bien connue selon laquelle une telle situation serait due « à la mauvaise ambiance » est un refus de voir le problème et en aucun cas ne constitue sa reconnaissance; toute forme de déni du signal dénie le problème lui-même et ne va pas vers sa solution. De la même manière, renvoyer sur « la personnalité difficile » des uns ou des autres un problème communicationnel est une façon de ne pas avoir à le résoudre, et donc de le méconnaitre.

c)       Ceci peut paraître très évident, et pourtant le nombre de fois ou nous méconnaissons les problèmes par dénégation des signaux qui le signalent est vertigineux : chaque que nous renvoyons un problème sur le dos de la « personnalité » de ceux qui le portent en est un exemple flagrant : pour s’en rendre compte  c’est simple :à chaque fois qu’on croit avoir une solution et qu’elle renvoie sur le constat « c’est comme ça et on ne peut rien y changer » (c’est sa nature : il est ainsi !), c’est qu’il se sera trouvé qu’on aura « méconnu » le problème communicationnel réellement posé.

Etape 2: le problème

Les signaux détectés, notamment à travers leurs récurrences d’apparition, forment alors un énoncé qu’on peut cerner en tant que problème ; on remarquera que, jusqu’à présent à l’étape 2, on a pris soin de ne pas aller explorer le problème, encore moins a-t-on prétendu à lui trouver des solutions .

Cette « discipline »  consistant à respecter les étapes de la résolution de problème en est une à part entière ; dans la réalité on est souvent tenté de ne pas la respecter ; le lecteur pourra se fier à sa propre expérience et faire une rétrospective sur ce qu’il a connu, par exemple en terme de réunions où chacun y va de sa solution avant même d’avoir à cerner le problème posé, et avant même de l’avoir réellement exploré ou analysé.

L’accord pour déterminer l’énoncé du problème est déterminant pour l’explorer ou l’analyser ensuite. Passer du temps à son élaboration n’est jamais du temps perdu : prenons ces exemples

d)      Le problème est que… « dés que je prends une initiative, l’un ou l’autre finissent par me le reprocher, de même si je n’en prends pas »

e)      Le problème est que… « les objectifs à tenir sont hors de portée des moyens dont je dispose »

f)       Le problème est que… « je ne sais pas au juste ce qu’on attend de moi »

Même si, dans la plupart des cas, plusieurs problèmes peuvent être évoqués comme s’entrecroisant, l’effort à faire pour les énoncer de manière distincte est essentiel à cette étape, car les ramifications qui les entrecroisent vont ressortir de l’analyse ultérieure, et les entrecroiser dés le départ oblitère d’emblée ces résultats d’analyse.

La raison en est que l’énoncé du problème ne doit pas comporter d’analyse et un entrelac de « problèmes » est déjà une analyse …involontaire, la plupart du temps !

Exemple : si j’énonce ce problème «  je suis fatigué au travail, donc je fais des erreurs » ceci n’est pas un problème mais déjà son analyse ! parce qu’il est signifié alors que « parce que je suis fatigué au travail , donc je fais des erreurs ».

Or à l’étape 2 de l’énonciation des problèmes, il y a dans cet exemple, deux problèmes

a)      Je suis fatigué au travail (je l’ai repéré à de multiples signaux)

b)      Je fais des erreurs au travail (je l’ai repéré à de multiples signaux)

 

Si l’analyste n’est pas sûr de l’énoncé d’un problème, son meilleur repère sera de poser la question suivante au salarié :

« Comment l’as-tu vérifié ? », obligeant ainsi le salarié à donner les signaux lui ayant signalé le problème

 

3) Etape 3 : l’exploration ou l’analyse du problème

 

a)      Cette étape ne comporte encore et surtout, aucune option, et encore moins de solutions, mais consiste en une exploration des différentes significations du problème énoncé.

b)      Pour ne pas se perdre dans cette phase et pour être néanmoins sûr de ne pas envisager le problème sous un angle trop restrictif, nous recommandons de la distinguer par niveaux : suivant le type d’entreprise ou d’établissement, on peut opérer sur 3 ou 4 niveaux

1-Le niveau individuel ou interpersonnel

2-Le niveau organisationnel du service

3-Le niveau organisationnel de l’entreprise ou de l’établissement

4-Le  niveau historique et culturel propre à l’entreprise ou à l’établissement

Eventuellement pour un établissement petit, et notamment pour des établissements qui ne comptent pas plusieurs services, les niveaux 2 et 3 peuvent être confondus.

Au niveau 1, on explore du problème identifié ce qui va toucher à l’individu, à sa relation à l’autre ou aux autres qui sont inclus dans la problématique sur laquelle on travaille.

Au niveau 2, on s’intéresse à ce qui touche les interactions entre services, en lien avec les objectifs fixés à chacun; cette dimension est déjà de type organisationnelle et psychosociologique et peut, par exemple, faire appel à de la sociométrie pour voir le réseau relationnel dans lequel est inséré le salarié porteur du problème.

Au niveau 3 démarre l’analyse plus institutionnelle, comme par exemple celle relative à la présence et à l’action des différentes instances représentatives du personnel (CE,CHSCT,DP), groupes qualité, COPIL, etc… en lien au problème posé.

Au niveau 4 est intégré l’historique du problème dans l’entreprise, l’historique aussi de la constitution des métiers et des tâches dans l’Etablissement, la représentation que la culture de l’entreprise ou de l’Etablissement donne de ces métiers, tâches et fonctions , tout ceci bien sûr, en lien au problème posé.

 

Cette exploration systématique aboutit à des analyses qui vont alors recouper des problématiques qui peuvent ,pour certaines, être anciennes et récurrentes et aussi qui vont se trouver totalement inattendues par le salarié, en général confiné au niveau 1.

 

La « signification » du problème ainsi exploré de façon la plus exhaustive possible dégage alors par elle-même quantité d’options, c’est-à-dire de choix optionnels qui ne sont pas encore des « solutions », mais qu’il faut cependant dégager de façon, là aussi, la plus exhaustive possible.

 

Inutile de dire que certaines d’entre ces options pourront apparaitre totalement inattendues à priori, ce qui montre bien l’efficacité d’une telle méthodologie à faire apparaitre des options inédites.

 

–          Ainsi peut-on découvrir que tel type de conflit entre 2 personnes, par exemple, a pu avoir comme une de ses origines le fait qu’une de ces deux personnes appartient à un service qui a été adopté à contre cœur par l’entreprise et repris d’une ancienne société depuis peu  absorbée.

S’expliquer sur les conditions ayant prévalu lors de cette absorption et redéfinir l’utilité actuelle du service aux yeux de toute l’entreprise devient alors une des options de la résolution de conflit interpersonnel !

–          Ainsi peut on découvrir qu’une certaine répartition des tâches , à priori peu rationnelle du point de vue de ceux qui les exécutent, peut avoir comme origine une répartition des tâches au sommet de l’entreprise qui implique un ancien actionnaire de l ‘entreprise à qui a été un moment attribué une « fonction honorifique fictive », et qui est mort depuis, mais dont le découpage des tâches qui s’en est suivi continue de perdurer : d’où l’organisation du travail qui fait se chevaucher des services peu occupés et des services sur occupés, entre lesquels le conflit sous jacent s’avère permanent, mais éclate sur « tout nouvel embauché » qui rejoint le service peu occupé. Le malheureux salarié victime nouvellement embauché, n’ayant aucune conscience de ces enjeux, va évidemment croire qu’il est personnellement en cause et se figurer que ce qu’il subit n’a qu’un sens relatif aux personnes avec lesquels il se retrouve en situation dés lors conflictuelle !

Redécouper les tâches à partir de ce constat devient alors une option pour la résolution de conflit qui touche les salariés nouvellement embauchés dans les services « peu occupés ».

–          Ainsi peut on découvrir qu’un certain prestige est attaché à certaines fonctions dans une entreprise et au contraire ,une certaine dévalorisation s’attache à d’autres, et ce de manière inverse parfois d’un Etablissement à l’autre: ici ce sont les médecins qui vont être dévalorisés , là bas ce seront les psychologues, ou l’inverse, ailleurs encore la culture impose « que tout le monde fasse un peu tout » et que notamment tous les personnels participent au travail éducatif d’animation cependant que là bas, ce sera très mal vu et « réservé aux éducateurs diplômés »

Revoir à partir de là , dans une discussion sécurisée par un cadre juridique comme le droit d’expression des salariés ,la place de chaque métier dans l’établissement ou  dans l’entreprise devient alors une des options pour résoudre un mal être lié aux personnes « qui se sentent dévalorisés quoiqu’ils fassent »

Etape 4 :    Dégager les options

–          Une fois la phase d’exploration  achevée, alors on peut dégager toutes les options : cette phase est souvent sabotée pour la raison suivante : certaines options paraissent d’emblée préférables à d’autres et donc, on élimine d’emblée les autres et on a bien tort : on se prive ainsi d’une liberté d’envisager  tout (y compris ce à quoi on ne croit pas !) et qui pourra être utile ensuite dans la phase ultérieure !

–          D’une manière générale disons le : beaucoup de managers en France ne savent pas donner les permissions nécessaires pour aborder l’exploration des options, tellement ils sont persuadés « d’avoir la bonne solution » et qu’on ne leur parle pas des autres : ils se privent alors de ressources fondamentales, ne serait ce que pour se donner la peine, très pédagogique, d’expliquer ensuite pourquoi ils retiennent telle option plutôt que telle autre ; ils pourraient alors réaliser que l’option qu’ils défendent n’est pas si évidemment la « meilleure », tandis que celle qu’ils récusent pourrait être intéressante à creuser un peu plus ?

–          Les options dégagées ne sont pas des solutions et n’ont pas à être critiquées notamment du point de vue de l’occurrence de succès, de l’efficacité et de la faisabilité ; ceci sera l’objet d’une étape ultérieure ; les options doivent être recensées à partir des analyses menées ; la discussion autour des options amène à les préciser (comment on s’y prend pour les rendre effectives) voire à en amalgamer certaines, mais pas à les juger en tant que telles, dés l’instant où elles sont suffisamment clarifiées et faisables en théorie

–          Ne pas éliminer d’options en route est un gage d’efficacité générale de la méthode de résolution de problème et permet à l’imagination de se donner libre cours dans le cadre d’un problème bien posé, et évite de retomber dans le fil des solutions déjà envisagées et qui n’ont jamais abouti.

Etape 5 : ordonner les options et classer les solutions

–          Une fois seulement que l’ensemble des options a pu émerger, on peut alors ordonner les solutions proposées en retenant et en combinant les options

–          Pour ce faire on retiendra essentiellement 3 critères

  1. La faisabilité : l’aspect facile de la mise en œuvre de la solution et l’aspect rapide de sa mise en œuvre jouent dans le terme de faisabilité.
  2. L’efficacité de la solution : jouent alors son aspect pérenne et son aspect de fiabilité, c’est-à-dire son aptitude à résoudre le problème sur le fond et son aspect de solution définitive
  3. Enfin un critère d’opportunité : joue alors la question de savoir si la solution arrive au bon moment ou si elle ne serait pas prématurée pour l’instant, ainsi que l’évaluation de ses chances de succès

 

En classant ainsi les solutions envisagées et en les combinant suivant ces critères, on peut tout à fait aboutir à un diagramme de ce type, en imaginant qu’on ait trouvé 7types d’options:A ;B ;C ;D ;E ;F ;G

 

1er choix de solution (la meilleure) : Mise en œuvre de l’option A puis  G ou F dans deux mois (solution la plus efficace et la plus faisable)

Sinon,

2ème choix : Mise en œuvre de l’option B puis  G et E, puis C si B ne fonctionne pas ( aussi efficace mais plus difficile et donc moins faisable)

Sinon,

3ème choix : Mise en œuvre des options D,F,E en même temps, et A ensuite (moins efficace parce que moins pérenne, mais plus opportune parce qu’ayant plus de chance de succès)

Les « coktails »d’options, ainsi reliées les unes aux autres, permettent de vrais choix éclairés par tous les niveaux où le problème a réellement été exploré, avec le minimum de « méconnaissance ».

C’est à cette étape qu’on se rend compte combien a été important de respecter toutes les étapes, sans les faire interférer les unes dans les autres.

Par ailleurs, ce travail est en lui-même un excellent moyen de se sortir du « sentiment d’impuissance » qui gangrène petit à petit les salariés dans le monde du travail.

Tableau de synthèse- critères des solutions

faisabilité facile rapide
efficacité fiable pérenne
opportunité Chance de succès Bon moment

 

Cet outil méthodologique qui est des plus pertinents à la résolution de problèmes est cependant peu mis en œuvre, car il nécessite à chaque étape une forme de patience que nos habitudes culturelles liées au culte de l’immédiateté n’encouragent guère plus

–          Patience à repérer les signaux sans idée préconçue et à les repérer comme signalant un problème (question à se poser : à quel signal voyez vous que…..ce problème se pose ?)

–          Patience à formuler l’énoncé du problème sans y mêler déjà de l’analyse.

–          Patience à explorer la signification du problème sans s’arrêter à la première venue

–          Patience à dégager les options sans jugement à priori sur leurs pertinences (même celles auxquelles on ne croit pas)

–          Patience à combiner les solutions en fonction des options et à les hiérarchiser selon leur ordre de préférence et à ne pas s’arrêter à « une seule solution »

 

 

Les salariés désireux de bénéficier de cet apport méthodologique d’irpforma peuvent se référer à la page spécifique consacrée aux prestations pour les salariés pour être accompagnés et soutenus dans ce type d’analyse de leurs cas individuels

 

salariés: comment échapper au harcèlement moral?

Stratégies individuelles de prévention du salarié pour échapper au harcèlement moral

 Outre les dispositifs collectifs de prévention des risques psycho- sociaux , dont le harcèlement moral, qui sont l’objet de nombreux articles sur ce site, quelles stratégies le salarié peut il lui-même mettre en place pour éviter ce risque spécifique de harcèlement moral, ou du moins réduire ce risque ?

Voilà la question qui sera traitée ici:

 Comment éviter d’être la cible d’un harcèlement ?

autrement dit comment faire de la prévention à usage du salarié, qui se prévient lui_même ainsi contre toute attaque de ce type

Tout d’abord rappelons le champ de définition du harcèlement moral , en le limitant clairement : un différent avec des collègues, une incompatibilité d’humeur, une altercation, même fréquente avec l’un ou l’autre collègue ou hiérarque, ne constituent pas ipso facto des faits constitutifs de harcèlement moral.

De même, le fait de subir une altération de sa santé, de ne pas obtenir de promotion, de se sentir en difficulté professionnelle, ne suffisent pas non plus à qualifier un harcèlement moral,  même si cela en constitue des effets possibles parmi d’autres.

Pour qu’il y ait « harcèlement moral » il faut (selon la Loi, article L1152-1 Code du Travail)

a)      Des agissements répétés…

b)      Qui ont pour objet ou pour effets…

c)       Une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel

Ce qui est important dans cette définition, c’est à travers l’expression « ayant pour objet ou pour effet » de bien comprendre que c’est la logique  entre faits et effets qui qualifie les faits sous le registre du harcèlement moral .

Par ailleurs plus ce lien logique est établi entre les agissements  répétés du harceleur et ses effets, et plus le harcèlement est ainsi qualifiable de harcèlement.

Sur le plan juridique, les Cours de justice, pour qualifier le harcèlement moral, procèdent donc ainsi : si elles identifient, grâce à des constats relevés par le plaignant que les « agissements répétés » n’ont aucune raison objective d’être, et que les conséquences qui s’ensuivent  sont bien ceux décrits par la Loi (atteinte aux droits et à la dignité, ou d’altérer la santé, ou de compromettre l’avenir professionnel), alors elles en déduisent qu’il s’agit donc… d’un harcèlement moral.

C’est ainsi par exemple qu’une cour a pu juger (Ch soc.27/10/2004.)

« Constituent des faits caractéristiques de harcèlement moral, de par leur conjonction et leur répétition, le retrait sans motif à une salariée de son téléphone portable professionnel, l’instauration d’une obligation nouvelle et  sans  justification  de  se  présenter  au  bureau  de  sa  supérieure hiérarchique, de l’attribution de tâches sans rapport avec ses fonctions, faits générateurs d’un état dépressif médicalement constaté, nécessitant des  arrêts  de  travail,  la  conjonction  et  la  répétition  de  ces  faits constituant un harcèlement moral. »

La logique entre les faits et les effets est ici clairement indiquée par la Cour : les « agissements » sont constitutifs de harcèlement moral parce que rien d’objectif ne les justifie de la part du supérieur hiérarchique.

Cette situation est rendue possible parce que le harcèlement a conduit la salariée à s’isoler de plus en plus dans un tête à tête nocif avec sa supérieure , sans recours autre que d’être alors livrée à son arbitraire.

Ceci nous conduit alors à entrevoir le but que peut se proposer une stratégie anti harcèlement pour le salarié : casser le lien logique entre les « agissements répétés » et les effets qui s’ensuivent.

En général que font la plupart des salariés soumis aux effets de harcèlement ? Ils « dénoncent les agissements » qui selon eux, en seraient les causes, mais la plupart du temps ils ne pensent tout simplement pas  à se retirer des situations qui les occasionnent.

Quelles sont les situations qui génèrent les effets du harcèlement, étant donnés les « agissements répétés » du harceleur ?

Essentiellement une, que l’on peut regrouper sous un seul terme, qui est la situation d’isolement du salarié

Que le harceleur le fasse de façon délibérée ou non , on réalise qu’un harcèlement moral est un processus d’isolement du salarié, soit qu’il s’appuie sur cet isolement, soit qu’il le créé de façon artificielle

Bien sûr cet isolement peut prendre des aspects très différents : il n’empêche que :

« Plus le salarié est isolé,et plus il est susceptible de subir les effets d’agissements répétés qui vont entraîner les conséquences indiquées par la loi, et cela toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire quelque soit la nature des agissements et celle de leur auteur»

Nous pouvons donc entrevoir la première bonne question à se poser pour un salarié qui se sent menacé ou victime de ce type de fait ou d’agissement harcelant ; elle est très exactement celle-ci :

«  En quoi suis-je suffisamment isolé pour que de tels agissements produisent de tels effets pour moi ? »

Que le salarié lisant cet article s’arrête bien sur la question : la question n’est pas « est ce que je suis isolé ou non ?», la question est bien :

« En quoi suis-je suffisamment  isolé ? »

Ce sera sûrement une question surprenante pour beaucoup .. .« Mais je ne suis pas isolé, je vois pourtant des collègues tous les jours et je leur parle ! »

Et pourtant il existe tant de façons d’être « isolé » en se croyant entouré ! Un petit test ?

Répondez alors à ces cinq questions :

1°) Pouvez vous discuter de vos difficultés au travail avec au moins deux collègues sans être jugé personnellement, évalué, ou alors sans être totalement incompris?

2) Est il facile et sans risque pour vous de demander de l’aide ou du conseil dans votre travail ?

3) Vos horaires  et ses aménagements vous permettent ils d’intégrer facilement votre communauté de travail comme vous le souhaitez ?

4) Avez-vous la possibilité de changer ou de faire changer les conditions de votre travail, l’organisation de vos tâches, en vous appuyant sur des collègues ou des élus du personnel ?

5) Avez-vous plusieurs interlocuteurs décisifs pour  déterminer les contenus de votre travail et ses conditions, (ou en avez-vous un seul et aucun recours face à lui) ?

Si vous avez répondu oui aux 5 questions, il y a de bonnes chances que vous ne soyez pas isolé

Si vous avez répondu oui à 4 questions, votre isolement n’est pas encore problématique

Si vous avez répondu oui à seulement 2 ou 3 questions, vous êtes plus isolé que vous ne le pensiez sans doute.

Si vous n’avez répondu oui qu’à une question, ou à aucune question, ne cherchez pas : vous êtes en fait  isolé, que vous l’ayez su ou non en abordant ce questionnaire !

L’isolement n’est donc pas  comparable à ce qu’on nomme généralement « solitude », car la solitude peut être choisie, elle manifeste une attitude personnelle de distanciation par rapport à l’environnement, tandis que l’isolement est une coupure du lien à l’environnement qui ne permet plus au salarié d’accéder à ses ressources, et dont l’intéressé lui même peut ne pas être conscient.

L’isolement n’est pas seulement apparent, il peut être profond, voire interne, on dira alors qu’il peut s’agir d’un isolement « psychique ».

L’isolement n’est pas que psychique, il peut être aussi social.

L’important est de mesurer cet isolement en partant des tâches dévolues  et de leurs conditions d’exécution, et de comprendre ainsi comment cet isolement se répercute du niveau psychique au niveau social, et réciproquement ;

Comment l’isolement prend-il alors effet dans une situation « organisationnelle » , c’est-à-dire comment cet isolement fait-il écho dans l’organisation du travail ?

Certaines questions organisationnelles  font écho à l’isolement du salarié :

a)      L’organisation du travail dans laquelle s’insère le salarié favorise-t-elle l’approche coopérative des salariés, ou favorise- t- elle la concurrence entre eux ?

b)      Quels sont les moyens à disposition du salarié pour discuter du travail, réguler les tâches, arbitrer ou médiatiser les conflits qui peuvent en émerger ?

c) quel soutien le salarié peut-il attendre de ses collègues hiérarques ou subordonnés en cas de difficultés au travail?

CHSCT-conditions-de t 7Bis

  • Si la réponse à ces trois questions signifie que le salarié ne dispose d’aucun soutien de la part d’autres salariés, collègues ou hiérarques, que la situation qui prévaut dans l’entreprise ou l’organisation, est plus celle de la concurrence  entre salariés que la coopération , qu’il ne peut disposer d’espace suffisamment protégé (comme par exemple de l’appui des délégués du personnel) ou sécurisant  pour réguler ou arbitrer les conflits qui naissent des tâches à exécuter,  alors cela signifie que le salarié, est de fait, objectivement isolé.

Dans le contexte organisationnel qui favorise son isolement, le salarié est donc « très exposé »  aux risques psychosociaux en général, et au harcèlement moral en particulier, qui est un de ces risques psychosociaux.

  • Comment le salarié peut il alors procéder pour mettre fin à son isolement qui le rend susceptible d’être victime de harcèlement ?

La méthode que nous préconisons est en fait tirée de « l’arbre des causes » , c’est-à-dire de la méthode permettant le recensement systématisé des causes qui occasionnent l’isolement du salarié.

En rompant cet isolement, le salarié ne se met plus en situation d’être harcelé par un quelconque harceleur et ce, quels que soient ses agissements.

Cette investigation  étant plutôt à priori peu aisée car de nombreuses causes sont en jeu, on recommandera de les organiser d’abord par niveaux.

Dans une situation classique on peut à priori distinguer 4 niveaux

  • Niveau 1 : moi et la personne qui « me harcèle »
  • Niveau 2 : mon service /et ou mes collègues proches
  • Niveau 3 : le contexte de l’organisation des services internes
  • Niveau 4 : le contexte de l’Etablissement ou de l’Entreprise, de sa culture et de son histoire

En général la plupart des interrogations auxquelles d’arrêtent les salariés victimes ne dépassent guère le niveau 1 et cela s’explique : ils sont « obsédés » par la personne, voir par la personnalité du harceleur ; mais le harceleur n’est qu’un rouage dans un système (dont il peut être aussi victime par ailleurs) et qui, s’il ne pouvait « isoler sa proie » ,ne serait pas en mesure de la « harceler ».

Pour mettre fin à ce face à face traumatisant, nous rappelons que dans la plupart des entreprises de plus de onze salariés, il existe des délégués du personnel: ils sont idéalement placés pour aider le salarié confronté au risque psychosocial, non seulement pour ne plus se sentir isolé ,mais en plus pour l’aider à analyser sa propre situation selon la logique des niveaux que nous suggérons ici.

Les conditions  repérables à ce niveau cernent très exactement la question suivante

«  Qu’est ce qui fait que moi, salarié, je suis isolé par rapport au harceleur et comment sortir de cet isolement ? »

C’est pourquoi le conseil que certains bons conseilleurs , plein de bonne volonté sans doute, adressent généralement dans ce cas avec toutes les meilleures intentions du Monde (et l’Enfer est pavé de bonnes intentions) conseillant à la victime « de parler en face à face avec le harceleur » sont en fait très nocifs ,puisque cela renforce le tête à tête isolant la victime face au harceleur qui le tient alors un peu plus comme sa proie.

Au contraire, la victime , à ce niveau 1, doit se poser la question de savoir quels sont les moyens à sa disposition pour rompre le « tête à tête nocif » qui l’isole ainsi face au harceleur.

Là où l’ensemble de la situation d’isolement est impliquée au niveau 1, une seule interrogation ne suffit pas ; la technique de « l’arbre des causes » permettra de les recenser toutes :

  1. Par exemple en se posant la question statutaire du rapport entre le harceleur et le harcelé (est il mon supérieur hiérarchique ? A-t-il à m’évaluer ? A-t-il à me noter ?)
  2. Par exemple en posant la question de l’espace de travail partagé:  (Dois-je le « croiser » sans cesse ?)
  3. Par exemple en posant la question du face à face (Dans quelle mesure la tâche à effectuer nécessite que je le rencontre seul ?)
  4. Par exemple en posant la question du soutien que peuvent lui apporter d’autres collègues pour intervenir et briser le « tête à tête » avec le harceleur

Une fois recensées ainsi toutes les causes possibles de niveau 1 susceptible de créer l’isolement favorable au harcèlement et qui sont ses conditions nécessaires, les options, c’est-à-dire les moyens de solution, vont apparaître du même coup :

-Par exemple on va s’apercevoir que le fait de déposséder même partiellement le harceleur de son pouvoir d’évaluation, ou de notation, au profit d’un hiérarque supérieur à lui, va le « priver » d’une partie de son pouvoir de harceler.

-Par exemple on pourra s’apercevoir qu’en provoquant un léger décalage d’horaires, au lieu de croiser le harceleur 20 fois par jour, la victime ne le croise plus qu’une fois dans la journée.

– Par exemple on pourra voir que certaines tâches actuellement effectuées sous le regard exclusif du harceleur peuvent s’effectuer en présence d’un tiers , voir en présence d’un supérieur hiérarchique situé plus haut que le harceleur.

La liste n’est ici évidemment pas exhaustive

 

Au niveau 2 , c’est-à-dire à celui de l’organisation du service dans lequel travaille le salarié, d’autres causes nécessaires à l’isolement du salarié apparaissent encore

–          ce peut être la compartimentation des tâches qui laisse chacun isolé face à la même personne : dans ce cas la recomposition des tâches au sein d’un collectif s’avère être une des réponses (inattendue et simple) à un problème dont sinon on se serait contenter de penser qu’il ne s’agissait « que d’un problème de personnes ».

–          la reconstitution spatiale des espaces de travail au sein du service peut aussi être de cet ordre de solutions « niveau 2 » , afin d’éviter d’isoler le harceleur face à sa victime.

–          la redéfinition des tâches qui amènerait à une interaction non exclusive entre harceleur et harcelé est aussi de cet ordre de solutions.

Le cadre dans lequel la situation confronterait le harceleur présumé à un service entier appelle alors cette réflexion : dans ce cas, il serait vain d’agir au niveau 2, il faut se reporter au niveau 3 directement, c’est-à-dire celui de l’organisation du travail en interne.

 

Le type de solutions niveau 3

Au niveau 3, les questions à se poser et qui envisagent toutes les conditions de l’isolement sont plus organisationnelles et stratégiques .

Comme on l’ a déjà à de nombreuses reprises exploré sur ce site, le rôle essentiel des CHSCT pour les entreprises qui ont la chance d’en posséder un, est alors déterminant sur le plan de la prévention du harcèlement.

Au niveau 3 le salarié doit pouvoir recenser les moyens que lui donne l’environnement organisationnel pour combattre son isolement ; parmi ces moyens, on relèvera:

  1. les moyens qu’il a de s’exprimer dans un cadre juridiquement protégé où son expression , notamment sur ses conditions de travail, n’est pas susceptible de faire l’objet de sanctions ,et bien sûr dans le cadre par exemple d’un dispositif « droit d’expression ,Lois Auroux ». Autrement dit il a là un certain nombre de moyens pour que sa parole soit entendue et ne souffre plus d’isolement
  1. la possibilité qu’il a d’utiliser un réseau de médiateurs (qu’aura pu préconiser le CHSCT) en s’appuyant notamment sur le dispositif de loi de l’article L 1152-6 du code du travail

L1152-6 :« une procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause.. »

Le salarié trouvera là par exemple l’occasion de ne plus être enfermé dans un tête à tête ,mais de faire appel à un tiers médiateur institutionnalisé.

  1. il a des moyens de toucher à l’organisation du  travail, à travers le CE par exemple, qui est compétent en cette matière, pour faire préconiser des mesures qui vont, en organisant différemment les strates et les niveaux d’interaction des services, ne plus permettre l’isolement fatal d’un service ou d’un hiérarque envers un ou des salariés

 

  1. il a aussi les moyens à ce niveau de demander à ce que ses tâches soient recomposées de manière à ce qu’il puisse s’appuyer sur des ressources plus diversifiées et qui lui fassent quitter au moins partiellement le sentiment d’enfermement et de bulle dans laquelle la situation d’isolement le plonge : recenser ces moyens, c’est recenser les possibles échappatoires à rester isolé dans la situation problématique . Ce peut être par exemple de faire partie d’un COPIL ou bien , participer à un groupe « qualité »

 

Enfin le niveau 4 de l’exploration fait apparaître une dimension particulière de la problématique d’isolement et qui, à notre connaissance est peu analysée en tant que tel ; c’est un niveau où vont être en jeu l’histoire et /ou la culture de l’entreprise ,un niveau que l’on pourrait donner comme « diachronique », alors que les trois premiers niveaux restent ,la plupart du temps, « synchroniques ».

 

Niveau 4 : questions d’entreprise et de culture

Les tensions inhérentes aux valeurs internes de l’entreprise peuvent laisser place à des paradoxes ; ces paradoxes se répercutent ensuite jusqu’ au « dernier échelon » de la hiérarchie, et ceux qui en subissent les conséquences se sentent parfois isolés face à une problématique insoluble.

A ce niveau(4) et de ce point de vue , il faut bien comprendre une chose : harceleurs et harcelés potentiels sont dans le même « bateau » et sont tous « victimes » , bien que l’un puisse apparaitre au niveau 1 comme « seulement persécuteur » et l’autre comme victime.

Pour détecter les problématiques de ce niveau 4, nous suggérons  les questions suivantes pour le salarié

–          Est ce vraiment la première fois qu’à votre poste de travail, des tensions interpersonnelles se soient manifestées ?  Que s’est il passé pour le titulaire de ce poste avant vous ?

–          Quels sont le pouvoir et l’autorité réelle de votre fonction par rapport aux objectifs fixés ?

–          Votre poste de travail est il une création récente et quels problèmes sa création était elle censée résoudre ? Quelles bonnes raisons y a –t-il pour que ces problèmes ne soient jamais résolus, mais pour que la responsabilité vous en soit quand même attribuée ?

–          Qui, à votre embauche , s’est opposé à elle et pourquoi ? Qu’en est-il aujourd’hui ?quels obstacles avez-vous dû alors rencontrer ?

–          A quelle catégorie, fonction, métier ,appartenez vous et comment est considérée, dans l’histoire de l’entreprise ou de l’établissement, cette catégorie, fonction ou métier ?

La liste des questions au niveau 4 n’est bien sûr pas limitative, mais l’idée en est d’interroger l’historique et le culturel de l’entreprise afin de déceler les indices d’un « héritage » qui pourrait être à l’origine de l’isolement qui rend propice le harcèlement dont vous êtes menacé.

Une fois ce travail d’élaboration effectué, les « options » paraîtront ici évidentes au moins théoriquement.Il ne restera plus alors qu’à en déduire les solutions en les hiérarchisant suivant des critères de fiabilité, d’efficacité et d’opportunité

Vous devez faire en sorte que tous ces enjeux de type « inconscients » ne le soient plus, et les faire émerger par les moyens dont vous pouvez disposer: il est impossible que cela n’ait aucun effet, car ce qui est dit est dit, et rien ne sera plus comme avant où l’on pouvait faire semblant de les ignorer.

Restera alors à choisir le cadre adéquat pour les énoncer clairement et sans risque pour vous (groupe d’expression, par exemple).

On le voit ce ne sont pas les questions qui manquent à chaque niveau pour explorer « l’arbre ses causes » qui mène à l’isolement propice au harcèlement moral.

On remarquera l’importance qu’i y a d’adopter une méthode d’analyse à ce propos qui tente ici de recouper un faisceau de causes, et donc d’options d’actions qui peuvent aboutir .

Faute de méthode et d’analyse à ce sujet que se passe-t-il le plus souvent dans ce type d’affaire ?

Le salarié s’enfonce alors tête baissée dans le niveau 1 et s’obnubile sur la personne ou  la personnalité du « harceleur » : double erreur fatale qui conduit à l’impuissance :

– Erreur parce qu’il renforce ainsi involontairement son isolement face au harceleur

–  Erreur parce qu’il n’a pas le pouvoir de changer la personnalité de qui que ce soit, pas plus celle du harceleur que celle de quiconque

–         Rappelons par ailleurs que que la sanction du harceleur est effectivement de la seule responsabilté de l’employeur et ne résout rien de sa problématique d’isolement ayant rendu le harcèlement possible.

Si le harceleur est sanctionné, très bien et tant mieux, mais qu’est ce qui fera que, demain matin, son digne successeur ne vienne frapper à votre porte ?

 

 

les salariés concernés et qui souhaiteraient bénéficier d’un appui méthodologique et d’un accompagnement  irpforma  peuvent se reporter sur cette page:

salariés sous l’effet des risques psycho sociaux

pour mieux appréhender nos méthodologies vous pouvez lire cet article sur ce site:

salariés: méthode pour résoudre vos problèmes professionnels

élus CHSCT: mesurez vos connaissances!

diapos gal droit

 

 

Elus CHSCT : testez vos connaissances !

 

5domaines    :

1°)Droit et prérogatives du CHSCT

2°)Prévention et Analyse des situations de travail

3°) Accidents du travail et maladie professionnelle

4°) Risques psychosociaux

5°) Liens avec les autres instances représentatives du personnel (DP,CE, DS)

 

Indiquez si selon vous, ces propositions sont vraies ou fausses

 

Barême : Bonne réponse :     = +1

               Mauvaise réponse : = -1pt

                        Ne sait pas :     =  0pt

 

VRAI ou FAUX?

 

 

1)  droits et prérogatives du CHSCT

 

a) Les CHSCT  peuvent  proposer un changement dans les priorités du programme annuel

b) Tous les chefs de service intéressés qui le souhaitent peuvent être invités de droit au CHSCT

c) Le CHSCT a le pouvoir de saisir la justice pour la défense de ses intérêts directs

d) Le CHSCT peut décider de ses visites d’inspection et attribuer les rôles de chacun des membres lors de ses visites

e) Deux membres élus du CHSCT peuvent provoquer une réunion du CHSCT s’ils en motivent la demande.

 

2) Prévention et Analyse des situations de travail

 

a) Protéger les salariés d’un risque, c’est faire de la prévention primaire

b) L’employeur qui met à disposition les moyens nécessaires pour  protéger les salariés d’un risque satisfait à son obligation de sécurité.

c) C’est le rôle d’un membre du CHSCT de veiller à ce que les salariés respectent les consignes de sécurité.

d) Le CHSCT peut analyser un poste de travail et demander la liste des modifications qui lui ont été apportés ainsi que les raisons des choix ayant prévalu à ces modifications.

e) Le CHSCT peut vérifier la formation à la sécurité des salariés présents sur les postes de travail et relever des manquements éventuels à cette formation.

 

3°) Accidents du travail et maladie professionnelle

a) En cas d’accident du travail suite au refus par l’employeur de retirer un salarié d’une situation de danger grave et imminent dont il a été alerté par le CHSCT dans le cadre d’un droit d’alerte, la faute inexcusable sera d’office retenue contre l’employeur.

b) L’employeur peut contester qu’un accident soit reconnu comme accident de travail

c) le CHSCT ne peut enquêter que sur les accidents graves

d) Une maladie non inscrite au tableau des maladies professionnelles ne peut être jugée à caractère professionnel

e) Si l’inspecteur du travail ou le procureur de la République fait une enquête sur un accident de travail, le CHSCT ne peut pas faire la sienne en sus.

 

 

 

4°) Risques psychosociaux

 

a) Le stress au travail n’est pas un risque psychosocial parce qu’il est normal d’être stressé au travail

b) Un salarié qui se plaint de harcèlement moral doit en apporter la preuve

c) Le CHSCT enquête en cas de harcèlement moral pour trouver le coupable.

d) L’évaluation des risques dans le document unique doit tenir compte des risques psychosociaux

e) La seule action de prévention possible  dans l’entreprise ou l’Etablissement contre les violences est de protéger les salariés des agresseurs potentiels.

 

5°) Liens avec les autres instances représentatives du personnel

 

 a) C’est la mission du CHSCT d’accompagner les salariés qui déposent une plainte en matière d’hygiène sécurité

b) Le CE peut missionner le CHSCT.

c) Le CHSCT peut organiser les délégués du personnel en réseau d’alerte de prévention contre les risques psychosociaux.

d) Le CE peut créer une commission conditions de travail dans laquelle il peut intégrer des membres CHSCT et DP.

e) Le CHSCT peut demander aux délégués syndicaux de négocier un accord d’entreprise sur son rôle en matière d’évaluation des risques.

 

 

 

 

                               REPONSES

 

 

1°) Droits et prérogatives du CHSCT

 

a) Les CHSCT peuvent proposer les priorités du programme annuel (hygiène et sécurité)

 Vrai : cette possibilité énoncée à l’article L4612-17CT  de proposer l’ordre des priorités du programme annuel est peu utilisée, ce qui conduit souvent à ce que les priorités d’action ne soient pas effectivement celles du CHSCT, mais celles de l’employeur.

 

 b) Tous les chefs de service intéressés  qui le souhaitent peuvent être invités de droit au CHSCT

 

  Faux : le CHSCT n’est pas ouvert à tous, comme on le voit parfois pratiquer dans certains CHSCT ,ce qui a pour effet de noyer les élus sous une masse de personnes appartenant à la hiérarchie de l’entreprise.

L’article L4612-8-1CT   spécifie :

«Le CHSCT peut faire appel à titre consultatif et occasionnel, au concours de toute personne de l’établissement qui lui paraîtrait qualifiée »:

– c’est donc au CHSCT (et non au président seul), de décider occasionnellement qui est qualifié pour venir à la réunion du CHSCT, et ce suivant l’ordre du jour (conjointement établi par le secrétaire et le président)..

– cette présence éventuelle d’une personne qualifiée se doit d’être occasionnelle, et non pas systématique.

 

 

              c) Le CHSCT a le pouvoir de saisir la justice pour la défense de ses intérêts directs

Vrai : les jurisprudences ont reconnu que le CHSCT disposait de cette capacité juridique : comme le CHSCT ne gère pas de budget, c’est donc l’employeur qui devra financer ses éventuelles procédures ;

Cependant le CHSCT ne peut agir au civil, comme au pénal, que si ses intérêts directs sont en cause, car il ne peut agir « au nom des salariés » qu’il représente (intérêts indirects).

d) Le CHSCT peut décider de ses visites d’inspection et attribuer les rôles de chacun de ses membres lors de ses visites

 

Vrai : c’est le CHSCT, et donc la majorité des membres présents et disposant du droit de vote, qui « définit des missions qu’il confie à ses membres pour les tâches qui relèvent de sa compétences» (R4612-1CT)

Il n’y a donc aucune raison de laisser le seul Président en décider pour le CHSCT.

 

e) Deux membres élus du CHSCT peuvent provoquer une réunion du CHSCT s’ils en motivent la demande.

 

Vrai et c’est une modalité différente de réunion prévue ici à l’article L4614-10 CT  pour les CHSCT, que celle prévue pour un CE, où seule la majorité des membres élus titulaires peut demander la tenue d’une réunion extraordinaire (L2325-14CT)

 

 

2°) Prévention et analyse des situations de travail

 

 

a) Protéger les salariés d’un risque, c’est faire de la prévention primaire

 

Faux : protéger n’est pas faire de la prévention primaire: faire de la prévention primaire, c’est faire en sorte que l’occurrence du risque n’apparaisse pas :; exemple sur un chantier : mettre un casque n’est pas de la prévention primaire,la prévention primaire c’est de faire en sorte que rien ne puisse tomber sur la tête du travailleur ;

La protection des salariés contre le risque une fois présent est de la prévention secondaire, et les CHSCT devraient s’attacher à la prévention primaire ( en premier) avant de promouvoir la prévention secondaire : exemple ; utiliser des produits non dangereux est à penser avant de penser à « comment se protéger des produits dangereux » ?

C’est dans ce sens précis qu’est rédigé l’article L4121-2 CT, qui donne l’ordre de la  logique en matière de prévention : éviter les risques d’abord , évaluer ceux qui ne peuvent être évités ensuite, les diminuer le plus possible et enfin protéger, d’abord collectivement et, à défaut seulement de protection collective , protéger individuellement.

Dans beaucoup d’entreprises on fait hélas l’inverse, en commençant la prévention par …la protection individuelle et par les Equipements de Protection Individuelle, sans plus réfléchir aux moyens de prévention qui éviteraient les risques!

 

b) L’employeur qui met à disposition les moyens nécessaires pour  protéger les salariés d’un risque satisfait à son obligation de sécurité

 

Faux : ceci serait seulement satisfaire à une obligation de moyens. Or, l’obligation de sécurité n’est pas seulement une obligation de moyens, mais bien une obligation de résultat, comme l’ont précisé les tribunaux depuis 2002 :

Exemple : sur un chantier l’employeur n’a pas seulement à mettre à disposition un échafaudage aux salariés, mais à s’assurer qu’il est correctement monté de manière à garantir la sécurité des salariés.

 

c) C’est le rôle d’un membre du CHSCT de veiller à ce que les salariés respectent les consignes de sécurité

 

Faux : c’est le rôle de l’employeur ou de son représentant : le CHSCT n’a aucun pouvoir disciplinaire (il donne seulement un avis consultatif sur le règlement intérieur). Son rôle, par rapport à l’application des consignes de sécurité, est bien plus de se demander pourquoi les salariés seraient amenées à ne pas les appliquer : peut être ces consignes sont elles floues, peu  praticables ou incohérentes, ou encore, peut être créent elles des surcharges de travail. Dans le cadre de la prévention, qui est sa principale mission, le CHSCT pourra alors préconiser des consignes mieux adaptées et plus facilement applicables par les salariés, ou alors préconiser des processus de travail évitant les contraintes trop lourdes ou difficilement gérables pour effectuer leur travail.

 

d) Le CHSCT peut analyser un poste de travail et demander la liste des modifications qui lui ont été apportés ainsi que les raisons des choix ayant prévalu à ces changements

 

Vrai : en réalité l’article L4614-9CT énonce : «  Le CHSCT reçoit de l’employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions… »

L’employeur ne peut donc refuser aucun moyen en documents au CHSCT, dés l’instant où ces informations sont nécessaires à l’accomplissement de ses missions.

Si l’employeur s’y opposait, il commettrait un délit d’entrave, prévu et réprimé par l’article L4742-1CT.

 

 e) Le CHSCT peut vérifier la formation à la sécurité des salariés présents sur les postes de travail et relever des manquements éventuels à cette formation.

 

Vrai : cela fait partie des missions du CHSCT de « veiller à l’application des lois et règlements applicables en matière d’hygiène sécurité » (L4612-1 al3) et donc de relever les éventuels manquements à la formation obligatoire à la sécurité (L4141-2CT).

 

3°) Accidents du travail et maladie professionnelle

 

a) En cas d’accident du travail, suite au refus par l’employeur de retirer un salarié d’une situation de danger grave et imminent dont il a été alerté par le CHSCT dans le cadre d’un droit d’alerte( L 4131-1CT, L4131-2CT ), la faute inexcusable sera d’office retenue contre l’employeur.

 

 Vrai : c’est l’application de l’article L4131-4CT ; la reconnaissance de la faute inexcusable  de l’employeur majorera l’indemnisation de la victime ou de ses ayant droit, et majorera également le taux de cotisation sociale payé par l’employeur

 

.

 b) L’employeur peut contester qu un accident soit reconnu comme accident de travail

 

Vrai : la contestation de l’accident de travail par l’employeur est tranchée par la caisse primaire d’assurance maladie en premier ressort, l’employeur pouvant ensuite contester la décision de cette caisse devant le TASS (tribunal des affaires de sécurité sociale).

 

c) le CHSCT ne peut enquêter que sur les accidents suffisamment graves

 

Faux : le droit d’enquête du CHSCT est total et concerne tout accident (L4612-5CT) .Un accident peut, heureusement, ne pas avoir de conséquences graves, mais révéler un dysfonctionnement important, conduisant à révéler un risque grave, sur lequel il est tout à fait utile qu’un CHSCT enquête.

 

d) Une maladie non inscrite au tableau des maladies professionnelles ne peut être jugée à caractère professionnel

 

Faux : la différence entre maladies professionnelles inscrites au tableau des maladies professionnelles et celles qui ne sont pas inscrites au tableau des maladies professionnelles  est la suivante : pour une maladie non inscrite au tableau, la preuve de son caractère professionnel incombe au salarié, tandis que pour une maladie reconnue au tableau des maladies professionnelles (et selon les critères de ce tableau), la maladie est présumée professionnelle, sauf preuve du contraire.

 

e) Si l’inspecteur du travail ou le procureur de la République fait une enquête sur un accident de travail, le CHSCT ne peut pas faire la sienne en sus.

 

Faux : l’enquête de l’inspecteur du travail ou du procureur de la République a pour but de déterminer les responsabilités des uns et des autres, alors que celle des CHSCT n’a qu’un but : la prévention ; les deux enquêtes n’ayant pas le même objet, elles ne sont en rien incompatibles et sont toutes deux utiles aux salariés.

 

 

4°) Risques psychosociaux

 

a) Le stress au travail n’est pas un risque psychosocial parce qu’il est normal d’être stressé au travail.

 

Faux : ce qui est normal, c’est d’être normalement fatigué après le travail et non pas d’être stressé dans le travail.

Dans la mesure où le stress professionnel introduit une « sur fatigue anormale » ,constatable à travers une baisse des ressources disponibles du salarié pour faire face aux contraintes de travail,ce déséquilibre, entre ressources et contraintes au travail, constitue la définition même du stress professionnel selon l’Agence Européenne de Santé.

Cet état de sur fatigue conduit à ce qu’on appelle le « burn out », ou le Syndrome d’Epuisement Professionnel.

 

 

b) Un salarié qui se plaint de harcèlement moral doit en apporter la preuve

 

 Faux, contrairement à ce qu’on entend souvent ici ou là : en effet , cette infraction très particulière du harcèlement moral n’exige pas que la victime en apporte la preuve ,mais que la victime amène des faits et des constats concourrant à constater « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité,d’altérer sa santé physique ou mentale,ou de compromettre son avenir professionnel »(L1152-1CT).           .

Une fois ces agissements constatés ainsi que leurs conséquences sur le salarié, il appartiendra alors au présumé harceleur d’apporter la preuve qu’il ne s’agit pas de harcèlement moral, mais de contraintes de travail imposées et objectivement justifiées. La charge de la preuve est donc ici inversée et appartient au présumé harceleur.

 

c) Le CHSCT enquête en cas de harcèlement moral pour trouver le coupable

 

Faux, bien sûr : c’est à l’employeur qu’il appartient de chercher le coupable et d’exercer la procédure disciplinaire qui s’impose vis-à-vis du présumé coupable, mais sûrement pas au CHSCT de participer en quoique ce soit de cette obligation de l’employeur.

Le CHSCT concentre son enquête sur sa mission essentielle, qui est la prévention, et analyse les facteurs ayant pu conduire à cette situation de harcèlement, afin que ces facteurs ne se reproduisent plus.

 

 d) L’évaluation des risques dans le document unique doit tenir compte des risques psychosociaux

 

Vrai : le risque psychosocial est un risque à part entière et doit figurer sur le Document Unique qui évalue les risques, en l’actualisant dés que c’est nécessaire et au minimum annuellement (R4121-2CT).

 

e) La seule action de prévention possible  dans l’entreprise ou l’Etablissement contre les violences est de protéger les salariés des agresseurs potentiels.

 

Faux, car ceci est de la prévention secondaire en la matière : la question que doit se poser un CHSCT en amont, est de se demander ce qui génère la violence dans les situations de travail (analyser les situations de travail) pour éradiquer les causes de la violence présente, avant même de proposer les moyens d’en protéger les salariés.

 

5°) Liens avec les autres instances représentatives du personnel

 

a) C’est la mission du CHSCT d’accompagner les salariés qui déposent une plainte en matière d’hygiène sécurité.

 

Faux : c’est la mission des Délégués du Personnel (L 2313-1CT) ; le CHSCT n’a pas à perdre de temps alors qu’il dispose d’un effectif moins important que celui des DP et dans la plupart des cas, de moins d’heures de délégation, pour faire ce que doivent faire les DP ; par contre, les DP peuvent être organisés de manière à faciliter le travail des CHSCT, en lui rapportant les observations et suggestions des salariés (L2313-9CT  ).

Le CHSCT, ainsi informé, pourra alors concentrer son action sur les préconisations qui lui paraissent en ces matières avoir la portée préventive la plus efficace pour l’ensemble des salariés.

 

b) Le CE peut missionner le CHSCT

 

Vrai : c’est clairement indiqué dans la loi (L4612-13CT) et les CE utilisent trop peu cette possibilité existante de faire travailler les CHSCT dans le cadre de leurs missions, et selon l’ordre de mission du CE.

 

 

c) Le CHSCT peut organiser les délégués du personnel en réseau d’alerte de prévention contre les risques psychosociaux

 

 Vrai : rien ne s’y oppose en effet, puisque :

– Les DP sont compétents en matière d’hygiène sécurité ;

– Les DP sont protégés juridiquement et risquent moins que les autres salariés non protégés à faire partie de ce type de réseau

-Les DP sont,  de par leurs missions, les élus qui peuvent entretenir le plus de liens personnels aux salariés.

– le CHSCT par ailleurs peut proposer toute initiative en matière de prévention.

(L4612-3CT ) , dont celle de disposer des réseaux d’alerte, ce qui sera noté comme proposition de prévention des risques professionnels dans son PV ;

Si l’employeur s’y oppose, il devra alors motiver son refus dans le PV du CHSCT, PV qui sera ensuite à disposition du médecin du travail, de l’inspecteur du travail et de l’ingénieur ou contrôleur de la CARSAT (autant dire que sa motivation de refus se devra d’être sérieusement motivée !).

 

d) Le CE peut créer une commission conditions de travail dans laquelle il peut intégrer des membres CHSCT et DP

 

Vrai

-le CE peut, de droit, créer toute commission entrant dans son domaine de compétence (L2325-22CT)

-Les conditions de travail sont dans le domaine des compétences communes des CE et des  CHSCT.

– les DP rapportent toute observation utile à ces instances (CE et CHSCT) concernant leur champ de compétence (L2313-9CT).

En conséquence cette commission «  conditions de travail »est parfaitement juridiquement fondée et permet au CE de centraliser les actions des instances CHSCT et DP dans ce champ des conditions de travail.

Par contre, cette commission n’étant pas une commission obligatoire, il faudra (sauf accord avec l’employeur) utiliser les heures de délégation pour la faire fonctionner.

 

e) Le CHSCT peut demander aux délégués syndicaux de négocier un accord d’entreprise sur son rôle en matière d’évaluation des risques.

 

Vrai : en principe dans une entreprise, ce sont les délégués syndicaux qui signent les accords d’entreprise : il peut être intéressant de donner force de droit par accord d’entreprise à une définition du rôle des CHSCT dans l’élaboration de cette évaluation, dont le CHSCT ne saurait être exclu, comme l’indique clairement l’article R4612-8CT :

 le programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail tient compte des analyses des risques professionnels et des conditions de travail auxquelles a procédé le CHSCT».

Même si l’employeur  reste détenteur de la décision finale en matière d’évaluation des risques, puisque l’obligation d’évaluer les risques lui incombe, il n’empêche que le CHSCT est incontournable (on doit tenir compte de ses analyses) dans le processus d’évaluation des risques qui les hiérarchise en les analysant.

L’avantage d’un texte de droit comme un accord d’entreprise est qu’il a une force obligatoire opposable à l’employeur et que s’il est dénoncé, il doit l’être dans des délais de prévenance permettant de négocier un nouvel accord.

 

 

 

Faites le total de vos bonnes et mauvaises réponses !

Bonne réponse = +1, mauvaise réponse = -1, ne sait pas 0

Vos résultats

Entre 23 et 25 points : bravo ! Si tous vos collègues au CHSCT parviennent au même score, on peut dire que vous êtes bien armés pour votre mission

Entre 21 et 23 points : pas mal du tout ! Lisez de temps en temps les articles sur le site irpforma consacrés aux CHSCT et aux conditions de travail pour vous améliorer encore !

Entre 16 et 21 points : il n’est pas interdit de refaire une ou deux journées de formation, pourquoi pas avec vos collègues CE sur les conditions de travail, ou de demander une formation sur des sujets spécifiques (risques psychosociaux, évaluation des risques, avec irpforma par exemple !)

Moins de 16 points : pas de panique, tout s’apprend : le stage de base CHSCT est de droit pour tous les membres du CHSCT .Il est renouvelable tous les quatre ans (L4614-14CT)

Avec irpforma (en partenariat avec idée consultants), toutes les bases juridiques et méthodologiques sont reprises dans le stage .

Délégués du Personnel: mesurez vos connaissances!

 

diapos gal droit

 

 Délégués du Personnel, faites un test sur ces cinq sujets clefs et évaluez vos connaissances en matière de droit du travail

 

1°)  le contrat de travail

      2°) l’action d’un délégué du personnel

               3°) le droit disciplinaire

                    4°) les libertés dans l’entreprise

                        5 °) le traitement des réclamations par le délégué du personnel

 

Dites si les propositions suivantes sont vraies ou fausses

Mesurez vos réponses avec le barème suivant :

 

Bonne réponse= +1pt

Mauvaise réponse= -1pt

Ne sait pas = 0pt

 

VRAI OU FAUX ?

 

 

1°) le contrat de travail

a) le contrat de travail est libre et sans contrainte

 

b) le contrat de travail de deux salariés sur deux postes de travail identiques doit prévoir des clauses identiques.

 

c) toute modification dans le contrat de travail doit être acceptée par le salarié avant d’entrer en vigueur.

 

d) une modification essentielle du contrat de travail doit faire l’objet d’un accord du salarié, sinon elle ne peut prendre effet.

 

e) une rupture conventionnelle peut  prévoir des clauses plus favorables pour les salariés que celles prévues par la convention collective.

 

 

2°) l’action d’un délégué du personnel

 

a) le délégué du personnel peut intervenir pour relever un risque susceptible d’altérer la santé physique et mentale d’un salarié uniquement si le salarié est d’accord.

 

b) le délégué du personnel peut être reçu par l’employeur ou son représentant à sa demande.

 

c) l’employeur peut limiter les déplacements des délégués du personnel dans l’entreprise s’ils gênent son bon fonctionnement

 

d) le délégué du personnel ne doit pas communiquer à l’inspecteur du travail des plaintes dont il a à traiter.

 

e) le déclenchement d’un droit d’alerte par un délégué du personnel doit être exceptionnel et relever de faits particulièrement graves.

 

3°)  le droit disciplinaire

 

a) l’entretien préalable à la sanction prononcée à l’encontre d’un salarié n’est obligatoire que si la sanction envisagée est un licenciement.

 

b) le salarié doit choisir un délégué du personnel s’il veut être accompagné dans un entretien préalable à une sanction disciplinaire.

 

c) un salarié ne peut pas contester devant les prud’hommes un simple blâme ou un simple avertissement, sans conséquence pour sa rémunération, sa carrière ou ses conditions de travail.

d) tant que l’employeur n’a pas connaissance des faits fautifs, le délai de deux mois au cours duquel il peut sanctionner le salarié ne court pas.

 

e) un employeur peut licencier un salarié s’il découvre que celui-ci a déjà été condamné par la justice pour des faits graves.

 

 

4°) les libertés dans l’entreprise

 

             a) un employeur peut légitimement imposer des restrictions de déplacement dans l’entreprise aux salariés sans motif particulier.

 

b) un employeur peut lire les mails d’un salarié sur une boite mail professionnelle même s’ils sont adressés de façon personnelle au salarié.

 

c) un employeur peut interdire et sanctionner l’usage à titre personnel d’une boite mail professionnelle si cela porte préjudice au travail.

 

d) si le CE est d’accord, l’employeur peut procéder à des fouilles  des salariés.

 

e) les contrôles d’alcoolémie peuvent se faire à discrétion de l’employeur.

 

 

 

 5°) le traitement des réclamations

 

              a) un salarié qui n’appartient pas à l’entreprise mais qui intervient dans l’établissement peut réclamer auprès d’un DP de l’établissement dans lequel il intervient sur ses conditions d’exécution du  travail dans cet établissement.

 

b) le salarié peut réclamer directement auprès de l’employeur sans passer par un DP.

 

c) un DP n’a pas à faire connaître au CE ni au CHSCT les observations et les plaintes des salariés.

 

d) les réclamations déposées sur le registre des délégués du personnel peuvent rester sans réponse de la part de l’employeur.

 

e) un DP peut réclamer pour lui-même en son nom propre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

REPONSES

 

1°) le contrat de travail

a) le contrat de travail est libre et sans contrainte

 

Faux : Certes le contrat de travail est libre, mais certainement pas sans contrainte ; le contrat de travail, outre qu’il ne doit pas être contraire aux principes d’ordre public régis par les lois et décrets en vigueur, ne peut prévoir des dispositions moins favorables pour les salariés que tous les textes de droit situés dans la hiérarchie du droit plus hauts que lui : à savoir les accords d’entreprise,les conventions collectives,le code du travail et plus haut encore, les traités internationaux en vigueur et les directives européennes

La liberté du contrat de travail, qui est de principe, est donc, en fait, très « encadrée ».

 

b) le contrat de travail de deux salariés sur deux postes de travail identiques doit prévoir des clauses identiques.

 

Faux : justement à cause du principe de liberté du contrat de travail ; dés l’instant où les clauses du contrat de travail respectent les contraintes de la hiérarchie du droit du travail et les dispositions d’ordre public, rien n’empêche que des clauses plus favorables pour un salarié que pour un autre, soient prévues pour deux salariés sur deux postes identiques, et ce, même en l’absence de clauses conventionnelles les différenciant (comme l’ancienneté par exemple, prévue par les clauses conventionnelles).

Exemple :un employeur peut embaucher un salarié X avec une clause prévoyant une indemnité de licenciement  plus importante que la clause conventionnelle de licenciement, alors que le salarié Y n’en bénéficie pas, parce que son contrat de travail ne prévoit pas une telle clause.

 

c) toute modification dans le contrat de travail doit être acceptée par le salarié avant d’entrer en vigueur

 

Faux : cette affirmation n’est vraie que concernant les clauses essentielles du contrat de travail et non pas concernant les clauses relatives aux « conditions d’exécution du travail ».

 

d) une modification essentielle du contrat de travail doit faire l’objet d’un accord du salarié, sinon elle ne peut prendre effet

 

Vrai: si le salarié n’accepte pas une modification essentielle de son contrat de travail, l’employeur ayant eu l’initiative de cette modification devra en tirer les conséquences et assumer un licenciement à  son initiative ; si le motif de cette modification de contrat n’est pas jugé réel et sérieux, alors le motif du licenciement ne sera pas considéré comme réel et sérieux.

 

 

e) une rupture conventionnelle peut  prévoir des clauses plus favorables pour les salariés que celles prévues par la convention collective.

 

Vrai : les clauses de ruptures conventionnelles ne peuvent prévoir des indemnités inférieures à celles d’un licenciement, et donc à l’indemnité conventionnelle selon la convention collective appliquée par l’employeur, mais elles peuvent prévoir des indemnisations bien supérieures

 

 

 

 

 

2°) L’action du délégué du personnel

 

 

a) le délégué du personnel peut intervenir pour relever un risque susceptible d’altérer la santé physique et mentale d’un salarié uniquement si le salarié est d’accord.

 

Faux : le délégué du personnel peut intervenir sur le champ de la sécurité et sur celui de la préservation de la santé physique et mentale du salarié (L2313-2CT) et il dispose même d’un droit d’alerte à cet usage ; cette faculté d’intervention n’est pas soumise à la demande d’un salarié, mais au constat fait par le DP du risque subi par le salarié

 

b) le délégué du personnel peut être reçu par l’employeur ou son représentant à sa demande.

 

Vrai : c’est l’application de l’alinéa 3 de l’article L2315-8 CT ; les DP ne sont donc nullement contraints d’attendre la réunion mensuelle pour être reçus, et il n’est donc pas nécessaire qu’un cas soit urgent pour devoir être traité rapidement.

 

c) l’employeur peut limiter les déplacements des délégués du personnel dans l’entreprise s’ils gênent son bon fonctionnement.

 

Faux : l’article L2315-5CT dans son deuxième alinéa, énonce que la liberté de déplacement dans et hors l’entreprise est totale, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l’accomplissement du travail des salariés.

C’est donc le caractère important ou non de la gêne apportée qui est appréciable en l’espèce pour justifier de limiter cette liberté.

 

d) le délégué du personnel ne doit pas communiquer à l’inspecteur du travail des plaintes dont il a à traiter.

 

Faux : c’est tout le contraire : il est dans la mission du délégué du personnel de saisir l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des dispositions légales dont elle est chargée d’assurer le contrôle (L2313-1 al2 CT)

 

e) le déclenchement d’un droit d’alerte par un délégué du personnel doit être exceptionnel et relever de faits particulièrement graves

 

Faux : aucune notion de gravité particulière n’est là nécessaire pour justifier de l’utilisation d’une telle procédure définie à l’article L2313-2CT, contrairement au cas de danger « grave et imminent » nécessaire pour légitimer le droit d’alerte d’un CHSCT évoqué à l’article L4131-2CT.

Cela devrait inciter les instances DP et CHSCT à se répartir intelligemment les rôles en matière d’utilisation des droits d’alerte respectifs, de manière à ce que, dans tous les cas, le déclenchement d’une procédure d’alerte soit envisageable pour intervenir sur une situation d’atteinte à la santé vécue par un salarié et qui nécessiterait une enquête immédiate.

 

          

 

 

 

3°) Le droit disciplinaire

 

               a) l’entretien préalable à la sanction prononcée à l’encontre d’un salarié n’est obligatoire que si la sanction envisagée est un licenciement

 

Faux : toute sanction susceptible d’avoir une incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié est soumise à l’obligation préalable de l’entretien (L1332-2CT)

 

b) le salarié doit choisir un délégué du personnel s’il veut être accompagné dans un entretien préalable à une sanction disciplinaire

Faux : le salarié peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise( L1332-2CT) ; cependant il est clair que le DP se prête tout particulièrement à cette fonction d’accompagnement individuel des salariés

 

c) un salarié ne peut pas contester devant les prud’hommes un simple blâme ou un simple avertissement, sans conséquence pour sa rémunération, sa carrière ou ses conditions de travail.

Faux : toute sanction,  même légère et sans conséquence, peut être contestée devant les prud’hommes.

 

 

d) tant que l’employeur n’a pas connaissance des faits fautifs, le délai de deux mois au cours duquel il peut sanctionner le salarié ne court pas

 

Vrai : attention, le délai de deux mois vaut à partir du moment où l’employeur a connaissance des faits fautifs, à moins que ces faits aient donné lieu à une poursuite pénale (L1332-4CT)

 

e) un employeur peut licencier un salarié s’il découvre que celui-ci a déjà été condamné par la justice pour des faits graves.

Faux : par contre tout fait accompli par un salarié dans le cadre de l’entreprise et qui fait l’objet de condamnation pénale a un caractère réputé de faute grave (un vol par exemple)

 

 

 

 

 

4) les libertés dans l’entreprise

 

a) un employeur peut légitimement imposer des restrictions de déplacement dans l’entreprise aux salariés sans motif particulier

 

Faux : d’une manière générale toute restriction de liberté doit obéir au principe suivant :

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (L1121-1CT) ;

 

Il est donc hors de question, sans motif inhérent au travail, de restreindre quelque liberté, de se déplacer, ou quelque  autre liberté que ce soit.

 

b)  un employeur peut lire les mails d’un salarié sur une boite mail professionnelle même s’ils sont adressés de façon personnelle au salarié

 

Faux : même si l’employeur peut interdire l’usage privé d’une boîte professionnelle, cela ne l’autorise pourtant nullement à y lire des messages indiqués comme étant de nature privée.

 

c) un employeur peut interdire et sanctionner l’usage à titre personnel d’une boite mail professionnel si cela porte préjudice au travail

 

Vrai : La sanction sera alors qualifiée (grave ou non grave) en fonction du préjudice qu’en aura subi l’employeur et de l’application de son règlement intérieur.

 

d) si le CE est d’accord, l’employeur peut procéder à des fouilles des  salariés

Faux : le CE donne un avis consultatif sur le règlement intérieur de l’entreprise mais n’intervient pas dans ce cadre particulier ; par ailleurs l’atteinte à l’intimité lors d’une fouille ne peut être justifiée que s’il n’existe aucun autre moyen d’atteindre le but visé (critère de proportionnalité de l’atteinte aux buts visés dans la tâche à accomplir).

En outre, pour une fouille sur des objets (sacs armoires individuelles),  l’exigence de garanties pour les salariés impliquerait la présence de tiers et que le salarié soit présent ou bien dûment averti de la fouille .

Quant aux fouilles sur les personnes, le salarié doit être averti de son droit de s’y opposer car seul un officier de police judiciaire peut y contraindre.

 

e) les contrôles d’alcoolémie peuvent se faire à discrétion de l’employeur.

 

Faux : les contrôles ne peuvent se produire qu’en fonction d’une nécessité particulière (par exemple conduite d’un véhicule ou utilisation d’une machine dangereuse), mais pas sans une nécessité clairement définie et donc sûrement pas de façon systématique en visant tous les salariés

 

 

 

 

 

 

 

 

Le traitement des réclamations

 

             a) un salarié qui n’appartient pas à l’entreprise mais qui intervient dans l’établissement peut réclamer auprès d’un DP de l’établissement dans lequel il intervient sur ses conditions d’exécution du travail dans cet établissement.

Vrai : c’est l’application de l’article L2313-3CT ; en outre et concernant les intérimaires, ceux-ci peuvent présenter aux DP de l’établissement dans lequel ils travaillent leurs réclamations en matière de rémunération, en matière de conditions de travail et en matière d’accès aux moyens de transports collectifs et aux installations collectives (L2313-5 CT)

 

              b) le salarié peut réclamer directement auprès de l’employeur sans passer par un DP

 

               Vrai : c’est l’application de l’article L2313-10 CT ;c’est pourquoi il est important que les DP expliquent aux salariés que c’est préférable de passer par eux ,ne serait ce que parce que les DP bénéficient d’une protection juridique en exerçant cette prérogative.

 

c) un DP n’a pas à faire connaître au CE ni au CHSCT les observations et les plaintes des salariés

 

                 Faux : c’est le contraire de ce qu’indique l’article L2313-9 CT : les DP communiquent les suggestions et observations du personnel sur les questions entrant dans le domaine de compétence de ces instances ; le DP est donc « l’agent de renseignements » au service des CE et des CHSCT , instances dont ce n’est pas précisément la mission de s’intéresser de façon spécifique aux cas individuels, mais de traiter de problèmes généraux

 

d) les réclamations déposées sur le registre des délégués du personnel peuvent rester sans réponse de la part de l’employeur

 

Faux : l’article L2315-12 spécifie au contraire que les réponses motivées de l’employeur doivent être inscrites sur le registre des délégués du personnel au plus tard 6 jours ouvrables après la réunion les ayant occasionnées

 

e) un DP peut réclamer pour lui-même en son nom propre

 

Vrai : en effet rien ne l’interdit ; c’est d’ailleurs une occasion unique de préserver l’anonymat des salariés, et les DP devraient utiliser cette opportunité plus souvent qu’ils ne le font en général de porter  ainsi la plainte d’un salarié en regardant si l’objet de la plainte ne les concernerait pas eux aussi, et ainsi de présenter cette plainte en leurs noms propres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Calculez vos bonnes réponses et tirez en les conséquences !

 

Entre 23 et 25 points : bravo !  Vous êtes un DP qualifié et très au fait de votre matière juridique.

 

Entre 19 et 22 points : c’est bien, et vous avez encore des marges de progression que vous pouvez franchir en lisant régulièrement les articles d’irpforma  sur notre site et consacrés à ces sujets

 

Entre 16 et 19 points : il serait utile de réactualiser vos connaissances et de suivre un stage DP avec irpforma pour vous sentir plus solide sur vos bases juridiques !

 

Moins de 16 points : un stage avec irpforma s’impose ! N’hésitez pas , tout s’apprend ; si l’employeur ne finance pas votre stage , demandez au CE de le financer sur son budget de fonctionnement en lien avec ses propres formations CE .Si vous êtes une Délégation Unique du Personnel, cela ne posera aucun problème!

harcèlement moral: pour la prévention organisationnelle

 

Pour ne pas  créer de malentendu, commençons par définir ce que nous appelons « prévention organisationnelle »; Cela signifie d’abord que le niveau auquel doit se traiter la prévention, n’est ni le niveau personnel, ni même interpersonnel, mais bien le niveau organisationnel.

Si le harcèlement était seulement une affaire pénale qui concerne un individu « harceleur » et des victimes potentielles, alors le harcèlement ne serait pas une affaire de prévention, mais de répression, et la question se résumerait à celle de mettre en place des moyens suffisamment dissuasifs pour que le harceleur potentiel craigne la loi répressive et de le dissuader de passer à l’acte. Mais alors dans ce cas il ne s’agirait plus que l’entreprise règle un problème organisationnel mais sociétal, au même titre que le vol, voire le meurtre.

Partout dans l’entreprise , comme en dehors , règne la loi pénale et chacun doit s’y soumettre ; mais quand on parle de prévention du harcèlement comme de la prévention d’un risque psychosocial, on dit bien autre chose: on dit que l’organisation suscite en soi des risques de harcèlement et c’est de ceux là , dont l’organisation est responsable,qu’il faut prévenir car ce sont ceux là que l’organisation a le pouvoir de prévenir.

L’organisation, ou l’entreprise, n’a pas le pouvoir de régler un problème sociétal en général, mais bien celui de mettre en oeuvre les moyens découlant de sa propre responsabilité sociale, qui découle de son obligation de sécurité de résultat, concernant les risques professionnels que, du fait de son activité (ou organisation du travail), elle génère.

On ne lui demande de régler un problème sociétal en entreprise, mais d’assumer sa part de responsabilité sociale en entreprise, qui est générée de son fait.

Cette ligne de partage n’étant pas toujours claire, certains s’imaginent que la prévention en entreprise consiste seulement à y faire appliquer la loi pénale vis à vis d’individus déviants qui seraient (par nature?) harceleurs.

Ils limitent alors la problématique du harcèlement à un cadre personnel ou interpersonnel, entre une victime-ou des victimes et un ou des persécuteurs. Faisant cela, ils évacuent par là même toute dimension organisationnelle à la problématique que pose le harcèlement. Pour eux, la prévention consistera donc à « faire peur » aux méchants harceleurs , comme si le harcèlement était généré de l’extérieur par des individus pathologiques par nature.

Mais en quoi alors l’organisation du travail,ou l’entreprise, devrait assumer la responsabilité d’un phénomène purement sociétal qui manifesterait des pathologies individuelles? S’il y a responsabilité de l’entreprise en matière de harcèlement au travail,c’est bien parce qu’on estime qu’elle a un devoir de prévention en fonction de sa responsabilité propre, et non en lieu et place de la société: après tout on ne demande pas (et il ne serait pas raisonnable de le faire) à l’entreprise de résoudre un problème sociétal, pas plus qu’on ne lui demande de faire baisser le taux de criminalité, ce qui ne ressort pas de sa responsabilité propre. On lui demande de régler les problèmes qu’elle même génère de par son organisation, et donc de prévenir les risques psychosociaux que son organisation génère, dont le harcèlement moral .

Par conséquent, restreindre la prévention en entreprise au côté pénal du harcèlement, c’est se défausser de sa responsabilité propre pour jouer simplement le rôle d’une antichambre de police. Or la prévention, ce n’est pas la police. Le « rappel à la loi » est une chose, la prévention des risques psychosociaux, bien autre chose.

Ce qui est préventif c’est d’empêcher la survenue du risque d’abord et on appelle cela de la prévention primaire: donc de ne pas générer de risque de harcèlement.

Ce qu’on appellera prévention secondaire, c’est seulement de protéger des risques existants; elle est pertinente une fois qu’on se sera efforcé d’éradiquer ou de diminuer les risques au préalable.

Faire uniquement de la prévention secondaire en se contentant de rappeler à la loi, n’est pas à proprement parler de la prévention, si on ne s’est pas efforcé, en premier lieu, à faire de la prévention primaire: Or le rappel à la loi ou la menace du pénal, n’a rien d’une prévention primaire, car cela n’éradique en rien les risques psychosociaux, ni même ne diminue les risques psychosociaux liés à l’organisation du travail.

On peut continuer de considérer que le harcèlement moral est seulement le fait d’un « méchant pervers harceleur » qui sévit au travail. Ce faisant, toute prévention du harcèlement en tant que telle, et notamment en tant que prévention primaire, devient alors illusoire ,car comment détecter à priori et avant qu’il ne passe à l’acte, un harceleur présumé ? Par du profilage? En convoquant une voyante?

Maintenant, si l’on considère que le harcèlement peut être prévenu, c’est-à-dire faire l’objet d’une prévention cohérente et systématique, de type primaire (c’est-à-dire préventive des causes et non pas  seulement soignant ou réparant ses effets), alors il faut raisonner autrement : qu’est-ce qui permet au harceleur de harceler, autrement dit, qu’est-ce qui, dans un système organisationnel, donne prise au harcèlement ? Comment dès lors le prévenir , c’est-à-dire éradiquer cette prise ?

A partir de cette conception, au lieu d’observer combien le méchant harceleur est méchant et pervers, on s’intéressera donc plutôt à analyser l’organisation du travail. En quoi favorise-t-elle la possibilité d’apparition du risque de harcèlement? Que faut-il faire alors pour diminuer ou éradiquer son risque, c’est à dire son occurrence d’apparition?

A partir de l’organisation d’un ou de plusieurs services , on pourra déjà répertorier les tensions existantes autour du service où travaille le harceleur et celles existantes autour du service où travaille la victime : une méthodologie de ces repérages est notamment explicitée dans  l’article  « l’enquête de harcèlement moral à usage du CHSCT »

Mais on peut également et parallèlement, repérer à partir de l’organisation du travail existante ce qui est susceptible de « créer des failles organisationnelles», et d’attirer ainsi un certain nombre de situations prêtant à encourager les risques psychosociaux d’origine organisationnelle. Cette approche est notamment développée dans l’article « Votre poste de travail sert il de paratonnerre à l’organisation du travail ? ».

Dans cette approche, on partira du constat suivant : quand l’organisation du travail ne peut ou ne sait résoudre un problème et que cela est récurrent, se créé alors de fait une « faille organisationnelle ».
Si cette faille se transmet (en patate chaude par exemple) ,une des occasions de la dénoncer,à défaut de la résoudre ou de la solutionner, est alors de trouver une victime expiatoire, un « qui paiera pour l’ensemble », un qui sera désigné comme « bouc émissaire ».

Evidemment cette approche renverse un peu la table : comment ? Se pourrait-il alors que celui désigné comme harceleur soit finalement aussi une « victime » ,mais victime à un autre niveau que celui de sa, ou de ses victimes directes , mais soit une victime de l’organisation du travail dont il pointerait ainsi, par sa position, la « faille » ? Il est important que les acteurs de la prévention aient cette approche: le problème n’est pas le harceleur (on ne peut pas prévenir le fait qu’un individu devienne harceleur en soi), mais le harcèlement (on peut prévenir tout harcèlement en faisant en sorte qu’il ne soit pas possible).

Or ,à la base d’une possibilité de harcèlement, il y a souvent un dysfonctionnement organisationnel qui le rend possible, comme par exemple ,l’isolement du salarié ou l’absence de soutien collectif du groupe des pairs, c’est à dire des collègues.

Dans l’article « comment repérer le malaise dans l’organisation » nous mettons en exergue des signes patents de dysfonctionnement organisationnels, repérables à partir des conflits qui s’y développent, de leur fréquence et de leur impact psychologique :

Nous y raccordons très explicitement la notion de triangle (issu de l’analyse transactionnelle) en disant ceci : plus on repère dans une organisation que les personnes se retrouvent, rapidement et fréquemment,passer de la position de « Victime » à celle de « Persécuteur « et à celle de « Sauveteur » (dans n’importe quel ordre), et plus il est clair qu’une faille organisationnelle est à l’œuvre, repérant un malaise organisationnel, c’est-à-dire un problème non résolu et qui tourne en boucle sur l’organisation du travail. On ajoutera maintenant ceci : à un moment donné la course  Persécuteur, Sauveur, Victime s’arrête en fixant les rôles des uns et des autres

Toi, tu es « la victime »

Toi, tu es le « persécuteur » (harceleur)

Toi ou vous, tous les autres , vous êtes les sauveurs (ouf, nous n’y sommes pour rien, tout est la faute du méchant persécuteur et nous le dénonçons tous !)

Ce schème est un modèle pour penser autrement le harcèlement dans l’organisation du travail; Il peut paraître choquant, mais nous assumons ce choc: le « méchant harceleur », est , dans le cas d’un dysfonctionnement organisationnel,désigné comme celui qui tient le rôle du « méchant (persécuteur). Que le policier s’arrête à ce constat, et que le juge punisse le coupable, cela suffit au raisonnement judiciaire, mais cela ne suffit certainement à qui se targue du rôle d’agent de prévention et notamment au CHSCT, qui n’est pas une instance chargée de répression, mais bien de prévention!

Penser « organisation du travail » à titre préventif du harcèlement, sert à la fois à penser autrement, en se centrant sur le problème du harcèlement et non sur les personnes, en renvoyant à l’aspect systémique en jeu dans l’organisation du travail. Cela sert donc à prévenir le harcèlement en tant que risque de l’organisation et non pas à vitupérer seulement contre les méchants harceleurs et à se réjouir de les voir condamnés (en exigeant  toujours plus d’accentuer l’aspect pénal et répressif de la loi comme si le pénal avait pour fonction de résoudre les problèmes à la place de l’intelligence à en comprendre l’origine). 

Trois prérequis pour penser l’organisation du travail en terme de prévention des risques organisationnels de harcèlement, sont nécessaires:

1 ) penser de façon systémique l’organisation du travail

  Penser objectivement l’organisation du travail en terme de problèmes à résoudre et, quand ils ne sont pas résolus au point de créer une faille récurrente, qui se réédite quels que soient ceux qu’elle va concerner, analyser cette faille  récurrente

– cela suppose de ne pas s’arrêter à accuser qui que ce soit, mais  comprendre « comment cela fonctionne », c’est à dire comment le système va générer les failles qui permettront de rendre possibles un risque psychosocial, comme le harcèlement .

 2) prévenir

– anticiper rapidement sur la solution du problème, stopper toute chasse aux « sorcières », pour justement que la situation au travail ne prête même pas le flanc à une  simple possibilité de harcèlement : c’est le problème que manifeste le harcèlement qu’on doit résoudre et non pas (ce n’est pas l’objet de la prévention) la personne harceleuse que l’on doit punir. S’arrêter à la culpabilité d’un individu est donc renoncer à penser le problème que le harcèlement soulève pour l’organisation du travail. C’est donc renoncer à la prévention organisationnelle  pour fixer le harcèlement à un cadre purement interpersonnel. C’est donc renoncer à comprendre pour se contenter de dénoncer.

Punir le harceleur, c’est le rôle et la responsabilité de l’employeur et surement pas celui de la prévention et , surtout, surtout pas, celui du CHSCT de contribuer « à chercher le coupable »! Le rôle du CHSCT est , rappelons le, préventif et il n’a aucune mission légalement définie qui le rendrait légitime, d’une quelconque manière, à devenir un auxiliaire de police au service de l’employeur.

c) Agir d’abord en prévention primaire, et non pas secondaire.

Agir en prévention primaire, d’abord, suppose une analyse préalable du risque de harcèlement dans le contexte organisationnel lui même, car sinon la prévention se contentera d’être secondaire, c’est à dire qu’elle se contentera, une fois le risque déjà présent, d’en protéger les victimes et/ou d’en atténuer les conséquences. C’est hélas ce qui se produit le plus souvent: faute de savoir penser le harcèlement en terme organisationnel et systémique, on se rabat sur le plus simple: dénoncer le harceleur et protéger la ou les victimes, et dès lors, on se contentera de prévention secondaire, sans jamais attaquer la prévention primaire;

Ainsi, en gardant en tête ces trois prérequis, avec de la prévention primaire organisationnelle gérée par ses acteurs, dont le CHSCT, résoudra-t-on en amont le problème du harcèlement en le rendant  impossible de façon organisationnelle; 

Ainsi n’aura-t-on jamais à savoir qui,  potentiellement, serait un pervers harceleur,  parce que tout harcèlement moral, avec ses effets répétés  -le harcèlement moral consistant dans la répétition des agissements qui conduisent à des effets nocifs sur  les conditions de travail ou la santé de sa ou de ses victimes, selon l’article L1151-2CT-   serait impossible à produire, car aucun effet délétère, dans le temps, ne pourrait s’y perpétuer..

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CE et communication de crise

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On pourrait diviser la communication et ses savoir faire en deux chapitres :

La communication en temps normal et la communication en temps de crise.

 

Définissons d’abord ce que nous pouvons situer comme « crise »dans une entreprise : est crise tout événement susceptible d’ébranler la communauté de travail, au point que les repères habituels ne suffisent plus à la canaliser et à lui fournir des éléments rationnels d’explication de ce qui est entrain d’arriver.

 

Dés lors ,en temps de crise un certain nombre de signes sont susceptibles d’apparaître de façon symptomatique dans l’entreprise :

– une folle course des rumeurs

– une certaine sidération des salariés

– des actes ou des comportements anormaux de la part de personnes qui n’en ont pas l’habitude

– dans les cas les plus graves, des démissions, des absences multipliées, des arrêts maladie en surnombre

– des désorganisations de la production

– une crise d’autorité touchant la hiérarchie tant qu’elle ne reprend pas la main

 

Deux types de situations peuvent être à l’origine de la situation de crise en entreprise

 

– un événement traumatisant  en interne (accident grave, révélation d’une fraude, scandale etc)

– une dégradation économique de la situation de l’entreprise qui s’accélère ou une restructuration qui fait craindre pour les emplois, la qualification, la rémunération

 

Avant de définir précisément quelles attitudes de communication paraissent alors les plus adéquates, notamment de la part d’un CE, comprenons les enjeux psychiques et sociaux qui se redistribuent alors parmi ceux qui sont touchés par la crise.

 

La crise, comme son étymologie l’indique (crisis en grec veut dire décision ), est un moment de suspens où les décisions ou re-décisions des agents soumis à cet effet de crise vont pouvoir s’opérer

Mais comme son nom l’indique aussi,  le « moment de crise », ou si l’on veut, le moment d’indécision ,de sidération et de re-décision à laquelle elle opère  chez les agents qui la subissent , sera forcément  limité.

 

Par définition, la crise est temporaire, et les agents qui la subissent ne resteront pas longtemps « indécis et désorientés ».

Ils se raccrocheront à ce qui leur est offert en tant qu’explication de la crise et aux solutions apportées par ceux qui vont « leur expliquer la crise ».

Les agents ,face à une crise, subissent avant tout une attaque de leurs liens profonds à l’entreprise et ont besoin d’être rassurés.

 

De cela , déjà , du point de vue de la communication, il faut tirer plusieurs conclusions :

 

1°) ce qui est calamiteux pour les IRP ,et notamment pour  le CE, c’est d’être absent de communication pendant la crise. Pourquoi ?

D’abord parce qu’il laisse alors la main à un autre acteur (en général la direction), qui, elle, va se charger de communiquer, notamment vis-à-vis des salariés et apparaîtra ainsi aux yeux des salariés, comme la seule possibilité de réassurance crédible vis-à-vis d’eux, même s’il se trouve que la direction soit elle-même à l’origine de la crise !

Au cas où ni la direction, ni le CE ne communiquent, alors la folle course des rumeurs est engagée ; folle course d’où, pour paraphraser un proverbe vietnamien, on pourra dire « qu’elle s’effectue à cheval sur le dos du tigre » , tigre dont on sera bien embarrassé de descendre quand on l’aura décidé, étant donné que c’est plutôt lui qui le décidera (ou non).

Ainsi, plus la rumeur est lancée depuis longtemps, et moins on saura l’arrêter ensuite.

 

2°) Non seulement il est important que  les IRP ne soient pas absents de la communication en temps de crise pour l’entreprise, mais encore, il est important qu’elle soient les premières à communiquer et ceci est d’autant plus vrai que la crise est grave : de ce point de vue, deux préjugés sont à abattre :

 

– le premier préjugé consiste à croire que les CE « seraient dénués de liberté de communication » ; ceci est faux : comme nous ne cessons de l’indiquer par différents articles sur ce site , la liberté de communication du CE(vis-à-vis des salariés) est de principe ,et les restrictions sont exceptionnelles dans certains cas,  notamment dans ceux définis par le code du travail.

Bien entendu, l’art de nombreux dirigeants d’entreprises étant de faire croire aux CE qu’ils n’ont pas la liberté de communiquer, c’est donc aux élus de se libérer de cette croyance, en se formant eux-mêmes à la communication, par exemple.

 

– le deuxième préjugé est dans la tête de certains élus : ils croient que pour communiquer valablement, « il faut attendre de tout savoir sur ce qu’il se passe » : voilà en réalité un très sûr moyen d’être absent dans la communication que d’ « attendre de tout savoir » puisqu’on ne saura, en réalité, jamais tout d’un événement quelqu’il soit.

Sans doute eux-mêmes victimes d’un préjugé sur la communication (ces élus pensent que la communication « ment ») , ils ne réalisent pas qu’un message puisse porter, même sur des éléments d’information parcellaires( l’information n’est pas la communication).

Il suffit par exemple de dire « voilà ce que nous savons pour l’instant et nous vous communiquerons plus dés que nous aurons les informations nécessaires »

La présence des IRP auprès des salariés traumatisés par la crise est un enjeu sans commune mesure avec la volonté de donner une exhaustivité, de toute façon illusoire, de l’information..

L’art de communiquer, c’est de communiquer avec ce que l’on sait, et non pas d’attendre de tout savoir pour communiquer.

 

3°) Une fois que les élus ont pris l’initiative de la communication, ils doivent garder la main : comme il a déjà été énoncé dans d’autres articles sur ce site, la communication n’est efficace que dans la durée et dans le respect du principe de base suivant :

 

a) dire qu’on va le faire (ou le dire)

b) le faire (ou le dire)

c) dire qu’on l’a fait (ou qu’on l’a dit)

 

Si la communication n’est pas inscrite dans le réseau suffisamment dense d’annonces, d’énoncés et de rappels , elle se brouille ou s’étiole.

 

Autrement dit, inutile de commencer à communiquer sans envisager un suivi de communications.

Concrètement et en cas de crise, nous recommandons nettement au CE de créer un « pool communication » autour de l’évènement incriminé dans la crise et ce jusqu’à ce que l’impact en soit évacué : c’est le meilleur moyen de ne pas oublier de communiquer.

 

La dernière question que nous traiterons maintenant est celle-ci : pourquoi le CE est il le mieux placé pour piloter la communication des élus ?

 

-D’abord il est mieux placé pour parler unitairement au nom de tous les salariés qu’il représente légitimement ;

Ce qui est désastreux pour la communication, c’est le morcellement des voix et des communications contradictoires au nom des salariés ,et chacun devrait y songer.

Du point de vue de la communication et de la portée du message ,mieux vaut un seul message sur un élément commun, même réduit, que deux ou trois, ou quatre messages différents ayant une portée même plus large.

 

-Le CE a les moyens budgétaires de sa communication (budget de fonctionnement) contrairement aux DP et aux CHSCT.

 

– Il est, de par son rôle généraliste, en charge de l’impact sur les salariés de tout évènement de l’entreprise les affectant.

 

– C’est lui qui peut missionner éventuellement le CHSCT, et non pas l’inverse, et c’est lui qui a le pouvoir de créer des commissions spécialisées, sur la communication par exemple.

 

Les temps de crise sont des temps particulier ou , paradoxalement, les élus peuvent gagner d’avoir un impact inespéré auprès des salariés ; ceci peut paraître cynique et pourtant : en cas d’accident grave,par exemple,la confiance des salariés dans l’entreprise est fortement ébranlée comme elle peut l’être lors d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi,mais pour d’autres raisons :

 

Or c’est justement le temps de cet ébranlement qui se trouve révéler l’opportunité de communiquer pour impacter de manière durable et percutante l’esprit des salariés, et changer les modes de représentation habituellement véhiculés : c’est même là qu’ils changeront le mieux, le plus profond et le plus durablement : pourquoi rater ces occasions ?

 

 

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– la liberté de communication du CE

la communication des IRP

qu’est ce qu’un CE en réalité?

pour en finir avec quatre préjugés sur la communication

CE et CHSCT: les enjeux stratégiques du procès verbal

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En général, quand les élus se posent la question de savoir« comment rédiger le procès verbal », ils posent plutôt cette question pour se rassurer sur la conformité de ce document par rapport à la Loi, voir par rapport à une norme, et pour ne pas se démarquer de manière trop voyante de ce que font en la matière les autres CE.ou CHSCT.

 

Or la Loi, justement, laisse une liberté essentielle en matière de PV de CE: elle n’impose aucune forme précise à la rédaction au PV,

Le PV n’est pas un formulaire, mais une rédaction libre à priori. .

Comme c’est souvent le cas, la Loi définit seulement un cadre dans lequel s’exerce une liberté et ne « donne pas de consignes »  à l’intérieur de l’exercice de cette liberté.

 

La liberté laissée là doit donner à penser à ceux qui sont amenés à l’exercer : si la Loi n’impose pas de consigne, c’est pour que les élus, et particulièrement le secrétaire, puissent accomplir à travers leur liberté d’exercice, leurs missions , et ce de façon pleine et entière, sans entrave.

 

Les missions d’un CE, comme celle d’un CHSCT , sont elles définies par la Loi, et elles doivent inspirer les élus et ici particulièrement les secrétaires (de CE ou de CHSCT) car ce sont eux qui « établissent le PV » (R2325-3CT ).

 

Or si le PV est aux mains des secrétaires afin qu’ils accomplissent leurs missions, cela veut dire que les PV sont des outils stratégiques qui doivent être rédigés en tant que tels pour le service de cette mission.

C’est pourquoi la fausse facilité qui est de procurer des modèles de PV, comme le font certains guides CE ,est une méconnaissance de l’enjeu qu’il contient,comme s’il s’agissait d’un document purement administratif. Or rédiger un PV est un acte stratégique au service des salariés et de ceux qui les représentent.

 

 

Les élus et particulièrement le secrétaire (CE ou CHSCT), doivent réfléchir stratégiquement sur ce que le PV retient ou ne retient pas et ce ,conformément au cadre de la Loi, et non pas procéder de façon automatique et indifférenciée à une rédaction purement administrative du PV.

Le fait que les PV doivent être conformes à la Loi et aux règlements signifie que les PV doivent donc être rédigés dans l’esprit de la loi et de la mission confiée aux élus.  Il ne signifie pas que la Loi détermine le contenu de la liberté stratégique dans le cadre qu’elle fixe, mais que la Loi laisse la liberté de penser stratégiquement dans son cadre ;

Pourquoi des guides CE édité par des éditeurs privés se mêleraient ils de remplir ce que la Loi a voulu libre ?

Les élus ne doivent pas céder à cette paresse de la pensée consistant à éluder l’enjeu stratégique du PV, pour ne faire que remplir administrativement un document.

Ils doivent pouvoir comprendre l’enjeu stratégique du PV dans le cadre de la loi et de leurs  missions , missions qui demeurent leurs seuls « guides »en vérité.

 

Ainsi les caractéristiques juridiques du PV obéissent ils à des principes issus de la loi : on en donnera quatre caractéristiques essentielles

 

la première caractéristique du PV est d’être un moyen de preuve 

-La jurisprudence établit même qu’en matière civile, le « PV fait foi jusqu’à preuve du contraire ».

Garder le PV en archive signifie qu’au moment de fournir un moyen de preuve des faits établis (votes, décisions, résolutions, réponses motivées de l’employeur aux propositions du CE ou du CHSCT) ,ou des propos prononcés lors de la réunion, on se servira du PV établi par le secrétaire et dont il assume et atteste ,par sa rédaction, qu’ils sont vrais ;

C’est pourquoi en  réalité, le fait pour le secrétaire d’établir le PV est un acte juridique, bien plus qu’une simple pratique concrète d’ « établir le compte rendu » comme le disent d’ailleurs, très mal à propos, nombre d’élus de CE ou de CHSCT .(le compte rendu n’existe pas en droit du CE, sauf en matière de « compte rendu annuel de gestion »qui n’a rien à voir avec le PV).

 

En réalité peu importe que le secrétaire soit celui qui prenne les notes, ou non, lors de la réunion plénière. Le secrétaire de CE n’ a rien à voir avec un secrétaire administratif.

Ce qui importe, c’est le fait que le secrétaire de CE ou de CHSCT ,endosse juridiquement la réalité des actes enregistrés lors de la réunion plénière, ainsi que la vérité des propos tenus lors de cette même réunion..

De ce point de vue, légal et probatoire, l’opinion du Président du CE, comme d’ailleurs l’opinion des autres membres du CE, ne l’emporte pas au final .

Ce qui l’emporte, au titre de la preuve, c’est ce qu’énonce le secrétaire dans le PV, en respectant par ailleurs la procédure interne d’élaboration du PV ,qui prévoit une « adoption  par ses membres du PV ».

En somme, en matière de PV, ce qui est « vrai » c’est ce qu’authentifie au final  comme« vrai »  le secrétaire de CE, sauf à ce quiconque soit en mesure et en moyen de prouver le contraire.

 

– le PV doit être adopté par ses membres (L2325-21CT)

 

Beaucoup d’élus se trompent sur ce terme en entendant la signification courante du mot « adoption » ,et non pas son acception juridique ;

Ils croient alors souvent que tous , et donc le président, doivent être d’accord avec le PV avant qu’il ne soit diffusé.

Or la nécessité d’adopter le PV ne renvoie pas au terme courant de l’approbation, mais à la modalité juridique de l’adoption du texte, laquelle est définie par le règlement intérieur du CE.

 

Le règlement intérieur est établi par le CE (L2325-2CT) et peut donc définir ces modalités d’adoption  par une règle, soit d’approbation à la majorité, soit d’approbation à l’unanimité.

 

On observera donc que si le CE, personne morale, détermine que cette règle est de majorité, la voix du président compte pour une voix, ni plus, ni moins.

 

Pour être très concret , au cas où une règle de majorité est établie dans le règlement intérieur du CE, que le PV convienne ou ne convienne pas au Président, il peut être approuvé par la majorité des membres et donc acquérir sa force probante d’office : si le Président conteste cette rédaction, il lui est loisible de saisir les tribunaux, à charge pour lui d’apporter la preuve alors que le contenu de ce PV ne relate pas la réalité des actes du CE et des délibérations qui les mentionnent ( Le PV fait foi jusqu’à preuve du contraire en matière civile).

 

 

 

– le PV contient les actes essentiels soumis à délibération du CE

 

Seul élément probant constituant la réalité de la vie de l’instance représentative, notamment pour le CE, on doit pouvoir se fier au PV pour savoir ce que ces actes du CE et délibérations qui les contiennent ont été, et pouvoir s’y référer pour chercher en lui la trace de ses décisions, de ses avis, de ses propositions et des réponses motivées de l’employeur à ses propositions et à ses avis.

Communicable à l’inspecteur du travail s’il en fait la demande (L2325-19 CT al2 ), ou bien si la majorité des élus(titulaires)décident de le lui transmettre( L2325-19CT al 1), communicable à certaines administrations, et surtout , communicable à la justice, qu’elle soit civile ,pénale ou administrative, si elle en fait la demande ,le PV manifeste l’insertion de l’instance représentative dans le cadre juridique et judiciaire beaucoup plus large que celui de l’entreprise.

Elus du personnel , vous n’êtes pas seuls :tout un monde derrière vous s’appuie sur vous , pour défendre aussi la démocratie sociale que vous représentez : or si vous ne tenez pas votre rôle, ceux-ci ne pourront tenir efficacement le leur, notamment  pour vous appuyer, pensez y toujours !

 

 

Le PV est le lien avec ce cadre judiciaire et les élus doivent y songer : 10 ans après leurs mandats, un juge saisi par le salarié en cour d’appel,ou même en cassation, doit pouvoir retrouver la trace d’une décision du CE qui a pu l’impacter, comme par exemple l’avis du CE sur son licenciement économique d’alors. Que dira le juge s’il ne retrouve qu’un maigre avis du CE à peine motivé, ou même,s’il ne retrouve aucune trace de l’évènement ? Le CE  d’alors aura-t-il accompli sa mission qui est de « représenter les intérêts permanents des salariés dans les décisions de l’entreprise »( L2323-1CT ) ?

 

 

 

 

 

– Le PV, après son adoption (L2325-21 CT), est affiché ou diffusé aux salariés par le secrétaire suivant les modalités définies au règlement intérieur du CE..

 

Les salariés sont les destinataires finaux du PV et par là, l’Esprit de la Loi est clair : les échanges entre élus représentants et la direction de l’entreprise ou de l’Etablissement ont un destinataire :le salarié

Cette transparence est ce qu’organise la Loi à travers la diffusion aux salariés du PV, c’est-à-dire la transparence de l’activité de leurs représentants face aux directions d’entreprise ou d’établissements

Les élus ne sont donc pas là pour faire des cachotteries , ou jouer des jeux personnels vis-à-vis de la direction.

Ils sont là, en toutes transparence ,pour relater fidèlement aux salariés ce qu’il se passe dans l’entreprise au plus haut niveau et notamment, tout ce qui peut impacter leurs emplois, leurs conditions de travail, leur avenir professionnel.

Le PV construit cette transparence et le secrétaire du CE a ce rôle particulier, en établissant le PV, d’œuvrer particulièrement en ce sens.

 

Le PV, on le voit à travers ces quatre caractéristique donne à penser le cadre dans lequel s’insère la stratégie des élus du personnel.

Faire que le PV donne le maximum de garantie juridique pour pouvoir être relayé par d’autres acteurs précieux (inspecteur du travail, justice) , penser aux salariés qui s’appuieront ou pourront s’appuyer sur lui, même dans l’avenir, construire le récit de la démocratie sociale de l’entreprise à travers son récit le plus transparent et le plus exact possible, afin de réaliser quelles en ont été les étapes de construction, et ainsi ,édifier aussi les futurs élus qui prendront plus tard leurs mandats, avec le sentiment légitime qu’ils accomplissent, et continuent décidément d’accomplir, une noble  et haute mission.

comment rédiger efficacement un avis consultatif?

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A force de voir des avis consultatifs de CE et de CHSCT peu efficaces dans leur rédaction, c’est-à-dire non susceptibles de provoquer une salutaire réflexion du côté de la direction, et surtout peu susceptibles de déclencher le droit de suite libellé à l’article L2323-3 CT , on connaît bien l’écueil : que l’avis consultatif ne soit en réalité suivi d’aucun effet concret impactant la décision de la direction dans le sens des intérêts des salariés , intérêts que représentent légitimement les instances CE et CHSCT .

Pris dans cette inefficacité souvent les élus vont alors imputer leurs défauts d’impact au droit consultatif lui-même, sans réaliser, avant tout, leur propre insuffisance à savoir l’utiliser efficacement.

 

Pour savoir l’utiliser au mieux, il faut déjà comprendre cette équation de base :

La façon dont est rédigé l’avis est plus importante que le caractère favorable ou défavorable de l’avis .

 

Autrement dit, peu importe au fond que l’avis soit favorable ou non, ce qui importe, c’est la façon dont il est rédigé et qui doit obliger l’employeur à donner une suite aux « avis et vœux » du CE, comme il est indiqué à l’article L2323-3CT.

L2323-3 CT: « l’employeur rend compte, en la motivant de la suite donnée à ces avis et ces voeux »

complété par l’article L2325-20 CT qui précise:

L2325-20 CT : »

« L’employeur fait connaitre lors de la réunion du CE suivant la communication du procès verbal sa décision motivée sur les propositions qui lui sont soumises »

 

Dés lors la « tactique » de rédaction du CE ou du CHSCT dans la rédaction de l’avis doit suivre cette logique : obliger l’employeur à répondre aux vœux et aux avis du CE ou du CHSCT.

 

A ce titre on relèvera les principes suivants :

 

1°) être le plus précis possible dans les vœux indiqués : par exemple , indiquer clairement la contre proposition souhaitée à ce que propose l’employeur.

 

Exemple : l’employeur propose des équipes de travail  à 5X8, nous proposons 3X8 et une équipe de week end

Ensuite argumenter sur les raisons de votre choix

 

Ne pas laisser dans le flou la contre proposition

 

2°) ouvrir des options ; le principe est le suivant : plus il y a d’options ouvertes et plus l’employeur devra répondre à chacune des options et plus il lui deviendra difficile de les réfuter toutes ; en reprenant l’exemple ci-dessus, cela donne :

 

contre proposition 1 : 3X8 et une équipe de week end

contre proposition 2 : 2X8 ,une équipe de nuit,une équipe de week end

contre proposition 3 : 2X8, deux équipes en alternance : nuit,week end

contre proposition 4 : une expérimentation sur 6 mois de la contre proposition 3 et si les résultats ne sont pas probants, un retour à la contre proposition 1 ou 2

hiérarchiser les options de manière à laisser au plus claires vos préférences, à rendre imparable votre « bonne volonté » (puisque vous indiquez des options alternatives) et à faire apparaître ainsi, de façon indéniable, que la mauvaise volonté ne sera jamais de votre côté

 

On voit que là, il devient très difficile à la direction de tout écarter en bloc, car elle devra motiver chaque refus pour chaque contre proposition ; du coup elle prendra le temps de les étudier, ce qui lui permettra d’en retenir au moins une, sans perdre la face puisqu’elle aura choisi.(et non pas « cédé à vos demandes »).

 

3°) quand la contre proposition s’appuie sur un droit précis, citer au moins la référence de l’article de loi ou de règlement sur lequel il s’appuie, sinon citer l’article complet :

 

exemple : conformément à l’article L2323-3 CT   ,nous demandons quelle suite sera réservée à nos vœux énoncés aux points un et deux précités.

 

Ceci est un élément qui apporte de la crédibilité à votre instance, et qui oblige l’employeur à de la rigueur équivalente dans la réponse qu’il vous adresse. Moins vous êtes précis et rigoureux dans vos observations et propositions et plus elles seront traitées avec désinvolture.

 

) argumenter au plus précis ; trop souvent les argumentations restent floues ; plus l’argumentation est précise et plus elle oblige la direction à de la précision, sinon votre argument est balayé d’un revers de main.

 

Exemple

Avis 1 :nous souhaitons des équipes en 2X 8 « parce que en 5X8 cela provoque plus de stress : »

Avis 2 : comme l’a montré le médecin du travail sur le rapport rédigé le 5/03/2011 alors qu’une expérimentation en 5X8 était en cours sur les postes A et B, les salariés soumis à ce régime:

– ont connu durant la période en moyenne 50% de troubles de sommeil en plus que les salariés non soumis à ce régime

– ont été absents en moyenne 2 journées de plus que la moyenne des salariés non soumis à ce régime

sur cette base il a pu être démontré que cette organisation du travail  en 5X8 avait sur la santé un impact négatif, et sur la production  qu’elle provoquait un plus grand absentéisme.

c’est pourquoi nous proposons de …..(suivent les options)

 

          Inutile de dire que l’avis 2 risque d’être un peu plus impactant que le 1, toutes choses égales par ailleurs !

 

-La part argumentaire précise et claire permet de suivre un débat sur la durée, car tous ces éléments seront ensuite répertoriés sur le PV dont on rappelle que le maître d’œuvre est, quoiqu’il en soit, le secrétaire du CE (ou du CHSCT pour un CHSCT).

Par ailleurs, le CE et le CHSCT ne doivent jamais oublier que la qualité de leurs avis consultatifs impacte aussi leur image vis-à-vis des salariés qui liront le PV et pour qui les débats doivent être clarifiés au maximum, ce qui ne veut pas dire qu’ils doivent être simplifiés ou résumés :

L’idée de la compétence des instances CE et CHSCT doit pouvoir se glisser petit à petit dans l’esprit des salariés, comme cette même idée doit pouvoir émerger aux yeux de la direction : il y va du respect des instances ,  respect dont le premier motif est l’admiration qu’elle doit susciter , tant vis-à-vis de la direction que vis-à-vis des salariés, respect avant tout pour la qualité de leur travail effectué, dont la qualité de rédaction des avis consultatifs fait éminemment partie.

 

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six idées fausses et rebattues sur le droit du travail

libertés et productivité du travail

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« Le respect des libertés dans l’entreprise est un facteur de productivité ». Voilà une assertion qui provoquerait chez  les DRH beaucoup de haussement d’épaules et de moues dubitatives, cependant, on donnera ici des arguments difficilement contournables pour l’étayer :  

– premièrement le respect des libertés dans l’entreprise , c’est d’abord et avant tout le respect du principe de l’article L1121-1 CT, selon lequel

« les restrictions de liberté apportées au salarié ne peuvent se justifier que par l’exécution d’une tâche précise et ce, de façon proportionnelle au but recherché« .

C’est donc un principe de limite raisonnable et ajustée de la restriction de liberté à sa stricte nécessité pour l’accomplissement des tâches.  

Considérons maintenant les restrictions imposées et qui vont au-delà de ces nécessités ; la question est alors : ces restrictions vont-elles favoriser la productivité ? La réponse est non, pour trois raisons au moins:                     

 

-a) la restriction imposée au-delà de la nécessité annihile la part d’invention et de créativité que peut apporter le salarié à  l’amélioration de son propre travail et de ses conditions de travail.  

Exemple : restreindre les temps de pause et les discussions informelles des salariés autour de leur travail empêche l’élaboration informelle de solutions au travail et les conseils, souvent judicieux, qui s’échangent sur la façon de travailler entre les anciens et les plus jeunes dans l’entreprise lors de ces échanges informels : en ce sens, la restriction de ce qui ne parait pas productif (la discussion informelle) empêche en fait l’échange qui permet d’améliorer la productivité à terme, sans compter qu’elle empêche l’effet de solidarité soutenant ,pour chacun, de ce type d’échange .

                   

-b) toute restriction imposée sans nécessité est un barrage à la réflexion et à la pensée du travail : elle met en demeure le salarié de « ne pas penser » au sujet de son travail en fonctionnant dans les automatismes. Globalement, seule la pensée du travail par ceux qui travaillent dégage des espaces pour penser les améliorations de processus au travail.

plus’on empêche le salarié de penser en lui imposant des consignes inutiles ,plus on l’encourage à ne pas se concentrer sur la nature de son travail, pour le concentrer sur le respect ou non de la consigne.  

Exemple : les discussions des salariés qui tournent autour du respect ou non des consignes dans un lieu ou leur surabondance est telle, que plus personne ne pense plus à l’existence des nécessités du travail en lui-même et du résultat de ce travail sur ceux qu’il est censé concerné :par exemple dans un établissement de soins ,au lieu de penser autour du bien être des patients, lorsque toutes les discussions de travail se polarisent sur les consignes à respecter et sur le fait de savoir qui les a ou non respecté.              

 

c) à partir du moment où les salariés ne sont plus amenés à penser directement sur leur travail, à travers ses processus et ses résultats , leur capacité d’initiative s’auto restreint par elle-même, donnant naissance à deux types de phénomènes, qui vont ensuite former une boucle infernale :  

– toutes les initiatives spontanées que les salariés pourraient prendre par eux-mêmes  sont alors, par habitude et sur adaptation ,renvoyées vers la hiérarchie, provoquant un sentiment « d’impuissance » des salariés face à leur travail, sentiment d’impuissance qui peut signer leur entrée dans la souffrance au travail.  

– La hiérarchie elle-même, ou parfois le hiérarque seul ,entrent alors dans un phénomène psychosocial bien connu et qui s’appelle la saturation : bombardés  de responsabilités et de travail, ils pourront éprouver le stress des cadres surmenés au travail, partageant la croyance (fausse parce qu’induite par le système qu’ils ont contribué à mettre en place) selon laquelle « sans eux, tout s’écroule » et pourquoi pas, verser alors dans la paranoïa du tout vouloir contrôler par eux mêmes, et se retrouver dans les pires cas, en position où ils serait eux mêmes perçu comme « harceleurs ».  

Ce que ne voient pas nombre de DRH ,et aussi parfois nombre de salariés eux-mêmes, c’est que le respect d’un principe de droit ne relève pas seulement de celui d’une norme contraignante ; respecter la liberté est un principe de droit qui cadre et limite au strict nécessaire les consignes et les prescriptions .

Le principe de droit est un cadre qui permet l’efficacité réelle et rationnelle (on pourrait même dire réelle parce que rationnelle).

Le fait de savoir utiliser un principe de droit consiste d’ailleurs à en tirer partie de manière efficace pour permettre l’exercice d’une liberté, et implique une attitude radicalement différente de celles qu’on observe le plus souvent, c’est à dire celles consistant à l’ignorer, à le contourner ou à le craindre.

La liberté est ainsi de par le droit ici manifeste dans l’article L1121CT, un principe avant tout de raison et donc un principe efficace et productif, lorsqu’il énonce l’interdiction de tout ce qui n’est pas justifié et qui restreint sans raison l’exercice d’une liberté productive.

En fait la liberté « raisonnable » est un de ses principes rationnels qui engendre aussi de l’efficacité productive.

On rappellera que c’est la noble mission des DP de défendre les libertés dans l’entreprise(L2313-2CT ) et à ce titre, aussi, de contribuer aussi à son efficacité et à sa productivité.

 

 

 

 

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Double contrainte au travail : un cas concret de stress généré par l’organisation du travail dans les services.

 

Le cas (bien sûr fictif

 

Nous sommes chez un distributeur d’énergie. Pour ne pas provoquer de procès inutile  en le nommant par son nom, appelons le « Rapide Energie ».

 

Un client – Dupont –appelle l’opératrice de Rapide Energie pour régler une facture de 600 € et pour laquelle  l’opérateur lui a adressé une mise en demeure au moment des congés de Noël .

Le client étant absent lors de la période de Noël, il lui a été adressé alors par Rapide Energie un avis de résiliation de contrat de fournitures pour non paiement de facture.

Le client, Dupont, passablement inquiet au retour de ses congés, appelle donc le service en question et se propose de régler la facture en deux fois, en déboursant immédiatement 300€.

Le client demande 8 jours pour payer la différence, soit les 300€ restants.

L’opératrice lui explique alors qu’elle peut, certes, encaisser les 300 € ,mais n’a aucun pouvoir pour arrêter le  processus de suspension de fournitures  d’énergie déjà engagé.

Le client s’étonne : l’opératrice a le pouvoir d’encaisser le règlement partiel, mais pas celui d’arrêter le processus engagé de coupure de fournitures?

Evidemment l’opératrice explique au client qu’ elle ne peut rien faire, parce qu’elle ne peut arrêter une pareille procédure de son initiative.

 A la fin de ce dialogue, qui tourne en rond, et n’a en rien résolu  le problème du client, et n’atténue en rien la menace pesant sur lui de suspension imminente de ses fournitures d’électricité (malgré les 300€ encaissés par l’opératrice), l’opératrice demande alors d’une voix tremblante « si le client est  satisfait de son service »?

 

Le lendemain même , le client reçoit de « Rapide Energie » un questionnaire sur sa satisfaction quant au contact qu’il a eu lors de son entretien de la veille avec l’opératrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

Analyse du cas

 

Posons quelques questions à propos de ce cas pour en analyser le processus

 

-a) quels risques court la salariée dans cette situation ?

 

-b) Le client est il responsable de la tension engendrée par cette situation ? La salariée l’est elle pour autant ?

 

– c) Quelles pourraient être les conséquences de la tension engendrée ?

 

– d) Mais alors, qui en est responsable et pourquoi ?

 

a) La salariée est prise dans une double contrainte : elle doit satisfaire le client et son évaluation en dépend , mais elle est mise en situation de ne pouvoir le faire, car la procédure qui lui est imposée laisse hors de portée les moyens qu’elle aurait de le faire.

Elle risque donc :

 

        1) de subir les foudres verbales dues au mécontentement du client

 

        2) de subir les foudres du mécontentement de ses supérieurs, car si jamais elle « dérape » dans sa relation verbale au client, c’est elle qui risque professionnellement d’en assumer les conséquences.

 

      3) de subir l’effet d’impuissance de la situation : le fait est « qu’elle ne peut rien faire » pour solutionner le problème du client.

 

b) Le client est insatisfait du service et pour de bonnes raisons : il ne peut comprendre que le problème qu’il cherche à solutionner n’ait pas de solution, malgré les moyens qu’il est prêt à mettre en œuvre pour résoudre la situation.

La salariée n’en est pas plus responsable et sa bonne volonté n’est nullement en cause : le fait est qu’elle est « impuissante »à résoudre le problème.

 

c) quelles pourraient être les conséquences de la situation engendrée ?

 

– très clairement une situation de violence au moins verbale : car l’enjeu est considérable pour le client- voir son électricité coupée- et pour la salariée – se voir reprocher une faute professionnelle si elle répond mal au client ;

la situation est donc génératrice de violences potentielles :

 

– le client pourrait agresser verbalement l’opératrice et dans ce cas, c’est à elle de ne pas répondre agressivement au client, et donc, d’encaisser un nouveau choc : celui de l’impuissance ressentie à réagir à des agressions verbales, sous peine de se retrouver sanctionnée par sa hiérarchie.

 

– l’insatisfaction, réciproque, de la salariée et du client fait le jeu de la frustration et de ses retours de bâton pour la salariée : le client peut se défouler sur « l’évaluation qui lui est proposée par Rapide Energie du service rendu par l’opératrice »

 

d) On en arrive ainsi à la dernière question : « mais qui alors est responsable et de quoi ? » constatons alors les faits suivants :

 

– évidemment, le cloisonnement entre l’opératrice et le service qui diligente la coupure des fournitures est « organisé » par Rapide Energie .

 

– l’évaluation systématique de la salariée par le client lui même est aussi un effet de l’organisation du travail et de la politique d’évaluation des salariés effectué par Rapide Energie.

 

– les moyens mis à disposition du client pour se défouler éventuellement sur l’évaluation de la salariée sont donc organisés par Rapide Energie.

 

– l’absence de solution à la situation concrète à laquelle est confronté le client, qui permet à la tension de monter, est un effet de la politique client et de la politique combinée de mise en situation d’impuissance des salariés ,mises en place par Rapide Energie.

 

C’est donc l’organisation du travail qui organise ici l’impuissance et ses conséquences frustrantes pour l’opératrice et pour le client ,avec,  en prime ,l’instrument pervers de l’évaluation de la salariée mis à disposition du client pour se défouler de sa frustration sur l’opératrice.

                                     

 Faut il encore chercher plus  loin le vrai responsable ?

 

Ce cas, purement fictif bien sûr, pourrait approcher certaines réalités, dont le lecteur aurait pu entendre parler.

 

Il  se répète quotidiennement pour des salariés,  ,générant la double contrainte et le sentiment d’impuissance  qui va avec, à moins qu’il ne génère des situations de violence ou d’incivilité, dont certains auront vite fait d’attribuer volontiers aux seuls clients la responsabilité ,exonérant du même coup, l’organisation du travail mise au point par tous les « Rapide Energie » ,  qui développent ainsi désormais un peu partout dans le Monde  ce type  d’ organisation du travail.

 

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On connaît le principe intangible posé par l’article L1121-1 CT : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».    

Cet article délimite à la fois le pouvoir de l’entreprise et du management sur le salarié et le limite clairement à l’exécution de tâches précises. Cet énoncé  donne donc le principe de la mesure des libertés du salarié dans l’entreprise : le principe est que les libertés sont dans l’entreprise inaliénables, sauf dans la mesure où les restrictions imposées par l’employeur ressortent de l’application de cet article L1121-1, d’une tâche précise, et dans une proportion adéquate de restriction de liberté quant à la nécessité d’accomplir cette tâche.

Ainsi, on entendra, par exemple, qu’il est adéquat d’imposer des chaussures de sécurité sur un chantier (nécessaire restriction à la liberté de se vêtir pour y circuler sans danger) et non pas une tenue de cosmonaute (restriction qui serait alors disproportionnée, vu le contexte de la tâche dans la liberté de se vêtir).

Ainsi on entendra qu’on exige plus une tenue vestimentaire appropriée quand il s’agit de recevoir de la clientèle que pour un emploi où le salarié n’est pas amené à rencontrer de clients.

Ainsi on comprendra que certaines restrictions ne soient en aucun cas justifiées par une quelconque tâche, comme celle d’interdire parler à ses collègues, ou celle d’interdire de se marier avec un ou une collègue de travail , car aucune tâche précise ne saurait justifier une pareille atteinte aux libertés fondamentales.

Outre le fait , (traité dans un autre article) que c’est parfois le salarié qui en vient lui-même à sur adapter son comportement pour se soumettre à des exigences illégitimes et qui ressortent de  la volonté (réelle ou supposée) de l’employeur, plutôt que de se plier aux seules restrictions de liberté qu’exige le caractère subordonné de l’exécution de sa tâche, la question explorée sera alors ici la suivante :  

 Les managements respectent ils en général les principes énoncés à l’article L1121-1 CT ? Et sinon, comment peut on en prendre la mesure?  

Pour aider les salariés, et notamment les élus DP dont c’est justement aussi la mission de défendre les libertés dans l’entreprise (L2313-2CT ) , nous donnerons ici une série de critères permettant de prendre la mesure du respect des libertés dans l’entreprise par leur management.

Parmi ces critères, certains sont d’ordre formels et juridiques, d’autres sont plus d’ordre psychosociaux et rejoignent certains critères évaluables dans le cadre des risques psychosociaux avec cette équation posée à la base :  

il y a un lien entre l’absence de libertés et les risques psychosociaux  

A) Critères formels et juridiques .

 

Le premier critère, formel et juridique, est de repérer l’enchevêtrement et la confusion, parfois considérables , qui règnent dans certains établissements ou entreprises , enchevêtrement de normes et de règles dont les salariés, les élus, et même parfois la direction, sont incapables de situer le nombre ,l’origine et la réelle portée juridique.

L’enchevêtrement des normes et des consignes, notes de service, outre qu’il fait planer une sorte d’épée de Damoclès sur tout salarié et bride bien évidemment son énergie et d’ailleurs aussi, sa créativité, dans une peur généralisée et rarement énoncée de « mal faire », l’enferme dans une sur adaptation forcée d’où, parfois, le salarié va s’imaginer des choses interdites et qui ne le sont pas , car elles n’ont pas à l’être.

Il est impressionnant d’avoir un aperçu de ce phénomène grâce à cette petite expérience : téléphonez dans une entreprise et demandez le nom du secrétaire du CE ; notez alors le nombre de fois où l’hôtesse d’accueil vous répondra « qu’elle n’est pas autorisée à le dire » comme s’il s’agissait d’une information par nature confidentielle . Que l’hôtesse ait elle-même sur interprétée, ou non, la consigne donnée du secret sur un renseignement par nature non confidentiel, le décor est quoiqu’il en soit, planté : une crainte généralisée plane chez la salariée et qui circule un peu partout en instituant comme une obligation de rendre secret  tout ce qui est interne à la vie normale et institutionnelle de l’entreprise  .

L’enchevêtrement des consignes, mais aussi la confusion juridique sur l’origine des multiples normes et consignes restrictives qui circulent, la méconnaissance du droit et de ce qui est texte de droit, et l’interprétation parfois ubuesque de ces textes par certains contribue à créer un climat de peur diffuse.

Cette peur est disproportionnée  quant à la réalité l’interdit légitime et légal ,et donc, entrave fortement la liberté des salariés plus que le seul interdit légitime et légal ne devrait le faire. Elle crée ce qu’on appellera de la « sur-adaptation » des salariés qui finissent par croire que « tout est interdit » dans l’entreprise, y compris s’exprimer, et qu’il faut demander l’autorisation pour « tout ».

Il est évident que nombre de managements s’appuient sur cette confusion et l’entretiennent.

 Ce sont ensuite ces mêmes managements qui s’étonneront, benoîtement, que le climat régnant  dans l’entreprise ne libère pas la créativité des salariés, salariés qu’ils trouveront alors toujours bien trop « timorés ».( Dieu se rie de ceux qui déplorent les conséquences dont ils ont tant chéri les causes- Bossuet) .  

Ne faisant jamais le lien entre le manque de libertés accordées aux salariés et le peu de créativité de leur part qui en est la conséquence, ce type de management est à peu près sûr de ne rien comprendre et donc, de ne rien apprendre ; pire encore, ce management sera tenté, par la suite, de renforcer encore les normes restrictives pour obtenir des salariés ce que justement l’abus et la confusion des normes, notes de service et leur enchevêtrement empêchent qu’ils ne produisent.

Pour éclairer notamment les DP sur ce point, il faut qu’ils apprennent à distinguer l’origine et la force de droit des différents niveaux de textes restreignant légitimement et légalement les libertés qui sont en circulation dans l’entreprise ou l’établissement, et les contrôles juridiques existant sur ces restrictions d’un point de vue légal.

On distinguera utilement à ce sujet :

– les textes d’origine juridique : soit la loi et ses décrets et règlements, soit les jurisprudences, soit l’ensemble des conventions collectives et accords d’entreprise applicables dans l’entreprise et qui recouvrent des dispositions obligatoires sur lesquels il n’y a pas de dérogations possibles , exemple : les décrets hygiène sécurité du code du travail et qui énoncent certaines obligations des travailleurs comme celle-ci à l’article L4122-1CT

« Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur , dans les conditions prévues par le règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un , il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. Les instructions de l’employeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d’utilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses. »

-Le règlement intérieur de l’entreprise, obligatoire pour les plus de 20 salariés, et qui a justement pour objet la mise en application des règles d’hygiène et sécurité dans l’entreprise : Ce règlement intérieur peut imposer, par exemple, les ports de vêtement spéciaux ou les règles particulières d’accès à certaines zones de l’entreprise, ou d’autres types de restrictions légitimes de comportement. Rappelons cependant le principe d’encadrement de ce texte qui peut potentiellement restreindre  des libertés des salariés dans l’entreprise

 a) tout règlement intérieur est soumis à l’avis consultatif préalable du CE, et du CHSCT pour ce qui concerne les matières relevant de sa compétence (L1321-4 CT), puis transmis à l’inspecteur du travail.

b) Le cadre du règlement intérieur est strictement délimité à édicter les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise, aux règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment l’échelle des sanctions, aux dispositions relatives aux droits de la défense des salariés, ainsi qu’aux dispositions sur le harcèlement moral et sexuel (L1321-1 et 2 CT)

c) l’inspecteur du travail peut faire retirer les clauses illégales du règlement intérieur et/ou hors champ de ce règlement, et faire rajouter celles qui manquent et qui sont obligatoires (L1322-1CT).

– les normes internes de qualité et de fabrication, ainsi que les notes de service et dont les restrictions aux libertés qu’elles imposent doivent obéir au principe de l’article L1121-1 CT et donc :

1) être nécessaires à la tâche à accomplir

2) être proportionnées au but recherché

On rappellera  utilement à ce propos que les circulaires administratives ne sont pas des textes de droit, mais des normes internes aux ministères dont généralement elles émanent, et dont la légalité tient au respect des lois qu’elle met en jeu; s’il s’avère qu’une circulaire administrative, ou sa mise en application, conduit à restreindre la liberté au-delà du principe de nécessité énoncé à l’article L1121-1CT, c’est la circulaire qui se trouvera mise en cause, car elle n’a aucune force juridique , contrairement à la loi.

On ajoutera à ceci que le déferlement actuel des  » chartes éthiques et normes de comportements », que tentent d’imposer à travers le monde différents groupes , notamment internationaux, ne procède d’aucune légitimité propre et doivent être renvoyés, soit vers le règlement intérieur, pour ce qui concerne les parties relatives au contenu de ce règlement intérieur, soit vers le néant dont elles n’auraient jamais dû sortir .

Quant aux normes de comportement admissible dans une entreprise , on notera que nous disposons en France d’un code civil et d’un code pénal, qui suffisent largement en la matière pour traiter de ces questions, et qui ont , eux, le mérite d’avoir force de loi et donc toute légitimité d’application sur le territoire de la République, y compris dans les entreprises à direction étrangère.

Enfin on dira un mot sur ce point des règles de confidentialité ,dont on sait d’expérience que l’interprétation souvent abusive de la part des managements, français notamment, conduit à instituer une sorte de chape de plomb sur la transmission d’information des élus du personnel aux salariés et créé une sur adaptation quasi permanente de nombre d’entre eux à ce qu’ils croient être obligatoire ,et qui ne l’est pas en définitive.

En réalité deux conditions cumulatives peuvent permettre de poser une confidentialité sur une information donnée par l’entreprise aux élus du personnel :

a) que la nature de l’information soit confidentielle ; parfois cette nature confidentielle de l’information est donnée par la loi (suite à un droit d’alerte économique du CE par exemple, comme énoncé à l’article L2323-82CT)

b) qu’elle soit donnée comme telle par l’entreprise.

Autrement dit, il ne suffit pas que l’entreprise énonce comme confidentielle une information pour qu’elle le soit, encore faut il que l’information soit bien de nature confidentielle. Sinon la tendance de beaucoup d’entreprises est de considérer que  tout ce qu’elle diffuse d’informations, aux CE notamment, est confidentiel, piégeant ce dernier dans le « culte du secret », culte qui lui sera un jour fort justement reproché par les salariés dont il tient sa légitimité et son mandat, et qui sont là pour avoir de leur légitimes représentants l’information suffisante pour prévoir et savoir ce qui va leur advenir.(fonction de veille, dans l’intérêt des salariés, du comité d’entreprise).

On notera ainsi qu’un bilan d’entreprise n’a rien qui soit de nature confidentielle, au contraire, c’est de l’ordre du domaine public.

B) Critères psychosociaux d’appréciation du degré de liberté dans l’entreprise

Ces critères permettent d’apprécier ce qu’il en est de la liberté des salariés dans la mesure même où les contraintes et restrictions de liberté perçues par le salarié dépasseraient notablement ce que prévoit le droit en la matière ; en somme, il s’agirait d’apprécier, de façon différentielle, l’écart entre la réalité des restrictions légitimes et le niveau de sur interprétation dont elles font l’objet de la part des salariés et de leurs élus ; il s’agit donc de repérer un faisceau d’indices concordants qui manifestent une distorsion qui viendrait dénoter une absence, ou une insuffisance de liberté.

Le premier indice, assez courant et à portée de chaque salarié, consiste à observer un phénomène très social qu’on pourra nommer, pour la circonstance, « l’ouverture automatique des parapluies ».

– quand, dans une entreprise ou un établissement, chacun s’abrite derrière un supérieur, ou derrière une consigne,ou derrière un autre service, pour répondre à une question franche et qui ne soulève aucun problème juridique, et « ouvre le parapluie » pour renvoyer sur un collègue ou un supérieur qui en fera autant, on peut se dire qu’il y a des solides probabilités pour qu’un problème de liberté soit chevillé au cœur de cette entreprise , qu’elle soit privée ou publique, ou qu’il s’agisse d’un établissement administratif.  

Cet indice, qui n’est pas en soi encore suffisant pour détecter le défaut de liberté dans l’entreprise , se complétera utilement par d’autres observations complémentaires :

– quand aucun salarié, ou presque, ne vient solliciter un délégué du personnel par une crainte non fondée de « représailles » qui n’existent pas en droit, mais dans l’imaginaire collectif salarié (imaginaire parfois bien entretenu par certains hiérarques) .

-quand les propositions ou initiatives posées par les salariés pour changer leur conditions de travail et /ou la qualité de leur travail, sont proches de zéro.

– quand le phénomène de « boucs émissaires successifs » s’accumule dangereusement sur un titulaire de poste bien particulier , quelqu’il soit, car cela dénote une absence de résolutions de problème et, en son lieu et place une « phénomène de désignation de bouc émissaire ». Cela dénote donc une absence de liberté pour résoudre un problème et la facilitation des jeux scénariques permettant l’exclusion des uns ou des autres ,en lieu et place d’un processus clarifié de résolution de conflits.

– quand l’expression des salariés est contrainte par la version officielle de l’évènement qui vient de se produire dans l’entreprise, quelque soit l’évènement qui vient par ailleurs de se produire.

– quand il n’ y a aucune communication autonome du CE sur ces mêmes événements et qu’une seule version- celle de la direction – circule.

– quand il n’existe aucun tiers séparateur désigné en cas de conflit de travail ou au travail ,et que la seule question posée est alors « de rechercher le coupable ».

– quand les risques psychosociaux sont déniés, ou minorés, ou rejetés à l’extérieur de l’entreprise sur « les transports en commun » ou sur le « mode de vie du salarié »,par exemple.

– quand la légitime expression des élus du personnel est entravée de façon systématique

-quand le salarié ne peut exprimer une problématique de travail sans être taxé d’incompétence.

– quand le turn over et les absences de courte durée explosent de façon inexplicable, ainsi que les demandes de visite chez le médecin du travail.

Alors, cumulant tous ou certains de ces indices, le DP pourra diagnostiquer, sans grand risque d’erreur, un problème de « libertés dans l’entreprise » auquel sa mission lui donnera toute légitimité de s’attaquer( L2313-2CT ).

On pourra donc conclure cet article sur ces deux considérations:

Premièrement, le lien entre absence de liberté dans l’entreprise et risques psychosociaux est patent : le stress c’est « quand le salarié perçoit qu’il ne dispose plus des ressources nécessaires pour faire face à ses contraintes »  (définition de l’agence européenne de santé). Une des voies d’entrée dans le stress est donc la perception excessive des contraintes et leur surévaluation permanente, par rapport aux libertés qui,normalement exercées dans l’entreprise devraient conduire à en atténuer le ressenti: quand un salarié imagine qu’il ne peut rien faire d’autre que ce qu’il fait dans son travail, sans degré de liberté pour le faire autrement , il s’ouvre une des portes qui mène au stress professionnel

Deuxièmement et de façon corollaire, l’excès des normes et consignes, ainsi d’ailleurs que parfois la pléthore des « petits chefs » et l’avalanche de consignes  contradictoires ou paradoxales qui s’ensuit, nuit bien évidemment à la productivité et à l’amélioration continue des processus de production.

En se coupant  des ressources que pourraient utilement apporter tous les cerveaux présents dans une entreprise pour le bien d’une entreprise, des salariés, conditionnés et effectuant leur travail à l’instar de robots apeurés, sans libertés pour entreprendre et proposer de changements dans leur travail, ne constituent certainement pas une main d’œuvre adaptable aux évolutions et changements nécessaires, avec toute l’imagination qu’il faudrait pour inventer de nouvelles solutions pour l’entreprise de demain.

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Cet article traite d’un sujet on ne peut plus délicat et pour ainsi dire tabou : il s’agit de comprendre des comportements sur adaptatifs qui conduisent certains salariés à « sur adapter » leurs attitudes à ce qu’ils estiment être la volonté de leur employeur ou de leur direction, ou celle de leur management.

Cette « sur adaptation » fait qu’ils  interprètent parfois de leurs parts des consignes imaginaires, ou même, cette sur adaptation les conduit à  dissimuler certains faits qu’ils savent être délictueux parce qu’ils émanent de leur direction ou de leur management.

En somme,ces salariés se sur adaptent au rapport de subordination qui les lie à l’employeur, en le sur interprétant, et en tirent des conséquences injustifiées quant à leurs attitudes et comportements.

Pour traiter cette question de façon objective, nous choisissons d’appliquer le concept de sur adaptation ( issu de l’analyse transactionnelle), parce que ce concept recoupe finalement l’ensemble des attitudes qui conduisent aux comportements ci-dessus énoncés.

L’adaptation, qui consiste dans le cadre du contrat de travail à uniquement être subordonné dans l’exécution de sa tâche, se voit ici et dans le cas d’une sur adaptation, sur interprété, car au lieu de rester seulement subordonné à son entreprise et à ses supérieurs hiérarchiques quant à l’exécution d’une tâche précise , le salarié se soumet à leur volonté  en soi (ou à ce qu’il croit être cette volonté).

Le salarié, du fait de cette sur interprétation de son obligation, s’oblige alors beaucoup plus qu’il ne le devrait , ce qui entraîne une appréciation faussée de la réalité  et de la réalité de son rapport à l’employeur, ou à son hiérarque, et entraîne des conséquences potentiellement funestes .

Au pire, une des  conséquences funestes de cette sur-adaptation  peut être qu’il se rende alors complice d’actes délictueux commis par sa hiérarchie, en ne dénonçant pas, par exemple, des faits de harcèlement moral ou sexuel de la part d’un hiérarque, en ne dénonçant pas, par exemple, une fraude sanitaire évidente de la part de son entreprise, en taisant des faits délictueux ou potentiellement criminels qu’il connaît pourtant, parce qu’ils émanent d’un hiérarque ou du management de l’entreprise.

Hélas aujourd’hui ce genre de comportements ou d’attitudes, tend particulièrement à se démultiplier.Une des causes  de cette démultiplication en est la tendance de certains managements contemporains à dépasser le cadre de la vie au travail ,pour prétendre gérer des situations qui devraient ressortir de l’espace personnel. Le lien de complicité est alors inscrit dans une relation qui dépasse la relation de travail et qui happe le salarié dans une relation qui dépasse ce qu’exige le rapport au travail: se sentir solidaire de son chef parce qu’il est le supérieur hiérarchique,n’est pas un sentiment « normal » mais le fruit d’une confusion des rapports qui relient normalement celui qui travaille avec celui qui donne les consignes relatives à ce travail. En cas de moindre problème, cette confusion se retournera immanquablement contre le subordonné.

Ce qui rend difficile de traiter (sereinement) de cette question est effectivement le déni dans lequel le salarié se trouve être quant à reconnaître sa propre sur adaptation : car sitôt que cette sur adaptation se trouve démasquée, la justification lui apparaît alors évidente : « mais enfin il est le chef et je dois lui obéir, sinon je perds mon emploi ! »

Or ce raisonnement, qui parait de bon sens, est en fait faux : le salarié s’imagine qu’en se rendant complice, il gagnera une sécurité de son emploi de la part celui dont il se rend complice, alors qu’il ne fera qu’attiser son mépris, et donc  sa dépendance psychique vis-à-vis de ce hiérarque.

En fait l’état de complicité n’est pas un état sécurisant, sur un plan psychique; confondu avec la solidarité, il s’applique à mauvais escient car il oublie (ou méconnaît) une réalité qui n’est pas que juridique: la Loi s’impose à tous, et la complicité dans le fait de ne pas la respecter, créé en fait l’insécurité dans un rapport dont aucun des protagonistes ne mesure les conséquences et qui leurs échapperont toujours. En fait la complicité rend dépendant et ne libère personne. Par contre la victime d’une complicité entre hiérarque et subordonné sera, quoi qu’il en soit, toujours, le subordonne: c’est le subordonné qui a le plus intérêt au règne de la loi, car elle le protège, ce que méconnaît le salarié « sous influence » devenu « complice ».

Se rendant alors de plus en plus dépendant, il rend sa propre situation plus précaire et comme assise  sur un siège de plus en plus  éjectable .

En réalité,  au lieu de renforcer sa situation pérenne de salarié dans l’entreprise, sa complicité la fragilise.

Au reste, le hiérarque délinquant qui s’appuierait sur un tel salarié complaisant a en fait un intérêt objectif à s’en débarrasser au plus vite, car ce salarié lui renvoie en permanence l’image du délit dont le salarié s’est rendu avec lui ,même passivement , complice.

Aussi il ne faut pas s’étonner outre mesure que lorsque de tels faits se produisent , comme par hasard , le salarié, un moment complice, se retrouve ensuite rapidement remercié, muté ou licencié.

La sur adaptation repose donc  sur une appréciation toujours fausse de la réalité, et là est son principe  de « sur adaptation ».

Ce n’est donc pas seulement un principe d’ordre moral que de ne pas se sur adapter, mais un bien un principe d’ordre rationnel ;

car  à chaque fois qu’une sur adaptation est en jeu, c’est qu’une réalité aura été méconnue,.

Une sur adaptation traduit et trahit un raisonnement faussé,  institué alors à la place d’un raisonnement tenant compte de la réalité.

C’est pourquoi pour combattre la sur adaptation, il est nécessaire de reprendre le raisonnement faussé à sa base et qui en constitue la trame.

Non, le salarié ne « gagne jamais en sécurité d’emploi en se sur adaptant à sa hiérarchie»; bien au contraire il s’insécurise, objectivement et subjectivement.

Le salarié  s’insécurise  lui même par sa sur adaptation ,objectivement, car il se compromet inutilement dans la croyance aliénante qui ne lui fait pas entrevoir la réalité de son rapport à l’entreprise : ce rapport, entre employeur et salarié est de subordination dans l’exécution d’une tâche et non pas celui d’une soumission aliénante à la volonté (supposée) de l’employeur ou de la hiérarchie.

Dans une époque où la perte des repères semble gagner, de plus en plus, nombre de salariés,

Dans  un monde du travail qui perd de plus en plus sa boussole, il parait important et opportun, pour chacun, de reprendre confiance en sa propre capacité de raisonnement.

Cette capacité de raisonnement , par soi même, permet de savoir où se trouve la réalité des faits , et où se trouve la réalité des rapports qui relient aux autres, notamment aux supérieurs hiérarchiques et au management, sans sur adaptation , mais en s’adaptant seulement à ce que ces rapports sont en réalité, c’est à dire définis selon la Loi, qui n’est jamais celle du hiérarque ou même la sienne, mais qui est toujours celle vis à vis de  qui nous sommes obligés, tous, hiérarques et subordonnés.

 

Thierry Ponsot

 

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Améliorer les conditions de travail en améliorant la compétitivité, c’est possible, c’est souhaitable et c’est une des solutions pour faire tenir ensemble viabilité et performance économique et le bien être au travail des salariés.

Pour le montrer , on commencera par resituer le débat sur la compétitivité.

Pour le resituer correctement,   on orientera alors ce débat plus sur la hausse de l’efficacité économique intrinsèque de l’entreprise, la hausse de sa valeur ajoutée produite, sur le progrès organisationnel et technique qu’elle peut engendrer, et moins sur le seul terrain de la baisse des charges, véritable rengaine patronale (depuis plusieurs générations de Gattaz!), qui n’offre pas de solution réellement structurelle à moyen et à long terme pour améliorer la compétitivité de l’entreprise en elle-même.

 

Ensuite, on montrera comment l’amélioration des conditions de travail contribue à la hausse de la compétitivité de l’entreprise et on en donnera les arguments clefs.

 

Enfin, on insistera sur les éléments juridiques sur lesquels peuvent maintenant s’appuyer les CE notamment, pour utiliser au mieux les dispositifs de la loi sur la sécurisation de l’emploi du 14/06/2013 et ceux de la loi du 5/03/2014 sur la formation professionnelle continue, afin de définir des stratégies d’ensemble visant à la fois l’amélioration des conditions de travail et l’augmentation de la compétitivité de l’entreprise.

 

Le débat sur la compétitivité

 

Ce débat doit commencer par ne pas être faussé : l’idée selon laquelle il suffirait de baisser les charges des entreprises pour qu’elles restaurent leur compétitivité est, non seulement économiquement  fausse, mais dangereuse.

 

– fausse, parce que la seule baisse du coût du travail n’a jamais rendu une entreprise plus efficace .  En terme économique, ce qui rend une entreprise plus efficace en interne est d’augmenter  sa propre  efficacité économique,  c’est à dire d’être en mesure, pour la même valeur produite,d’utiliser mieux et de façon plus efficace les facteurs de production que sont le capital et le travail.

Il ne s’agit donc pas de jouer sur le coût externe de ces facteurs, capital et travail, mais sur une meilleure combinaison des deux, car leur coût n’est pas une variable endogène à l’entreprise.

 

Autrement dit, diminuer le coût du travail( ou du capital) de façon exogène ne rend en rien l’entreprise plus efficace en interne : le canard boiteux et inefficace économiquement  en ressort tout aussi bien que l’entreprise efficace, avec des coûts diminués , mais sans aucune efficacité économique  interne supplémentaire.

 

–  cette obsession sur la baisse des charges comme seul vecteur de la compétitivité, outre qu’elle n’est pas économiquement fondée , est par ailleurs dangereuse ; dangereuse , car c’est une course à l’échalote sans fin : imaginons que l’on baisse de 10% le coût du travail en France par une simple baisse des charges pour « être plus compétitif en France » et que demain, l’Espagne décide d’une baisse de 15% de ces mêmes charges : faudra-t-il alors les baisser en France de 20% le sur lendemain ? Et de 30% quand  l’Allemagne, l’Espagne et l’Irlande auront décidé de baisser les leurs de 25% ? (on rappelle que ce sont les pays européens nos principaux concurrents) .

Cet engrenage infernal et incontrôlé (nous ne maîtrisons pas les décisions des autres) ne conduit qu’à la fuite en avant vers d’absurdes impasses : allons nous finir par réduire les charges à zéro et à les transférer intégralement ? Mais vers qui ? Vers les ménages surendettés ? Vers les 9 millions de chômeurs (chiffre cumulant toutes les catégories de demandeur d’emploi et le travail à temps partiel contraint) de  toutes catégories existant en France ? Vers les retraités et les seniors exclus du marché du travail ? Vers les classes moyennes assommées d’impôts et de taxes ?

On comprend donc que si les charges pesant sur le travail ne doivent pas par ailleurs être excessives ,notamment par rapport à la moyenne de la concurrence , qu’une politique de compétitivité reposant sur la seule baisse des charges serait inopérante et à terme, suicidaire .

La stratégie de l’entreprise doit surtout être axée sur ce qu’elle contrôle elle-même, c’est-à-dire sur son efficacité interne, entendue de cette manière : hausser sa propre valeur ajoutée pour devenir plus efficace ,autrement dit rendre l’unité produite plus rentable , ce qu’on peut obtenir de différentes façons :

 

a)- soit hausser la valeur ajoutée des produits en se portant sur un marché à « haute valeur ajoutée » .

Ainsi ,chercher à concurrencer  un pays émergeant, dont les salaires mensuels ne dépassent pas 300 €, en fabriquant les mêmes produits que lui  est une absurdité économique, car quelques soient « les baisses de charge », l’avantage différentiel est tel pour le pays émergeant qu’il ne servira à rien de s’engager sur cette voie.

La concurrence ne peut alors s’envisager qu’en différenciant suffisamment la production pour y rajouter une valeur suffisante, pour que la production puisse être vendue beaucoup plus cher pour un segment en général différencié de clientèle : exemple : vendre des machines outils (ce que font les allemands depuis longtemps) à haute valeur ajoutée, plutôt que de l’outillage simple à faible valeur ajoutée, produit en Chine ou en Malaisie pour des prix cinq fois moins élevés

 

b)- soit et pour la même quantité produite, réorganiser de manière efficace l’organisation du travail en interne ,en améliorant la rationalisation des utilisations de facteur de production, travail et capital, en simplifiant les circuits de décision , en haussant l’efficacité organisationnelle, en haussant les niveaux de qualification des salariés et leurs potentiels productifs.

 

c)- soit en introduisant des innovations continues permettant de développer des gammes de produits avec les mêmes facteurs de production, ce que certaines entreprise françaises font, notamment sur le secteur des engins de chantier: par exemple en vendant des engins « multifonctions », plus chers mais plus polyvalents.

Cette politique nécessite de la recherche et de l’investissement continus et en permanence , une hausse de qualification et donc, de la formation continue pour les salariés .

 

Les trois possibilités, changements de gamme de produit visant à hausser la valeur ajoutée de la production, rationalisation de l’organisation interne, inventivité et polyvalence des productions,  peuvent parfaitement se combiner pour former une stratégie d’entreprise en différenciant court, moyen et long terme, par exemple :

 

En choisissant la politique b à court terme e les politiques  a et c à moyen et long terme.

 

Ou alors en considérant l’expansion des marchés : sur un marché en croissance : 80% de a et c à court et moyen terme et 20% de b.

Sur un marché plus difficile 80% de b à court terme et 20% de a et c. etc..

 

 

 

l’amélioration des conditions de travail dans la stratégie de hausse de la compétitivité

 

point notable : l’amélioration des conditions de travail doit être pensée dans la stratégie économique de l’entreprise et non pas en dehors, dans l’après coup.

 

Le changement culturel important que les élus du personnel doivent intégrer – et c’est particulièrement vrai depuis la loi du 14/06/2013 et celle du 5/03/2014 – est de positionner l’amélioration des conditions de travail comme facteur de hausse de la compétitivité  afin qu’elle soit intégrée dans les orientations  stratégiques  de l’entreprise sur lesquelles  le CE donne un avis consultatif  motivé .

 

Pour expliquer comment l’amélioration des conditions de travail contribue à la hausse de la compétitivité, on pourra s’appuyer sur les arguments suivants :

 

– d’abord sur celui de la hausse du niveau de qualification générale des salariés et de tous les salariés et pas seulement de certains cadres : s’il y a une « course concurrentielle » qui doit être gagnée, ce n’est ni celle de la baisse des charges, ni celle de la mise en concurrence des salariés entre eux,  mais bien celle de la hausse générale de la qualification de tous les salariés ; l’argument est le suivant :

 

– un salarié non qualifié est un poids pour l’entreprise et un coût  qui empêche le développement de sa valeur ajoutée, parce qu’il ne peut assumer son potentiel créatif et le mettre au service de l’entreprise : cantonner le salarié à des tâches identiques , sans évolution et sans responsabilités nouvelles, revient à rouiller son potentiel créatif qui demeurera indisponible et le rendra rétif alors à tout changement en introduisant, chez lui, « la peur de l’avenir ».

 

Le potentiel de formation acquis par l’ensemble des salariés permet une formidable adaptabilité de l’entreprise aux situations fluctuantes des marchés : l’entreprise doit pouvoir répondre vite à une éventuelle évolution dans la demande des clientèles et de leurs exigences de qualité croissante: a-t-elle immédiatement la main d’oeuvre qualifiée sous la main pour y répondre ? Plus la réponse est oui et plus son potentiel compétitif est alors adapté : or cette capacité s’évalue au regard de la qualification de tout le personnel , et non pas au regard seulement de la qualification de certains cadres , car si la base  n’est pas qualifiée de façon suffisante , il ne sert à rien que l’élite seule le soit .

 

On peut prédire sans se tromper, parce qu’on le voit déjà, que l’adaptabilité aux évolutions du marché et à ses aléas est le fait d’entreprises où chacun est qualifié et non pas seulement, certains d’entre eux.

 

– hors même la formation continue, la prévention des risques professionnels et psychosociaux est un facteur de compétitivité interne qui améliore l’efficacité de l’entreprise : moins d’absentéisme, moins de turn over , moins d’accidents du travail, plus de productivité individuelle car en fait  le travail est une valeur partagée, dont le salarié tire aussi de la reconnaissance quand ce travail est suffisamment valorisant et riche, donc intense, contrairement à ce qui peut en être entendu ici ou là :

 

Non ce n’est pas l’intensité du travail qui est en cause , en tant que richesse intense du travail et effort méritoire, c’est l’absence de perspective et le sentiment d’ impuissance au travail dans lequel le  travail  est souvent vécu sous contrainte ,qui  démotive les travailleurs et accroît l’exposition aux risques psychosociaux au travail . Faire baisser la contrainte de travail en libère son potentiel créatif  accroît sa (bonne ) intensité et sa féconde productivité.

L’amélioration des conditions de travail permet donc  de « décontraindre » le travail en le rendant plus riche et plus passionnant et dans ce sens, le travail de chaque salarié est un véhicule extraordinaire de compétitivité que beaucoup d’entreprises ne savent pas utiliser !

Il appartient donc aux CE , mais aussi aux groupes d’expression sur les conditions de travail , aux CHSCT dans le cadre de la prévention des risques psychosociaux, de traquer « les niches de compétitivité inexplorée » qui gisent ça ou là « endormies » dans les cerveaux inexploités et sous utilisés de nombre de salariés beaucoup plus capables d’innover , de créer et de promouvoir des idées neuves à propos de leur travail et d’en améliorer, de fait, les conditions d’efficacité, que n’en imaginent leurs DRH  actuellement.

Améliorer les conditions de travail en développant la formation continue qualifiante et en traquant les causes génératrices de risques professionnels est donc une enjeu de compétitivité pour l’entreprise et il est nécessaire aujourd’hui que les instances représentatives du personnel, CE en tête, mais en alliance avec le CHSCT, s’emparent de cet argumentaire et le placent au niveau où il doit être placé, c’est-à-dire à celui des orientations stratégiques de l’entreprise.

Or « ça tombe bien », car justement deux lois importantes et récentes permettent au fond cette révolution culturelle des instances représentatives : la loi du 14 juin 2013 et notamment concernant la consultation du CE sur les orientations stratégiques de l’entreprise, et la loi du 5 mars 2014 portant réforme de la formation professionnelle continue.

 

Impacts des lois du 14/06/2013 et du 5/03/2014 sur le positionnement des CE  et CHSCT concernant l’amélioration des conditions de travail et la hausse de la compétitivité

Tout d’abord l’impact conjoint de ces deux lois institue un horizon de visibilité  et donc de prévisibilité beaucoup plus étendu qu’il ne l’était auparavant sur tous les domaines précités :

– la stratégie économique de l’entreprise

– les orientations de la formation professionnelle

– les processus d’organisation du travail qui en découlent et donc, les conditions de travail des salariés

 

Rappelons l’énoncé de la loi concernant la nouvelle consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise

 

« Chaque année, le comité d’entreprise est consulté sur lesorientations stratégiques de l’entreprise, définies par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages. 

Le comité émet un avis sur ces orientations et peut proposer des orientations alternatives. Cet avis est transmis à l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, qui formule une réponse argumentée. Le comité en reçoit communication et peut y répondre…» (L2323-7-1 CT)

 

À noter qu’à l’appui de cette consultation, le CE disposera alors d’une base de données unique (décret du 27/12/2013) élargissant l’horizon de visibilité d’ une année, comme c’est le cas actuellement (ou 3 ans pour les entreprises de plus de 300 salariés qui ont obligation de produire un bilan social), à 6 ans, comprenant, outre l’année en cours et les deux années précédentes, les perspectives sur les trois années suivantes.

De plus cette base de données unique, disponible pour les CE,  le sera aussi pour les CHSCT et surtout, se verra actualiser en permanence.

Cet avis consultatif donné par le CE et il faut le noter, pourra ne pas se contenter d’être un « oui on est d’accord- non, on n’est pas d’accord », mais contiendra, et le texte de loi le précise , « les orientations alternatives que propose le CE ».

Ce sera donc là l’occasion d’un véritable débat sur la stratégie de l’entreprise et ses conséquences sur la formation, l’organisation du travail et les conditions de travail, renforcé encore par le fait que le CA devra répondre aux propositions du CE,en fournissant à ses propositions « une réponse argumentée » .

Le CA (ou le conseil de surveillance) devient encore plus un interlocuteur direct du CE , par dessus la tête de l’actuel dirigeant ou manager, ainsi en a décidé la représentation nationale et ce point ne doit pas passer inaperçu.

Le changement juridique que contient ce texte modifie radicalement et l’horizon et l’impact, ainsi que le niveau d’interlocution du CE par rapport aux organes dirigeants de l’entreprise.

Le législateur ayant donc fait là ce qu’il pouvait pour renforcer l’impact et l’horizon de visibilité et et d’action du CE, il appartiendra maintenant à chaque CE de faire en sorte que sa lettre de loi ne devienne pas une lettre morte : pour cela il est incontournable que les CE doivent maintenant penser, eux aussi , en termes stratégique  global, alliant les conditions de compétitivité et les conditions de travail , et ne plus se contenter de faire du rase motte au jour le jour en « attendant de voir ce qu’il va bien pouvoir se passer comme conséquence aux stratégies menées par l’entreprise».

C’est une invitation puissante, également, à coordonner d’autant plus toutes les instances représentatives (CE et CHSCT notamment) vers une stratégie d’ensemble et commune, visant à la fois l’amélioration des conditions de travail et le développement de la compétitivité par les choix de stratégie économique faits en amont : relier les conditions de travail et les options stratégiques d’ordre économique touchant au développement de la compétitivité est donc dans le droit fil de cette loi.

Quant à la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle continue, elle ouvre à la possibilité, notamment par l’introduction du Compte personnel de Formation, à défendre l’enjeu d’une formation continue pour tous les salariés et surtout pour les moins qualifiés, et notamment pour les « oubliés de la formation continue » , avec , dans sa besace,un instrument nouveau et qui pourrait s’avérer efficace pour faire respecter l’obligation de formation de la part de l’employeur : l’abondement de cent heures du compte personnel de formation par l’employeur si, suite à 6 années consécutives, le salarié n’a bénéficié d’aucune promotion ou d’aucune formation qualifiante malgré les entretiens professionnels réguliers (tous les deux ans minimum) ayant pour objet de faire le point sur son évolution de carrière et sa qualification professionnelle (L6323-13CT) :

cet aiguillon ,ciblé sur l’obligation de formation de l’employeur, à titre individuel et pour chaque salarié, donne au CE un moyen de pression inédit pour obliger l’entreprise à miser sur la hausse de qualification de tous ses salariés et non pas seulement sur celle de certains salariés : reconnaissons que ce n’était pas le cas jusqu’ici, et que, faute d’un tel aiguillon, la loi de 1971 sur la formation professionnelle continue a surtout favorisé la formation des cadres et des techniciens et très peu celle des ouvriers et des employés.

Ce temps est désormais révolu si les CE savent s’emparer des dispositifs de la nouvelle loi et être ainsi plus attentifs à hausser la qualification professionnelle de tous les salariés de façon régulière dans l’entreprise.

 

Mises bout à bout, ces deux lois donnent donc des arguments aux CE et à l’ensemble des représentants du personnel pour impacter, le plus en amont possible, les orientations stratégiques de l’entreprise vers l’amélioration de la formation professionnelle continue pour tous et vers la prévention des risques psychosociaux comme facteurs de compétitivité , parce que ce sont des facteurs contributifs à la hausse de la valeur ajoutée de la production de l’entreprise sur du moyen ou du long terme, facteur de sécurité pour améliorer de façon pérenne la compétitivité interne à l’entreprise et qui ne serait pas seulement due à des effets d’aubaine comme peut l’être, à court terme, une simple baisse de charges.

Thierry Ponsot

 

 

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cinq bonnes raisons de mettre en place le droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail

le sentiment d’impuissance au travail

peur de l’avenir au travail: un sentiment qui se comprend

décret 2013-1305 du 27 décembre 2013: base de données

« Base de données
« Art. R. 2323-1-2.-La base de données prévue à l’article L. 2323-7-2 permet la mise à disposition des informations nécessaires à la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise. L’ensemble des informations de la base de données contribue à donner une vision claire et globale de la formation et de la répartition de la valeur créée par l’activité de l’entreprise.
« La base comporte également l’ensemble des informations communiquées de manière récurrente au comité d’entreprise.
« Paragraphe 1
« L’organisation et le contenu de la base de données
« Art. R. 2323-1-3.-Dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, la base de données prévue à l’article L. 2323-7-2 comporte une présentation de la situation de l’entreprise, notamment le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée, le résultat d’exploitation et le résultat net.
« Elle rassemble les informations suivantes :
« A. ― Investissements :
« 1° Investissement social :
« a) Evolution des effectifs par type de contrat, par âge, par ancienneté ;
« b) Evolution des emplois par catégorie professionnelle ;
« c) Situation en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et mesures prises en ce sens ;
« d) Evolution de l’emploi des personnes handicapées et mesures prises pour le développer ;
« e) Evolution du nombre de stagiaires ;
« f) Formation professionnelle : investissements en formation, publics concernés ;
« g) Conditions de travail : durée du travail dont travail à temps partiel et aménagement du temps de travail, exposition aux risques et aux facteurs de pénibilité, accidents du travail, maladies professionnelles, absentéisme, dépenses en matière de sécurité ;
« 2° Investissement matériel et immatériel :
« a) Evolution des actifs nets d’amortissement et de dépréciations éventuelles (immobilisations) ;
« b) Le cas échéant, dépenses de recherche et développement ;
« 3° Pour les entreprises soumises aux dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 225-102-1 du code de commerce, informations environnementales présentées en application de cet alinéa et mentionnées au 2° du I de l’article R. 225-105-1 de ce code.
« B. ― Fonds propres, endettement et impôts :
« 1° Capitaux propres de l’entreprise ;
« 2° Emprunts et dettes financières dont échéances et charges financières ;
« 3° Impôts et taxes.
« C. ― Rémunération des salariés et dirigeants, dans l’ensemble de leurs éléments :
« 1° Evolution des rémunérations salariales ;
« a) Frais de personnel y compris cotisations sociales, évolutions salariales par catégorie et par sexe, salaire de base minimum, salaire moyen ou médian, par sexe et par catégorie professionnelle ;
« b) Pour les entreprises soumises aux dispositions de l’article L. 225-115 du code de commerce, montant global des rémunérations mentionnées au 4° de cet article ;
« 2° Epargne salariale : intéressement, participation ;
« 3° Rémunérations accessoires : primes par sexe et par catégorie professionnelle, avantages en nature, régimes de prévoyance et de retraite complémentaire ;
« 4° Rémunérations des dirigeants mandataires sociaux telles que présentées dans le rapport de gestion en application des trois premiers alinéas de l’article L. 225-102-1 du code de commerce, pour les entreprises soumises à l’obligation de présenter le rapport visé à l’article L. 225-102 du même code.
« D. ― Activités sociales et culturelles :
« 1° Montant de la contribution aux activités sociales et culturelles du comité d’entreprise ;
« 2° Dépenses directement supportées par l’entreprise ;
« 3° Mécénat.
« E. ― Rémunération des financeurs, en dehors des éléments mentionnés au B :
« 1° Rémunération des actionnaires (revenus distribués) ;
« 2° Rémunération de l’actionnariat salarié (montant des actions détenues dans le cadre de l’épargne salariale, part dans le capital, dividendes reçus).
« F. ― Flux financiers à destination de l’entreprise :
« 1° Aides publiques ;
« 2° Réductions d’impôts ;
« 3° Exonérations et réductions de cotisations sociales ;
« 4° Crédits d’impôts ;
« 5° Mécénat.
« G. ― Sous-traitance :
« 1° Sous-traitance utilisée par l’entreprise ;
« 2° Sous-traitance réalisée par l’entreprise.
« H. ― Pour les entreprises appartenant à un groupe, transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe :
« 1° Transferts de capitaux tels qu’ils figurent dans les comptes individuels des sociétés du groupe lorsqu’ils présentent une importance significative ;
« 2° Cessions, fusions, et acquisitions réalisées.
« Art. R. 2323-1-4.-Dans les entreprises de moins de trois cents salariés, la base de données prévue à l’article L. 2323-7-2 comporte une présentation de la situation de l’entreprise, notamment le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée, le résultat d’exploitation, le résultat net et les informations suivantes :
« A. ― Investissements :
« 1° Investissement social :
« a) Evolution des effectifs par type de contrat ;
« b) Evolution des emplois par catégorie professionnelle ;
« c) Situation en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et mesures prises en ce sens ;
« d) Evolution de l’emploi des personnes handicapées et mesures prises pour le développer ;
« e) Evolution du nombre de stagiaires ;
« f) Formation professionnelle : investissements en formation, publics concernés ;
« g) Conditions de travail : durée du travail dont travail à temps partiel et aménagement du temps de travail ;
« 2° Investissement matériel et immatériel :
« a) Evolution des actifs nets d’amortissement et de dépréciations éventuelles (immobilisations) ;
« b) Le cas échéant, dépenses de recherche et développement.
« B. ― Fonds propres, endettement et impôts :
« 1° Capitaux propres de l’entreprise ;
« 2° Emprunts et dettes financières dont échéances et charges financières ;
« 3° Impôts et taxes.
« C. ― Rémunération des salariés et dirigeants, dans l’ensemble de leurs éléments :
« 1° Evolution des rémunérations salariales :
« a) Frais de personnel y compris cotisations sociales, évolutions salariales par catégorie et par sexe, salaire de base minimum, salaire moyen ou médian, par sexe et par catégorie professionnelle ;
« b) Pour les entreprises soumises aux dispositions de l’article L. 225-115 du code de commerce, montant global des rémunérations visées au 4° de cet article ;
« c) Epargne salariale : intéressement, participation.
« D. ― Activités sociales et culturelles : montant de la contribution aux activités sociales et culturelles du comité d’entreprise, mécénat.
« E. ― Rémunération des financeurs, en dehors des éléments mentionnés au B :
« 1° Rémunération des actionnaires (revenus distribués) ;
« 2° Rémunération de l’actionnariat salarié (montant des actions détenues dans le cadre de l’épargne salariale, part dans le capital, dividendes reçus).
« F. ― Flux financiers à destination de l’entreprise :
« 1° Aides publiques ;
« 2° Réductions d’impôts ;
« 3° Exonérations et réductions de cotisations sociales ;
« 4° Crédits d’impôts ;
« 5° Mécénat.
« G. ― Sous-traitance :
« 1° Sous-traitance utilisée par l’entreprise ;
« 2° Sous-traitance réalisée par l’entreprise.
« H. ― Pour les entreprises appartenant à un groupe, transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe :
« 1° Transferts de capitaux tels qu’ils figurent dans les comptes individuels des sociétés du groupe lorsqu’ils présentent une importance significative ;
« 2° Cessions, fusions, et acquisitions réalisées.
« Art. R. 2323-1-5.-Les informations figurant dans la base de données portent sur l’année en cours, sur les deux années précédentes et, telles qu’elles peuvent être envisagées, sur les trois années suivantes.
« Ces informations sont présentées sous forme de données chiffrées ou à défaut, pour les années suivantes, sous forme de grandes tendances. L’employeur indique, pour ces années, les informations qui, eu égard à leur nature ou aux circonstances, ne peuvent pas faire l’objet de données chiffrées ou de grandes tendances, pour les raisons qu’il précise.
« Paragraphe 2
« La mise en place et le fonctionnement
de la base de données
« Art. R. 2323-1-6.-La base de données prévue à l’article L. 2323-7-2 est constituée au niveau de l’entreprise. Dans les entreprises dotées d’un comité central d’entreprise, la base de données comporte les informations que l’employeur met à disposition de ce comité et des comités d’établissement.
« Les éléments d’information sont régulièrement mis à jour, au moins dans le respect des périodicités prévues par le présent code.
« Art. R. 2323-1-7.-La base de données est tenue à la disposition des personnes mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2323-7-2 sur un support informatique ou papier.
« L’employeur informe ces personnes de l’actualisation de la base de données selon des modalités qu’il détermine et fixe les modalités d’accès, de consultation et d’utilisation de la base.
« Ces modalités permettent aux personnes mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2323-7-2 d’exercer utilement leurs compétences respectives.
« Art. R. 2323-1-8.-Les informations figurant dans la base de données qui revêtent un caractère confidentiel doivent être présentées comme telles par l’employeur qui indique la durée du caractère confidentiel de ces informations que les personnes mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2323-7-2 sont tenues de respecter
.
« Art. R. 2323-1-9.-La mise à disposition actualisée dans la base de données des éléments d’information contenus dans les rapports et des informations transmis de manière récurrente au comité d’entreprise vaut communication à celui-ci des rapports et informations lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies :
« 1° La condition fixée au second alinéa de l’article R. 2323-1-6 est remplie ;
« 2° L’employeur met à disposition des membres du comité d’entreprise les éléments d’analyse ou d’explication lorsqu’ils sont prévus par le présent code.
« Paragraphe 3
« La base de données au niveau du groupe
« Art. R. 2323-1-10.-Sans préjudice de l’obligation de mise en place d’une base de données au niveau de l’entreprise, une convention ou un accord de groupe peut prévoir la constitution d’une base de données au niveau du groupe.
« La convention ou l’accord détermine notamment les personnes ayant accès à cette base ainsi que les modalités d’accès, de consultation et d’utilisation de cette base. »
II. ― La section 4 du chapitre V du titre II du livre III de la deuxième partie du code du travail (partie réglementaire) est ainsi modifiée :
1° Au début de la section 4, il est créé deux sous-sections ainsi rédigées :
« Sous-section 1
« Délais d’expertise comptable
« Art. R. 2325-6-1.-En cas d’application du 1° bis du I de l’article L. 2325-35, à défaut d’accord, si les membres élus demandent à l’expert-comptable la production d’un rapport, ce rapport est remis au plus tard quinze jours avant l’expiration du délai qu’a le comité d’entreprise pour rendre son avis. L’expert-comptable demande à l’employeur, au plus tard dans les trois jours de sa désignation, toutes les informations complémentaires qu’il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L’employeur répond à cette demande dans les cinq jours.
« Art. R. 2325-6-2.-En cas d’application du 3° du I de l’article L. 2325-35, à défaut d’accord, l’expert remet son rapport dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision de l’Autorité de la concurrence ou de la Commission européenne saisie du dossier. Ce rapport est présenté au cours de la deuxième réunion du comité prévue au deuxième alinéa de l’article L. 2323-20. Il demande à l’employeur, au plus tard dans les trois jours de sa désignation, toutes les informations qu’il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L’employeur répond à cette demande dans les cinq jours.
« Sous-section 2
« Délai d’expertise technique
« Art. R. 2325-6-3.-En cas de recours à l’expert technique mentionné à l’article L. 2325-38, à défaut d’accord, l’expert remet son rapport dans un délai de vingt et un jours à compter de sa désignation. Il demande à l’employeur, au plus tard dans les trois jours de sa désignation, toutes les informations qu’il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L’employeur répond à cette demande dans les cinq jours. » ;
2° Il est créé une sous-section 3 nouvelle intitulée « Recours et contestations » ;
3° L’article R. 2325-7 est inséré dans la sous-section 3.

Article 2 En savoir plus sur cet article…
Conformément aux dispositions du IV de l’article 8 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la base de données est mise en place à compter du 14 juin 2014 pour les entreprises d’au moins trois cents salariés et du 14 juin 2015 pour les entreprises de moins de trois cents salariés.
Au titre de l’année 2014 pour les entreprises d’au moins trois cents salariés et de l’année 2015 pour les entreprises de moins de trois cents salariés, les entreprises ne sont pas tenues d’intégrer dans la base de données mentionnée à l’article L. 2323-7-2 les informations relatives aux deux années précédentes.
Les éléments d’information contenus dans les rapports et informations transmis de manière récurrente au comité d’entreprise sont mis à la disposition de ses membres dans la base de données mentionnée à l’article L. 2323-7-2 au plus tard le 31 décembre 2016.

base de données unique pour l’information des CE

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 La base de données économiques et sociales

 

(décret n° 2013-1305 du 27/12/2013- application de la loin°2013-504 du 14/06/2013) sur la base de données accessible au CE pour la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise

 

 

La loi relative à la sécurisation de l’emploi du 14/06/2013 prévoyait une base de données unique , consultable par les CE, mais aussi par les DP,les CHSCT et les DS, donnant toutes les informations nécessaires d’ordre économique et social et devant voir le jour, au plus tard  pour les entreprises de plus de 300 salariés, le 14 juin 2014 et pour les moins de 300 salariés, le 14 juin 2015.

Le décret du 27/12/2013 en donne les modalités concrètes d’application.

 

On soulignera pour notre part les quatre points essentiels qui en sont les conséquences pour l’information des instances représentatives et la qualité qui  doit en résulter pour qu’elles puissent se saisir des informations pertinentes, notamment dans le cadre de l’ensemble des procédures de consultation dont elles relèvent(pour le CE et le CHSCT).

 

a)Le premier point c’est évidemment l’élargissement considérable de visibilité que cette base de données unique procure .qui permet une vision sur 6 ans (trois à venir, l’année en cours et les deux suivantes) telle qu’énoncé à l’article R2323-15CT.

 

« .-Les informations figurant dans la base de données portent sur l’année en cours, sur les deux années précédentes et, telles qu’elles peuvent être envisagées, sur les trois années suivantes »

 

(NB :les données des deux années précédentes ne sont obligatoires que pour 2015 pour les entreprises de plus de 300 salariés, et 2016 pour les moins de 300 salariés)

 

Indispensables, notamment au CE pour la consultation annuelle sur les orientations stratégiques , ces données permettent enfin d’atteindre le seuil des observations pertinentes sur les trend et évolutions économiques, et grandit les horizons d’analyse au bénéfice des institutions représentatives du personnel ;

évidemment cela signifie aussi un effort ,de la part des CE notamment, pour se permettre une vison à terme des évolutions et en comprendre les enjeux stratégiques.

Ici l’avancée du droit n’est utile qu’à condition d’une avancée parallèle des compétences du CE permettant de l’utiliser ; à défaut le droit restera « lettre morte »

 

b) Le deuxième point, c’est de donner l’ensemble des informations pas seulement comptables, mais aussi économiques et de ce point de vue , la mention expresse de la donnée sur la Valeur ajoutée de l’entreprise (R2323-1-3 CT)est importante .

Ainsi quand on entre dans le domaine de la stratégie économique digne de ce nom, il est à noter que  le raisonnement à partir de la valeur ajouté est essentielle et que la seule comptabilité ne fournit pas cette valeur qu’il faut ordinairement calculer et déduire.

Le fait de disposer des évolutions de cette valeur sur un temps de 3 années au moins, plus deux ans de perspective ,permet aux CE d’être alertés beaucoup plus clairement sur le sens de l’évolution économique de leur entreprise :

 

Exemples : l’entreprise va-t-elle vers une hausse de sa valeur ajoutée par salarié ou cette valeur stagne-t-elle parce qu’elle choisit une stratégie de « bas coûts »,avec les risques d’intensification quantitative du travail auxquels cette politique économique conduit assez souvent. ?

 

Cette valeur est donc essentielle à suivre pour anticiper sur les évolutions économiques et sociales ultérieures et est certainement plus importante, en tant qu’enjeu économique et social, que de savoir « combien gagnent les dirigeants »

 

c) Le fait d’unifier toutes les données pour tous les élus ,et finalement pour toutes les consultations  celles du CE notamment, est un avantage certain à une condition  que le CE accroisse parallèlement son autonomie de penser ces données et sache les relier les unes aux autres à chaque consultation

 

On visera ici  notamment les consultations sur la formation professionnelle continue, à relier aux informations sur la stratégie de l’entreprise qui sont maintenant à sa disposition, avec les questions conséquentes :

 

– En quoi les formations prévues pour les années à venir, et notamment sur les deux années à venir dans le cadre de la consultation sur les orientations professionnelles, sont elles adéquates à l’évolution des métiers et des emplois ,telles que l’évolution économique sur ces mêmes deux années à venir le laissent à penser ?

-En application de la nouvelle loi n° du 5/03/2014, notamment sur le passage au Compte Personnel de Formation, comment les commissions formation des CE vont-elles aiguiller et conseiller les salariés vers les qualifications nécessaires à l’avenir, maintenant plus prévisible, grâce à cette base de données?

 

d) le quatrième point concerne l’accès de ces données maintenant étendues à tous les représentants : DP ; CE ;CHSCT ; DS, (L2323-7-2) .

Cela ,incontestablement, renforce la base commune de travail de ces instances .

En matière d’informations c’est un grand appel d’air, qu’il faut entendre, à travailler tous ensemble au sein des instances représentatives et cependant, chacun à son poste, dans un horizon commun.

C’est incontestablement un appel à renforcer les liens entre les missions des CE des CHSCT, des DP  et des DS, sous la véritable tour de contrôle que constitue le CE, car elle est l’instance consultée de façon stratégique sur les « orientations de l’entreprise ».

Resterait alors à construire , sous l’égide du CE, ce que pourrait être « l’orientation des instances représentatives »,devenue stratégique, elle aussi, face à l’orientation stratégique de l’entreprise, afin de relever les défis qu’elle pose aux salariés.

 

décret n°2013-1305 du 27 décembre 2013 sur la base de données

Le Compte Personnel de Formation (Loi 2014-288 du 5/03/2014) :bien au-delà du DIF.

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Il serait faux de dire que le Compte de Personnel de Formation, institué par la loi du 5/03/2014, prend seulement la succession du Droit Individuel à la Formation, car en réalité il s’appuie sur une toute autre logique  et va bien au-delà..

Plusieurs caractéristiques en soulignent la différence de conception et la portée nouvelle :

–  le DIF supposait un plafond de 120heures maximum, au-delà desquels il n’était pas possible d’aller : tel n’est pas le cas du CPF, qui peut parfaitement être abondé au-delà des 150 heures prévues , (soit 24h par an jusqu’à 120h, puis 12h par an au-delà ,jusqu’à 150heures).

Autrement dit, le plafond fixé au CPF est un plafond en fait ajustable que l’on peut repousser : dés lors l’éventualité d’une utilisation du CPF est beaucoup plus souple et permet d’accéder à plus de formations, et notamment à celles excédant 120, ou même 150 heures.

Le salarié peut accéder à des formations en abondant son compte personnel de formation au-delà des 150 heures, par lui-même, ou en sollicitant l’employeur, ou un organisme collecteur ou la Région, ou l’Etat. Le salarié n’est donc pas « arrêté » par la relative modicité des heures dont il dispose et de son plafond imposé. Il peut solliciter des compléments à ce plafond pour suivre une formation qualifiante.

– ensuite la gestion de ces deux dispositifs, CPF et DIF, n’est pas du même ordre : même « transférable » d’une entreprise à l’autre, le DIF restait géré comme un « droit individuel du salarié à l’intérieur de l’entreprise » ;

Pour prendre une image, le DIF était une petite enclave personnelle du droit du salarié dans le dispositif de formation mis en place par l’employeur.

Or le CPF ne procède pas de cette logique : il n’est pas une enclave du droit individuel du salarié dans l’entreprise, il est un droit du salarié, dans et hors l’entreprise, pour faire fructifier son avenir professionnel et qui se confronte aux besoins de l’employeur au sein de son dispositif de formation :

La preuve en est que  le CPF se gère hors entreprise, par l’intermédiaire de la caisse des dépôts et consignation qui en tient le compte pour le salarié.

Le salarié choisit alors (ou non) d’investir dans des actions de formation à l’intérieur de l’entreprise. Notons qu’en aucun cas, le CPF ne peut être utilisé sans accord express du salarié.

Il y a donc un appel direct, à travers ce dispositif du CPF, à « négocier sa formation dans l’entreprise » avec cet avantage pour le salarié : en rien, l’employeur ne pourra décider seul de l’affectation de son compte personnel de formation

Or cette garantie n’était pas présente pour le DIF, qui pouvait être l’objet d’une pression de la part de l’employeur à faire utiliser ce compte par le salarié pour suivre des formations qualifiées par l’employeur de « personnelles »

Mais avec le CPF, cette possibilité disparaît, car la formation choisie par le salarié devra être qualifiante pour faire l’objet de son imputation au titre du CPF ; autrement dit, cette formation devra être à destination professionnelle en vue d’améliorer ses compétences, ses qualifications et son employabilité. Ainsi  la Loi prévoit elle explicitement le cadre de ces utilisations du CPF à l’article L6323-6CT (nouveau applicable au 1/01/2015) :

I. ―  «  Les formations éligibles au compte personnel de formation sont les formations permettant d’acquérir le socle de connaissances et de compétences défini par décret.

II. ― Les autres formations éligibles au compte personnel de formation sont déterminées, dans les conditions définies aux articles L. 6323-16 et L. 6323-21, parmi les formations suivantes :

1° Les formations sanctionnées par une certification enregistrée dans le répertoire national des certifications professionnelles prévu à l’article L. 335-6 du code de l’éducation ou permettant d’obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire, visant à l’acquisition d’un bloc de compétences ;

2° Les formations sanctionnées par un certificat de qualification professionnelle mentionné à l’article L. 6314-2 du présent code ;

3° Les formations sanctionnées par les certifications inscrites à l’inventaire mentionné au dixième alinéa du II de l’article L. 335-6 du code de l’éducation ;

4° Les formations concourant à l’accès à la qualification des personnes à la recherche d’un emploi et financées par les régions et les institutions mentionnées aux articles L. 5312-1 et L. 5214-1 du présent code.

III. ― L’accompagnement à la validation des acquis de l’expérience mentionnée à l’article L. 6313-11 est également éligible au compte personnel de formation, dans des conditions définies par décret »

L’employeur aussi bien que l’organisme paritaire ,  n’auront  alors plus l’occasion de plaider d’un « caprice personnel » du salarié concernant une formation éligible au CPF, comme ils pouvaient encore l’argumenter concernant un DIF, car personne ne pourra refuser au salarié l’accès à sa formation sur la base de son contenu si elle se trouve éligible au CPF.

A ce propos, la loi introduit une nouveauté intéressante et qui peut s’avérer particulièrement incitative de formation, en couplant de manière manifeste le CPF aux entretiens professionnels obligatoires, désormais obligatoire dans l’entreprise tous les deux ans, et qui trace, par un document écrit, non seulement les perspectives d’évolution et d’emploi,  mais aussi le parcours de formation du salarié..

À noter que cette application de la Loi concernant l’entretien professionnel obligatoire est à effet immédiat, contrairement aux autres dispositifs de la loi  applicables à compter du 1/01/2015 (et notamment ceux concernant le passage du DIF en CPF)

Qui plus est, en cas d’absence, au bout de six ans , d’action de formation ou de promotion ou de qualification du salarié, une sanction tombe pour l’employeur ( dans les entreprises de plus de cinquante salariés) au bénéfice, direct, du salarié : l’employeur devra abonder son CPF de 100heures.

Cette procédure de lien entre l’entretien professionnel (qui doit être distinct de l’évaluation professionnelle) et la formation professionnelle, est établi à travers ces deux articles du code du travail ,L6315-1et­ L6323-13 CT.

(L6315-1CT) :

―  « Tous les six ans, l’entretien professionnel mentionné au I du présent article fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Cette durée s’apprécie par référence à l’ancienneté du salarié dans l’entreprise.

Cet état des lieux, qui donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels prévus au I et d’apprécier s’il a :

1° Suivi au moins une action de formation ;

2° Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;

3° Bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle »

Si deux de ces trois mesures n’ont pas été effectives durant ces 6 années alors la sanction prévue à l’article L6323-13 prendra effet :

« L6323-13

Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le salarié n’a pas bénéficié, durant les six ans précédant l’entretien mentionné au II de l’article L. 6315-1, des entretiens prévus au I du même article et d’au moins deux des trois mesures mentionnées aux 1°, 2° et 3° du II dudit article, cent heures de formation supplémentaires sont inscrites à son compte ou cent trente heures pour un salarié à temps partiel, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, et l’entreprise verse à l’organisme paritaire agréé pour collecter sa contribution due au titre de l’article L. 6331-9 une somme forfaitaire, dont le montant est fixé par décret en Conseil d’Etat, correspondant à ces heures. »

On ne peut que se réjouir de ce dispositif qui donne enfin à « l’obligation de formation de l’employeur » un aspect très concret autre qu’une simple obligation financière, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

Combien de fois a-t-on pu constater, hélas,  les situations de salariés restés dix, ou vingt, et même trente ans dans la même entreprise, sans aucune formation qualifiante et sans aucune promotion, à qui l’on est venu dire ensuite « qu’ils n’étaient pas suffisamment qualifiés » et qu’on a remerciés , et ce  d’autant plus qu’ils étaient devenus « seniors » et donc tout désignés pour les charrettes de licenciements économiques et autres départs « volontaires » ?

Ce dispositif, très incitateur, devrait en principe exclure de revoir ce type de situations. La seule question, naïve, que l’on peut poser étant à ce propos celle-ci : n’est ce pas déjà trop tard pour notre industrie notamment, qui a vu ces vingt dernières années fondre comme neige au soleil et ses activités et ses effectifs ?

En somme, le CPF n’est donc pas un DIF amélioré, car il est beaucoup plus ambitieux : il vise à changer l’équilibre existant dans la loi actuelle concernant le rapport à la formation professionnelle  de tous ses acteurs, en réalité.

a) Le rapport entre l’employeur et le salarié, concernant l’obligation de formation de l’employeur (définie à l’article L6321-1CT) et la responsabilité du salarié, dans le fait qu’il  se forme  pour assurer son employabilité et dispose d’un moyen individuel pour le faire.

b) Le rapport de négociation entre l’employeur et la représentation collective des salariés, et la manière dont ce rapport va nouvellement  s’articuler aux droits individuels du salarié, notamment à travers le CPF.

– a) Très nettement ,si l’employeur est incité fortement par le dispositif « entretien professionnel+ CPF » à rendre concrète son obligation de formation, le salarié est aussi incité à se responsabiliser sur sa formation :

En principe le dispositif de gestion de son compte « personnel » avec l’obligation que contient le fait que cette gestion soit à vocation nécessairement professionnelle, l’oblige à mesurer concrètement ce qu’il peut faire pour préserver son employabilité, et ne pas attendre que « tout arrive de l’employeur», ou rêver d’une situation irréaliste quant à son avenir professionnel. C’est en ce sens la fin de l’utopie concernant le caractère individuel de la formation qui se devra , au-delà de faire plaisir au salarié et de lui faire prendre l’air, de servir un objectif professionnel concret.

En somme cette fin des « utopies », utopie que permettait encore le DIF, l’amène, avec le CPF, à envisager son projet professionnel concret à mettre en œuvre par de la formation  et à ne pas attendre de l’entreprise qu’elle y pourvoie « toute seule ».

De ce point de vue,  la confrontation entre le désir du salarié et celui de l’employeur en matière de formation prend une tournure plus réaliste, et les confronte maintenant plus sur le plan de la réalité, et moins sur celui des fantasmes ou des attentes que chacun des deux projette naturellement  sur l’autre.

Pour l’employeur , cesse l’heure de la « défausse » : Il doit envisager, avec le salarié, et notamment ceux les plus démunis en matière de formation , comment il va remplir son obligation de formation concrètement, sous peine d’une sanction à l’intégral bénéfice du salarié ; cette efficacité directe de la sanction, plutôt que de passer par d’improbables procédures pénales, est en soi un progrès : pas de formation ou de promotion ou de qualification durant 6 ans = 100heures d’abondement du CPF en plus ,est une équation simple et sans détour judiciaire pour le bénéfice exclusif des salariés concernés ;cela n’enrichira pas les avocats, mais complétera utilement le droit à la formation du salarié.

b) évidemment si le rapport à la formation professionnelle entre employeur et salarié change de nature du fait du CPF, en voie de conséquence,change aussi le rapport de négociation collective entre représentants des salariés et employeurs, et par voie de conséquence encore, le rapport entre les salariés et leurs représentants ;

Ceci n’est peut être pas si explicite dans le texte, mais apparaît quand on prend le soin et le temps de l’analyse

– d’abord on remarque que la loi a prévu une possibilité dérogatoire au financement de ce CPF par l’employeur via un organisme collecteur paritaire qui se fait à hauteur de 0,2% de la masse salariale ( sur les 1% rendus obligatoires pour toutes les entreprises de plus de 10 salariés), sous réserve d’un accord d’entreprise qui en fixe les modalités ; dans ce cas l’employeur ne verse plus à l’organisme collecteur que 0,8% de la masse salariale au lieu de 1%, à charge pour l’accord d’entreprise de fixer alors les modalités et critères d’abondement des CPF des salariés.

L6331-10 nouveau :

« Un accord d’entreprise, conclu pour une durée de trois ans, peut prévoir que l’employeur consacre au moins 0,2 % du montant des rémunérations versées pendant chacune des années couvertes par l’accord au financement du compte personnel de formation de ses salariés et à son abondement.

Dans ce cas, le pourcentage prévu au premier alinéa de l’article L. 6331-9(1%) est fixé à 0,8 %.

Pendant la durée de l’accord, l’employeur ne peut bénéficier d’une prise en charge par l’organisme collecteur paritaire agréé auquel il verse la contribution mentionnée à l’article L. 6331-9 des formations financées par le compte personnel de formation de ses salariés »

Que peut on tirer comme conclusion de cette possibilité de dérogation ?

– d’abord que le premier bénéficiaire de cet accord éventuel est le salarié qui verra abonder son CPF au-delà encore du minimum légal, renforçant par là même son pouvoir de négociation quant au  choix de ses formations vis-à-vis de l’employeur.

– que les délégués syndicaux , qui négocient de tels accords, perdent et gagnent quelque chose :ce qu’ils gagnent, c’est la possibilité de négocier au profit direct de chaque salarié et l’on remarquera que telle n’était pas la situation avec l’ancien DIF ; le DIF ne passait pas par une possibilité d’abondement supplémentaire suite à une négociation collective ; ce qui est perdu ,par contre, est inexorable, car ce dispositif du CPF marque l’émergence forte du droit individuel au sein même (et non plus à côté) du dispositif de formation professionnelle continue proposé par l’employeur .

il sera par exemple possible au salarié d’impacter le plan de formation de l’entreprise en proposant une formation qui lui convienne,et dans la mesure où elle est éligible au CPF, de contribuer à son financement.

Par ailleurs l’employeur se trouvera requis, en préparant son plan de formation , de prendre en considération les demandes individuelles des salariés et particulièrement ,celles émanant des salariés n’ayant pu bénéficier de formation qualifiante, de promotions ou d’actions de formation depuis longtemps, le maximum étant désormais fixé à 6 ans avant la tombée de la sanction automatique( 100heures d’abondement du CPF en plus pour le salarié).

La primauté n’est donc plus au « collectif seul ». La bataille est entrain d’opérer à un renversement de son champ, entre « collectif et individuel »et que l’on ne s’y trompe pas : ce dispositif du CPF est tout, sauf anodin sur ce point de « révolution » opéré entre l’individuel et le collectif (contrairement au DIF qui ne supposait pas cette révolution copernicienne).

Car le CPF consacre le droit individuel en matière de formation professionnelle et assure sa primauté sur le droit collectif négocié, qu’il n’évacue pas, mais « qu’il met à son service ».

Si on ajoute alors à cela que la contribution financière des employeurs, au-delà des 1% pour toutes les entreprises de plus de dix salariés (ou 0,8% si accord d’entreprise sur l’abondement du CPF) obligatoirement versés aux organismes collecteurs paritaires, sera l’objet d’une négociation de branches ,consacrant la disparition effective du versement obligatoire du 0,9% consacré au plan de formation (pour les entreprises de plus de 300 salariés), alors on se rend compte de l’importance que prennent les « parts négociables » au sein des dispositifs de formation professionnelle continue et qu’ils s’accroissent considérablement, comme le montre l’article L6355-24 nouveau

«  – Les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs de la branche du travail temporaire ouvrent, dans le mois suivant la publication de la présente loi, des négociations visant à proposer, avant le 30 septembre 2014, l’adaptation du niveau et de la répartition de la contribution versée par les employeurs au titre de leur participation au financement de la formation professionnelle continue. Ce niveau ne peut être inférieur, en fonction de la taille des entreprises, aux niveaux prévus aux articles L. 6331-2 (moins de dix salariés :0,55%) et L. 6331-9  ( plus de dix salariés :1,6%) du code du travail et la répartition de la contribution ne peut déroger aux parts minimales consacrées, en vertu de dispositions légales ou réglementaires(1%), au financement du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, du congé individuel de formation et du compte personnel de formation »

On voudrait donc conclure cette visite au-delà de l’aspect littéral du droit relatif au CPF, par  ce constat : cette réforme change quelque chose dans le rapport entre les salariés et leurs représentants, que ces représentants soient syndicaux, ou élus comme les membres du CE. Leur rôle implicite est entrain de se modifier subrepticement.

Car si ,comme cette loi en prend la mesure, de plus en plus la négociation porte sur le droit individuel, elle en consacre par là même sa primauté non exclusive, renversant en fait le rapport de primauté entre les deux types de droit –individuel et collectif- qui coexistent cependant.

Dés lors le rôle des représentants des salariés, élus et non élus, se déplace, mais peut  aussi peut paradoxalement se renforcer.

-Le rôle des représentants des salariés se déplace, car bien évidemment les représentants des salariés ne pourront plus se positionner en dehors d’un rapport de proximité et de conseil aux salariés qu’ils représentent ; de ce fait, la nécessité pour chaque représentant  de se rapprocher de chaque salarié est inhérente non pas à la disparition du collectif, mais à sa reformulation sur la base de l’écoute et du conseil à chacun.

À ce point de vue, qui est mieux placé pour l’écoute et le conseil à chacun qu’une commission de formation de CE, dont c’est d’ailleurs le rôle ?

L2325-26CT al 2 : Rôle de la commission formation du CE :

« ….étudier les moyens permettant de favoriser l’expression des salariés en matière de formation et de participer à leur information dans ce domaine ….»

Qui est mieux placé pour procéder à une écoute fine des besoins des salariés, pour les orienter sur les choix de stratégie leur permettant d’assumer dans ou hors l’entreprise , leur employabilité, que la commission formation du CE?

Qui est le mieux placé que la commission formation du CE aussi, pour montrer maintenant aux salariés qu’ils ont en main un outil nouveau, le CPF, leur donnant plus d’impact de négociation sur leur formation, mais qu’il est aussi de leur responsabilité de s’en emparer et d’investir dans la formation plutôt que d’attendre que quiconque le fasse à leur place  ?

Qui est le mieux placé pour les convaincre qu’il est urgent  pour les salariés de cesser d’être passifs en matière de formation professionnelle continue ?

-Le rôle de représentant des salariés se renforce alors, s’il sait se déplacer ainsi. Ce rôle se renforce,  car pour peu que les représentants des salariés aient une politique de communication adéquate, les salariés verront beaucoup plus directement à « quoi servent leurs représentants ».

Sur ce point de la formation professionnelle continue dans l’ancien système, il fallait bien du militantisme pour persuader un salarié que le plan de formation « était à son service », alors que cela devrait être beaucoup moins difficile de lui montrer que le CPF, incontestablement est à son service, et que les élus œuvrent aussi pour lui en vue d’abonder ses droits.

En somme le CPF, qui mobilise chaque salarié individuellement, renforce aussi l’effet collectif des salariés et de leurs représentants qui poussent alors tous dans le même sens,  vers celui du droit à la formation et pour sa mise en place effective pour chacun, donnant ainsi à l’obligation de formation de l’employeur un sens réel, bien au delà de celui d’une simple contribution financière.

Élus CHSCT : comment faire respecter votre instance ?

CHSCT

La question ici posée est précise : elle concerne, au-delà des salariés élus au CHSCT, de faire respecter l’instance CHSCT elle-même.

Cette question part de trois constats :

-le premier constat pour dire que bien souvent l’instance CHSCT n’est pas respectée en tant que telle, ce qui ne veut pas dire que les élus du personnel au CHSCT ne le soient pas en tant que personnes, et on expliquera les modalités assez courantes  de ce « non respect de l’instance ». 

-le deuxième , pour dire que l’enjeu autour du CHSCT devient actuellement- et continuera certainement- à devenir l’enjeu principal de la représentation des salariés dans l’entreprise et que la question du respect de cette instance devient, dés lors,  de plus en plus crucial pour la représentation du personnel en général..

-Le troisième  pour constater que les stratégies « d’évitement » du CHSCT de la part de certaines directions d’entreprise ,malgré la pression judiciaire certaine, auront tendance toujours à se démultiplier si les élus CHSCT ne veulent pas ou ne savent pas faire respecter leur instance, et on expliquera comment le faire.

 Evidemment pour partir dans cette analyse, il nous faut une définition de ce qu’est le « respect ».

Pour en donner une, contentons nous de constater  que ce terme contient deux notions sous jacentes qui , ensemble, lui donnent un sens entier :

La première notion relève du « chapeau bas ». On s’incline et on dit « respect ! » . En somme, on admire .

Ainsi respecte –t-on le « travail » en reconnaissant le labeur et en étant admiratif devant le résultat obtenu.

Si le CHSCT est «  admiré », en ce sens là,  on commencera de le respecter. Constatons alors que la seule voie en ce sens pour qu’il suscite l’admiration, et donc le respect, ne peut venir que du travail qu’il effectue , de la qualité et de la pertinence de ce travail et de l’efficacité qu’il déploie en vue des objectifs qu’il se donne.

Cependant , cette  admiration , aussi nécessaire soit elle, est elle  encore suffisante pour provoquer le  respect de l’instance CHSCT ?

Hélas, non ; c’est indispensable, mais pas encore suffisant.  Nonobstant toutes les croyances idéalistes(probablement teintés d’humanisme rousseauiste que nous portons tous un peu en nous même), il faut bien constater ceci : sans une certaine dose de crainte , il n’y a pas de  respect qui tienne .

 C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, le législateur, dans sa sagesse, n’a pas manqué de doter le CHSCT, mais aussi  toutes les instantes représentatives (DP,CE), de moyens dissuasifs importants, notamment de type pénal, dont le délit d’entrave (L4742-1 CT).

On rappelle à ce propos que l’entrave  n’est pas une infraction mineure sur l’échelle des sanctions pénales, mais un délit, susceptible donc d’amener « quiconque aurait mis entrave au fonctionnement de l’instance » devant le tribunal correctionnel.

                En ce sens, l’aspect de  crainte respectueuse   est bien un ingrédient indispensable , mais là encore certainement pas suffisant, de ce qui va constituer ce qu’on appelle en fin de compte le « respect ».

– en résumé, un CHSCT qui ne travaille pas ou n’a pas d’ efficacité ,ou n’a pas d’impact , est un CHSCT qui n’obtiendra pas de « respect », non seulement vis-à-vis de la direction mais aussi, même vis à vis des salariés, ou des autres groupes institués auxquels il a affaire dans l’entreprise ou l’établissement, quelques soient les menaces qu’il brandirait  par ailleurs.

– par contre, un CHSCT qui posséderait toutes les vertus de l’admirable, de par la qualité et l’efficacité de son travail, aurait néanmoins quelque difficulté à se faire respecter, s’il ne suscitait pas aussi quelque crainte amenant ses interlocuteurs de la direction à se dire, au minimum, la chose suivante : « attention, il ne faut pas faire n’importe quoi avec le CHSCT »

Pour bien cerner le dosage  entre « crainte et admiration »nécessaires  au respect du CHSCT , en son sens entier, comprenant à la fois la part d’admiration et la part de crainte, part qui peut être différente dans chaque entreprise ou établissement  mais qui s’avère, dans tous les cas, un cocktail indispensable, regardons précisément ce qu’il se passe dans les cas ou un des deux ingrédients vient à manquer :

– si le CHSCT est « admirable », mais absolument pas craint en tant qu’instance, c’est simple : l’employeur va procéder tout naturellement à une tentative de récupération individuelle de chacun des membres pour qu’il travaille   à son service . La mission du CHSCT est alors détournée au service de l’employeur et de son obligation de sécurité (de résultat)et non plus au service de sa mission de prévention; dés lors le CHSCT devient un adjoint du service hygiène sécurité ou bien une instance diluée entre des personnes qui relaient l’employeur et propagent ses mots d’ordre.

N’accusons  pas les employeurs, ou leurs représentants, de procéder ainsi dans ce cas, car c’est une pente bien naturelle  que de vouloir annexer à soi la qualité de l’autre  et de la mettre à son service et à son bénéfice .C’est même un principe de fonctionnement social bien connu, qui fait qu’on s’attribue la qualité de celui qui est ainsi mis à son service.

C’est exactement ce que font tout naturellement les professeurs d’université vis-à-vis de leurs étudiants brillants , c’est ce que font les ministres vis-à-vis de leurs collaborateurs efficaces, et s’indigner vertueusement  contre ce fait ,quasi anthropologique, revient à agiter haut et fort l’épée de la vertu contre des moulins à vent.

Voyons plutôt ce qui justifie que cette opportunité ne soit pas offerte à l’employeur, ou au management en général.

                   Contrairement à l’étudiant ou au collaborateur du ministre, individus isolés, le CHSCT n’est pas seulement la somme des individus qui le composent , mais aussi une instance, au service de laquelle sont ses membres élus  et à qui doit revenir le bénéfice de son travail .

 Pourquoi ? Parce que les CHSCT ont une haute mission qui les caractérise, et qui leur est donnée par la Loi , qui leur confère autorité pour la mener. Et pour cela ils se doivent d’être cohérents, structurés en tant qu’instance distincte ayant des buts propres et particuliers, différenciés de ceux du chef d’entreprise qui ,lui, a des obligations  (dont l’obligation de sécurité de résultat) en la matière , mais pas de mission de préservation de la santé des travailleurs. 

                        La santé et la sécurité au travail n’est pas l’objectif de l’employeur ou de son représentant, l’objectif de l’employeur c’est-de « gagner de l’argent » (ceci étant dit sans aucun mépris , ni pour l’argent, ni pour celui dont c’est la mission de rendre rentable une entreprise).

                                Constatons simplement que ce n’est pas la mission du CHSCT que celle de l’employeur et donc, que le CHSCT défend dans l’entreprise des intérêts propres à sa mission, et qu’il ne doit pas premièrement y renoncer, en se diluant lui même dans la stratégie de l’employeur.

                       C’est d’ailleurs pourquoi le CHSCT est constitué en instance, et même en institution  propre, avec des moyens propres et des modalités particulières de fonctionnement que tout un chacun se doit de respecter , sous peine d’entrave.

Laisser se « dissoudre » l’instance CHSCT, sans la faire respecter en tant que telle, c’est donc ne pas respecter sa mission, et ne pas respecter  le mandat obtenu pour l’accomplir.

Donnons un exemple flagrant, et hélas assez courant, de cette attitude qui manifeste en fait un CHSCT  « dissous et non respecté » en tant qu’instance, même si ses membres, individuellement parlant, sont appréciés :

Quand la direction invite dans une réunion un membre CHSCT et obtient son accord individuel pour annoncer ensuite, dans toute l’entreprise que « le CHSCT a donné son accord » alors que ce dernier n’a, ni missionné le membre CHSCT pour cela , ni en tant qu’instance, été consulté, ou même parfois informé du but ou des conséquences éventuelles des décisions prises et de ses conséquences lors de cette réunion, le CHSCT en tant qu’institution représentative, n’a pas été respectée.

                         La pratique montre abondamment la fréquence de ce type de situations dont les élus doivent tirer les conséquences .

                      N’hésitons pas à dire que tirer ces conséquences recèle parfois une difficulté psychologique : il n’est pas rare que des élus CHSCT, à titre personnel, se sentent « flattés » de la marque de respect qu’on leur adresse ainsi , à eux personnellement, en « sollicitant leur avis » et en oublient totalement l’instance qu’ils représentent et qui, elle,  n’aura  pas  été respectée en l’occurrence .

Non, chaque élu n’est pas, à lui seul, le CHSCT; oui le CHSCT est un collectif , institué, dont les procédures sont actées sur des PV, selon des règles propres .

Oui , c’est l’instance qui doit être respectée ,au de là des individus qui la composent et qui doivent  eux aussi ,bien sûr, être respectés  en tant qu’individus.

                          Le deuxième écueil serait l’inverse de ce qui est ci-dessus présenté  et cela arrive quelquefois : un CHSCT qui serait « craint » en tant qu’instance, mais pas vraiment admiré pour la qualité de son travail.

Dans ce cas là , la pente, toute aussi naturelle de l’employeur et/ou du management, et il n’ y a pas à leur reprocher cette tentation, sera  celle-ci : éviter au maximum le CHSCT, l’isoler et faire le plus possible « sans lui » ; le consulter  seulement pour la forme  , engendrant ainsi la frustration et renforçant par la même, la  paranoïa du CHSCT , qui du coup se fera encore plus  menaçant en utilisant toutes les procédures judiciaires à sa portée ,sans comprendre que cette attitude va alors renforcer encore le caractère aigu du problème, bien plutôt que de contribuer à sa solution. Non, le CHSCT ne doit pas se contenter de  se faire craindre  il doit aussi se faire apprécier par la qualité de ses prestations et par l’admiration que son travail et son efficacité suscitent.

                               Le conseil sera donc celui là : c’est à chaque CHSCT de mesurer par lui-même et dans la situation où il se retrouve, s’il n’est pas trop en dessous ou au dessus de la ligne efficace de partage entre crainte et admiration, qui forment le respect dû à l’instance et garantissent, à la fois, son efficacité et sa légitime reconnaissance.

– Si le CHSCT est trop craint et pas assez « admirable » ,qu’il travaille alors sur ses compétences et fasse tout pour les améliorer, notamment en matière d’analyse des conditions de travail, d’analyse des risques professionnels, par la qualité de ses enquêtes et de contribution effective à la prévention ,par la qualité de ses préconisations et de ses liens intelligents avec les autres groupes de projet dans l’entreprise et les autres intervenants dans l’entreprise (inspecteur du travail, médecin du travail, agent de la CARSAT, service social, organismes agréés etc) et son savoir faire pour les entretenir.

– s’il se trouve dilué entre des personnes qui, elles, sont individuellement reconnues, et cependant que l’instance ne soit  pas assez respectée dans le cadre institutionnel qui est le sien, qu’il « reprenne ses membres » et s’institue plus par le droit et par le respect exigible des procédures le concernant :

Qu’il  revoie sa copie juridique  et qu’il se « ré institutionnalise » en la respectant lui-même, et en la faisant respecter par autrui.

Qu’il utilise éventuellement ses armes juridiques, voir les armes judiciaires(entrave)  alors à bon escient et avec compétence, sans laisser surtout penser, une seule seconde, à quiconque,  qu’il est tellement complaisant qu’il ne s’en servirait jamais ,  car si le législateur, et donc le peuple Souverain que le législateur représente, lui a mis ces armes dans les mains , ce n’est pas pour qu’il serve de paillasson, mais bien, « pour qu’il se fasse respecter ».

                                                           Thierry Ponsot

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contrat de travail et libertés du salarié

diapos gal liberté

 

Les salariés, et parfois même leurs élus, ont souvent des difficultés à saisir ce que le statut de salarié emporte de contrainte et d’obligation eu égard aux libertés qu’il permet.

Pour débrouiller un peu cette question, on traitera en premier lieu de la nature du contrat de travail, en ce qu’il suppose de subordination entre le salarié et l’employeur, puis on abordera la question des libertés et de ses éventuelles restrictions données dans le cadre de la Loi et de l’article L1121-1 du code du travail notamment.

De cela, on tirera en synthèse un  schéma de fonctionnement des libertés et des contraintes qui résultent du contrat de travail pour le salarié.

 

a) le contrat de travail et le rapport de subordination

 Commençons par dire au moins que les salariés sont excusables de ne pas comprendre très bien l’essence du contrat de travail.

Car ce contrat est spécial dans le cadre du droit du contrat: il suppose la liberté de contracter relative à tout contrat et dans le même temps, il suppose un rapport de subordination entre l’employeur et le salarié qui contractent ensemble.

En principe, en bon droit civil (le droit du travail , de ce point de vue, est le fils du droit civil , dont il s’est seulement en partie émancipé), le « contrat est libre » et suppose l’accord entre les parties et des obligations réciproques sur la base bien sûr, d’un objet légal.

Contracter (passer des contrats) va donc supposer quel les co-contractants soient en situation d’égalité de principe, c’est-à-dire qu’ils puissent le faire dans le cadre d’un consentement éclairé, ce qu’exclue à priori « l’emprise de l’un sur l’autre » ou le rapport de subordination de l’un à l’autre.

C’est là que le contrat de travail est immédiatement ambiguë de ce point de vue : car s’il suppose l’égalité de principes des co-contractants pour passer contrat ,cependant il relie deux sujets- l’employeur et le salarié- dont l’un ( le salarié) est par principe, subordonné à l’autre (l’employeur).

Ce hiatus originel imprègne d’ailleurs la conception même du droit du travail dans son ensemble. Alors que le droit civil va s’édifier sur le principe de la base de l’égalité des co-contractants (par exemple dans le contrat commercial) le droit du travail va tenir compte, en fait, de l’inégalité inhérente à la nature même de ce contrat particulier qu’est le contrat de travail , et visera au contraire, à en corriger les effets d’inégalité de principe :

 En somme ,si le droit du travail est « protecteur » pour le salarié, c’est qu’il corrige l’inégalité de principe que prédispose le rapport de subordination entre l’employeur et le salarié.

Evidemment, cela explique pourquoi ceux qui prônent l’abolition ou la « simplification » du droit du travail sont, soit des ignorants mais plus sûrement, des malins, qui feignent d’ignorer que le droit du travail est en réalité le rempart des salariés contre les effets du « rapport de subordination » qui sans lui, seraient sans limite .

De ce point de vue , la « simplification » du droit du travail, réclamée à corps et à cris par certains, masque mal leur volonté réelle de l’abolir le plus possible, ce  qui donnerait lieu au retour du déséquilibre fondamental qui prévaut entre employeur et salarié, et à un rapport de subordination que rien ne viendrait  dés lors, limiter ou encadrer.

Ce serait le retour pur et simple  à une période que nous avons d’ailleurs déjà connue dans l’Histoire, le début du 19ème siècle, où effectivement il n’existait « aucun droit du travail ». Il n’ y a qu’à lire « Germinal » pour comprendre où cela est susceptible de mener…

Le rapport de subordination , qui d’ailleurs est le principal critère jurisprudentiel que les juges retiennent pour distinguer un contrat de travail d’un contrat commercial, par exemple, implique l’exécution subordonnée du travail ,sous la subordination de l’employeur en principe ( quand il est dit « en principe » cela veut dire sauf dérogation à ce principe implicite par un texte qui , en particulier, en préciserait l’exception).

Dans ce cadre là, jusqu’où le rapport de subordination peut il aller ?

On distinguera alors deux cas : dans l’exécution de la tâche ou en dehors de cette exécution.

– dans l’exécution de la tâche, le rapport de subordination  est limité par ce qu’on appelle « les obligations de l’employeur » au premier rang desquelles on classera, pour notre part , « l’obligation de sécurité ( de résultat ) ».

           On comprend mieux l’importance de cette obligation, notamment dans l’esprit des juges, étant donné le contexte dans lequel elle s’exerce : étant donné que l’employeur a quasi tout pouvoir pour faire exécuter les tâches dans le cadre du contrat de travail (tâches qui peuvent faire l’objet du contrat) , il en a aussi la responsabilité de principe et se doit de l’assumer.

Cette obligation de sécurité n’est pas la seule obligation qui lui incombe, on peut aussi citer l’obligation de formation,l’obligation d’information sur l’évaluation des risques de son travail pour le salarié, l’obligation de consultation des instances représentatives des salariés avant de prendre des décisions qui vont modifier les conditions de travail, quand le code du travail l’énonce ainsi, et les obligations liées à ses engagements nés du contrat de travail, dont la principale, mais non exclusive, est bien sûr la rémunération du salarié, mais aussi le respect des conventions collectives et des accords d’entreprise.

 

b) Le principe de liberté et ses éventuelles restrictions

 

           Cependant jusqu’où l’employeur peut il contraindre le salarié, de par la direction effective qu’il exerce  sur l’exécution de sa tâche, mis à part les obligations qui procèdent,soit du contrat de travail , soit de ses obligations générales d’employeur ?

C’est là que rentre en scène l’article capital (qui devrait être connu par cœur, notamment des DP , qui « veillent aux libertés individuelles »),l’article  L1121-1 CT, et dont l’énoncé est très clair :

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »

Le contrôle du juge sur l’exécution de la tâche et des conditions de restriction des libertés que cette exécution peut occasionner de la part de l’employeur, est ici ,clairement énoncé sous le rapport de ces deux conditions :

1°) que la restriction apportée à la liberté ait pour justification la tâche à accomplir .

2°) que cette restriction, même justifiée, soit proportionnée au but recherché.

Les deux conditions posées sont donc cumulatives.

Les jurisprudences à ce propos sont nombreuses,  parmi elles on citera une restriction qui n’a pas été acceptée des juges concernant l’exécution d’une tâche :c’est tout simplement celle consistant de la part de l’employeur à interdire de parler avec des collègues pendant l’exécution de la tâche, dans la mesure où le juge a estimé que le fait de parler n’avait pas d’incidence sur l’exécution de la tâche et qu’il s’agissait bien d’une liberté et que dés lors, l’employeur ne pouvait justifier en cette occurrence, de la restreindre.

En ce qui concerne le critère de proportionnalité nécessaire à la restriction de liberté , on pourra citer celle concernant la fouille de salariés pour détecter un  vol de métaux , alors qu’un simple détecteur à métaux était suffisant ; dés lors, la restriction de liberté que la fouille d’un salarié occasionne, a été jugé, par les juges, « disproportionnée » par rapport « au but recherché », c’est-à-dire par rapport à la nécessité de  rechercher parmi les salariés l’auteur éventuel des vols de métaux que l’entreprise avait subis .

Dans l’exécution de la tâche, l’article L1121-1 est donc la tour de contrôle de ce que peut imposer l’employeur au salarié, en matière de restriction des libertés individuelles , notamment.

En dehors de l’exécution stricte de la tâche un certain nombre de restrictions peuvent être apportées et procèdent des obligations du contrat de travail, cependant que  d’autres procèdent du respect du code du travail lui-même .

Parmi les plus épineuses questions, en dehors de l’exécution de la tâche à accomplir, on abordera celle relative au comportement général du salarié vis-à-vis de l’entreprise.

 

Concernant les obligations du contrat de travail, une notion importante et que retiennent particulièrement les juges, sera celle-ci : le salarié ne doit pas porter préjudice à l’entreprise.

Cette notion de préjudice entraîne derrière elle toute une série de conséquences sur différents plans de la liberté , notamment  concernant l’expression: répandre des propos publics portant préjudice à l’entreprise peut coûter cher aux salariés .

 Les licenciements « faceboock » de salariés qui se sont crus à l’abri sur les réseaux sociaux pour dénigrer leur entreprise, licenciements qui fleurissent actuellement, n’en sont qu’une des manifestations voyantes.

En dehors de la sphère privée et des cadres réservés à l’expression des salariés (comme ceux que permet la loi Auroux sur le droit d’expression ), les propos intempestifs sur l’entreprise, et portés publiquement ,sont des potentiels motifs de licenciement, à charge cependant pour l’employeur de prouver le préjudice qu’il en a subi.

L’application du code du travail peut  aussi générer aussi certaines restrictions de liberté, notamment concernant l’hygiène sécurité, dont l’employeur peut préciser les contextes à travers ce qu’on appelle le « règlement intérieur » de l’entreprise.

Le règlement intérieur est obligatoire pour les entreprises de plus de 20 salariés (L1311-2 CT) : il peut imposer, par exemple, les ports de vêtement spéciaux ou des règles particulières d’accès à certaines zones de l’entreprise, ou d’autres types de restrictions légitimes de comportement,notamment concernant l’hygiène. Rappelons cependant le principe d’encadrement de ce texte qui peut potentiellement restreindre  des libertés des salariés dans l’entreprise :

a) tout règlement intérieur est soumis à l’avis consultatif préalable du CE, et du CHSCT pour ce qui concerne les matières relevant de sa compétence (L1321-4 CT), puis transmis à l’inspecteur du travail.

b) Le cadre du règlement intérieur est strictement délimité à édicter les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise, aux règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment l’échelle des sanctions, aux dispositions relatives aux droits de la défense des salariés, ainsi qu’aux dispositions sur le harcèlement moral et sexuel (L1321-1 et 2 CT)

c) l’inspecteur du travail peut faire retirer les clauses illégales du règlement intérieur et/ou hors champ de ce règlement, et faire rajouter celles qui manquent et qui sont obligatoires( L1322-1CT).

c) synthèse

En synthèse on pourra décrire le schéma libertés/ obligations du salarié dans le cadre de son  contrat de travail, de la façon suivante :

1°) le principe est que les libertés ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise  et sont maintenues pour le salarié dans l’entreprise. Mais concernant la tâche que le salarié doit effectuer de par son contrat de travail , ces libertés peuvent être restreintes seulement par la nécessité d’une tâche à accomplir et ce, de manière proportionnelle à cette nécessité (L1121-1CT).

2°) le principe de subordination du salarié vis-à-vis de l’employeur s’applique concernant la tâche à accomplir dans le cadre du contrat de travail, mais en dehors de l’exécution des tâches, ce principe est lui même encadré par le respect des obligations réciproques entre l’employeur et le salarié, incluant le non préjudice porté à l’entreprise,. Si l’employeur prétend que le salarié a porté préjudice à l’entreprise, c’est cependant à lui d’en apporter la preuve.

3°) le  droit de l’employeur à restreindre des libertés en fonction de l’application du code du travail et des contraintes hygiène sécurité que celui-ci impose est légitime en fonction de la situation spécifique d’hygiène et de sécurité relative à l’entreprise ; l’employeur édicte un règlement intérieur en conséquence .

Ce règlement intérieur est lui-même encadré par la loi et comporte la mise en œuvre d’obligations (notamment de consultations des instances représentatives) pour l’employeur et est soumis au contrôle de l’autorité administrative (inspecteur du travail).

conclusion

 

Nous voudrions conclure sur trois considérations portées par l’expérience que nous pouvons  avoir en ces matières de libertés pour le salarié dans le cadre de son contrat de travail,et qui pointent concrètement certaines méconnaissances assez fréquentes des salariés à ce sujet.

-Non, au nom de son contrat de travail le salarié n’est pas soumis à une obligation de partager les points de vue de la direction ou de l’employeur, même s’il est cadre ; il est tenu d’exécuter sa tâche selon les directives qui lui sont données (rapport de subordination) et par ailleurs, de ne pas porter préjudice à l’entreprise.Il n’est donc nullement tenu à « penser comme lui » ou comme le management voudrait qu’il pense.

 Par ailleurs le salarié  n’a pas à « se comporter comme le voudrait l’employeur », si ce comportement demandé n’est pas en rapport avec l’effectuation de sa tâche et si son comportement ne porte pas préjudice à l’entreprise.

Si demain  une entreprise X exigeait de ses salariés qu’ils portent une chemise bleu à pois verts et qu’ils chantent l’ave maria tous les matins à 8h30, cela ne constituerait pas une contrainte légitime et le DP, grâce à l’exercice de son droit d’alerte (L2313-2CT ) ,pourrait « immédiatement » exiger une enquête conjointe avec l’employeur, ou son représentant, sur cette contrainte  attentatoire aux libertés qu’il est par ailleurs chargé de défendre, soutenu ,éventuellement, par l’inspecteur du travail qui rappellerait alors l’ensemble du cadre de l’exercice des libertés dans l’entreprise à l’employeur oublieux.

Cet exemple fait sans doute sourire le lecteur et tant mieux, sauf qu’ aujourd’hui l’offensive dans certains  grands groupes internationaux pour imposer aux salariés des chartes d’entreprise sont bien de cette nature, avec des intentions moins évidentes qu’il n’y parait sur le plan de la mainmise sur les comportements des salariés, et sur le plan  des valeurs qu’elles comptent propager et rendre dominantes parmi eux, en exerçant les pressions nécessaires.

-Non et cela est important à dire, le salarié n’est absolument pas soumis au rapport de subordination quand l’ordre ou la consigne qui lui est donné est manifestement illégal et bien au contraire : son statut de salarié ne le protégera pas d’une responsabilité pénale s’il a commis ,ou aidé à commettre une infraction de quelque nature que ce soit ; de ce point de vue, chacun reste pénalement responsable des infractions qu’il commet ou auxquelles il contribue, le rapport de subordination ne constituant nullement une excuse ou une clause déchargeant de la responsabilité pénale. Les salariés qui savent et qui voient autour d’eux dans l’entreprise des comportements ou des pratiques manifestement illégales, sont complices en droit en ne les dénonçant pas.

Il faut d’ailleurs signaler sur ce point que le salarié qui plaiderait devant le juge pénal qu’il n’était que salarié et qu’il n’a fait qu’exécuter les ordres, ne ferait ,de fait, que confirmer son infraction aux yeux de celui-ci et cela constituerait un bien piètre moyen de défense pour lui.

Les salariés ne doivent donc sur ce point se  croire à l’abri par le rapport de subordination qui les lie à l’employeur  alors qu’ils ne le sont nullement, notamment sur le plan pénal.

-Non, le salarié n’est pas soumis à une subordination qui dépasse la cadre légitime de la direction de l’employeur quant à l’effectuation des tâches à exécuter, et c’est en cas de litige, à l’employeur de justifier que les restrictions qu’il a imposés étaient nécessaires et proportionnées à cette exécution. Par ailleurs rien, dans le comportement du salarié, dés l’instant qu’il n’est pas préjudiciable à l’entreprise (et non contraire à la loi pénale), ne peut être contraint par l’employeur, la liberté étant de principe .

Cette liberté, de principe,  continue de s’appliquer, y compris dans l’entreprise  par l’exercice aussi  des libertés collectives que la loi encadre, à travers notamment « le droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail ».

On regrettera donc, pour notre part, que les salariés choisissent parfois de se mettre en danger pour exercer ce droit à l’extérieur du cadre légal prévu , alors qu’ils ne l’utilisent pas, ou à peine ,dans le cadre prévu ;en conclusion:

 Salariés, qu’attendez vous pour tanner votre délégué syndical (L2281-5CT), ou à défaut votre CE ( L2281-12 CT) ,afin qu’il négocie un droit d’expression dans votre entreprise  sur la base de la Loi Auroux du 4 Août 1982 ?

 

 

 

 

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peur de l’avenir au travail: un sentiment qui se comprend

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Le travail est un médiateur qui permet en général de «se rassurer »sur l’avenir: pourquoi ? Parce qu’à travers le travail, se construit normalement un sentiment de « sécurité ».

Autrement dit, le travail est ce en quoi chacun s’assure pour demain.

Chacun s’assure, à travers le travail, d’une compétence , d’une capacité . Cette capacité et cette compétence que donne le travail permet alors d’envisager l’avenir et d’affronter ses aléas.

Dans une période de tension liée en partie à la peur, chaque travailleur qui ne se sent plus, ni assuré, ni rassuré par son travail et sa pérennité, ne peut plus alors « envisager l’avenir ».

L’avenir est alors vécu sans visage, comme une sorte de menace planante vis-à-vis de laquelle il va devenir préférable de se détourner.

Qu’est ce qui prédispose à envisager l’avenir et à croire que son travail va le rendre envisageable?

D’abord faut il que la perspective d’un travail puisse « assurer l’avenir ».

A ce propos, si de nombreuses études continuent de prouver que les jeunes diplômés se sortent mieux du chômage que les non diplômés, elles ne  montrent cependant pas forcément  ce qu’elles croient montrer: à savoir que le contenu des études favorise en soi l’obtention de l’emploi.

Car les jeunes diplômés ne bénéficient pas tant d’un réel avantage dû au contenu de leurs études quant à l’emploi que d’un avantage psychique : celui , grâce à leurs études et donc leur travail scolaire et/ ou universitaire, d’avoir investi  dans leur travail et d’en être reconnu par le diplôme obtenu, ce qui leur a construit  tout simplement un « sentiment de sécurité » interne.

Suivre quatre ou cinq années d’études complètes dans un cycle ordonné construit en soi une certaine aptitude « à se sécuriser de l’intérieur ».

Cette sécurisation se construit grâce à un avenir tracé au sein même des études;

entre la linéarité rassurante d’une seconde année qui en suit une première, et puis celle d’ une troisième qui en suit une deuxième, après validation annuelle de compétences (ce qu’on appelle les examens), l’avenir se constitue alors en sécurité: cette sécurité garantit que l’effort n’est pas vain.

. La structuration du temps de l’effort et du résultat qu’on en obtient est au moins aussi importante que tout contenu d’étude particulier.

Cette linéarité progressive des années qui se suivent « dans un travail d’études » produit alors un sentiment d’assurance qui confère un sens ordonné à l’ensemble suivi des efforts méritoires fournis au travail, et en principe, reconnus en tant que tels par le « diplôme » .

En somme, si le jeune diplômé est plus sûr de l’avenir , c’est surtout parce qu’il aura au moins goûté, une fois dans sa vie, à la vertu rassurante d’un travail ayant porté  sa reconnaissance symbolique ,à travers le diplôme obtenu;

Dés lors et malgré les  inévitables déconvenues que le jeune diplômé rencontrera ensuite sur le marché du travail, néanmoins, il se souviendra toujours d’un parcours qui lui aura donné la certitude que l’avenir est payant et vaut le travail fourni pour’investir en lui.

Tel n’est pas le cas du jeune, « débarqué » du système scolaire et plus ou moins déscolarisé, non diplômé et donc, non reconnu en tant « qu’initié au travail » sur le plan symbolique .

Et pour peu que ce jeune vive ensuite les traditionnelles années de galère  entre stages et petits boulots précaires, comment se construirait-il alors une vision de l’avenir  sécurisante, grâce au travail?

Comment envisagerait-il l’avenir grâce au travail, puisque le travail n’ a pas de visage pour lui et qu’il  n’ a jamais été reconnu par son travail ?

Comment, alors , pourrait-il  croire à tout le contraire de ce que sa propre expérience de vie lui laisse à penser ?

La disposition à  envisager l’avenir, à partir de son travail, laisse donc supposer qu’on ait déjà eu , une fois au moins dans sa vie, l’expérience du travail dans la durée  et son expérience d’un retour positif sur soi en terme de reconnaissance au moins symbolique.

Personne ne saurait oublier qu’à ce point de vue, cela fait bien quarante ans et nous en fêtons l’anniversaire, que la France vit le nez plongé dans la « crise et le chômage ».

Cela signifie aussi que l’avenir n’a plus lieu de donner tant confiance dans le travail   depuis quarante ans déjà, et que les plus jeunes générations n’ont déjà  pas le souvenir vivant qu’il puisse en être autrement.

Sur le plan de la « sécurité psychique » au travail, comment imaginer que cela n’ait aucune conséquence?.  Et on voudrait qu’il n’en reste aucune trace ? Comment parler d’avenir à quelqu’un qui n’en a jamais connu ?

Certaines entreprises aujourd’hui connaissent leur 7 ème , 8ème PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) avec, à la clef, les charrettes de licenciés ou de départs volontaires, et notamment les charrettes de seniors mis sur la touche .

Question : Est-ce que cela est sécurisant pour les autres ? Est-ce que cela donne signe d’une « vision d’avenir et laquelle » ?

Nos grands managers hexagonaux, formés à  des grandes écoles gestionnaires,  ignorent la plupart du temps l’aspect traumatique que ces restructurations perpétuelles créent chez ceux qu’il faut bien appeler par leurs noms, c’est-à-dire des « survivants » .Ils ignorent l’Histoire et ses effets qu’eux mêmes ou leurs prédécesseurs ont pu créé et voudraient que personne ne l’ait en mémoire.la preuve? en Angleterre existent des formations spécifiques permettant aux « survivants » des plans sociaux de surmonter les traumatismes vécus: à notre connaissance, ces stages spécifiques n’existent même pas en France, ce qui montre bien le pré-supposé que cela laisse entendre: le passé n’aura pas de conséquence sur la confiance en l’avenir!

Combien de salariés aujourd’hui encore en poste sont ils des « survivants » ? Que peuvent ils entendre de l’avenir pour leur travail alors, sinon cette musique, bruissant au fond de leurs oreilles : «A quand la prochaine charrette pour moi? »

Que font nos grands managers gestionnaires pour prévenir ce sentiment d’insécurité psychique lié à la « peur de l’avenir » qu’ils ont eux-mêmes institués (ou leurs prédécesseurs) ?

En terme de prévention et  à ma connaissance : rien du tout ; ou alors ils produisent des discours managériaux sur la « motivation que doivent avoir les salariés pour leur travail », ce qui parait à peu près aussi adéquat et intelligent dans le contexte ,que de vanter les mérites de l’art oratoire devant une assemblée de gens à qui on aura coupé la langue.

En réalité, le fait d’envisager l’avenir au travail suppose une mémoire dans laquelle le travail  soit déjà reconnu au préalable comme une expérience suffisamment positive pour se projeter, grâce à lui, en sécurité.

Et c’est ensuite cette mémoire positive qui va permettre d’aborder l’autre aspect inséparable de l’avenir , à savoir son incertitude, comme un aspect non terrifiant, mais au contraire, comme un aspect  passablement excitant pour oser en porter le défi.

Thierry Ponsot

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qu’est ce qu’un CE en réalité?

diapos gal droit

Bien sûr un nouvel élu attend légitimement une réponse à cette question : « qu’est ce qu’un CE ? ». Il n’est cependant pas certain qu’un ancien élu, avec de nombreuses années de mandat derrière lui, ne trouve quelque intérêt à se reposer cette question de temps en temps ; il pourrait alors entrevoir, qu’à l’instar d’un lieu revisité, ou d’un livre qu’on relit des années plus tard, la revisite apporte de la nouveauté car elle permet de confronter l’expérience vécue à la nouvelle lecture des données initiales.

Les données initiales de la définition du CE sont toujours en l’occurrence celles de la Loi, en son article L2323-1 CT notamment :

« le comité d’entreprise a pour objet d’assurer l’expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production…. »

En s’arrêtant à ce point, on fera déjà plusieurs remarques

– d’abord, il y a bien une définition de l’objet du CE dans le code du travail ..

Il n’appartient donc pas à chacun, et notamment pas aux directions d’entreprise, de définir « selon eux » ce qu’est ou ce que devrait être un CE, dés l’instant où la Loi et le législateur, représentant du peuple Souverain, l’énonce d’emblée (ce qui n’est pas toujours le cas , car parfois la Loi indique les missions de l’instance, mais ne définit pas son objet, par exemple pour le CHSCT( L4612-1CT) et les délégués du personnel (L2313-1CT).

– que le CE soit donné, par définition, comme « assurant l’expression collective des salariés » arrête donc toute discussion sur la légitimité de cette instance à être ce que la Loi dit qu’elle est : aussi, quand un membre de CE entend qui que ce soit remettre en cause la légitimité du CE à assurer l’expression collective des salariés et à représenter leur intérêt, il ne lui est pas interdit de répondre que la Loi ayant déjà tranché du sujet, la discussion s’avère sur ce point superflue ; l’élu pourra alors, en sus de sa convaincante démonstration , citer le numéro de l’article en référence , histoire de faire taire tout bavard impénitent à ce propos.

– la définition qui est donnée par l’article L2323-1 CT du CE implique que l’employeur « prenne des décisions ».

Cette définition rappelle donc à la fois, que l’employeur est le décideur  mais aussi que sa décision prend en compte la part du CE en tant que représentant «  dans la décision » des intérêts des salariés, intérêt que représente sans conteste le CE ,de par sa légitimité démocratique (il est élu suivant son objet de définition donné par la Loi).

Evidemment, de ce texte générique de l’article L2323-1CT  découlera ensuite les procédures spécifiques selon lesquelles ces intérêts sont pris en compte ;

on en connaît essentiellement deux ,des plus importantes : la « consultation du CE », d’abord, et ses règles de procédure définies aux article L2323-2, 3 et 4 du code du travail, modifiées notamment par la loi du 14/06/2013 concernant les délais de la consultation, et puis le droit à l’information du CE, qui est aussi  le préalable de la consultation, bien sûr, mais qui n’en est dans la plupart des cas pas la limite, car la consultation exige bien plus que la simple « information ».

Ce qu’indique donc ainsi la Loi dans ce texte générique de l’article L2323-1CT, c’est au fond le système dans lequel s’insère désormais toute décision de l’employeur concernant les champs (vastes) de compétence du CE : la procédure d’implication du CE « dans la décision de l’employeur » laisse à l’employeur la liberté finale de la décision, qui se doit cependant de tenir compte de l’intérêt des salariés, via la représentation légitime et incontestable  du CE dans les domaines étendus de sa compétence (cités notamment mais pas exclusivement, par l’article L2323 -1 :  la gestion économique et financière,l’organisation du travail , la formation professionnelle,les techniques de production ).

. Or la plupart des critiques entendues généralement à propos du rôle du CE dans les décisions de l’employeur sont souvent l’effet d’une méconnaissance de ce qu’il est suivant cet article de loi ,.

Ainsi à propos du CE et de son rôle dans le système de décision de l’employeur, on entend souvent  deux types de critiques majeures, qui traduisent chacune sa méconnaissance fondamentale.

– la première critique est pour en dénoncer la « lourdeur » : un tel système, imposant la consultation préalable du CE, serait un boulet pour la « liberté de gestion de l’employeur » ;

Cette critique est inadéquate, car en définitive, le CE n’entrave aucune liberté de gestion, mais au contraire, il la légitime, grâce à l’avis des instances représentatives et celui du CE en particulier ;

Car à ceux qui développent cette critique , on peut assez facilement rétorquer ceci : expliquez nous par quel système, sinon peu ou prou celui là, seriez vous en mesure de légitimer démocratiquement  les décisions de l’employeur, en vous rappelant, bien sûr, que la démocratie sociale ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise, et que chaque entreprise n’est pas une autocratie ou un micro Etat, immergé dans une démocratie qui ne vaudrait que pour « l’extérieur de l’entreprise » ?

Cette remarque s’appuie sur l’idée que la démocratie ne s’arrête nullement aux portes de l’entreprise, quoique oublient d’en penser nombre d’employeurs considérant l’entreprise comme une propriété privé où le bon vouloir de l’employeur serait la loi : tel n’est pas le cas et l’on rappelle à ce propos, que le droit dans une entreprise signifie justement qu’à partir du moment ou l’on devient « entreprise avec des salariés», ne règne plus le seul bon plaisir de quiconque, fût il dirigeant, mais la Loi et son esprit.

– alors face à cette première critique qui sous tendrait au fond  l’idée que dans l’entreprise toute démocratie devrait être absente, on entend aussi une critique inverse : mais enfin pourquoi les CE ne  posséderaient ils pas  « un droit de veto » sur les décisions de l’employeur ?

Rappelons alors à ceux là, que la démocratie en elle-même, aussi sociale qu’on la voudrait, n’implique cependant pas la constitution de soviets.

Le dirigeant dirige, et la question se pose de la légitimité de ses actes et non pas de sa légitimité à diriger en soi.

Par ailleurs, on rappelle que si tel n’était pas le cas, alors on ne pourrait pas, non plus, mettre en cause la responsabilité civile de principe, voir pénale  de l’employeur, puisque l’employeur ne serait plus « celui qui dirige » .

Ne pas pouvoir mettre en cause la responsabilité de principe de l’employeur ne permettrait pas, non plus alors, de faire peser sur lui une « obligation de sécurité », notamment  et engendrerait en ce domaine si important, une « irresponsabilité générale de principe »

. Le résultat d’un tel système -soviétisé- serait  l’irresponsabilité personnelle (et c’est bien aussi pourquoi les systèmes soviétisés ont largement échoué dans l’Histoire) ou alors, la mise en cause des responsabilités des représentants du personnel dans les choix de gestion de l’entreprise.

Donc on comprend dés lors parfaitement le système actuel qui prévaut quant au rôle du CE « dans la décision de l’employeur », comme distributeur  de pouvoirs et de responsabilités, logiquement correspondantes.

Sa  remise en cause sur le fond obligerait alors à changer l’ensemble des dyades  « responsabilités – pouvoirs » des uns et des autres , de l’employeur, des CE, mais aussi des salariés qui les mandatent

La logique des responsabilités et des pouvoirs dans l’actuel système de décision de l’employeur

– l’employeur décide des mesures prises en terme de gestion de l’entreprise- il est responsable de ces mesures et de toutes les dimensions (y compris la santé et la sécurité) qu’elles impliquent.

– l’employeur doit consulter les CE (quand la loi le prévoit) et l’employeur répond de la non application de cette obligation qui lui incombe devant la loi  y compris pénalement, s’il ne la respecte pas (l’infraction constitutive d’entrave peut être relevée par le CE ou par l’inspecteur du travail L2328-1CT )

– les CE (ou les CHSCT) ne sont pas responsables des décisions prises par l’employeur et de ses conséquences, notamment  sur la santé des travailleur, parce qu’ils ne sont pas les décideurs finaux  des mesures prises par l’employeur.

– les CE répondent devant les salariés, dont ils sont les légitimes représentants, de ce qu’ils font et aussi de ce qu’ils ne font pas, vu leur pouvoir d’influence et d’impact dans les décisions de l’employeur que le législateur a mis dans leur main

– les CE rendent compte aux salariés, dont ils sont les représentants légitimes, de leur action entreprise à travers les initiatives qu’ils peuvent mettre en œuvre pour communiquer aux salariés sur leur politique et les résultats qu’ils en obtiennent en leurs noms.

En partie des obligations légales balisent cette obligation des CE vis-à-vis de leurs mandants, à travers « le compte rendu annuel obligatoire »  (R2323-37CT  )  qu’ils font aux salariés du  choix de l’utilisation de leurs  moyens financiers  .

Ce choix  reflète ce qu’ils ont engagé de leur politique, tant sur le plan des attributions économiques (budget de fonctionnement), que sur celui de leurs activités sociales (budget des activités sociales et culturelles).

– les salariés, à l’échéance électorale, sont ,eux,  responsables d’élire les représentants qui connaissent et exécutent leurs mandats en impactant, au plus possible, les décisions de l’employeur dans l’intérêt des salariés ; ils ont donc le pouvoir de sanctionner  , par leurs votes, ceux,  incompétents ou impuissants, qui n’y sont pas parvenus .

 Plutôt que de lancer des critiques infondées sur le système actuellement existant, ou rêver d’une énième réforme qui « chamboulerait » cet équilibre, on préférera alors soumettre cette idée, aux nouveaux comme aux anciens élus de CE :

et si on utilisait déjà le système existant au mieux pour l’intérêt des salariés ?

À cette fin, nous glisserons 3 suggestions :

-la première suggestion est de comprendre comment on « impacte » une décision avec les moyens dont on dispose dans un « rapport des forces », pour améliorer sa propre capacité d’impacter les décisions du chef d’entreprise.

A ce propos citons une force évidente des CE et qui pourtant est,  on peut le dire, mal ou peu utilisée : il se trouve que le législateur s’est arrangé pour donner une majorité sans conteste aux élus du personnel dans tout CE puis qu’au maximum, les représentants de la direction sont un (le représentant de l’employeur)plus deux collaborateurs , maximum trois, alors que les  élus, dans le plus petit CE qui soit, sont six (trois titulaires et trois suppléants).

Or il n’est nul besoin de détenir un master  de psychologie sociale pour comprendre que 6 contre 3 forment un rapport de force suffisant, s’il est utilisé pour au minimum impacter les décisions prises par l’employeur dans le sens des intérêts des salariés.

Quel  CE, à ce propos pourrait de toute bonne foi, prétendre qu’il utilise ce rapport de forces  au mieux de l’intérêt des salariés ? Pour répondre à cette question, utilisons un seul paramètre : combien de membres  de CE, titulaires et suppléants, prennent la parole dans une réunion plénière de CE et combien ne la prennent jamais ?

Le moindre psychosociologue, même amateur, fera donc remarquer que tout CE qui s’amputerait de la capacité de chacun de ses membres à s’exprimer lors des réunions plénières, n’utiliserait pas l’énorme avantage numérique à sa disposition dans tous les cas et par conséquent, ne ferait pas tout ce qui est en son pouvoir pour impacter les décisions de l’entreprise dans le sens des intérêts des salariés qui les mandatent.

En réalité et au-delà du simple rapport numérique, c’est l’ensemble de la puissance de conviction et de la qualité d’argumentation, qui est en jeu pour que les élus puissent faire jouer au maximum les moyens qu’ils ont en main, et qui leur permettraient d’impacter les décisions de l’employeur : les élus des CE devraient donc utiliser  en partie leur budget de fonctionnement pour augmenter leur capacité en ce domaine et se former aux techniques d’argumentation et de communication qui manifestement, leurs manquent;

Nous sommes à irpforma, hélas, très bien placé pour savoir combien c’est rarement le cas, cependant que les directions d’entreprise, elles, ne manquent que rarement l’occasion de se former en ces matières.

– la deuxième suggestion pour utiliser au mieux sa force d’impact sur les décisions de l’employeur serait d’utiliser au mieux les moyens juridiques à disposition : est ce le cas ? La plupart du temps, force est de constater que non ; il peut y avoir plusieurs types de raisons pour expliquer la relative mauvaise utilisation du droit ;

–  a) l’incompréhension de ce qu’est le droit

–  b) la non compréhension des outils qu’il donne

a) l’incompréhension de ce qu’est le droit

A la base et les élus n’en sont pas spécifiquement responsables, mais plutôt les pouvoirs publics qui estiment qu’on peut former à la démocratie sociale sans notion de ce qu’est le droit .

Cette méconnaissance de fond provoque une confusion fréquente , pour ne pas dire majoritaire,  et qui n’est que rarement levée.

Le droit n’est pas réduit à la somme ou à l’ensemble des règles qui obligent les uns et les autres , le droit est le cadre dans lequel des libertés s’exercent, les missions s’accomplissent, là où des prérogatives sont possibles et des obligations pèsent ,selon les missions et les prérogatives des uns et des autres.

La forme même selon laquelle les élus posent des questions juridiques montrent qu’ils restreignent très souvent l’espace du droit à une somme d’obligations ; cette formule, de leur part  est caractéristique : est ce qu’on a le droit de… ou bien « est ce qu’on ne peut pas empêcher l’employeur de.. » ou bien encore : « a-t-il (l’employeur) le droit de faire ceci ou cela ? »

Rarement, à notre connaissance, un élu arrive à penser directement le cadre juridique dans un ensemble qui prête sens à ce que peuvent être les prérogatives et les obligations conséquentes des uns ou des autres, en formulant par exemple, ses questions de cette manière :

-« dans le cadre de la mission de notre instance CE, quelles pourraient être les raisons pour que nous ne puissions pas exercer nos prérogatives de telle ou telle façon ? »

Pourquoi cette méconnaissance  du droit,en son essence, est elle préjudiciable ?

Parce que nombre d’élus n’explorent  pas les immenses libertés que leur permet le  cadre juridique et qu’ils appliquent alors le droit de manière quasi fétichiste, comme si le droit était une sorte de marabout qui serait susceptible, on ne sait pourquoi, de leur lancer des foudres dés qu’ils prendraient la moindre initiative.

Dés lors, ils n’utilisent pas le droit de manière créative, mais s’enserrent dans des restrictions, qu’ils imaginent seulement venir de lui, la plupart du temps.

Prenons un exemple flagrant : la formation professionnelle continue ; rien , absolument rien  juridiquement, « n’interdirait » à un CE qui le souhaite, et qui s’en donne les moyens, de proposer lui-même , grâce à son droit d’initiative en la matière, un « contre plan de formation » face au « plan de formation » proposé par l’employeur et de discuter terme à terme des biens fondés des mesures prises en ce domaine : de plus , s’il y a une commission de formation (pour les entreprises de  plus de 200 salariés , cette commission est créée de droit), celle-ci est tout à fait habilitée à le préparer, à recueillir les demandes des salariés et dispose d’un temps, à priori non limité, pour effectuer ce travail.

Combien de CE ont-ils pensé, dans ce cadre, leur missions et leurs prérogatives en la matière et ne les ont-ils pas restreints « en les limitant à priori », sans penser alors qu’ils confondaient la liberté laissée dans le cadre du droit et l’habitude dans laquelle ils ont toujours fonctionné ?

Non, le droit n’est pas réduit à « la somme des restrictions » : le droit est un cadre de libertés et de possibilités, encadrées, bien sûr, suivant les missions, les prérogatives et les libertés des uns et des autres et des obligations qui leurs sont inhérentes.

b) la non compréhension des outils que donne le droit

Conséquence de la méconnaissance de ce qu’est en réalité le cadre juridique, les outils qu’il donne sont alors peu ou pas ou mal utilisés.

Prenons par exemple l’avis consultatif du CE ; il est accompagné d’un « droit de suite » défini à l’article L2323 -3 CT qui indique :  « l’employeur rend compte , en la motivant, de la suite donnée à ses avis et vœux »

Combien de CE ont ils réellement compris l’utilité qu’ils pouvaient tirer de ce texte ?

Combien l’utilisent-ils de manière créative ?

Car ce texte donne le droit de suite sur les avis et vœux du CE en obligeant l’employeur à répondre de façon « motivée », c’est-à-dire argumentée, à ses avis et vœux

Dés, lors plutôt que de croire la procédure de consultation terminée des que l’avis est donné, ce droit ouvre aux argumentations et aux « vœux »du CE, qui vont pouvoir être inclus dans la procédure , même et y compris si l’avis donné a été négatif : l’employeur ne peut se soustraire de répondre aux arguments et aux vœux du CE et plus le CE donnera des arguments, des préconisations  et de qualité, et plus il deviendra difficile à une direction de s’ opposer point par point aux préconisations du CE.

Là encore, dépassant le cadre des « habitudes » et des réponses stéréotypées du type : « on est d’accord, on n’est pas d’accord », qu’est ce qui empêche le CE de donner une argumentation en dix points, suite à son avis consultatif , auxquels l’employeur devra répondre, point par point, au titre « du droit de suite ouvert par l’article L2323-3CT ? »

Là aussi on  comprendra que s’il est facile de réfuter un argument pertinent ou deux arguments pertinents , que plus le nombre et la qualité de l’argumentation est importante et plus, toutes choses égales par ailleurs, il devient difficile de réfuter « tout en bloc » et donc , plus il devient possible au CE « d’impacter la décision de l’employeur » (en utilisant bien  les procédures juridiques existantes)et plus il devient impossible à l’employeur d’échapper à ce que le CE préconise.

– la troisième suggestion tient à la constitution d’une ligne stratégique du CE.

S’il  n’y a pas de navire amiral , il n’y aura  pas de flotte qui tienne, tel pourrait être l’adage .

En l’absence de ligne stratégique du CE, les instruments et procédures, et même les outils de communication,  n’ont pas l’impact qu’ils devraient avoir et la « politique du CE », que cela soit sur le plan des attributions économiques ou sur celui des activités sociales et culturelles, reste illisible et d’une cohérence douteuse

Le droit donne des prérogatives  ,des libertés et des possibilités, mais ne répond jamais à la question : que veut le CE ? La fausse évidence d’une institution qui ronronne masque la nécessité pour toute institution –et donc le CE qui est une institution représentative du personnel » – de savoir où elle va et pourquoi .(on pourrait presque dire la même chose de l’Education Nationale : sa taille imposante dans le paysage français l’empêche de réaliser qu’elle ne saurait se justifier par sa seule taille et par sa seule Histoire ,mais qu’elle doit aussi savoir « ce qu’elle veut » et l’expliquer, d’ailleurs, à ceux qui la fréquentent).

Seule la cohérence d’une ligne stratégique met les éléments qui le composent « en ordre de bataille ». Cette remarque tient compte bien sûr de la place centrale du CE et inclue le CHSCT : n’est ce pas le CE qui a le pouvoir de le missionner – L4612-13CT- ? ( là  encore il s’agit d’une prérogative du CE mal connue et mal ou peu utilisée).

D’ autre part la question de l’existence ou non d’une ligne stratégique du CE impacte maintenant aussi , fortement, l’image que donne le CE vis à vis de ceux qui le mandatent, à savoir les salariés : comment les salariés connaîtraient ils la « politique du CE » s’il n’en a pas ?

Dés lors il est naturel que certains salariés réduisent le rôle du CE à celui d’un distributeur de bons d’achat et de cadeaux de Noël , car la vue est ainsi faite qu’il n’y ait que l’évidence qui se voit ,et non pas ce que l’on croit faire ou ce que l’on pense faire.

Si ,de toutes évidence, moi salarié, je ne vois du CE que les cadeaux de Noël et les bons d’achat, en toute logique, je réduis le CE à cela que je vois ; et pour donner à voir « autre chose », il faut montrer autre chose, c’est-à-dire montrer :

Que le CE a une ligne stratégique et laquelle.

Que le le CE s’y tient.

Que le CE progresse dans cette ligne et comment.

Autrement dit, présenter aux salariés une colonne vertébrale structurée – Le CE- qui ait une volonté propre agissant en leur nom, et qui évolue dans une dynamique stratégique sensée, claire, unifiée et explicable en fonction de cette volonté, et non pas montrer une forme  mollusque invertébrée, au genre indéfini et qui se contenterait de « voir venir les évènements».

Thierry Ponsot

les lecteurs qui souhaitent approfondir, peuvent lire sur ce site

la loi du 14 Juin 2013 et les délais de consultation pour remettre l’avis du CE

CE: comment argumenter pour mieux négocier?

– la communication des institutions représentatives du personnel

– la formation professionnelle continue: un levier d’action pour le CEl

se sentir respecté dans son travail

 

Quand j’étais en Alsace à la direction du Travail et de l’Emploi, il m’arrivait souvent de recevoir des travailleurs qui passaient la frontière pour travailler, à Stuttgart ou même plus loin en Allemagne . Le motif qu’ils donnaient  à ce choix de travailler en Allemagne plutôt qu’en France, était un salaire supérieur à l’époque d’environ 30% de l’autre côté du Rhin de ce qu’il était en France.

Mais à examiner leur situation de plus près , cet avantage comparatif du salaire plus élevé en Allemagne fondait comme neige au soleil : car à ce  salaire supérieur, il fallait  d’abord, défalquer le nombre d’heures effectuées plus important à l’époque  en Allemagne qu’en France (42 h par semaine au lieu de 39) et il fallait aussi défalquer le coût de l’hébergement et de la nourriture en Allemagne, puisque ces ouvriers ne rentraient que le week-end en France, plus le transport , plus le montant important de l’imposition  allemande prélevée à la source et plus le coût réel et non financier de leur vie sans leur famille toute la semaine durant (ils partaient le lundi matin et revenaient le vendredi soir).

Au total ,et devant le constat d’un gain finalement très léger en terme financier, et d’un coût très rude en terme d’exil familial hebdomadaire, la plupart de mes interlocuteurs finissaient, pour justifier leur choix de travailler en Allemagne plutôt qu’en France,  par lâcher ceci:

« Oui mais en Allemagne, l’ouvrier est respecté ».

Cette phrase , répétée et entendue à de nombreuses reprises à cette même occasion, a fini par me marquer ; elle dit quelque chose que l’économie a du mal à cerner, que la sociologie a du mal à évaluer malgré les enquêtes et les études, car elle parle d’un sentiment qui est au fond le  respect du travail et du travailleur , de ce qu’on considère comme constitutif de la valeur travail .

Ce sentiment qui fait que l’on se sente respecté dans  son travail,  par  une relation à la fois intime à soi et en lien cependant à l’autre : se sentir fier et reconnu par son travail dans une forme de « respect » d’autrui à le reconnaître pour ce qu’il est, et à être reconnu comme l’auteur du travail.

Ce sentiment, finalement complexe, intrique en son sein :

– une culture commune du travail avec celui  qui reconnaît le travail.

– une distance, respectueuse dans la relation d’Homme à Homme qui alors, n’est plus celle de la hiérarchie, de la domination ou de l’exploitation, mais qui devient celle du  respect dû au travail  . Le travail fabrique alors,entre l’Homme et l’Homme, une relation respectueuse.

La mise « en respect » , si on étudie de manière étymologique le sens de ce mot « respect », est une mise à distance qui mélange crainte et admiration ,dans une forme de proportion d’où l’admiration est  certes toujours dominante, mais d’où  la crainte n’est jamais  totalement absente.

Deux types de réflexion peuvent alors surgir, suivant que l’on aborde l’un ou l’autre côté du sens du mot « respect » à propos du travail.

– le premier type de réflexion tourne autour de: « admirer le travail». Admirer un travail nécessite soi et un autre en vis-à-vis, par l’intermédiation d’un objet nommé « travail ».

Cela signifie donc ,d’abord, qu’on ne peut être seul à effectuer un travail admirable , si sa vision  n’en est pas un minimum  partagée par autrui .

L’admirable, en même temps qu’il sépare l’admirateur de ce qu’il admire, exige l’altérité et même une triangulation : il y a le travailleur, il y a le travail et « l’admirateur du travail » qui partage la valeur liée au travail et qui donc la reconnaît . Dans ce cadre, se pose cette question ci :

– qui tiendra ce rôle d’admirateur « reconnaissant du travail »? Si la question mérite d’être posée, c’est qu’on ne la pose généralement pas : il semblerait aller de soi d’être en situation de reconnaissance vis-à-vis du travail. Il devrait être naturel de  reconnaître le travail . Cependant les conditions pour tenir ce rôle  d’admirateur ou de  reconnaissant du travail réalisé  apparaissent nettement :

a) être suffisamment connaisseur  du travail réalisé pour être en situation de l’admirer ; à ce propos on remarquera ceci : comme par hasard , en Allemagne , là où « l’ouvrier est respecté », tout le monde est passé par  l’apprentissage , y compris l’encadrement, et sait  ce que représente le travail de l’ouvrier . La culture à la base commune des uns et des autres rend l’objet commun (travail) appréciable et admirable de la même façon.

b) pour « ad-mirer » encore faut il quelque chose à « mirer ensemble »,  autrement dit un travail  visible  et qui ait un caractère suffisamment évident  pour le voir réellement.

Or, tel n’est pas le cas du travail invisible, qui se développe de manière considérable, car  si pour un ouvrier du Bâtiment la question de « l’invisibilité du travail » ne se pose pas encore de manière cruciale –on voit le bâtiment édifié, le mur construit, le carrelage posé, la peinture sur le mur – pour d’autres professions, cette visibilité pose de plus en plus question :

Qui voit, et donc peut reconnaître le travail morcelé et dont l’objet de réalisation est dilué à travers tâches et activités parcellisées de l’employé interchangeable et polyvalent du grand groupe, qui court toute la journée d’une tâche à l’autre sans même avoir le temps d’en finir une ? Qui donc « admirera son travail ? »

Plus encore, le développement du  « travail au gris, » c’est-à-dire du travail non reconnu dans la fiche de poste, mais néanmoins effectué, accentue l’invisibilité galopante du travail dans nombre de secteurs et d’institutions, entreprises ou organismes privés ou publics.

Pour admirer le travail, ces conditions sont donc nécessaires : que le travail reste visible d’abord et ensuite, qu’un « autre » que soi en partage suffisamment la « valeur » pour être à même de l’admirer en tant que tel ;

– mais si on s’arrêtait seulement à ces points, on oublierait le deuxième sens sous jacent au mot « respect » et qui en révèle la profondeur.

Dans le « respect du travail » , il y a nécessairement une forme de  crainte, qui rend le travail respectable et tient à distance respectueuse. Le travail se doit de « tenir en respect ».

Plusieurs facteurs contribuent à cette mise en respect sous cette connotation particulière du terme de respect.

-la premier, c’est le caractère incontestable de sa propre marque indélébile dans le travail effectué ;  cette marque n’est pas forcément  individuelle  ,mais elle se doit d’être incontestable .Elle marque comme le burinage d’un visage, la forme de souffrance et de prix auquel il s’obtient : ainsi, la fierté collective des ouvriers sidérurgistes tient aussi paradoxalement à l’incontestable coulée du laminoir de l’acier, dont ils sont l’inséparable figure, à travers la difficulté  de leur travail effectué sous la fournaise .

Cet aspect de la marque de mise en respect se fait  sous le sceau du sacrifice et marque de son marqueur . Ce marquage est constitué du  sacrifice de soi fait au nom du travail et qui distingue le travailleur de celui qui obtient les choses sans travail.

Que tout « travail mérite salaire », est un  proverbe qui ne se contente pas de produire de l’équivalence économique. Il introduit l’idée que le travail est un mérite qui a payé son  prix de sueur pour être reconnu  au bénéfice du travailleur.

Cette marque spécifique de travail  fait ressortir le caractère étymologique du mot travail comme issu de « la torture » (tripolanum en latin et qui veut dire torture) qui manifestement le sous tend, et que nos contemporains abordent de façon édulcorée sous le terme d’ « effort ».

le travail, et c’est le deuxième sens de la mise en respect qu’il produit, a un caractère sacrificiel car il sacrifie de soi au bénéfice du collectif dont en retour il est censé recevoir la « marque du respect ».

Le travail est ainsi connoté de l’effort et du sacrifice auquel on consent (en temps, en énergie, en dévouement) pour lui en tant que don spécifique de soi.

Quiconque envisagerait le travail sans effort  perdrait, de fait, une part de sa reconnaissance  et qui est liée à la mise en respect .

La question que  lance vers autrui le travail fourni est  alors comme un défi inconscient : « Et qui donc est capable de sacrifier autant ? »

Cette mise au défi quasi sacrificielle du travail met en respect et constitue la sacralisation sous jacente de sa valeur . Cette forme du travail et du respect est toujours présent  en second , c’est-à-dire enfoui sous l’admiration que suscite son produit visible.

Les travailleurs constructeurs du viaduc de Millau suscitent l’admiration pour la qualité de l’œuvre accomplie, mais aussi,par dessous,  la crainte respectueuse pour les sacrifices consentis  au nom de cette œuvre.

De fait , il ne servirait à rien de  sacrifier au travail sans que ce travail soit  admirable en soi  ; mais il ne pourra en réalité être admirable en soi s’il n’a pas coûté de la sueur et de l’effort,  et s’il ne tient pas en respect par la marque indélébile qu’il incruste en signant le sacrifice de temps et d’effort qu’il sous tend.

Ce qui pose souci aujourd’hui à ce propos  , n’est donc pas  l’intensité exigeante du travail , car il y a dans la valeur travail, incontestablement,  une exigence  . Vouloir à tous prix confondre l’intensité du travail avec sa rentabilité forcée est une impasse; oui, le travail doit être intense si l’on souhaite en extraire sa valeur, mais cela passe par sa richesse et non pas par son affadissante insignifiance.

Chacun peut s’en rendre compte, car qui aimerait un travail facile et sans effort  et surtout , qui se sentirait reconnu dans son travail par un tel type de travail sans effort et sans mérite?

Au contraire , l’exigence valorise le travail, mais ce n’est que le fond de sa valorisation .

Le degré sacrificiel que le travail recèle en son fond n’est pas suffisant en soi pour en constituer la valeur, s’il n’apparaît pas comme élément de partage d’une valeur visible, et qu’un autre que soi est susceptible de reconnaître.

C’est pourquoi la non reconnaissance du travail fait donc ressortir ainsi « le sacrifice en vain », et engendre alors la tristesse profonde.

La tristesse, car c’est là le sentiment que provoque la non reconnaissance du travail, peut donc se mêler de facteurs superposés et qui appartiennent à des registres différents

– premièrement, tristesse de ne « trouver personne au lieu de la reconnaissance », parce que personne ne se retrouve en situation d’être  capable de reconnaître le travail fourni, tout simplement.

Si l’on sait distinguer la flatterie de la reconnaissance, comment se retrouver « reconnu dans son travail »par quelqu’un qui ignore le travail effectué, la compétence qu’il exige et l’exploit même parfois, en lequel il consiste au quotidien ?.

Les managers s’imaginent volontiers (et savent en persuader les salariés) qu’ils seraient la source principale de reconnaissance du travail pour les salariés qu’ils dirigent.

Comment pourrait ce être le cas, notamment pour des managers nommés à la tête d’institutions qui exigent de  leurs salariés des compétences extraordinairement pointues, alors qu’ils ne présentent , quant à eux, que la désolante uniformité de leur formation gestionnaire, issue des toujours mêmes  Grandes Ecoles commerciales, et se retrouvent ainsi gérer aussi bien une industrie qu’un hôpital, une banque, voir un ministère ? Que connaissent-ils de l’intime du travail de leur salariés , de la performance qu’il exige et du sacrifice de soi qu’il porte en sublimation ?

Mais les salariés,qui espèrent toujours voir arriver le jour « où le management leur sera enfin reconnaissant de ce qu’ils font » et qui croient ainsi à la pensée magique, ne sont pas pour autant dispensés de réfléchir, eux aussi, aux conditions nécessaires de la réelle reconnaissance qu’ils demandent au fond:.

Car les salariés pourraient alors découvrir, qu’au lieu « d’attendre de la reconnaissance des managers » comme on attendrait  Godot, qu’ils ont la capacité , entre eux et parmi eux, de se construire des espaces de reconnaissance collectifs et qui leur permettent de se reconnaître chacun dans la fierté contributive au travail commun… au sein d’un CE par exemple (dont la mission d’activité sociale et culturelle est justement de contribuer à améliorer les conditions de vie et de travail au sein de l’entreprise)

– deuxièmement , tristesse de ne pas « voir le résultat de leur travail » parce qu’il n’est pas visible et donc pas reconnaissable : qui pourrait en être alors leur en être« reconnaissant »?

De ce point de vue, l’interchangeabilité permanente, la polyvalence  des postes et des fonctions, et le sentiment généré par les formes contemporaines de travail, selon lequel « n’importe qui peut prendre la place de n’importe qui » ,sentiment  savamment distillé  par la  politique délibérée de beaucoup d’entreprises et de groupes, est désastreux pour la promotion de la valeur travail. Si le travail est une valeur qui doit valoriser, ce n’est pas tant le narcissisme de l’individu en soi,  que le sentiment de se reconnaître unique  à travers un travail admirable et unique, qu’il soit  individuel ou collectif .

– troisièmement, tristesse de ne pas provoquer ,par leur travail, la crainte symbolique et « sacralisée » du sacrifice qu’il constitue aussi. .

Ceci explique peut être alors pourquoi certains peuvent être tentés de se  sacrifier pour de bon sur l’autel du travail , par quelque acte violent. L’épidémie de suicides au travail ne refléterait-elle pas ainsi cette notion de  sacrifice en vain , auquel aboutit la forme la plus achevée de la tristesse, à savoir , la dépression ?

Thierry Ponsot

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Le pacte de responsabilité : mais qui donc est responsable et de quoi?

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Sous forme de boutade , on se permettra de soulever une question qui n’est pas sans intérêt sur le fond : qui est responsable et de quoi dans ce fameux « pacte de responsabilité » ?

Pour répondre à cette question, il faut déjà comprendre d’abord cet échafaudage de « responsabilités » entre les différents protagonistes, écheveau de responsabilités dont on ne peut au moins nier l’ originalité.

Responsabilité de L’Etat d’abord : En principe et en bonne gouvernance, les baisses ou les hausses d’impôt sont du ressort de l’exécutif qui en est « responsable ». C’est de sa politique économique dont il s’agit .

L’Etat est donc le responsable de principe de la politique fiscale qu’il met en œuvre. L’exécutif engage sa responsabilité dans la mise en œuvre de cette politique fiscale. Cette mise en œuvre se fait soit par la Loi et le cadre législatif (le Parlement) ,soit  par le décret simple , ou l’ordonnance, si la politique décidée par l’exécutif ne passe pas par le législateur.

Ensuite l’exécutif peut déléguer aux partenaires sociaux de négocier sur la mise en application d’une dérogation prévue par la Loi . cette ouverture de la loi à ses propres dérogations permet d’adapter des conditions spécifiques d’application à des branches particulières ou  à des secteurs particuliers d’une mesure générale .

C’est ce qu’il se passe, par exemple, pour l’application de la loi du 14/06/2013 et qui prévoit pour le temps partiel un cadre général d’application portant la durée du travail minimun à 24 Heures  , avec cependant une possibilité de négocier en deçà des 24 heures pour certaines branches particulières, comme le nettoyage industriel ou l’ hôtellerie.

Mais en aucun cas, dans ce cadre particulier la négociation engagée par dérogation à la loi n’est susceptible de remettre en cause la loi elle-même et son orientation générale. qui est de l’ordre de la responsabilité politique de l’Etat et/ou du Parlement (Sénat+Assemblée nationale).

Or tel n’est pas le cas du « pacte de responsabilité », dont la mise en application dépend en général, comme en particulier, de la négociation ultérieure entre partenaires sociaux. Autrement dit, au cas où il  n’y aurait aucun accord signé, la politique générale et son orientation deviendraient« caduques » et sans aucun effet.

Donc tout se passe comme si les partenaires sociaux devenaient « responsables » de l’effectivité d’un contenu à une politique fiscale et qu’ils prenaient de fait la « responsabilité du politique», dont on rappelle qu’il tient sa légitimité d’une élection (présidentielle dans le cas de l’exécutif et législative dans le cas de l’Assemblée nationale) pour l’exercice de sa compétence propre.

Les partenaires sociaux ont-ils été élus pour faire la Loi et décider de la fiscalité des entreprises ?

A cette première et curieuse façon d’opérer du pacte de responsabilité, d’enchevêtrer et de croiser ainsi les responsabilités, s’en ajoute une autre, et qui est relative à l’élaboration du droit du travail lui même.

Le droit du travail, ce n’est pas seulement la Loi, mais aussi l’ensemble des accords collectifs, de branches ou d’entreprises.

En principe, la négociation en matière d’accord de branche ou d’entreprises porte sur un objet précisé à l’article L2222-3 CT, à la demande d’une ou des organisations syndicales de salariés , sans préjudice des thèmes de négociation obligatoires par ailleurs (salaires, égalité professionnelle etc..)

Or le pacte de responsabilité propose une négociation en partie  sur ces thèmes , mais dans un cadre qui sort totalement de celui prévu pour la négociation de branches puisqu’il s’agira de négocier la …fiscalité des entreprises contre des « contreparties » en terme d’emploi , de salaire ou d’investissements ou de formation.

Donc on s’aperçoit en fait que le « pacte de responsabilité » sort non seulement du cadre de la Loi et de sa mise en application par un système dérogatoire , mais sort aussi totalement du cadre de négociation des accords de branches ou d’entreprise qui se trouvent  créer légitimement du droit du travail hors le contexte de la Loi.

Autrement dit , le pacte de responsabilité créé un contexte « inédit » de négociation entre un « objet de politique fiscale » de la responsabilité de l’Etat et/ou du Parlement, avec « un objet social » qui dépendrait  normalement soit de la Loi, soit d’un accord collectif avec les partenaires sociaux.

En imaginant que des accords réels soient finalement trouvés dans ce contexte, quelles seraient alors les conséquences en matière de responsabilités identifiées des partenaires (Etat, législateur, organisations syndicales et patronales) ?

– un Etat qui ne serait plus « responsable » de la politique fiscale vis-à-vis des entreprises, remise entre les mains des négociateurs qui négocieraient cette politique en fonction d’objectifs qui relèvent normalement des accords collectifs de branches ou d’entreprises.

– un législateur totalement évincé de la capacité de donner une forme générale à une Loi sur une politique générale (fiscalité), qui de fait ,est contournée d’emblée car il ne décidera d’aucun contenu réel à sa mise en application.

– une responsabilité des partenaires sociaux sur les effets  produits par les baisses de charges différentes suivant les contreparties négociées et les éventuelles distorsions produites entre les secteurs par ces contreparties.

– une négociation sur les accords de branche et d’entreprise totalement faussée et vidée de substance par cette négociation , avec à la clef cette question : pourquoi désormais le patronat condescendrait il à négocier, et sur quoi dans le domaine social, s’il n’y a pas une baisse de charges massive en contrepartie ?

On ne se prononcera pas ici sur la tenue ou non de l’objectif que vise le pacte et sur la crédibilité économique de sa perspective.

Disons seulement ceci : le pacte, si accord il y a au final (ce qui n’est nulle part garanti) ,du point de vue des « responsabilités » introduit bien une nouveauté : une nouvelle confusion totalement inédite des « responsabilités » des uns et des autres  dans leur capacité à répondre, de leur place, de ce dont ils sont réellement responsables .

Mais par contre si jamais les négociations n’aboutissent  pas, quel jeu en perspective et quelle belle perspective pour se renvoyer le mistigri de l’échec, qui sera de la responsabilité….de qui en fait?

représentativité: une question pas seulement syndicale

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Bien sûr on connaît la ritournelle : les syndicats ne sont pas, en France, suffisamment  représentatifs .

On ne peut certes pas nier les chiffres et avec un taux de syndicalisation de 8% environ, la France est quasi en queue de peloton de la représentativité, si l’on mesure par le taux de syndicalisation des salariés dans leur ensemble la représentativité syndicale dans la population générale des salariés.

Mais derrière le simple calcul de la représentativité, qu’on la mesure électoralement dans les élections professionnelles ou par les taux de syndicalisation dans les différentes catégories de populations salariées , se mêle une autre question autrement plus fondamentale et redoutable : qu’est ce qu’être représentatif aujourd’hui ?

Parce que la critique sur la faible représentativité syndicale en France serait facile si l’on considérait simplement qu’être représentatif, c’est avoir beaucoup d’adhérents ; dans les pays nordiques ou ce taux d’adhésion semble spectaculaire (dépassant 40% de la population salariée) il ne faut quand même pas oublier une chose : quiconque n’est pas adhérent d’une organisation syndicale ne bénéficie pas des avantages qu’apporte l’organisation syndicale, notamment en matière de salaire , de primes et d’avantages diverses ; Nul doute que si demain matin,un décret ou une loi en France instaure de telles conditions, on assisterait à une remontée spectaculaire et rapide du taux de syndicalisation : les syndicats en seraient ils, d’un coup, plus représentatifs pour autant ?

Oui sur le papier, mais au fond ? C’est là que la question de fond sur la représentativité ressurgit : qu’est ce qu’être représentatif aujourd’hui ?

On ne peut faire l’économie de cette réflexion fondamentale : la représentativité repose sur une croyance fondée sur le fait que l’autre est capable de  me représenter  c’est-à-dire d’être un « autre moi sans moi ».

De ce point de vue, il suffit d’ouvrir les yeux pour se rendre compte que le monde du travail n’est pas le seul à souffrir d’un  problème de représentativité  ; il n’y a qu’à regarder ce qu’il se passe dans le monde des « représentants du peuple » pour s’en apercevoir et le parallèle est frappant : la décrédibilisation parallèle du monde des  représentants , qu’ils soient politiques ou syndicaux, signe la crise de la représentativité elle-même et quel qu’en soit le contexte, politique ou syndical.

Le sujet, politique ou syndical, se laisse de moins en moins « représenter », et c’est l’ensemble de la démocratie représentative qui est touchée.

Deux types de solutions pour résoudre cette crise paraissent tenir alors de l’évidence

 –le premièr type de solutions est de rapprocher le représentant de ceux qu’il représente : cette politique est fondé sur l’à priori suivant : il y aurait , entre représentant et représenté une « distance » qu’il suffirait de réduire ; c’est évidemment l’esprit dans lequel s’est constituée la loi du 20/08/2008 , loi dite sur la représentativité , et qui introduit à peu près partout une exigence de rapprochement du représentant par des critères d’élection ou ayant trait à un geste électoral direct ; ainsi le  délégué syndical  ne peut il l’être depuis cette date, que s’il est passé devant l’électeur et a recueilli au moins 10% des suffrages aux élections professionnelles ; ceci est une manière de rapprocher  le délégué de ceux qu’il représente. D’autres critères relatifs à l’organisation syndicale, cette fois , s’appuient sur le même principe : que l’organisation syndicale soit plus  représentative dans la branche ou l’entreprise  c’est-à-dire soit plus proche de ceux qu’elle est censée représenter en ayant obtenu un minimum d’audience électorale

Certains ont beaucoup critiqué cette loi sur le résultat assez visible qu’elle a produit : une relance sans précédant de la concurrence entre les syndicats,eux-mêmes désunis , ce qui conduit à affaiblir encore plus le caractère représentatif des syndicats dans leur ensemble . Seulement, derrière cette critique, assez facile, une autre plus difficile serait à mener : et si l’hypothèse de « rapprochement » entre le représentant et celui qu’il représente via l’élection était une fausse bonne hypothèse ? Et si cela ne rendait en rien le représentant plus représentatif  ? Hypothèse cruelle, mais que l’on se doit de réfléchir, néanmoins.

– le deuxième type de solutions consiste à abolir la représentativité elle-même ; ce type de solution trouve dans le monde politique ou syndical, des partisans de tous bord qui prônent un retour à une « démocratie directe » exercée principalement par voie référendaire. Notre voisine, la Suisse, nous montrerait la voie : que le peuple décide directement et tranche sans l’intermédiaire de représentants  ; dans le monde de l’entreprise, il ne manque pas de partisans du « référendum » (quelquefois déjà prévu par la loi actuelle) pour trancher des sujets.

Or ce type de solutions a une caractéristique notoire : celle de se débarrasser du problème de la représentativité, sans le moins du monde le résoudre ; c’est littéralement ce que le proverbe populaire énonce comme « se débarrasser du bébé avec l’eau du bain ». Cela a le mérite d’épargner la circulation trop importante des neurones dans le cerveau de ceux qui réfléchissent ainsi, mais c’est littéralement inconséquent  et on peut le démontrer : car dans ce cadre, on ne saura même pas dire pourquoi il est préférable dans certains cas d’utiliser la démocratie directe plutôt qu’indirecte, puis qu’on a évacué la question plutôt que de la résoudre : pour les admirateurs du modèle helvétique, il faut quand même dire ceci : il y a néanmoins des représentants du peuple  en Suisse  et la démocratie représentative n’a pas disparu pour autant. Et les représentants de ce peuple ont les mêmes problèmes de représentativité que leurs homologues français : alors ?

On est ramené à la question : qu’est ce que « représenter ? ». Et il faut réfléchir sérieusement à ce point sans évacuer la question elle-même.

Quand on pense à cette question, une piste d’ordre sociologique vient à l’esprit : dans la course des « ego » exacerbés par la concurrence, il devient de plus en plus difficile, non pas de représenter, mais de « se laisser représenter par autrui ».

Est-ce qu’on accepte aujourd’hui que l’autre, dans son altérité, nous représente ? Poser la question ainsi permet de se dégager de l’obsession à coller , voir à ressembler de plus en plus à celui qu’on représente « pour être au plus proche de lui » .

Pour un psychologue, la question revient à se demander s’il faut absolument que le représentant soit le reflet narcissique de celui qu’il représente ?

Pour dire concrètement : si je suis un homme grand brun et aux yeux noirs, faut il absolument que mon « représentant » soit un autre homme, grand, brun aux yeux noirs  « tout comme moi »ou est ce que j’accepte d’être représenté par une femme petite, blonde et au yeux bleus ?

Est ce que l’auvergnat peut  valablement représenter le breton , ou faut il qu’il soit estampillé « né authentiquement à Quimper ? »

Jusqu’où la  course à la proximité ressemblante  va-t- elle aller pour se sentir valablement représenté  ? 

De cette approche, si on veut bien y prêter attention, surgit alors la question suivante : la représentativité supposerait un minimum de lien socio- culturel dans lequel le lien entre les personnes  soit le moins possible « identitaire » : recherche du même et de l’identique , mais le plus « socio culturel possible » : recherche d’un horizon social et culturel commun quelques soient les « identités ».

Dés lors la question de  représentativité  des uns par les autres se distingue de la question de leur « proximité identitaire ».

 Non, ils ne sont pas les mêmes, mais ils peuvent valablement accepter de se reconnaître dans l’autre, qui ne leur tend cependant pas un miroir narcissique, mais un horizon commun.

Si l’on suit cette hypothèse ,  alors pour valablement « représenter autrui » ,on choisira de tisser avec ceux qu’on représente « le lien du projet » ,auquel chacun peut pour sa part , créer, dans un ensemble qui ne ressemblerait à personne aujourd’hui, mais intriquerait la part créative de projection de chacun pour demain. Ainsi renaîtrait , peut être, la partie de soi qu’on laisse échapper à se « laisser représenter » par quelqu’un qui ne vous ressemblera pas forcément.

Thierry Ponsot

votre poste de travail sert il de paratonnerre à l’organisation du travail?

image orga trav 

Avec l’accélération des phénomènes de transferts de charges , ce qu’on appelé aussi « phénomènes de patate chaude », la tendance dans les organisations du travail est de démultiplier les postes et les fonctions  qui auront, sinon pour objet, du moins pour effet, de servir de réceptacle à tous les problèmes non résolus, voir de défouloir pour ceux qui au cœur de la machine organisationnelle se servent de ces fonctions pour évacuer les trop pleins de frustration qu’elle engendre , notamment celle de ne pas résoudre les problèmes qui se posent.

.

Nous allons essayer ici de décrire une sorte de « portrait robot », à l’instar de ceux qui circulent dans la police, pour que les titulaires de telles fonctions de « décharge »  ou de « paratonnerre »qui se démultiplient, dans le public comme dans le privé, puissent au moins s’y reconnaître.

Cela ne fera sans doute pas diminuer la souffrance au travail des salariés qui se reconnaîtront dans ces fonctions, mais au moins cela leur permettra de sortir du sentiment d’isolement et d’impasse dans lequel ils se trouvent en réalisant qu’ils sont en fait coincés dans un système dont ils sont les victime prédisposées, et qu’ils ne sont  pas seulement les sujets malheureux d’une histoire particulière qui ne leur arriverait qu’à eux.

Ainsi  les salariés qui se retrouveraient  dans ce type de fonction, ou auraient des raisons de penser qu’ils pourraient s’y retrouver, prendraient la mesure réelle de l’impasse institutionnelle dans laquelle ils se retrouvent « floués ou floutés », de par leurs fonctions mêmes au sein de l’organisation du travail.

Pour cela nous allons poser cinq critères de reconnaissance de ces fonctions ; ainsi chaque lecteur qui travaille en tant que salarié pourra évaluer combien sa fonction propre au sein de l’organisation s’en approche ou s’en écarte :

1°) Le premier critère vise à la mesure de l’état de dysfonctionnement dans lequel se trouve l’organisation du travail dont il dépend .Plus ces dysfonctionnements sont prononcés et s’avèrent récurrents et plus la fonction de « décharge »  ou de paratonnerre s’avérera sollicitée.

Ce critère des dysfonctionnements organisationnels peut d’ailleurs s’apprécier par un tas d’indices objectifs et qui se retrouvent être ceux qu’on va utiliser pour mesurer les risques psychosociaux.

On citera parmi ceux-ci :

– le nombre d’arrêts de travail

– le nombre de plaintes enregistrées chez les délégués du personnel

– les petits arrêts de travail

– le taux de turn-over

– le nombre de démissions et de recours au travail précaire

– le nombre de visites chez le médecin du travail à la demande des salariés

– le nombre de conflits inter individuels

– les fréquences des changements organisationnels et de réorganisations des services

– les fréquences de changement de management

– la pression de la demande exercée sur l’organisme ou l’entreprise, par les clients ou les publics

– les plaintes pour violences, harcèlements

– etc..

Toutes ces données doivent être au moins connues des CHSCT

Evidemment comme toutes données quantitatives, celles-ci s’apprécient relativement à une évolution et les données brutes et non comparatives ne sont pas exploitables.

L’état de « dysfonctionnement organisationnel » est donc approchable par une série d’indices quantitatifs convergents et significatifs d’une évolution préoccupante en soi.

2°) Le deuxième critère correspond au fait de repérer les « circuits » qu’empruntent les dysfonctionnements  » pour se répercuter sur la chaîne organisationnelle.

Dans ce cadre on repérera :

– les services qui sont le plus exposés – ce peut être un service commercial ou interne en production- ou alors un groupe particulier dans l’entreprise , tous les cadres intermédiaires par exemple.

Pour apprécier ce critère on peut envisager une approche qualitative.

L’approche qualitative permet de repérer à partir d’un cas spécifique le circuit du problème posé :

Exemple : à la commande non satisfaite d’un client mécontent : qui est en première ligne ?

autre exemple : un incident entre le public et les agents : qui est en première ligne ?

ensuite on se posera la question suivante :

– Ceux ou celui qui est en première ligne a-t-il ou ont-ils, ou non, la possibilité de répercuter ou non le problème ailleurs ou doivent il en subir seuls les conséquences ?

-Quel pouvoir ont-ils sur les solutions adoptées?

-Cette possibilité de solutionner le problème leur permet elle de mieux traiter la question qu’auparavant avec moins de dommages (psychiques et/ou physiques) y compris pour les autres services, ou est ce une façon de transférer la charge du problème sur un autre service?  Si oui comment ?

L’idée de cette recherche est d’aboutir au service ou aux personnes qui « portent le plus les problèmes posés » sans pouvoir « les transférer »ou en transférer les charges sur d’autres services ou sur d’autres personnes, en se posant la question de leurs réels moyens de les solutionner. Cela permet de repérer les services qui héritent le plus de problèmes avec le nombre de moyens le plus réduit pour les solutionner, sans aucune possibilité de transférer les problèmes ailleurs

exemple : un service commercial peut « transférer » les problèmes et ne pas les résoudre en déléguant à un service administratif des tâches effectuées auparavant par les commerciaux ; dés lors, le problème non solutionné est transféré à ce service et la question se pose :

Peut il le résoudre ou non, ou peut il encore le « transférer «  vers d’autres services ?

Ainsi peut on réaliser parfois le trajet de « patates chaudes » refilées au sein d’une organisation, avant de savoir qui traite réellement du problème sans le transférer par un moyen ou un autre.

c) le troisième critère essaie de repérer le même phénomène, mais par un autre type de détection plus institutionnelle :

Il s’agit de repérer les « fonctions floues »dans l’organisation du travail celles qui sont en mesure, par leur « flou », d’hériter du maximum de problèmes sans pouvoir ni vraiment les transférer, ni vraiment les résoudre.

En général la personne qui tient une fonction de ce type n’est ni un cadre supérieur – qui détient le pouvoir sinon de résoudre, du moins de transférer la charge du problème sur d’autres – ni un employé de base dont la fonction  est « très précise » ;

ce peut donc être :

– soit un cadre intermédiaire

– soit un employé de base ,« multi-tâches » aux fonctions « extensibles et floues »

le caractère « flou » d’une tâche ne circonscrit pas seulement le caractère flou de la fiche de poste, mais renvoie aussi vers le caractère « invisible aux yeux des autres » du travail effectué .

Prenons l’exemple du salarié chargé de la reprographie dans une entreprise ou une administration ;

En général, tout une série de tâches « annexes et invisibles » lui sont demandées en sus de sa fonction, mais elles ne sont comptabilisées nulle part : préparation des salles de travail, préparation des matériels nécessaires, accueil des personnes qui sollicitent du matériel vidéo ou de projection, etc.

Evidemment si tout n’est pas prêt à l’heure , le poste de la  reprographie est le poste idéal pour polariser les critiques  de tous les cadres de la maison mécontents, mais qui oublient seulement qu’eux devraient le prévenir un peu plus à l’avance de leurs demandes, car le travail à ce poste leur est en partie invisible.

De plus ,de son poste de la reprographie, le salarié ne peut transférer vers personne d’autre l’excès de ses tâches invisibles et n’a ,d’autre part, pas  voie au chapitre dans les « COPIL » où les exigences des services  sont formulées.

Dans ce contexte, ce poste  représente un « point faible » qui, à l’image des édifices en pointe et  sans paratonnerre, est susceptible d’attirer la foudre  d’une organisation  sous tension .

Mais ce salarié peut être aussi un cadre, par exemple un « responsable qualité » tout exprès désigné pour  hériter des problèmes sans moyens pour les résoudre .

Ce cadre sera ensuite idéalement placé pour attirer les foudres diverses issues des différents services mécontents du sien , d’autant plus que sa fonction  sera mal définie, mal cadrée, mal connue et floue dans ses contours.

Dans le contexte du secteur public un tel salarié s’appellera souvent « un chargé de missions » ;

d) le quatrième critère est celui de la mesure de la fragilité institutionnelle du poste ainsi désigné comme « porteur du symptôme organisationnel »

Cette fragilité se mesure :

– en terme de précarité

– en terme de  nouveauté et d’absence de  notoriété

– Le développement considérable de la précarité des postes et des fonctions ces trente dernières années n’est évidemment pas indifférent à la construction de cette logique : plus précaire est le poste , et plus facile est le « transfert de charges » sur ce poste ;

ainsi en général les postes « fragiles et précaires »  voient se succéder quantité de titulaires momentanés ; c’est l’effet de précarisation qui permet ainsi, du centre vers la périphérie de l’organisation , le transfert permanent des problèmes non résolus : ceux qui sont au centre et en CDI depuis longtemps restent et demeurent, ceux en périphérie héritant des problèmes non solutionnés  y valsent régulièrement : ainsi le système, lui, se tient ,en générant de la précarité à ses marges , ce qui permet de différer toujours plus la vraie résolution des problèmes et accessoirement, de se plaindre de l’incompétence des  précaires en périphérie, et de ressouder ainsi, par la critique récurrente des postes périphériques, la cohésion du groupe central.

– Toutes choses égales par ailleurs, la nouveauté des fonctions est un facteur de fragilité qui va « attirer la foudre des autres » ; il est certain que « le responsable qualité » de ce point de vue est un « attracteur de foudre »par rapport à des fonctions anciennes et mieux reconnues qui sont depuis longtemps dans la Maison ou dans l’entreprise.

Car la nouveauté suscite, en France notamment, pays particulièrement attaché « à l’étiquette» et qui en a même sous Louis XIV, inventé le concept, une absence de notoriété et une méfiance quasi inconsciente.

e) Le cinquième et dernier critère est celui qui prédispose le plus au risque psychosocial, à savoir l’absence de soutien, que ce soit de la part des collègues, de la hiérarchie , voir de la collectivité de travail.

Ce critère amplifie encore l’effet de l’absence de notoriété ou d’ancienneté du poste et accentue le côté périphérique du poste concerné par rapport au centre de l’organisation.

Ce n’est pas forcément, là encore, le niveau dans la hiérarchie institutionnelle qui va prédéterminer ce critère, car un cadre peut tout à fait y correspondre, d’autant qu’il peut être ainsi à la fois marginalisé de la base et de la hiérarchie des cadres de direction, et  donc particulièrement « sans soutien ».

Si , de plus, son poste est créé par volonté externe à l’entreprise où à l’institution, ou se trouve être la création d’un compromis entre des instances dirigeantes elles mêmes en conflit, le syndrome de fragilité et d’absence de soutien se renforceront alors mutuellement .

En somme par rapport à ces cinq critères , le portrait robot s’éclaire:

– si ,dans votre entreprise ou votre institution, nombre de problèmes non résolus créent de hautes tensions et si par ailleurs votre poste dans l’organisation du travail:

1°) hérite des problèmes non résolus sans pouvoir à votre poste  en transférer la charge sur autrui,  mais  sans pouvoir les solutionner non plus.

2°) a un caractère flou, indéterminé et comporte une grande part de travail invisible.

3 °) est précaire ,récent, tenu par un titulaire dont la fonction, voir le métier, est mal ou peu reconnu.

4°) n’a que peu de soutien ou voir, se retrouve carrément « isolé ».

Alors vous cumulez le plus de chance de « servir de paratonnerre organisationnel »  et ce, d’autant plus que l’organisation du travail est sous tension elle-même ;

Ceci ne sera ni dû à votre personnalité, ni à vos capacités personnelles, ni à vos motivations quoi qu’ on dise et quoique vous en entendiez et surtout, quoique vous en pensiez parfois vous-même.

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Délégués du Personnel: comment accompagner le salarié en cas de sanctions?

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On rappellera tout d’abord le contexte  juridique de l’intervention du délégué du personnel dans une procédure disciplinaire

Ensuite, on en conclura quelques attitudes utiles pour les délégués du personnel afin d’aider au mieux les salariés qu’ils accompagnent dans ce type de procédure.

Enfin , on montrera comment les délégués du personnel (DP) peuvent agir pour prévenir en amont des situations problématiques pouvant conduire les salariés à subir des procédures de sanction.

1°) le cadre juridique de l’intervention du DP

on le sait : la difficulté et le caractère délicat de l’intervention du délégué du personnel tiennent notamment à ce fait : que ce soit en matière de droit disciplinaire ou en matière de réclamations, le salarié n’est jamais obligé de passer par le délégué du personnel :

que ce soit pour déposer une réclamation (le salarié peut la déposer seul L2313-10 CT  ),

– que ce soit  pour un entretien disciplinaire où le salarié peut bien se faire accompagner d’une autre personne qu’un DP (entretien obligatoire dés lors que la sanction a une incidence et qui ne soit pas une simple observation sans suite ni conséquence sur sa carrière, sa rémunération,sa fonction ou sa présence dans l’entreprise ( L1331-1CT et L1332-1 CT).

Autrement dit, le DP se doit d’être convaincant pour que le salarié visé par une procédure disciplinaire fasse  appel à lui pour l’accompagner dans un entretien préalable.

Il doit faire valoir notamment que c’est une démarche plus sûre parce que , déjà le DP est un salarié protégé .

Le fait d’être protégé dans l’exercice de son mandat garantit sa liberté d’action et de parole . faire appel à un salarié non protégé ferait courir un risque à ce salarié non protégé : il s’exposerait alors à des mesures de rétorsion de la part de l’employeur.

Par ailleurs il n’est pas souhaitable que le salarié visé par une procédure disciplinaire reste seul à l’entretien préalable, parce qu’alors le salarié court un autre risque : celui de voir le droit non respecté et de n’avoir aucun témoin pour l’avoir entendu.

Si le DP pense que ces enjeux sont  d’emblée clairs dans la tête de tout salarié, c’est qu’il se trompe lourdement : les salariés, la plupart du temps, ne connaissent rien au droit disciplinaire et ne savent pas la signification réelle de ce qu’est une protection juridique et qu’elle sert justement, dans ce type de situation , à rétablir une balance équitable et à ne pas laisser seul un salarié- subordonné- face à un employeur ou à son représentant- en position unilatérale de domination:

Il est donc clair que les DP doivent  expliquer tous ces enjeux à tous les  salariés, et peut être devront-t-ils le faire non pas une fois , mais deux, mais trois fois… et pourquoi pas , dix fois : ainsi va la pédagogie, par répétition, et quiconque refuserait de prendre le bâton de pèlerin du pédagogue ferait en réalité un piètre délégué du personnel !

Le cadre juridique une fois correctement posé , reste à savoir quelle attitude sera celle du DP lors de l’entretien préalable

2°) attitudes utiles du délégué du personnel

Un  stratège est celui qui voit loin ;  derrière la sanction disciplinaire subie par le salarié , se cache un dossier qui  bien souvent court depuis longtemps et qui n’est pa s terminé ; ce n’est peut être pas la première sanction et peut être, derrière cette sanction ponctuelle que subit le salarié, y en a-t-il une autre encore plus grave, déjà dans les tuyaux et que prépare l’employeur?

Peut être n’est ce pas le cas ,mais dans tous les cas ,le délégué du personnel devra faire comme si c’était le cas;

Nous pouvons au demeurant constater ceci : un employeur aurait  peu de raisons de sanctionner un salarié pour une « faute » isolée et qui ne lui aurait pas spécialement porté préjudice, mais il peut avoir envie de le faire si, déjà, il se prépare pour la suite et qu’il envisage un licenciement : alors la « faute » sanctionnée serait une première balise sur laquelle l’employeur pourrait  ensuite s’appuyer : cela, le DP ne doit jamais le perdre de vue.

– aussi la première attitude utile du DP en l’occurrence lors de l’entretien préalable sera-t-elle celle-ci : ouvrir grandes ses oreilles plutôt que sa bouche : noter, demander, faire préciser, poser des questions à l’employeur et ce, pour deux raisons :

a) La première est juridique : vérifier que les motifs énoncés de la sanction(L1332-2 CT) lors de l’entretien correspondent aux motifs qui seront retenus lors du prononcé écrit de la sanction définitive, car moins c’est le cas et plus la sanction sera juridiquement contestable.

b) La deuxième est psychologique avec un fond juridique : les employeurs craignent beaucoup l’erreur juridique et plus ils parlent lors de l’entretien préalable à la sanction et plus ils risquent, toutes choses égales par ailleurs, d’en commettre au moins une ; cette évidence repose sur l’idée suivante : le motif de la sanction doit être « réel ». Or, pour qu’un motif soit « réel » au sens juridique, il faut qu’il ne soit pas caché ; par conséquent plus l’employeur « parle » et fait état d’une multiplicité de griefs différents,  plus il sera aisé ensuite de relever « la non réalité du motif retenu » pour la bonne raison qu’il  y avait d’autres motifs « cachés », ce que ne pourra plus contester l’employeur après coup, puisqu’il les aura énoncés devant le DP.

le DP doit donc, dans l’entretien préalable , avant tout « faire parler l’employeur le plus possible » et rester lui même d’un stoïcisme absolu, même et surtout si ce qu’il entend est aberrant ,car en vérité, plus cela est aberrant et surtout, plus l’employeur se contredit dans l’énoncé de ses motifs, et plus ce sera payant pour la défense du salarié.

Pour étayer cet argument il faut balayer un préjugé courant : les DP ,la plupart du temps , surestiment grandement les capacités juridiques de ceux qu’ils ont en face d’eux ; par expérience nous savons pertinemment, qu’y compris les DRH de grandes sociétés,les employeurs ou leurs représentants ,commettent « de grosses bourdes de débutant » lors de ces procédures et on en citera deux déjà assez courantes : confondre, dans les motifs de licenciement pour faute, des motifs économiques, confondre des motifs pour faute avec des motifs personnels non fautifs etc.

. C’est la raison , par ailleurs logique , pour laquelle le patronat, dans son ensemble, fait tout pour « éviter le prud’homme » et le recours judiciaire, car si les employeurs et les DRH  étaient tous d’excellents juristes, pourquoi craindraient ils donc tant les  prud’hommes ?

– la deuxième attitude utile du DP concerne sa relation avec le salarié ; il ne doit pas « le lâcher ».

Ne pas lâcher le salarié signifie deux choses:

– la première, c’est que l’accompagnement du DP vis-à-vis du salarié doit demeurer, quoique décide le salarié par la suite;

car c’est le salarié et non pas le DP qui « décide des suites  ». Le rôle d’accompagnement du DP n’est pas de devancer le salarié ,ni même de le « pousser » vers telle ou telle solution, mais de le suivre au plus près ; aussi, si le salarié décide de ne pas contester une décision pourtant juridiquement contestable, il faut que le DP l’accepte et continue néanmoins son accompagnement  au salarié (ne pas lâcher).

C’est difficile pourquoi ? Parce que le DP sera souvent tenté de « faire à la place du salarié» et que sa mission n’est légalement fondamentalement pas celle là :

Le DP accompagne sans montrer ce qu’il faut faire, mais en éclairant les options ouvertes au salarié.

De ce point de vue, la difficulté sera particulière pour les DP membres aussi du CE ou pour les DUP (délégation unique du personnel pour les entreprises de moins de deux cent salariés), dont les membres sont à la fois membres CE et DP.

CE et DP,ce n’est pas la même casquette fondamentale : autant le CE « représente de droit les intérêts des  salariés collectivement » et trace « la politique du CE au nom des salariés », autant les DP agissent sur mandat express des salariés « et ne représentent pas l’intérêt des salariés dans leur ensemble » mais sont seulement leurs « porte voix (individuels ou collectifs) facultatifs» !

Autrement dit les DP, contrairement aux CE, n’ont pas « de politique à mener au nom des salariés qu’ils représentent », mais chaque salarié ou groupe de salariés mène et continue de mener ses affaires et utilise (ou non) le porte voix « DP ».

Par contre, le DP veille à l’application du droit pour tous les salariés( L2313-1CT) et informe les autres instances (CE et CHSCT) de ses observations ( L2313-9CT).

– le deuxième sens de « ne pas lâcher le salarié » est le suivant : boucler ce  qui a été entrepris avec lui ; s’informer des suites ; l’informer des suites des actions entreprises par le DP, voir par le CE ou le CHSCT;  les traces écrites peuvent avoir leur importance surtout si les affaires se judiciarisent . Savoir entretenir la relation est essentiel et savoir la terminer ne l’est pas moins ; le pire étant que le salarié ,après avoir été accompagné au début , en vienne à se faire larguer par son DP,  parce que ce dernier serait déçu « qu’il n’ait pas suivi ses bons conseils ». Dans ce cas , hélas assez courant , le DP a tort : il a eu tort de « donner des bons conseils » plutôt que de se contenter « d’ouvrir des options ». Ainsi ne se serait il pas vexé que le salarié « n’ait pas suivi ses bons conseils ».

prévention des problèmes

 On comprend mieux maintenant le caractère délicat et l’abnégation qui relève au fond du cadre particulier d’un rôle de DP ; pourtant, on peut sûrement permettre aux DP qui veulent y réfléchir, à rendre leurs rôles moins ingrats qu’il ne l’est généralement . Comment ? En participant à une prévention particulière et qui serait celle des «problèmes au travail ».

Si une prévention des problèmes au travail en amont permettait d’éviter , grâce au DP, l’utilisation du droit disciplinaire en aval, alors le rôle du DP serait moins amer et d’autant plus gratifiant , surtout si l’on considère que:

– une sanction est rarement le fait inopiné relatif à une faute ponctuelle ; pour le dire métaphoriquement, la sanction traîne  en général « une histoire derrière elle ».  Bien souvent on voit beaucoup de DP qui interviennent alors que c’est trop tard  , que la situation a déjà basculé et que la sanction envisagée n’a plus aucune chance d’être évitée.

Prenons un exemple flagrant : la faute professionnelle d’un salarié qui ne maîtrise pas sa tâche en commettant des erreurs (ce qui , on le rappelle , peut être un cas de licenciement )

Si le DP dans un tel cadre n’intervient au final que dans le contexte d’une procédure de licenciement, les chances de maintien dans l’emploi du salarié seront très peu probables.

Par contre si, avant d’en arriver là, le salarié a la possibilité de s’ouvrir au DP  de sa difficulté de maîtriser sa tâche, alors le rôle  du DP change du tout au tout.

Personne n’a envie d’avouer qu’il ne se sentirait «  pas à hauteur de sa tâche ». Le salarié ne va certainement pas dire une chose pareille à son hiérarque, ni à son RH et on le comprend très bien.

Mais à qui va-t-il le dire, sinon à un tiers qui pourra peut être l’aider, sinon à son DP qui justement gère (et lui seul) des demandes individuelles émanant des salariés ?

Ce n’est certes pas au DP de « pousser le salarié à se confier à lui » (conseil) mais à faire remarquer « que si le salarié veut lui faire part d’une difficulté, qu’il est là aussi pour l’entendre et l’écouter et que lui dispose d’un relais ensuite, au CE aussi bien qu’au CHSCT (option). »

Bien loin de faire remarquer que c’est le salarié qui aurait un problème , peut être  le DP pourrait il suggérer à bon escient que le problème est en fait celui de sa formation et qui pourrait être complétée ?

Déjà si le DP se contente de ce point : transformer l’angoisse au travail  du salarié en simple « problème de formation » , il n’aura pas rien fait, il aura même déjà fait « beaucoup », (il aura déjà fait ce que beaucoup de psychologues n’arrivent pas toujours à faire : déculpabiliser son client !)

Ensuite, le DP peut s’intéresser au parcours de formation du salarié , puis en prenant appui sur le rôle important en matière de formation du CE , suggérer que le CE puisse infléchir le plan de formation pour l’année suivante vers une ou des compétences nécessaires au salarié ,car lui, le DP, relaie ses observations au CE (sans nécessairement donner le nom des salariés qu’il voit) .

Autrement dit, pendant que des options s’ouvrent et qu’un travail se fait, le DP ne « lâche pas le  salarié » et continue, chemin faisant, de l’ informer sur les suites  de la démarche et de le soutenir.

Dés lors, moins tétanisé par l’angoisse parce que son problème aura été pris en compte sans jugement sur sa  personne, le salarié  pourra  tout bonnement commencer à commettre « moins d’erreurs  au travail»(comme par hasard)…..en attendant d’être formé demain à la hauteur de sa tâche.

On le voit , rien dans la mission du DP ne le cantonne en réalité à intervenir « trop tardivement » et à laisser aller  ainsi des situations où l’amertume risque de prédominer.

Au contraire, les DP sont idéalement placés pour intervenir en amont des problèmes au travail, en assumant la seule « politique » que requiert réellement leurs missions : celle d’entretenir avec chaque salarié un climat suffisant de confiance, doublé de la compétence juridique nécessaire, afin de prévenir de l’utilisation du droit disciplinaire de la part de l’employeur..

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CHSCT

 

 

a) la notion de danger « grave et imminent »

 

Que ce soit à l’occasion du droit de retrait du salarié qui se retire d’une situation dont le salarié  « a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé »(L4131-1CT) ou à l’occasion d’un « constat » (L4131-2 CT) effectué par un membre du CHSCT, le caractère du danger auquel il est fait référence est le même : le danger doit être « grave et imminent » .

On peut donc déjà exclure de ce cadre juridique

– les dangers graves mais non imminents

– les dangers imminents mais non suffisamment graves

 

b) dangers graves et non imminents ou imminents et non graves

 

Les cours de justice ont déjà jugé de nombreux cas de dangers graves mais pas suffisamment imminents pour rentrer dans le cadre légitime du droit de retrait : c’est notamment le cas de droit de retrait exercé par des chauffeurs de bus qui invoquent un danger jugé trop vague et/ou trop aléatoire, ne présentant pas un caractère imminent suffisamment évident ;à l’inverse, certains dangers dont le caractère imminent a été reconnu n’ont pas été jugé « suffisamment graves » pour justifier du droit de retrait ; ainsi le cas du salarié dont le poste de travail est placé dans un « courant d’air » ne peut se prévaloir d’un caractère suffisamment grave du danger, ne peut justifier un droit de retrait.

On rappelle à ce propos que le caractère grave du danger est associé au préjudice potentiel, notamment en terme d’arrêt de travail , auquel il expose le salarié ; un danger dont la manifestation n’est pas susceptible d’occasionner un arrêt de travail ne sera pas reconnu comme grave, et ne pourra  occasionner l’exercice légitime du droit de retrait.

 

 

C) motif raisonnable

 

Le salarié qui a alerté l’employeur sur une situation de danger grave et imminent peut se retirer de cette situation dés lors « qu’il a un motif raisonnable de penser que la situation présente pour sa vie et sa santé un caractère de danger grave et imminent »

L’invocation du « motif raisonnable » est à souligner. Cela signifie non seulement qu’on ne demande pas au salarié de « prouver » le caractère grave et imminent du danger, même pas non plus de procéder à un « constat » sur la situation dangereuse ; il lui suffit juste « d’avoir un motif raisonnable »

Or ce point en ceci est important : si le salarié à « un motif raisonnable »de retrait, l’exercice du droit de retrait est justifié même si en fin de compte ,le salarié s’est trompé sur le caractère grave du danger et même s’il s’est trompé sur la nature dangereuse de la situation.

Prenons un exemple très parlant : le grutier qui monte en haut de sa grue peut avoir un doute sur sa stabilité s’il la voit effectivement balancer de manière inquiétante ; dans ce cas il exerce en toute légitimité son droit de retrait après avoir alerté l’employeur . Ensuite le CHSCT pourra constater avec l’employeur que la situation n’était pas si dangereuse en fait, mais pouvait être impressionnante ; en réalité et même si le constat dément l’impression initiale du salarié, le motif de retrait du salarié reste « raisonnable » et son droit de retrait n’aura pas été contestable

 

d) Enjeu du CHSCT dans cette procédure

 

C’est dans cette logique bien évidemment que le législateur donne au représentant CHSCT, avec un représentant de l’employeur,  la mission d’intervenir « immédiatement » après avoir été alerté sur place pour qu’il puisse justement procéder au « constat »  de la situation réellement dangereuse(L4132-2CT) ; c’est le représentant du personnel CHSCTqui est chargé de constater le caractère dangereux de la situation et non pas le malheureux salarié qui a protégé sa vie et sa santé et qui n’est pas qualifié pour procéder à des constats : c’est donc à quoi sert précisément le représentant  du personnel au CHSCT dans cette procédure : à relayer au plus vite le salarié qui s’est retiré de la situation dont le salarié a eu un motif raisonnable de penser qu’elle présentait pour lui un danger grave et imminent.

Dans la logique de cette intervention du représentant CHSCT, le salarié peut se libérer de la pression qui se manifeste dés lors qu’il s’est retiré de la situation dangereuse au motif légitime qu’il avait un « motif raisonnable de penser que la situation présentait un danger grave et imminent »

Pour que l’intervention du représentant CHSCT soit efficace et se saisisse de l’esprit ainsi dégagé par la Loi, elle doit posséder ces deux qualités

 

1°) être le plus rapide possible : moins longtemps le salarié se trouve soumis à l’éventuelle pression générée par la situation de retrait et mieux c’est pour lui, car cette situation le met en état de fragilité face, notamment, aux pressions hiérarchiques pouvant dans ce cadre s’exercer alors qu’il se retrouverait isolé. Certes le salarié ne pourra subir aucune sanction du fait de l’exercice de son droit de retrait(L4131-3CT) ,mais néanmoins sa situation est délicate à se croiser les bras en attendant que le danger soit constaté et qu’il soit affecté à d’autres tâches

 

2°) être le plus « professionnel possible », c’est-à-dire s’appuyer sur des constats le plus irréfutables qui soient, non pas sur des opinions ou des estimations personnelles, mais sur des faits à relever soigneusement  et à consigner sur le « registre Danger Grave et Imminent  (D4132-1CT) » le plus minutieusement possible.

 

e) Bouclage de la procédure

 

Une fois le constat effectué et l’avis consigné sur  « le registre  Danger Grave et Imminent » une nouvelle période peut s’ouvrir. S’il n’y a aucune divergence entre le constat du représentant du personnel au CHSCT et celui de l’employeur, alors l’employeur n’aura aucune difficulté à prendre les mesures de protection nécessaires. Néanmoins, on remarquera que même en ce cas l’incident se trouve consigné sur le registre DGI (danger grave et imminent) et la prochaine fois qu’un incident semblable se produira, il ne sera pas indifférent de pouvoir s’y reporter ; d’autre part, n’oublions pas que ce registre est consulté pas seulement par le CHSCT, mais par l’Inspecteur du Travail également et par les agents de la CARSAT.

Si le constat diverge entre l’employeur et le représentant du personnel au CHSCT ,alors la procédure prévoit une réunion du CHSCT dans « les 24 Heures (L4132-3 CT) » et l’inspecteur du travail ainsi que l’agent de prévention de la CARSAT sont prévenus et peuvent assister à la réunion.

Ces 2 faits, la réunion dans les 24 heures et la présence potentielle des agents administratifs disposant de moyens non négligeables de pression devraient fortement inciter l’employeur à considérer de très près « l’avis du représentant du personnel », surtout s’il s’appuie sur des constats bien établis. De plus, le fait qu’en cas de divergence entre le CHSCT et l’employeur, l’Inspecteur soit saisi et finalement ait toute latitude pour décider des mesures à prendre, y compris d’ordre judiciaire, amène fortement l’employeur à réfléchir suffisamment avant de s’opposer aux préconisations recommandées par le CHSCT .

En réalité l’ensemble de la procédure donne d’incontestables moyens pour faire prévaloir les constats du CHSCT s’ils sont réellement fondés sur des faits et sur des arguments incontournables. L’employeur est fortement soumis à la pression de cette procédure pour en réalité prendre les mesures qui s’imposent. On donnera donc ces trois conseils aux CHSCT pour la faire jouer au mieux :

 

– d’abord faire respecter la procédure DGI et suivre cette procédure exactement : faire les constats, remplir soigneusement et de manière la plus complète possible le registre DGI

– s’organiser pour être le plus rapide possible afin d’intervenir sur le lieu où s’est déroulée l’alerte DGI et « libérer » le salarié au plus vite des pressions éventuelles

– alerter d’emblée la direction de l’entreprise et l’inspecteur du travail de la procédure en cours en la citant telle quelle, et en indiquant clairement sa nature (en donnant les numéros d’articles du code du travail correspondants à cette procédure L4132-1 et suivants). Ceci sera dissuasif afin justement qu’elle ne doive pas nécessairement aller jusqu’à son terme, car ainsi fonctionne la « dissuasion » : s’en servir préventivement au mieux pour éviter  d’avoir à s’en servir ,après coup et  au pire.

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violences dans les services

risks psych

La plupart du temps, quand il est question de violences dans les services, que cette violence provienne du public ou soit générée entre salariés, la problématique est vite expédiée par ceux qui sont chargés de la prévention : ils pensent à priori qu’il s’agit de violences dues à des phénomènes interpersonnels .On attribue alors la violence à des personnes en particulier qu’on aura ensuite aussi vite fait de qualifier de personnes violentes.

Dés lors la prévention sera simple : il s’agira de « se défendre » c’est-à-dire de se protéger, contre les personnes violentes.

Seulement voilà, l’article L4121-2 du code du travail énonce que penser à la prévention ce n’est pas, d’abord, se protéger, mais, d’abord, éliminer le risque, et si on ne peut pas l’éliminer, le diminuer.

La protection vient donc, dans l’esprit d’une vraie prévention, après l’élimination ou la diminution du risque, c’est-à-dire après avoir tenté d’éliminer ou de diminuer le risque de violence.

Mais pour penser à éliminer ou diminuer le risque des violences, il ne faut plus seulement penser que les violences viennent seulement des personnes « violentes »; parce qu’on n’éliminera jamais aucun risque de  rencontrer un jour , un client violent ou un collègue violent .

Pour penser à éliminer ou à diminuer la cause du risque des violences , il faut donc penser le risque  en terme organisationnel d’abord.

Autrement dit , cette question  doit s’inscrire en premier lieu de toute prévention des violences :

« Qu’est ce qui favorise la production des violences dans l’entreprise, l’établissement, l’organisation et comment l’éliminer ou la diminuer ? »

Si ce raisonnement avait été mené au préalable , jamais on n’aurait vu à titre préventif des violences entre usagers et agents, la SNCF commencer par enfermer son personnel d’accueil derrière des doubles vitres « pour prévenir des agressions du public » ; Pourquoi ?

Parce que ceci ne prévient rien du tout, mais protège seulement .Par contre ce type de dispositif est susceptible de renforcer encore « l’agressivité dudit public » en déshumanisant un petit peu plus le rapport entre le public et les agents ; ce dont la SNCF s’est d’ailleurs rendue compte en faisant marche arrière toute,  et en promouvant aujourd’hui , au contraire, les contacts directs entre des agents d’accueil et le public (combien de temps perdu dans cet aller retour  ?)

Est il alors possible de ne pas commettre de grosses erreurs d’abord, pour les corriger ensuite, mais de commencer par initier de la vraie prévention tout de suite en s’attaquant d’emblée aux facteurs qui favorisent les violences dans les services, autrement dit en commençant par de la prévention primaire ?

Si on aborde les choses dans cet esprit, alors on sera au moins d’accord sur un constat : ce qui « favorise » le climat violent, c’est la déshumanisation .

Ce constat ne prend pas partie dans un débat sur l’origine de la violence , car ici on ne traite pas de cette question philosophique ou sociale ; on parle de ce qui la « rend possible dans un lieu particulier » c’est-à-dire précisément là , sur ce lieu là : l’entreprise ou l’établissement

Ce raisonnement donc se tient, comme le disent les économistes, « toutes choses égales par ailleurs » .

Toutes choses égales par ailleurs , ce qui favorise et rend possible la violence là, c’est la déshumanisation du lieu où elle est occasionnée .

Alors bien sûr, on n’aura pas résolu « le problème de la violence en soi », aurait on pris toutes les mesures préventives dans le lieu où elle se manifeste. Elle se manifestera peut être ailleurs .

Mais la part de responsabilité des contributeurs à la prévention, dont le CHSCT, est de pousser à prendre les mesures « là et non pas ailleurs » qui s’imposent.

Autrement dit, il faut d’abord penser là ou on est efficace et pas là ou on ne le sera de toutes façons pas.

Il n’est pas efficace, notamment pour un CHSCT, de se demander comment résoudre la violence sociale en général, mais à penser en terme organisationnel ce qui permettrait de ne pas la favoriser dans l’établissement où il a mission de contribuer à sa prévention.

.Quels sont donc les facteurs de déshumanisation qui favorisent l’accomplissement des violences ?

Au même titre que pour le harcèlement moral, deux facteurs  sont   identifiables :

-Le sentiment d’isolement , cette déshumanisation qui bien au-delà de la solitude, coupe du lien qui permet la relation .

le sentiment d’isolement se combat par une approche de solidarité et se prévient par une approche qui vise à éviter de tenir en isolement les protagonistes (clients/usagers/salariés) dans le sentiment qu’ils sont livrés à eux mêmes et qu’ils doivent résoudre seuls les problématiques

-L’ absence de   soutien collectif , corrélatif de l’isolement  qui signale l’absence d’humanité dans les rapports sociaux  entre des personnes immergées dans leurs bulles non communicantes ; ce phénomène est parfois souligné par les architectures isolantes, le public d’un coté, les agents de l’autre , par la disposition des locaux, par l’organisation du travail, l’usager est un numéro qui tire un ticket et qui est assis, sinon assigné à sa place ; rien de communicant, rien de chaleureux, aucune invitation ,un guichetier appelle un numéro ,le numéro se lève et va au guichet devant le double vitrage où il faut encore élever la voix pour se faire comprendre et exposer son cas : où est alors le collectif,où est  alors l’humain ?

On rajoutera,à cela et concernant les phénomène favorisant l’expression les violences, notamment entre usagers et agents,un phénomène plus diffus et qui tient à la nature des services offerts et à leur conception même :là aussi , la déshumanisation est à l’œuvre .pour faire court ,on dira que les services offerts sont « de plus  en plus déshumanisés ».

-la déshumanisation de la notion de service rendu.

Un exemple : un service bancaire consistant à pénaliser les   comptes débiteurs est il un service rendu à qui que ce soit ? Qui aurait demandé une « intervention » pour justifier une« commission d’intervention » à facturer au client  sur son compte? En quoi « ce service rend il service »et à qui ?

On peut aussi prendre l’exemple du surbooking dans les avions ; Qui a demandé à ce que plus de billets soient vendus que de places ? Est ce considérer humainement chaque client que de pratiquer un service ainsi conçu pour frustrer systématiquement une part de la clientèle ?

En réalité l’essence d’un service à rendre pour un être humain laisse place, de plus en plus ,à une conception du service, où d’abord, le service est conçu pour rapporter un maximum de rendement pour l’offreur de services .

La conséquence d’un service conçu avant tout pour rapporter un rendement et non pas pour rendre « un service » est sa déshumanisation: le client ou l’usager sont secondaires dans la conception même du service à rendre.

Ceci provoque des tensions indéniables : car ce sont bien les salariés des banques qui affrontent ensuite les clients , parfois à très juste titre mécontents des services de la banque ; ce sont bien les hôtesses qui accueillent les passagers très justement mécontents de ne pas avoir la place d’avion qu’ils ont pourtant payée et réservée ; et ce sont bien les agents de la SNCF qui affrontent les flopées de banlieusards qu’elle lèse en supprimant allègrement nombre de trains au dernier moment sur les lignes non principales, en ayant délaissé l’investissement sur les trains courants  au profit des TGV (plus rentables), pour la même raison : rentabiliser d’abord et le service rendu au client, lui, passera en second plan.

Ceci conduit  la violence à se déverser précisément là, à cet endroit où la faille de conception du service se manifeste .

On parlera même, à l’occasion de ces services rendus qui n’en sont pas , humainement parlant ,de « trappes à violences » à l’instar des édifices  en hauteur et dénués de paratonnerre alors que l’orage gronde partout .

Ces services qui n’en sont pas captent la violence comme la foudre, et faire en sorte  que l’organisation de la production et des services ne génère pas de « trappe à violence » de par la nature même du service proposé, est aussi un acte de prévention.

Les CHSCT ne résoudront pas le problème en soi de la violence sociale et ils ne sont ni compétents ni habilités pour cela.

Par contre, en agissant de manière à prévenir « les trappes à violence » en interrogeant jusqu’à la conception et la nature des services proposés, les CHSCT préviennent le fait que la violence ne vienne se déverser dans leur administration , dans leur établissement, dans leur entreprise..

Pour cela ils doivent avoir l’attitude « professionnelle » consistant à ne pas penser d’abord la violence en terme inter individuel (c’est la faute de l’usager qui est par nature violent), mais avant tout en terme organisationnel, ce qui les conduira vers une vraie pensée préventive et vers de la prévention primaire avant tout .

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Seniors : les mauvais prétextes et les vraies raisons de l’exclusion du marché du travail

 

                   Les nouvelles recommandations de l’OCDE sur le marché de l’emploi des seniors viennent encore renforcer l’ensemble des préjugés relatifs à l’emploi des plus de 50 ans, avec cette idée sous jacente, tenace, irréductible comme une mauvaise suie qui colle au cerveau, selon laquelle les plus de 50 ans « refuseraient de travailler », et qu’il faudrait les inciter à le faire en baissant leur indemnisation chômage, ou la durée de cette indemnisation.

                   Dans les bureaux calfeutrés de l’OCDE, où des fonctionnaires surpayés et ne payant pas d’impôt cogitent en vase clos ,sans avoir éprouvé, ne serait ce qu’une fois dans leur vie, ce que pouvait signifier la réalité des conditions de vie de ceux qu’ils stigmatisent ainsi, sans même, sans doute, en être conscients (ce qui ne constitue pas une excuse), on ne s’étonnera pas de la perpétuation de ce type de préjugés qui, en plus de révéler le degré zéro de l’intelligence économique vis à vis du phénomène qu’ils croient ainsi appréhender, suscitera certainement de la part des intéressés-les seniors exclus du marché du travail- un haut le cœur légitime.

                   Bien sûr, on trouvera toujours quelques contre exemples ici ou là, comme on trouve toujours des contre exemples à un phénomène général, mais le cas des seniors refusant du travail est un épiphénomène au milieu d’un phénomène massif et, lui , incontestable économiquement : les seniors sont exclus du marché du travail , par tous les moyens ou presque, et ce ne sont pas eux qui sont à l’origine de cette exclusion .

                       Ce phénomène d’exclusion, hélas, touche particulièrement la France, où seulement 44%des plus de 55 ans sont encore en situation d’emploi, et l’on pourra maintenant tenter ,après avoir écarté les mauvaises  explications entendues couramment à titre de préjugés  de cette exclusion, qu’on peut d’ailleurs qualifier de discrimination au sens de l’article L1132-1 CT  du code du travail, , de discerner quelles en seraient les causes réelles et parfois inavouées

 

1°) écarter les mauvaises raisons

 

                   – la première mauvaise raison ou préjugé est celui dont s’empare en fait l’OCDE pour ses recommandations pernicieuses et d’une grande légèreté sur le plan social et économique : les seniors « ne seraient pas incités à prendre du travail parce qu’ils préfèrent attendre la retraite en étant au chômage ».

Outre ce qu’il y a d’inconscience arrogante et insultante à ce propos vis-à-vis de ceux qui sont concernés, cette causalité apparente qui se veut sensée n’est pas sensée, pour une bonne raison que les fonctionnaires internationaux, n’étant pas  eux-mêmes concernés, ne voient même pas : tout senior du secteur privé, passant par le chômage avant sa retraite, est financièrement pénalisé pour sa retraite puisque son montant sera calculé sur ses dernières années avec une rémunération moindre.

Au contraire, le senior a intérêt à ce que ses dernières années soient le mieux rémunérées possible s’il veut bénéficier d’une retraite suffisante.

                   – la deuxième mauvaise raison et qui se joint dans certains cas à la première, serait que les seniors « refusent de prendre un emploi moins rémunéré lorsqu’ils perdent le leur, car ils n’y sont pas incités ». Ceci est un raisonnement qui ne tient  pas la route ; globalement, on n’offre pas d’emploi aux seniors, à quelque rémunération que ce soit , tout au plus ,ceux qui travaillent encore ,en tant que salariés, se battent ils, avec ou sans « contrat de génération » , avec ou sans « plan senior », pour garder le leur.

              Si l’on veut voir de l’incitation vis-à-vis d’eux, c’est plutôt vers les managers qu’il faut se retourner : ceux-ci en effet les incitent massivement à prendre la porte, n’hésitant pas pour ce faire à utiliser l’énorme courant d’air que peut constituer la rupture conventionnelle à cet effet depuis 2008, ce que les chiffres montrent abondamment (les seniors de 58 à 60 ans partent à 25% en rupture conventionnelle contre 16% pour la moyenne générale)

                 Pris entre l’enclume et le marteau, leurs emplois par ailleurs peu défendus par les organisations syndicales,( ce qui ne manque pas d’appeler des explications), sous la pression de tous et même de la société entière, les seniors « choisissent sous la pression de partir », en essayant de limiter les dégâts quand ils le peuvent , en rupture conventionnelle, ou par des départs « volontaires », parce qu’en réalité ils sont invités par toute une société,( managers, syndicats,pouvoirs publics et société entière), à « partir » sous le fallacieux prétexte, bien pratique pour apaiser les consciences ,qu’il « faudrait faire de la place aux jeunes » ,car mieux vaut qu’ils partent eux ,plutôt que des plus jeunes .

                   – c’est la troisième « mauvaise raison » ; elle a des racines profondes et ne tient pourtant pas économiquement parlant : « en partant, les seniors libéreraient des emplois pour des plus jeunes » .

                  C’est un raisonnement de café du commerce et qui est faux ; l’offre d’emploi aux plus jeunes n’est pas liée au départ des seniors, mais à la vitalité de l’économie qui doit atteindre un certain taux de croissance en France (autour de 1,5%) pour créer des emplois ; au contraire, plus les seniors partent en perdant du pouvoir d’achat et plus la demande intérieure baisse, moins il y a de cotisations sociales qui rentrent, et plus la croissance s’affaiblit (toutes choses égales par ailleurs) et moins il y aura d’emplois, pour les seniors, pour les jeunes et pour tous .

                   En réalité c’est donc l’inverse qui est vrai : plus il y a de salariés au travail (jeunes, moins jeunes, seniors) et mieux l’économie se porte et plus il y a de cotisations sociales qui rentrent et plus l’Etat est en mesure de redistribuer, y compris pour les inactifs.

Mais si la raison économique « à faire partir les plus anciens pour faire de la place aux jeunes » ne tient pas, une raison plus psychologique et morale y pointerait son nez en expliquant la persistance irrationnelle de cette croyance: ne s’agirait il pas que les seniors « expient » pour leur impardonnable péché : avoir vécu des périodes  de plein emploi alors que les jeunes eux, n’en ont jamais vécus? .

La balance réelle des comptes tenus entre jeunes et seniors ne trouverait  elle pas là son inconsciente origine ? »

                   – la quatrième raison et qui est mauvaise aussi, s’appuie sur un apparent bon sens : les seniors seraient « moins adaptés, notamment aux technologies modernes ».

Cet apparent bon sens là encore, si on  le gratte un peu , présente pourtant d’étranges aspérités :

D’abord, faut il rappeler que l’employeur a une obligation de formation (L6321-1 Code du Travail) générale à l’égard des salariés et qui est parfaitement claire, dans un pays où la formation continue draine au minimum 1,6% de la masse salariale et où le plan de formation de l’entreprise vaut à lui seul 0 ,9% de cette masse salariale.

Dans ce contexte, prétendre que les seniors  ne seraient pas formés,notamment aux nouvelles technologies,  pourrait recouvrir deux hypothèses:

                   a) soit que les seniors aient des neurones ralentis et qu’ils ne soient pas « formables » ; thèse qui fleure bon un racisme discriminant, mais admettons là une minute : comment expliquer, alors, que les plus éminents professeurs, les plus éminents médecins, les plus éminents savants ou philosophes se caractérisent par une très grande proportion de seniors aux neurones cependant suffisamment performants pour être à la pointe de leurs pratiques, voir même dans l’excellence que leur confère justement une certaine maturité ? Comment prétendre, dans une société où l’espérance de vie en bonne santé s’accroît, où les retraités eux-mêmes tiennent des places socialement de plus en plus importantes, et vitales, notamment dans les milieux associatifs, que le cerveau ramollirait à ce point sur le Marché du travail et sur lui seulement, après 45 ans, au point de rendre inapte à  suivre une formation technologique ou d’un autre type ,d’ailleurs ?

                   b) soit que personne n’ait pris soin de former les seniors en entreprise et que les employeurs n’aient donc pas respecté leurs obligations de formation (L6321-1 Code du Travail ) ; dans ce cas des question des plus embarrassantes se profilent derrière : Qu’ont donc fait les services de contrôle et pourquoi les employeurs défaillants sur ce point n’ont-ils pas été sanctionnés ? Qu’ont donc fait les Comités d’Entreprise, en charge, on le rappelle, de veiller à l’intérêt des salariés et notamment dans le domaine de la formation continue où ils disposent,outre des droits de consultation (L2323-34 Code du Travail), d’un droit d’initiative,  pour veiller à ce que les seniors soient formés ?

                 Si les uns et les autres n’avaient pas fait grand-chose, cela voudrait donc dire qu’il y aurait eu une sorte de consensus tacite entre tous pour qu’on arrive à ce résultat : des seniors non suffisamment formés, aux technologies modernes entre autres ; donc des seniors dont le départ sera ensuite plus justifiable.

Cela confirmerait l’hypothèse d’un accord tacite sur « l’exclusion des seniors de la formation en premier lieu pour mieux préparer l’exclusion  de l’emploi, en second lieu » , accord jamais dit explicitement ,mais toujours plus mis en œuvre dans les replis de l’inconscient collectif.

 

 

2 ) des pistes pour les vraies raisons

 

                   En réalité et si l’on veut aborder les pistes des vraies raisons explicitant la mise à l’écart des seniors du marché du travail on en décèle 4, qui se tiennent ensemble comme des poupées gigognes, et dont l’une couvre et révèle à la fois la suivante .

– la première piste de réflexion est effectivement reliée à une question d’éducation, mais pas à celle qu’on croit : si les seniors sont « moins adaptatifs », c’est surtout à ceci : qu’on leur fasse prendre des vessies pour des lanternes: et donc ils sont moins adaptatifs surtout aux discours et aux méthodes des « nouveaux managements », dont la caractéristique primordiale est de raccourcir l’horizon de toute expérience à celle de la rentabilité immédiate et d’être basée sur la seule performance du salarié ; entendons « performance » comme la facilité à se plier à n’importe quelle contrainte organisationnelle en faisant semblant de croire qu’elle se justifie et qu’elle est  bonne pour l’entreprise , alors qu’elle ne sert que les intérêts d’actionnaires toujours plus pressés et toujours plus gloutons.

                   De ce point de vue, effectivement, les seniors sont « gênants ». Ils sont gênants justement à cause, non pas de l’âge de leurs artères, mais bien de l’expérience qu’ils ont emmagasinée : c’est justement l’expérience qu’ils détiennent qui s’avère aujourd’hui un obstacle et pour cause ; car l’expérience, c’est aussi celle d’avoir vu et constaté les mêmes erreurs se produire et se reproduire depuis longtemps et donc, de ne plus être dupes des idéologies managériales qui égarent et aveuglent parfois ceux qui ont moins d’expérience, à leur faire confondre « performance immédiate » et « compétence acquise dans le temps ».

                   – c’est là que la première piste en révèle une seconde : dans une logique d’entreprise où la performance immédiate remplace délibérément toute compétence acquise par le temps, et notamment par les temps de la décantation, de la réflexion, du recul pris sur les organisations, sur les méthodes et le choix de celles qui sont appropriées, le curseur se déplace vers un « jeunisme » de plus en plus prononcé. Pour tout dire, on préfère des gens sans expérience et qui ne peuvent remettre en cause les choix auxquels procède le management, surtout quand il suit une ligne de restructuration permanente des postes et des fonctions , pour s’assurer justement , qu’aucune équipe n’acquiert suffisamment d’expérience et d’autonomie sans le management.

          L’exemple des entreprises dites « modernes » est des plus édifiants : quelle start up embauche des plus de 55 ans ? Comme la réponse est « aucune ou alors c’est une exception », la seconde question serait : dés lors, comment ces entreprises savent elles que les seniors « sont moins compétents » puis qu’ elles ne les embauchent pas, de toutes façons ?

 Qui a constaté, par une expérience digne de ce nom, qu’un senior formé était « moins doué » en informatique qu’un plus jeune pareillement formé ?

                              En réalité, on ne montrera jamais que toutes choses égales par ailleurs ,un senior serait « moins compétent » qu’un plus jeune, mais il est moins « performant » au sens moderne du terme, parce qu’effectivement, il ne gobe en général pas toute cru l’idéologie qu’on voudrait lui faire avaler, et prend moins facilement pour argent comptant le bien fondé de dispositifs organisationnels dont il sait d’expérience ,qu’ils sont à terme inefficaces ou nocifs; autrement dit, et toutes choses égales par ailleurs ,un senior est plus susceptible de « remettre en cause » le management moderne obsédé par la seule rentabilité à court terme ,qu’un plus jeune qui ne peut s’appuyer sur son expérience pour le faire.

                          Cette raison là dit en filigrane que ce qui se développe, en fait , vis-à-vis des seniors, est moins lié à la mise à l’écart des plus anciens parce qu’ils sont des seniors, mais se rattache à un phénomène que les économistes connaissent bien et qui s’appelle « l’obsolescence » ;

Et ce sera là notre troisième piste : l’obsolescence de plus en plus programmée des salariés, à contrario même de l’âge biologique qui, dans l’autre sens permet une espérance de vie en bonne santé de plus en plus longue.

– On rappelle que le phénomène d’obsolescence économique est connu pour le capital depuis longtemps ; l’application de ce phénomène à la chair du salarié est surprenante, voir choquante et c’est pourtant ce à quoi on assiste aujourd’hui.

                   C’est choquant de constater le même phénomène sur du capital et sur de l’humain, mais c’était déjà choquant sur du capital tout seul !

                   Car qu’est ce que du capital « obsolète » ? C’est un capital techniquement parfaitement viable et utile et cependant déclassé, parce que remplacé « par de nouvelles générations de capital » qui produisent plus et plus vite (pas forcément mieux) et qui sont plus vite rentabilisables.
C’est comme cela que des usines quasi flambant neuves se sont retrouvées « obsolètes » dés que construites, parce que dépassées par des générations de capital encore plus neuves et encore plus immédiatement rentables ; on a déjà vu cela dans la sidérurgie et ce phénomène attriste  par l’immense impression de gâchis qu’il laisse derrière lui , et qui n’est pas qu’une simple impression.

 Or, ce phénomène d’obsolescence, qui concernait le capital il y a encore 20 ans, concerne le salarié aujourd’hui : il est, de plus en plus vite, « obsolète ».

                   La barre d’obsolescence est en réalité dans notre pays à 45 ans (âge où la sérieuse difficulté à retrouver un emploi apparaît), mais elle pourra encore descendre !

                   L’obsolescence de plus en plus rapide des salariés rend compte du phénomène suivant : pour un employeur dont le seul objectif est de rentabiliser un maximum à court terme la force de travail, pourquoi garder un salarié qui « prendra de l’expérience » et donc, « se souviendra des anciennes organisations » en faisant des comparaisons malvenues et en réfléchissant à l’évolution des situations, voir en émettant des idées non conformes à la pensée unique, unique en ce sens : uniquement tournée vers le profit à court terme ?

Il vaut bien mieux renouveler le personnel , que personne n’atteigne dans l’entreprise, hormis quelques cadres dirigeants, 35 ans, comme c’est le cas dans les nouvelles entreprises technologiques et informatiques et alimenter le turn over, d’autant que les exonérations pleuvent sur les contrats aidés et qui favorisent l’embauche de jeunes à moindre coût.

                   On pourrait rétorquer à cet argument que tous les types de management n’en sont pas encore à appliquer cette logique ; on le concédera volontiers , mais en faisant la remarque suivante : tous les managements des sociétés qui se développent le plus en viennent bien là, et c’est bien ce qui inquiète pour l’avenir : que l’on regarde les sociétés internet, les sociétés d’ingénierie, les sociétés de conseil ,(y compris en droit social !), et que l’on y décompte (hors un très restreint noyau de cadres dirigeants) le nombre de quinquagénaires!

                   Maintenant que nous avons découvert quelques emboîtements de causes qui mettaient à l’écart les seniors du Marché du travail , arrive le moment de découvrir la dernière « poupée gigogne » que révèlent déjà les précédentes.

                   A la mise au rancard dont rend compte, déjà dans l’entreprise, le quinquagénaire laissé sans formation continue sa vie professionnelle durant, au déni tranquille de cette explication selon laquelle il ne serait pas « formable », ou alors selon lequel « il n’accepterait plus de travailler pour un prix plus bas » ou, ce qui revient au même selon lequel « il coûterait trop cher », à l’idée fausse, partagée hélas le plus facilement du monde, selon laquelle « il laisse la place aux jeunes » (et donc il se retire pour une cause économiquement légitime),  s’ajoute, au fond ,ce que René Kaës[1] appelle un pacte dénégatif , ou plus récemment, ce qu’il appelle une « alliance inconsciente ».

                   L’alliance inconsciente pour le dire bref , c’est quand on s’entend tous bien « sur le dos d’un tiers », mais sans le dire, sans se l’avouer et surtout sans le dire au tiers en question .

                   C’est exactement ce dont sont au fond victimes les seniors sur le Marché du travail depuis le milieu des années 1970 .

                   Tous ,patronat, pouvoirs publics, organisations syndicales, salariés et même la population , sans le dire et sans l’avouer et surtout, sans se l’avouer, se sont entendus pour faire partir les seniors du Marché du travail, afin qu’ils deviennent les légitimes sacrifiés sur l’autel de la crise.

ils sont partis, d’abord avec des avantages dans les premières années des « préretraites » , et puis avec plus tellement d’avantages et maintenant, avec les préconisations de l’OCDE déjà dans les têtes ,le coup de pied de l’Âne en guise d’avantage, assorti de  l’insulte suprême selon laquelle : c’est de leur faute parce qu’ils ne veulent pas travailler !

Le consensus ou pacte dénégatif, sur « qui mettre au rancard en ces périodes de crise ? » est tombé et continue de tomber, malgré plans seniors et autres contrats de génération, sur les seniors, ce qui permet en plus de le faire sans trop  mauvaise conscience grâce au slogan « place aux jeunes ! ».

 Mais ce n’est pas seulement sur le plan  moral que ce pacte dénégatif est hautement fautif ; c’est d’un point de vue économique, qu’il est, en plus d’être insane, inepte.

Il prive éminemment le pays de compétences indéniables, de ressources précieuses, et d’expériences irremplaçables.

                         Et il ouvre un gouffre maintenant béant entre un âge de retraite qui ne cesse de reculer et un âge « d’obsolescence » qui ne cesse d’avancer : le nez sur le guidon, les pouvoirs qu’on appelle encore « publics » , ne voient ils rien venir de nauséeux, à l’instar de soeur Anne sur le chemin qui poudroie ?

                         Alors, posons leur une question : de quelle génération viendra le chaos social, lorsque les plus anciens auront franchi massivement la  porte de l’exclusion, et quelle forme inédite et inquiétante prendra-t-il alors pour tous ?

Thierry Ponsot

CE: des arguments économiques à votre usage

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Cet article vise à permettre aux CE de savoir sur quels arguments économiques s’appuyer pour impacter les décisions de leur entreprise afin d’obtenir les objectifs suivants :

 

– favoriser l’emploi, notamment qualifié.

– écarter les projets managériaux qui viseraient à intensifier la quantité de travail à fournir pour un même temps de travail, qu’ils soient de type « lean management » ,ou assimilable à ce type de management conduisant à la même intensification du travail (hausse de la quantité produite par salarié dans un temps donné).

-favoriser les projets de l’entreprise qui s’appuient sur des améliorations des conditions de travail permettant une hausse de la valeur ajoutée des produits, des biens et des services dans l’entreprise.

– favoriser les orientations stratégiques de l’entreprise qui s’appuient sur une hausse de la compétence des salariés ,plutôt que sur une intensification de leur rentabilisation individuelle immédiate .

 

Evidemment, le contexte de la nouvelle consultation des CE sur les « orientations stratégiques » de l’entreprise, prévue à l’article L2323-7-1CT  et issue de la loi N°2013-504 du 14/06/2013, rend d’autant plus importante la nécessité d’augmenter la réelle capacité des CE à comprendre les enjeux économiques d’une stratégie, et à argumenter de façon pertinente, de manière à impacter en amont les décisions qui seront prises par l’entreprise.

De ce point de vue, l’appui que pourront leur apporter les CHSCT leur sera d’autant plus nécessaire (voir article :).

 

Pour comprendre les argumentations économiques liés à ces objectifs, resituons les enjeux permettant de développer la compétitivité d’ une entreprise et les différentes voies stratégiques qui le permettent.

Ensuite mettons en lien ces voies stratégiques avec les conséquences, non seulement sociales, mais aussi sur la santé physique et mentale des salariés qui en sont l’aboutissement.

 

Pour cela, on utilisera un modèle présentant 2 stratégies             d’ entreprise , la stratégie A et la stratégie B, qui visent toutes deux à accroître la compétitivité et à améliorer les marges des entreprises.

on rappelle qu’améliorer la compétitivité revient à améliorer la position concurrentielle de l’entreprise dans son Marché, cependant qu’améliorer ses marges revient à améliorer la part qui revient à l’entreprise, en déduisant du chiffre d’affaire, les coûts de production au prix de revient des produits, biens  et services.

 

La stratégie  A vise un objectif permettant d’accroître la compétitivité et l’amélioration de la marge de l’entreprise de la façon suivante :

– baisser les prix de revient

– baisser le coût salarial

– espérer une hausse des ventes par la baisse des coûts de production.

– flexibiliser l’emploi, soit par recours à l’intérim, aux cdd, à la précarisation d’une partie du personnel de manière à diminuer le coût salarial .

– rentabiliser au maximum chaque salarié en l’incitant à toujours produire plus et/ou en le rendant polyvalent sur plusieurs postes de travail.

 

Cette stratégie A est donc tentée d’adopter des méthodes qui s’apparenteront au  « lean management » (ou à ses avatars), parce qu’elle mise en fait sur une hausse rapide de la rentabilité du travail ,c’est-à-dire sur une hausse du rendement rapide de chaque salarié, par des moyens rapides

cette stratégie A ne prend pas en compte la hausse de valeur ajoutée que pourrait dégager un salarié plus compétent sur des machines plus performantes et/ou dans une organisation du travail plus efficace au moyen ou long terme.

Cette stratégie A est de court terme.

Cette stratégie A ne s’appuie  pas, en réalité, sur une réelle augmentation continue de la valeur ajoutée par salarié , mais elle compte sur une intensification quantitative du travail, due à une hausse de la quantité de travail fournie par poste de travail et/ ou sur une polyvalence plus grande des salariés qui effectuent à eux seuls plus de fonctions et plus de types de tâches.

C’est en gros ce qu’il se passe actuellement à la Poste, où l’effort porte essentiellement à accroître la rentabilité individuelle de chaque agent, à la fois en chronométrant rigoureusement le temps passé par chaque postier à chacune de ses tâches, et à accroître la polyvalence de chaque postier : par exemple en demandant au facteur d’être à la fois livreur, assistant social, correspondant commercial, vrp etc… 

Cette stratégie A ne vise pas une amélioration continue de la qualité  :

– du matériel et machines

– de l’organisation du travail

– des conditions de travail

– des produits ou des services

Elle vise seulement  une hausse rapide de la rentabilité de chaque salarié pour restaurer des marges et accroître la compétitivité.

 

La stratégie  B, au contraire, est conduite sous un raisonnement différent : elle part cependant du même constat et du même objectif :

Comme la stratégie A, la stratégie B vise à augmenter les marges de l’entreprise  et à la rendre plus compétitive, mais elle s’y prend autrement pour y arriver.

 

– d’abord, elle pense à améliorer la qualité de ses produits , non pas pour les vendre moins chers, mais au contraire pour les vendre éventuellement plus chers en s’adressant à d’autres clientèles( ex : le bio pour les agriculteurs par rapport à l’agriculture intensive), ou alors, en diversifiant ses produits pour que certains produits soient vendus plus chers parce qu’ils contiennent  chacun une plus forte valeur ajoutée.

– du coup, l’entreprise peut augmenter ses marges, mais il lui faudra investir dans de nouvelles machines, et/ou alors investir dans des nouvelles formations pour les salariés (et non pas rendre plus polyvalents les salariés), et/ou alors parvenir à produire des produits ou services de meilleure qualité ayant une plus haute valeur ajoutée (augmenter la valeur ajoutée du produit  des biens ou des services) ;

 par exemple : au lieu de produire seulement un produit brut, et de le vendre brut (marge faible, faible valeur ajoutée), l’entreprise qui suit une stratégie B, peut envisager, pour augmenter la valeur ajoutée de ses produits ou services, de vendre ses produits transformés avec une valeur ajoutée plus forte et  dégageant une marge plus élevée.

-dés lors, pour l’entreprise suivant la stratégie B, l’amélioration des conditions de travail fait partie des conditions permettant d’augmenter la valeur ajoutée du produit, dans la mesure où elle s’accompagne de hausse de la qualité des produits ou services.

Car c’est au moment de penser la hausse de la qualité des produits ou services qu’il est opportun de penser l’amélioration des conditions de travail inhérente à cette amélioration de la qualité des produits et des services.

Après l’installation de nouvelles lignes de production ,ou l’institution de nouvelles organisations du travail, c’est trop tard  ou moins aisé : il faudra alors « revendiquer » une amélioration des conditions de travail par rapport à un processus déjà institué de production, cependant qu’en amont de ce processus ,il est beaucoup plus aisé de l’instituer par des propositions communes d’amélioration continue de la qualité  (des produits , des services et des conditions de travail ensemble)et/ou qui améliorent le niveau de formation  des salariés.

On rappelle à ce propos de formation professionnelle continue , qu’avec la nouvelle loi n°2013-504 du 14/06/2013, les CE (pour les plus de 300 salariés) sont aussi consultés sur les orientations de la formation professionnelles sur les 3 années à venir ( L 2242-15al 3CT).

 

Or, c’est en poussant à la formation qualifiante des salariés que la stratégie B a le plus de chance de succès, car alors il n’est plus nécessaire d’intensifier le travail à tous prix, puisque la hausse de valeur ajoutée par salarié se produit par la hausse de valeur ajoutée par produit fabriqué du fait de la hausse de qualification du salarié, qui produit « mieux et plus cher », et sans intensification de sa quantité de travail produite par unité de temps.

 

 

La même hausse de compétitivité est donc atteinte par  A comme par B, mais les voies différentes pour l’obtenir ont des conséquences sociales et sur la formation professionnelle, ainsi que sur la santé physique et mentale  des salariés, très différentes.

 

Ces conséquences sont, dans le cas de la stratégie B :

  • L’amélioration de la qualité des produits ou des services.
  • L’amélioration des conditions de travail  en même temps que l’amélioration de la qualité des produits et des services.
  • L’augmentation globale de valeur ajoutée créée par l’entreprise et la hausse continue de la valeur ajoutée produite par salarié.
  • L’augmentation des investissements (y compris dans la recherche), toutes choses égales par ailleurs.
  • l’augmentation globale du niveau de qualification des salariés

 

On comprend donc bien que l’intérêt des CE est de pousser, convaincre, persuader, inciter, proposer, des stratégies de type B, plutôt que des stratégies de type A.

Il faut qu’ils montrent que la stratégie A possède une alternative: la stratégie B et qu’ils argumentent pour que l’entreprise en soit impactée et réoriente A vers une stratégie B.

Il faut qu’ils utilisent les dispositifs de la consultation sur les orientations  stratégiques ,notamment, pour impacter les stratégies dans le sens de B, en montrant que l’entreprise peut y gagner tout autant avec en plus, des meilleures conditions de travail et des améliorations continues de productivité.

Pour cela, plusieurs conditions sont à réunir :

 

1°) que les CE sachent distinguer  dans les orientations stratégiques de l’entreprise, entre celles de type A et celles de type B ,et notamment quand leurs seront soumises, pour avis consultatif, les orientations stratégiques de l’entreprise.

2°) que les CE sachent argumenter économiquement leurs avis consultatifs en montrant comment la stratégie de type B peut aussi bien atteindre les objectifs de restauration des marges et de restauration de compétitivité de l’entreprise qu’une politique de type A.

3°)  que les CE puissent montrer, avec l’aide du CHSCT , les conséquences dommageables d’une politique de type A sur la santé physique et/ou mentale des salariés.

4°) Que les CE utilisent les dispositifs prévus par la nouvelle loi n°2013-504 du 14/06/2013 pour « proposer des solutions alternatives de type B » et exigent la « réponse motivée »  de l’organe de contrôle de l’entreprise (CA ou conseil de surveillance) à leurs propositions, comme la loi le permet.

5°) Que le poids du CHSCT et de l’aspect santé travail soit immédiatement mis dans la balance pour dissuader toute entreprise d’instituer une politique de type A.

6°) Que les CE et ou les CHSCT travaillent de manière beaucoup plus étroite avec les « groupes qualité », ou responsables qualité de l’entreprise, en comprenant que l’intérêt commun des instances représentatives, des salariés et de l’entreprise passe par l’amélioration continue de la qualité des produits, des biens et des services et passe donc par l’amélioration continue des conditions de travail qui augmente aussi cette qualité des biens et des services.

Si les CE saisissent l’occasion donnée par la consultation sur les orientations stratégiques issue de la loi du 14/06/2013 en impactant les processus de production le plus en amont possible à leur instauration, ils ont enfin là l’occasion, non seulement d’améliorer en amont les conditions de travail, mais  de disposer d’un levier inédit sur la prévention santé travail, pour  éviter la mise en place d’organisations du travail potentiellement dangereuses et nocives pour la santé physique et mentale des salariés.

 

Thierry Ponsot

si vous êtes intéressés par ce sujet, vous pouvez lire aussi sur ce site:

la consultation du CE sur les orientations stratégiques (Loi du 14/06/2013)

CE: comment argumenter pour mieux négocier?

la formation professionnelle continue: un levier d’action pour les CE pour sécuriser les parcours des salariés

 le lean management optimise-t-il les salariés?

CE, CHSCT:comment améliorer les conditions de travail en augmentant la compétitivité de l’entreprise?

par ailleurs vous pouvez vous procurer sur ce site le livre de Thierry Ponsot « logique managériale et risques psychosociaux » rubrique livres

isolement et concurrence entre salariés

L’isolement déjà ne se réduit pas à ce qu’on peut appeler la solitude ; car si la solitude peut être choisie, l’isolement ne l’est pas.

L’isolement, au delà de la solitude , suppose une coupure du lien social, rendant difficile le fait même de pouvoir partager, ne serait ce que l’expérience vécue autour de son propre travail.

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De ce point de vue, il n’est pas incompatible qu’un salarié se retrouve à la fois isolé et cependant, subisse une certaine promiscuité.

Il y a donc des solitaires qui ne sont pas isolés et des isolés pas forcément solitaires.

Pour comprendre maintenant la nature de l’isolement dans le cadre d’un établissement ou d’une entreprise, c’est-à-dire comprendre comment cette coupure des liens s’instaure, on parlera d’isolement compétitif .Pourquoi ?

Pour trois raisons:

a) la première est qu’un lien ne se rompt que sous l’effet d’une attaque des liens. C’est cette attaque qui rend la situation irréversible en soi. Le salarié voudrait-il recréer le lien qu’il ne le pourrait pas de lui-même .

Pour prendre une image parlante ,supposons que vous ne parliez pas avec votre voisin. Le fait est que vous pouvez choisir,un jour ou l’autre de lui parler ; maintenant supposons qu’en fait, votre voisin ne parle pas votre langue et que vous ne parliez pas la sienne ; alors la situation , très différente, implique qu’avant de vous décider à  lui parler .il faudra déjà et avant tout « trouver la langue commune ».

À l’instar de l’étranger qui ne possède pas la langue, l’isolé, celui dont le lien à autrui a été attaqué, pour voir restauré le lien , devra « retrouver une langue commune ».

b) le lien qui a été attaqué ne peut être restauré sans l’action d’une « langue de nouveau commune » qui remette en lien ceux qui travaillent ensemble ; or si individuellement chaque salarié isolé a pour sa part une histoire qui lui reste propre, l’histoire globale des salariés qui perdent le lien entre eux et la solidarité de travail et de culture commune, a un nom : la concurrence entre salariés sur la base de l’isolement de chacun : c’est pourquoi on peut qualifier alors  l’isolement de compétitif . l’isolement compétitif détruit la base culturelle du lien qui soude en principe la communauté de travail autour de son expérience de travail solidaire ; le résultat de cette attaque est l’isolement, que certains salariés vivront de manière plus aiguë que d’autres, mais qui est un phénomène social et non pas individuel à la base.

c) l’absence flagrante de lien collectif solidaire dans le cadre du travail n’est pas « tombé du ciel » .

C’est se débarrasser du problème que d’en rejeter l’origine sur « la culture de l’individualisme »qui sévirait spontanément chez les salariés. Il y a une différence énorme entre les entreprises où existe encore un collectif soudé autour de l’expérience de travail et hélas, les établissements ou entreprise, de plus en plus nombreuses, où ce collectif s’étiole et se dissout ; la différence c’est qu’il y a moins d’isolement dans les premières que dans les secondes et dans les secondes plus de compétitivité, c’est-à-dire plus de références à la culture de la course à la performance individuelle . On demande alors aux salariés d’intégrer la concurrence entre eux comme une dimension « naturelle » correspondante à l’esprit du Marché, alors qu’à l’intérieur d’une organisation ou d’une entreprise, ce n’est pas à la loi du Marche de s’imposer, mais à l’esprit de collaboration que suppose une équipe solidaire et compétente (et non pas seulement composée de salariés « performants »). La performance est avant tout affaire d’organisation (du travail) et c’est la compétence qui doit, ou devrait, être l’affaire des salariés. La performance de l’organisation est donc d’organiser les compétences des salariés et non pas de transférer sur les salariés sa propre exigence de performance , en faisant comme si l’espace collaboratif de travail devait se transformer en un Marché concurrentiel.

Isolement et concurrence

En réalité et contrairement à ce qu’une appréciation hâtive donnerait à penser de façon spontanée, ce n’est pas au salarié de porter la performance, mais à l’organisation d’être performante. Plus une organisation demande de performance à ses salariés et plus elle montre qu’en elle même, elle n’est pas performante. Elle transfère donc une charge psychique sur le salarié en lui demandant d’être performante à sa place. Ce que le salarié doit être, c’est d’être compétent et non pas, performant. S’il est aussi performant , c’est parce que l’organisation lui permet de l’être en étant elle même d’abord performante à faire émerger l’ensemble des compétences, dont la compétence collaborative, celle qui met du lien entre les hommes collaborant dans l’organisation. Une organisation performante fait émerger les compétences qui rendent chacun compétent, et du coup aussi performant, et non pas l’inverse. Ce qu’initie la concurrence entre salariés, c’est de dissoudre l’espace collaboratif qui permet à chacun d’assurer et d’appuyer sa propre compétence grâce à la compétence des autres, et non pas en concurrence avec elle. La mise en concurrence des collaborateurs de l’organisation sabote l’espace collaboratif et ne permet pas l’émergence d’une collaboration efficace, rendant les compétences des hommes vaines, ou alors non exploitées. Elle est un gâchis de ressources et une source de souffrance au travail.

Aujourd’hui, alors qu’une grande agitation tend à se faire jour autour de la « construction d’espaces de discussion au travail », pour permettre de résoudre le problème de la souffrance causée par l’isolement et par l’absence de collectif de référence pour « discuter du travail », la tentation est grande de mettre la charrue avant les bœufs : mettre la charrue avant les bœufs serait mettre en route des espaces formels de « discussion » sans rétablir les condition d’émergence d’un langage commun, c’est-à-dire , sans mettre un barrage à l’isolement compétitif en bloquant, en amont, les processus de travail qui l’encouragent et qui l’instituent.

Par ailleurs ,il est nécessaire pour remettre de la « discussion dans le travail » et faire émerger des espaces où le salarié retrouve le langage commun de l’expérience qu’il vit au travail, de le faire sur des bases juridiques protectrices, comme le cadre de la loi sur le droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail du 4 août 1982 le proposait , sinon il n’y aura pas de liberté d’expression du tout

la vigilance accrue des institutions représentatives du personnel,  notamment CE et CHSCT, ensemble dans la même stratégie, en amont des décisions de l’entreprise instituant les organisations du travail ‘grâce notamment à la consultation obligatoire sur les orientations stratégiques, en anticipant sur ses effets d’isolement compétitifs, permettraient aux « espaces de discussion au travail et sur le travail » de ne pas être vains, c’est-à-dire de ne pas avoir à débattre de situations de toutes façons instituées de manière irréversible.

Thierry Ponsot

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peut-on prévenir l’isolement au travail?

L’expérience au travail disqualifiée: pourquoi?

compétence et performance des salariés: deux notions bien distinctes

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Par dessus la charge de travail, la surcharge est psychique

 

 

 

 

 

 

 

CE et CHSCT: comment ensemble être plus forts?

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Plutôt que de simplement répertorier les moyens juridiques d’une action commune des CE et des CHSCT pour travailler ensemble, cet article se propose d’envisager les moyens et les enjeux stratégiques d’une action et d’une vision stratégique des deux instances, à une heure où leur synergie  est, et va devenir, d’autant plus cruciale.

Bien entendu, cette vision stratégique d’ensemble sera par ailleurs, comme c’est le cas de la plupart des articles de cette rubrique « communication et stratégie », juridiquement étayée.

On commencera donc par recenser les enjeux de cette synergie nécessaire entre CE et CHSCT, de manière permanente, mais aussi pour aujourd’hui particulièrement.

On verra alors comment les moyens juridiques ici cumulés entre CE et CHSCT peuvent se mettre au service d’une stratégie d’ensemble.

Enfin on donnera un exemple où cette synergie pourrait s’avérer efficace, voir redoutablement efficace, à la fois en terme socio économique et de santé travail.

  • Enjeu de la synergie CE et CHSCT

 D’abord et avant tout cet enjeu concerne le champ commun dans lequel ces deux instances interviennent, c’est-à-dire celui des conditions de travail ; le CHSCT y est compétent par nature, puisque c’est son champ de « mission », celui pour lequel il est missionné et exerce ses prérogatives : L4612-1 CT

  • « le CHSCT contribue à l’amélioration des conditions de travail »

Le CE est lui spécifiquement mandaté par le législateur au titre de l’article L2323-27 CT qui énonce :

  • « Le CE est informé et consulté sur les problèmes généraux concernant les conditions de travail résultant de l’organisation du travail, de la technologie, des conditions d’emploi, de l’organisation du temps de travail,  des qualifications et des modes de rémunération ».

C’est donc bien sur la base de ce champ commun des conditions de travail que les deux instances sont habilitées à intervenir, notamment sur le mode de la consultation, puisque concernant le CHSCT sa consultation s’avèrera obligatoire dés que l’aménagement des conditions de travail est important :

  • L4612-8CT « Le CHSCT est consulté avant toute  décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail……….. »

Sur ce champ que constituent les conditions de travail, tout aménagement important est donc soumis au principe de la double consultation CE et CHSCT.

Cette double consultation est d’autant plus efficace que :

  • L’avis consultatif est motivé c’est-à-dire argumenté et contient des contre propositions concrètes dont on rappelle qu’il appartient à l’employeur de donner suite:
    • L2323-3 CT «  …..L’employeur rend compte en la motivant de la suite donnée à ses avis et ses vœux »

Cette phrase de l’rticle L2323-3 est capitale et signifie que : plus l’instance CE argumente et motive son avis et fait de contre propositions (vœux) ,et plus l’employeur devra motiver ses refus éventuels de suivre cet avis.

Et si le CE et /ou le CHSCT font dix propositions, l’employeur devra motiver dix refus, l’un après l’autre ,pour ne pas suivre l’avis de l’instance; on ne répètera jamais assez que donner « une suite à l’avis et aux voeux du CE », est une obligation de l’employeur et que si l’employeur n’y souscrit pas , c’est l’ensemble de la procédure de consultation qui n’est pas respectée , et c’est donc constitutif d’un délit d’entrave de sa part.

les CE comprennent donc d’eux mêmes qu’en ne motivant pas suffisamment leurs avis et en  ne l’étayant pas suffisamment de contre propositions concrètes, raisonnables et difficilement évitables , ils se privent eux mêmes du soutien que le droit leur apporte.

On comprend donc que plus les instances coordonnent leurs avis respectifs et démultiplient leurs propositions, et plus l’espace restant à l’employeur pour « tout rejeter en bloc » s’amenuise alors drastiquement.

Mais il faut là utiliser non seulement une tactique coordonnée, mais travailler beaucoup à cette coordination ;

À ce propos on remarquera un fait indéniable qui avantage les élus dans cette tactique : ils sont les plus nombreux face à la direction  à pouvoir travailler en ce sens , si l’on compte, bien sûr, les suppléants CE qui, à défaut d’heures de délégation, disposent aussi d’un cerveau fécond et imaginatif pour aider leurs collègues.

On voit donc que l’avis consultatif dans les cas où il y a consultation obligatoire des deux instances, CE et CHSCT, est un outil non négligeable d’impact pour les élus afin d’influer sur les décisions de l’employeur et ce, d’autant que les deux instances peuvent veiller conjointement au respect par l’employeur de ses obligations consultatives.

Mais la conjonction puissante des deux instances né relève pas seulement de l’avis consultatif : elle relève aussi d’une disposition assez souvent oubliée des CE, selon laquelle ils peuvent d’eux même , et sans l’aval de l’employeur, « missionner » le CHSCT selon , bien sûr ,le champ de compétence de cette instance.

Missionner le CHSCT peut avoir une grande portée. Voyons quel cadre juridique permet cela : il s’agit de l’article L2323-28 CT qui énonce :

  • « Le CE peut confier au CHSCT le soin de procéder à des études portant sur les matières de la compétence de ce dernier »

complété par cette disposition au titre de l’article L4612-13CT

  •   L4612-13CT :«  …le CHSCT se prononce sur toute question de sa compétence dont il est saisi par l’employeur, le Comité d’entreprise et les délégués du personnel »

Ceci permet tout à fait d’énoncer ,qu’au cas où l’employeur empêcherait un CE de saisir un CHSCT d’une mission ,  ceci constituerait une double entrave, délit pénal, à la fois vis-à-vis du CE et vis-à-vis du CHSCT, chacune de ces institutions étant dotée, on le rappelle, de la possibilité de poursuivre pénalement quiconque mettrait entrave à ses fonctions, et pour le CHSCT,  et comme il ne gère pas de budget, les frais de la poursuite seraient à la charge de l’employeur..

  •    stratégies conjointes

Les possibilités juridiques sont ouvertes et reste donc à les utiliser dans le cadre d’une stratégie cohérente ;

Que le CE soit pilote dans cette stratégie  s’impose pour au moins plusieurs raisons:

– c’est lui qui, en amont des conditions de travail, dont elles sont les conséquences,l est consulté sur l’organisation du travail qui les génère.

– c’est lui qui détient le pouvoir de missionner le CHSCT.

– c’est à lui que les avis du CHSCT sont transmis avant qu’il ne se prononce lui-même en matière de conditions de travail et d’organisation du travail.(L2323-27CT).

on rajoutera à cela que depuis la loi du 14/O6/2013 que le CE  est consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise sur les 3 années à venir, et c’est donc le CE qui aura en main la possibilité d’émettre un avis consultatif à ce sujet et même de définir ses propositions alternatives  à la stratégie de l’entreprise : (L2323-7-1 CT)

  • Chaque année, le comité d’entreprise est consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise, définies par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages Le comité émet un avis sur ces orientations et peut proposer des  orientations alternatives. Cet avis est transmis à l’organe chargé de  l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, qui formule une   réponse argumentée. Le comité en reçoit communication et peut y  répondre

Le CE pourrait alors missionner le CHSCT pour « envisager les conséquences sur les conditions de travail de ces orientations » préparant ainsi bien à l’avance toute consultation ultérieure avec ,dans les mains, un rapport du CHSCT.

L’élargissement très net de l’horizon de perspective qui s’ouvre grâce à cette nouvelle disposition de la loi est donc une formidable occasion pour que le CE détermine, à la fois en termes stratégiques et d’organisation du travail , la ligne générale qu’il compte en œuvre et qu’il s’appuie massivement sur le CHSCT pour le faire agir au service de cette ligne générale

  •    exemple concret

On peut penser à un exemple précis : en cas de volonté du conseil d’administration de l’entreprise d’introduire des dispositifs de type « lean management » , ou tout dispositif qui vise à accroître l’intensité du travail et maximisant la valeur ajoutée  extraite par salarié, ou ce qui peut ressembler à un processus de ce type , le CA de l’entreprise ne pourra s’exonérer d’en avertir dûment le CE dans le cadre de sa consultation sur les orientations stratégiques.

En effet, ce type de méthode a des effets considérables, et en général peu positifs ,sur les conditions de travail qui en sont les conséquences.

Dés lors le CHSCT,  sollicité par le CE , peut montrer et démontrer les impacts d’une telle organisation du travail sur les conditions de travail, en analysant par avance ce qu’elles produiraient de charges physiques et/ou psychiques pour les salariés.

L4612-2 CT : Le CHSCT « analyse les conditions de travail » et donc peut les analyser en étant missionné par le CE pour le faire.

En conséquence le CE « avisé » par le CHSCT ,a le temps d’émettre suffisamment de contre propositions concrètes pour échapper ou faire dévier le projet qui lui est présenté par l’employeur de manière à ne pas subir les immanquables effets du Lean ou de tout autre management aux effets délétères sur les conditions de travail et /ou  sur la santé des salariés.

  •    conclusion

Les élus doivent comprendre que, plus ils agissent en amont des processus de production, et plus il est efficace et simple d’agir pour l’amélioration des conditions de travail, car une fois les processus de production installés et institués, il est, toutes choses égales par ailleurs, d’autant plus difficile de devoir lutter contre chacun de leurs effets.

De ce point de vue là, l’utilisation par le CE à la fois de la consultation sur les orientations stratégiques et du CHSCT, en amont de tout processus qui s’annonce par cette consultation, est une arme nouvelle et puissante.

La coordination des instances devient alors un atout maître, à la condition encore que les contre propositions élaborées par le CE et prévues dans le cadre de l’article nouveau L2323-7-1 CT soient à la hauteur des enjeux : qu’elles montrent réellement qu’une autre politique d’organisation du travail, qui ne casse pas la santé physique et mentale des salariés, est possible tout en permettant le développement de l’entreprise ;

là enfin on pourra parler de prévention réellement primaire qui s’attaque aux causes des risques et pas seulement à leurs conséquences.

Ce sera donc  une prévention à l’origine des causes des risques , notamment psychosociaux, et qui ne se contentera pas d’être  réparatrice des dommages déjà causés, et désignés après coup comme inéluctables.

Rappelons enfin aux CE que d’impliquer au maximum le CHSCT dans des avis consultatifs signifie aussi ceci : d’un coup, on passe de la sphère économique à la sphère « santé travail » ;

Or dans la sphère « santé travail », l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur pèse lourd ;

Un avis du CHSCT  s’il venait à être outrepassé , pèse lourd ,plus lourd en vérité qu’un avis du CE.

Car si un salarié  est affecté dans sa santé physique et/ou  mentale, malgré les propositions du CHSCT dont l’employeur n’ aurait pas tenu compte, ou alors qu’il n’aurait pas pris soin de réfuter en motivant sa réfutation,  il serait  alors bien difficile pour l’employeur de prouver qu’il aurait  souscrit néanmoins à son « obligation de sécurité de résultat  .

Pire encore, comment échapperait il alors, si un salarié voit sa santé gravement endommagée ou pire (suicide au travail, par exemple)  du fait qu’il n’ait pas suivi les propositions  raisonnables et motivées du CHSCT, à la faute inexcusable , qui implique une majoration de rente pour le salarié victime, et pour l’employeur fautif, à une imparable hausse de ses cotisations sociales?

 

 

 

 

 

 

les lecteurs intéressés par ce sujet peuvent sur ce site se reporter aux articles suivants

1 Que se cache-t-il derrière les méthodes d’optimisation de l’organisation du travail?

2 la consultation sur les orientations stratégiques dans la loi du 14/06/2013

3 l’obligation de sécurité de résultat et les risques psychosociaux

Les réclamations au délégué du personnel : comment les traiter ?

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« Le délégué du personnel traite des réclamations individuelles ou collectives  relatives aux salaires, à l’application du code du travail et des autres dispositions légales concernant la protection sociale, la santé et la sécurité,ainsi que des conventions et accords applicables dans l’entreprise » (L2313-1CT)

 

En réalité cette mission confiée par la loi aux délégués du personnel les met à l’interface de deux compétences importantes et dont aucune n’est évidente et ne va de soi sans apprentissage.

 

a) une compétence juridique : il est clair que la mission DP recouvre l’ensemble du droit du travail, code du travail et jurisprudences comprises , ce qui suppose un minimum de maîtrise de ce droit, c’est le moins que l’ on puisse dire.

 

b) traiter des réclamations requiert par ailleurs, une technique, sinon un art relationnel, qui place le DP forcément au cœur d’une conflictualité, au moins potentielle, entre l’employeur et le salarié : d’où la compétence relationnelle que cette fonction requiert : cette fonction requiert donc un savoir faire relationnel et des connaissances juridiques .

Evidemment on ne peut que regretter, face à cette exigence de la mission du DP, que le législateur n’ait pas prévu, comme il l’a prévu pour les membres élus du CHSCT, un minimum de journées de formation de base financés par l’employeur.

Cette formation de base  permettrait de développer les savoirs faire et apprentissages dans les deux domaines précités, le droit et la « relation humaine » .

On ne  saurait pallier à cette insuffisance regrettable par un article, mais au moins, on donnera quelques points de repère aux délégués du personnel, points de repère à la fois juridiques et communicationnels, pour traiter d’une réclamation.

Ces  points de repère sont au nombre de cinq :

 

 

 

v   Premier point de repère

 

– connaître et traiter la demande du salarié ; il n’est pas du tout évident que le salarié, venu ouvrir la porte du local dp ou ayant sollicité un entretien avec le dp ,veuille que le dp agisse ; les dp doivent comprendre que, bien souvent , ce dont le salarié a besoin, c’est d’abord et avant tout d’ être écouté ; ensuite il s’agit de savoir ce que le salarié à l’issue de son entretien, demande à son dp et pour le savoir , il y a une question magique qu’il ne faut surtout pas oublier de poser une fois le (bon) moment venu :

                     Question magique : « qu’attends tu de moi ? ».

La difficulté principale et la raison pour laquelle les dp oublient souvent de poser cette question, cruciale, au salarié venu les voir est la suivante : les dp pensent qu’ils sont là « pour agir pour les salariés » et c’est en fait, concernant les réclamations, en partie faux ; ils sont à disposition des salariés, qui par eux, peuvent agir (ou ne pas agir).

Ceci est important à comprendre et recoupe un point juridique de base concernant la mission du dp :

                              Le salarié n’est jamais obligé de demander au dp de porter ses réclamations, il peut les porter lui-même sans son intermédiation (L2313-10CT).

En réalité ,alors que les autres instances (CHSCT, CE) sont des passages obligés pour traiter des questions relatives aux salariés ( ainsi la consultation des instances comme le CE ou le CHSCT présente-t- elle un caractère « obligatoire » d’intermédiation entre l’employeur et les salariés) , jamais les dp eux, ne sont placés en situation d’intermédiation obligatoire entre salariés et employeur; pas plus , d’ailleurs,  pour accompagner le salarié dans un entretien disciplinaire, où l’on remarquera que le salarié « peut se faire accompagner de la personne de son choix »(L1332-2CT) ,et non pas obligatoirement du dp.

                                 En réalité le délégué du personnel est au service du ou des salariés pour réclamer, s’ils souhaitent le faire ; et s’ils souhaitent n’en rien faire et juste faire part aux délégués du personnel de leurs difficultés et de leurs observations, le dp aura parfaitement accompli sa mission vis-à-vis du salarié et n’a,  en ce cas, nulle raison de se sentir inutile.

Au contraire, il aurait été maladroit et dangereux pour un dp de pousser le salarié, qui ne l’aurait pas explicitement demandé, de  déposer en son nom sur le registre des délégués du personnel une réclamation, sous prétexte de justifier là son action.

               Autrement dit, le délégué du personnel a suffisamment bien agi, s’il n’a pas agi à la place du salarié, mais à sa demande explicite, ou s’il n’a pas agi parce que le salarié n’a pas demandé qu’il agisse : dans les deux cas, il aura néanmoins « accompli sa mission » vis-à-vis du salarié.

 

v   Deuxième point de repère

 

Compte tenu de ce qui vient d’être dit dans le premier point, il est recommandé que le délégué du personnel  prenne, ou apprenne, une technique d’écoute lui permettant, à un moment donné de l’entretien, de savoir ouvrir des options pour le salarié qui est en face de lui pour cet entretien.

 

– Ouvrir des options ne consiste ni à proposer des solutions, ni à laisser le salarié « errer tout seul dans le brouillard ».

 

Ouvrir des options c’est clairement signifier au salarié « voilà ce qu’il est possible de faire » et ne pas l’embarquer dans une solution que le délégué du personnel préconise.

 

Car l’intérêt d’ouvrir des options c’est que le salarié, en fonction des options offertes, choisisse lui-même la solution qu’il retient.

 

Trop souvent, les délégués du personnel proposent des solutions sans laisser le temps au salarié de choisir parmi les options ouvertes ; ceci est une source de malentendu considérable et au pire , voilà ce que cela donne : le dp va « agir au nom du salarié » et ensuite, le salarié ayant pris peur ,viendra dire au dp « qu’il ne lui avait rien demandé de tel ! ».

Hélas cette situation, loin d’être théorique seulement, est  fréquente.

 C’est même une situation relatée à peu près lors de chaque stage consacré aux délégués du personnel que nous avons animé et il est rare qu’un dp , ayant plusieurs années de mandat derrière lui, ne reconnaisse pas là une situation de ce genre ou similaire, à laquelle il ne se soit pas lui-même, au moins une fois, confronté .

 

v   Troisième point de repère

 

Que le salarié dépose réclamation ou non, le délégué du personnel doit  pouvoir accompagner personnellement la démarche du salarié; si le salarié dépose, par l’intermédiaire du dp, une réclamation enregistrée sur le registre des délégués du personnel (L 2315-12CT ) , il s’agira alors que le dp continue d’informer le salarié des suites de la plainte déposée, sinon,il s’agira pour le dp de s’informer lui-même des suites de la situation qu’est venue lui exposer le salarié .

 Au nom de quel droit, le délégué du personnel doit il suivre le salarié, quoiqu’il en soit, plainte officiellement enregistrée ou non ?

Au nom de l’article L 2313-9 CT, qui indique clairement la mission d’informations que doivent jouer les délégués du personnel sur les observations faites par les salariés vis-à-vis des instances que sont les CE et les CHSCT. Le délégué du personnel a pour mission explicite d’informer ces instances des plaintes et observations des salariés.

Là évidemment, la mission concernant les réclamations n’est pas la seule en cause : en tant qu’informateurs des autres instances représentatives (CE et CHSCT), le dp doit jouer son rôle et donner un état des lieux des situations de travail vécues et rapportées en observations par les salariés et la question même se pose : et si les délégués du personnel ne le faisaient pas, mais qui donc le ferait ?

Au reste, à cet enjeu juridique s’ajoute, ou plutôt se noue, un enjeu relationnel : il est nécessaire pour le dp de suivre personnellement le salarié qui l’a sollicité, car sinon comment compterait il installer un climat de confiance suffisant pour que les salariés comprennent définitivement que c’est à lui qu’il est utile de s’adresser, alors que le droit n’oblige nullement les salariés à s’adresser à lui pour les réclamations, mais le permet simplement ?

 

 

 

v   Quatrième point de repère

 

Ce point concerne le rapport avec l’employeur ; on l’a dit , la mission du délégué du personnel est délicate parce qu’elle se place sur le terrain, potentiellement conflictuel, des réclamations, notamment vis-à-vis du droit qui n’est pas appliqué dans l’entreprise et sur lequel le salarié « réclame ».

S’il ressort évidemment de la mission du dp de vérifier cette application du droit pour le salarié qui réclame, il ressort aussi de sa technique de conviction et d’argumentation vis-à-vis de l’employeur, de faire appliquer le droit existant.

Or, s’appuyer sur le droit signifie d’abord le connaître bien et non pas approximativement, et ensuite argumenter et convaincre en sachant s’appuyer sur lui.

Pour cela  il est nécessaire que le délégué du personnel comprenne son action sur le terrain comme relevant d’une compétence et d’une autorité dont il doit garder la mesure lui-même :

– compétence relationnelle vis-à-vis de l’employeur, avec qui il faut garder la mesure des enjeux en évitant une conflictualisation inutile. Pour cela, le but est que l’employeur réalise qu’il peut s’appuyer aussi sur la compétence et le savoir faire du dp et que celui-ci représente de manière juste et adéquate le personnel, et qu’il connaît aussi bien que l’employeur ou son représentant, mieux si possible, le cadre juridique dans lequel un délégué du personnel intervient.

– au-delà même de la compétence juridique, l’employeur, ou son représentant, doit tout le temps rester intimement convaincu que son dp n’hésitera pas à user des moyens en sa possession si nécessaire, et que la loi lui donne à bon droit.

Parmi ces moyens, la première est celle contenue dans l’alinéa 2 de l’article L2313-1CT,  et s’appelle l’inspection du travail

 Les délégués du personnel ont pour mission :….al2 L2313-1  « de saisir l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des dispositions légales dont elle est chargée d’assurer le contrôle »

 En réalité l’inspection du travail et le délégué du personnel ayant le même champ d’action, l’application générale du droit du travail dans l’entreprise, mais des moyens différents, le législateur a donc voulu que les délégués du personnel soient « un avant poste de l’inspection du travail » et les dp doivent le comprendre ainsi.

Ce n’est donc pas du tout hors mission pour le délégué du personnel d’avertir l’inspection du travail, c’est le cadre même de sa mission qui l’oriente ainsi et tous doivent le savoir : le délégué du personnel bien sûr, mais aussi l’employeur et les salariés.

La deuxième arme, et que le délégué du personnel n’utilise hélas généralement que si peu, est contenue dans son droit d’alerte spécifique évoqué à l’article L2313-2CT ; c’est dommage qu’il ne l’utilise que si peu parce que c’est un moyen qui peut être déclenché par lui-même en interne, dés « qu’une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles, atteinte non justifiée par la nécessité d’une tâche et proportionnée aux buts recherchés est constatée par lui ou par l’intermédiaire d’un salarié ».

 

Ce n’est pas l’utilisation inconsidérée de ses moyens  qui donne au délégué du personnel  la compétence, y compris celle de leur utilisation, c’est son à propos pour s’en servir.Or les délégués du personnel, avant poste de l’inspection du travail, sont investis par le législateur d’une fonction qui porte manifestement sa part légitime« d’autorité ».

 v   Cinquième point de repère

  Ce point apparaît comme la conclusion logique des quatre précédents. Si l’on comprend le caractère délicat et subtil, juridiquement parlant, mais aussi sur le plan des relations interpersonnelles de ce rôle de délégué du personnel concernant les réclamations, c’est clair que ce rôle ne va pas de soi et que le salarié de base (sans parler du dp lui-même) ne s’en imagine pas toujours la difficulté.

 C’est pourquoi il est indispensable, en même temps qu’ils exercent ce rôle, que les délégués du personnel expliquent leur rôle aux salariés ; de ce point de vue, à la compétence juridique et relationnelle que ce rôle implique, on rajoutera la compétence pédagogique ; cette dernière est avant tout constituée de patience , voir d’infinie patience, car il faut ré expliquer parfois sans cesse :

– au salarié qu’il n’est pas obligé de passer par un délégué du personnel, mais que c’est mieux parce que son délégué a des possibilités que n’importe quel salarié, non protégé par un mandat électif, ne peut avoir et expliquer quelles sont ses possibilités.

– expliquer les options du salarié et qu’il choisisse l’une ou l’autre, que le dp continuera de l’accompagner quoiqu’il en soit.

–  expliquer que le délégué du personnel fait son travail en étant l’éclaireur avisé des autres instances représentatives du personnel ( CE et CHSCT) et aussi, l’avant poste de l’inspection du travail.

–  expliquer que le délégué du personnel ne peut prendre en charge ce qui n’est pas de son ressort (les actions de prévention par exemple, qui sont du ressort du CHSCT) ce qui veut dire que c’est à lui , en particulier d’expliquer ce que peuvent faire les autres instances représentatives vis-à-vis du salarié qui s’est adressé à lui, parce que le délégué du personnel  est en principe le représentant le plus proche des demandes individuelles des salariés.

– expliquer enfin qu’il ne cesse d’être ouvert à tous, y compris à ceux qui ne pensent pas comme lui et qu’il les reçoit sans distinction d’opinion ou d’appartenance, syndicale ou non syndicale, que les salariés  suivent ou ne suivent pas ses « conseils avisés».

les lecteurs intéressés par ce sujet peuvent lire sur ce site

les missions du délégué du personnel

le droit d’alerte des délégués du personnel

DP: comment accompagner le salarié en cas de sanction ?

pour suivre avec irpforma un stage sur la formation des délégués du personnel, aller sur la rubrique « CHSCT et DP »

Délégués syndicaux : les raisons d’un mal être

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Délégués syndicaux : les raisons d’un mal être

 

 

Sujet totalement tabou ou presque : le mal être de nombreux délégués syndicaux dont on pourrait analyser souvent la situation comme on analyse les risques psycho sociaux ,à travers les doubles contraintes qu’ils subissent et ce, à plusieurs niveaux.

 

Comme pour une véritable analyse de ce  « double bind » qu’ils subissent, essayons de recenser ces niveaux.

 

D’abord dans leur travail , les ds sont assez souvent ceux qui tiennent les mandats les plus cumulatifs (dp, ds ,ce, chsct) et évidemment donc, ceux qui s’absentent le plus de leur travail du fait des heures de délégation cumulées . Dés lors les salariés peuvent se demander parfois s’ils sont encore salariés de l’entreprise ou s’ils font carrière ..au syndicat ?

Par ailleurs, de par leurs fonctions de ds, ils sont forcément les plus revendicatifs, puisque c’est leur mission d’ouvrir des droits nouveaux pour les salariés dans l’entreprise.

Ensuite ils ne sont pas nombreux à tenir ce statut,par définition et ils sont mêmes souvent seuls dans beaucoup de PME .

Autrement dit, ils cumulent les tensions et leur soutien n’est pas évident ; ce n’est pas sans rappeler les situations de stress maximum vécus par certains salariés sur leurs postes de travail : soutien minimum , doubles contraintes maximum.

 

 Par ailleurs leurs liens avec la direction de l’entreprise est particulièrement paradoxal : d’une part, ils sont appelés à négocier le plus souvent seul ou à deux, face à l’employeur, mais ils ne sont finalement que simples salariés hors mandat ;

ils « court circuitent » particulièrement la hiérarchie intermédiaire en détenant des informations que même bien des cadres n’ont pas ,par ailleurs, ils ne bénéficient pas forcément du soutien d’une équipe structurée(comme c’est ou cela devrait être le cas pour un CE qui fonctionne en équipe)

Bien sûr ils sont l’objet , en priorité  des « blocages de carrière et des avancements stoppés » dont il est difficile pourtant d’établir la preuve explicite devant un tribunal.

 Et pour compléter ce panorama , on constatera que leurs liens avec les salariés a tout de même changé depuis la loi du 20 Août 2008 sur la représentativité et cela est peu souligné :mais le fait qu’ils doivent acquérir une certaine légitimité électorale (10% des voix) les place dans une situation de tension : ils ne sont plus entièrement légitimés du seul fait de leur mandat syndical, mais à 10% du fait qu’ils soit quand même des représentants « un peu élus ». Ce statut « hybride » les rend fragiles, surtout si l’on considère ce fait : pour des salariés, de plus en plus nombreux et qui ignorent, il faut bien le dire ,toute culture syndicale et même la culture de la représentation des salariés, c’est …incompréhensible :

Qui sont ces non élus quand même présents aux élections et sur qui 10% de suffrages se sont portés ,représentants du personnel mais pas vraiment élus et qui ont toujours le monopole de la négociation au nom de syndicats qui ont bien du mal à représenter (sauf dans la fonction publique et dans des grandes entreprises) vraiment les salariés ?

A cela évidemment, on ajoutera le rapport avec le syndicat lui-même : faut il insister et faire semblant de découvrir que ce rapport n’est pas simple voir, il est souvent houleux dans la mesure ou il n’est plus question pour eux d’être seulement les bons petits soldats du syndicat dans l’entreprise car « cela ne passe plus » ainsi auprès des salariés. ? Ils doivent donc se reconvertir à la culture salariée actuelle, et disons les choses qui fâchent, c’est une culture individualiste ( qu’encouragent certains CE , hélas par le côté guichet de consommation que prennent leurs activités sociales et culturelles et qui font disparaître le « social » et le remplacent par un « consumérisme »parfois effarant)

Or les ds ne sont pas armés pour faire face à l’individualisme montant et représentent souvent une culture qui n’est plus comprise et issue d’un Temps qui , c’est le moins qu’on puisse dire,  tend à disparaître de plus en plus.

Les ds souffrent souvent, c’est indéniable, et pour être spécialiste de la « souffrance au travail » on ne saurait dénier cette souffrance là…

délégués syndicaux: négocier un accord gagnant

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La négociation réellement gagnante

 

 

Si l’argumentation réellement pertinente de chacune des parties à l’accord est la condition nécessaire à la négociation gagnante , elle n’en est cependant pas une condition suffisante. La négociation est gagnante  quand elle aboutit à une construction commune et gagnante en soi et dont les retombées profitent aussi bien à l’une des parties qu’à l’autre partie.

Le terme « d’accord gagnant –gagnant » induit en erreur, s’il s’agissait seulement d’aboutir dans la négociation à ce que « l’on coupe la poire en deux » comme hélas, c’est souvent le cas : illusion d’optique souvent partagée et selon laquelle il suffit de « faire des concessions réciproques «  pour qu’un accord soit gagnant-gagnant. Loin de cela, pour être gagnant-gagnant, un accord réellement gagnant pour les deux, suppose qu’en commun les protagonistes de l’accord « gagnent quelque chose en plus  à eux deux que ce que chacun apporte pour sa part ».

Ce « quelque chose en plus » , on l’appellera « le bien commun de l’accord », et il peut s’agir là d’un  « intérêt général ».

                  Autrement dit l’accord gagnant-gagnant relèverait plutôt de cette équation de type (a), tel que :

                    1+1>2 =1+1+ « intérêt général »

Tandis que le principe « on coupe la poire en deux » aboutirait plutôt à une équation de type (b) , tel que :

                    1+1 = ½ de chacun.

Postulée sous cette forme, qui est aussi une formule, comment dés lors, négocier pour aboutir plutôt sur une équation de type (a) que d’aboutir sur une équation de type (b) ?

 

Pour conduire une négociation réellement gagnante, on sera attentif aux quatre points suivants

  • le première a trait aux enjeux posés et à la façon dont ils sont présentés
  • le deuxième a trait à la méthode de la négociation elle-même
  • le troisième a trait aux techniques de discussion autour de la table de négociation
  • le quatrième a trait aux facteurs d’image autour de la négociation et de ses enjeux

 

                             

  • présentation des enjeux

 

a) présenter des enjeux mesurés

 

Plus les enjeux sont présentés sous forme d’intangibles pour chaque partie en présence et moins, toute choses égales par ailleurs, ils seront « négociables » en l’état .Cela ne signifie pas qu’il ne doive pas y avoir d’intangible, cela signifie que le caractère intangible d’une proposition  ne doit pas être présenté comme un enjeu . Pour comprendre cela, prenons un exemple caricatural :

 

directeur Y : « voilà, je propose de négocier sur cette proposition, et si cela n’aboutit pas, je ferme l’entreprise».

                                   Voilà une sûre méthode pour ne pas voir aboutir la négociation  que de présenter ainsi ses enjeux, et cela est valable pour tous ; ainsi ,si le syndicat Z entre en négociation sur ce propos :

 

syndicat Z : « de toutes façons , si vous ne signez pas la proposition que nous vous présentons, c’est la grève générale et illimitée »,

 

Alors on pourra dire que Y et Z sont faits pour s’entendre pour ne pas savoir (ou vouloir), ni l’un, ni l’autre, négocier.

 

Au contraire, la présentation des enjeux réciproques autour de la table des négociations doit permettre à chacun de savoir « qu’existe un espace de négociation et …de le faire savoir à l’autre ».

Cela ne veut pas forcément dire qu’une minoration des enjeux est souhaitable, mais plutôt qu’il est souhaitable de les relativiser c’est-à-dire : montrer que les enjeux sont relatifs à une question que l’on essaye de limiter précisément : s’il s’agit des salaires ou des conditions de travail , ou d’une autre négociation en cours, on se gardera donc d’en  majorer l’enjeu, mais de le délimiter plutôt .

Les négociateurs doivent garder à l’esprit ceci : d’autant plus leur ambition dans la négociation est grande, d’autant la pression sur les enjeux est importante de fait, d’autant il s’agit de les ramener à ce qu’ils sont stricto sensu.

 

b) Dégonfler les enjeux qui font prendre les armes


Tout doit se passer pour garder la tête froide et ne pas agiter de « muleta » devant le partenaire de la négociation et qu’on inviterait, dés lors, à se comporter comme un taureau.

« Dégonfler »  les enjeux , sans les minorer forcément, c’est ouvrir l’espace à une négociation et à ce que chaque partie entre dans l’habit du négociateur et non pas dans celui du « guerrier ».

 

Car si la figure du guerrier est efficace pour la guerre[1] , elle ne l’est pas pour l’espace de paix que doit déjà préfigurer « la table de négociation » ; ceci n’entraîne aucun renoncement à ce qui est l’objectif légitime de chacun des partenaires, mais conduit à l’envisager déjà comme partenaire, et non pas comme adversaire.

 

  • Méthode de négociation

 

Plusieurs méthodes peuvent prévaloir à la négociation ,qu’un tiers médiateur soit présent ou non, qu’il s’agisse d’une négociation portant sur un conflit en cours ou qu’il s’agisse d’une négociation obligatoire ou encore d’une négociation ponctuelle sur un sujet particulier ; quelque soit cette méthode, on pourra cependant retenir ces constantes :

     

a) se mettre d’accord sur la méthode de négociation

 

– se mettre d’accord sur la méthode n’est pas du temps perdu, mais gagné, car il s’agit là d’un premier accord. Le fait que les parties soient d’accord sur la méthode de négociation est une prédisposition importante à ce qu’il y ait déjà un accord de principe ;

– la méthode doit permettre la gestion du temps de l’accord ; il est indispensable qu’elle prédétermine des temps distincts comme celui de la préparation, ou celui du retrait des parties de la table pour des temps prévus à l’avance, ou s’il s’agit d’un accord avec un médiateur, des temps en aparté avec le médiateur. La (bonne) structuration du temps élève le niveau de confiance en sécurisant chacune des parties.

 

b) ordre du jour tenable

 

Une bonne gestion du temps de l’accord passe par un ordre du jour tenable. Il ne faut pas croire que la préparation de la négociation ait un rôle mineur parce qu’elle précède l’examen des sujets à traiter, car elle est déjà une façon de traiter les sujets. Se mettre d’accord sur le temps consacré à tel sujet , en s’octroyant la souplesse nécessaire est déjà traiter du sujet , c’est-à-dire, c’est déjà en prendre soin du sujet et prendre soin de chacun des protagonistes à ce sujet. Il n’est pas indifférent de placer le Temps, c’est-à-dire de le prendre. A contrario, ne pas prendre le temps du sujet, ni soin du sujet à traiter, c’est le maltraiter ; cela augure très mal de la suite ; un négociateur est toujours attentif à ce qui paraît le « préliminaire » parce qu’il sait que l’essentiel y est déjà en jeu

 

c) parité , équité

 

Ce que l’entrée en négociation exige , c’est la parité des protagonistes, car sinon , il n’y a pas d’accord qui tienne. La Loi, à juste titre, met les représentations des salariés à parité juridique avec ses interlocuteurs de la direction, pour, justement être en situation de négocier, en donnant une protection juridique aux membres salariés des délégations, syndicales et même aux représentants non syndicaux. C’est une nécessité, faute de quoi,le rapport de subordination, qui est , on le rappelle , l’état propre et qui qualifie juridiquement le salarié face à l’employeur , fausse tout, puisqu’il n’établit pas une parité, mais une inégalité de principe.

Maintenant, le statut juridique ne suffit pas à définir le cadre de l’équité nécessaire ; tous les éléments peuvent jouer et même ceux auxquels on ne prête que peu d’attention :

– la salle de négociation est elle neutre où est ce la salle « de la direction » ?

– les délégations arrivent elles en même temps ou la délégation syndicale doit elle attendre le bon vouloir de la direction ?

 

-en général les règles de droit définissent comment est constitué l’ordre du jour, mais au-delà de ces règles de droit, l’ordre du jour établit aussi une parité dans le respect des parties et commencer par ne pas le respecter rompt aussi cette parité.

 

L’enjeu est ici déterminant et non pas accessoire : le respect des conditions équitables de la négociation et le respect de la parité des acteurs autour de la table ; il s’agit là des intangibles préalables et qui rendent la négociation réelle et possible. Qui plus est, plus on aura « laisser filer » les conditions préalables et intangibles de l’équité et de la parité de principe, plus les sujets abordés seront maltraités et peu susceptibles d’aboutir à la réalité d’un accord gagnant ; autant la négociation doit être et peut être souple à travers les discussions qu’elle met en jeu, autant le négociateur doit être ferme sur les conditions d’équité et de parité qui la permettent.

 

 

d) ouvrir l’espace de discussion

 

– la méthode retenue pour la négociation doit permettre l’ouverture d’un espace de discussion « libre entre les parties ». C’est la partie créative de chaque partie qui doit pouvoir là s’exprimer ; autrement dit, il doit y avoir un espace de « jeu » dans les deux sens du terme, aménagé dans la négociation : un espace ou les parties peuvent s’essayer à des propositions « pour voir » ce qu’en dit l’autre partie, sans que cela « ne tire à conséquences ». Le mieux est de délimiter « ce temps de jeu »  pour pouvoir mieux le jouer sans peur.

C’est d’ailleurs ce à quoi correspond le jeu dans l’esprit des enfants : « on regarde ce que ça fait, mais ce n’est pas pour de vrai. » Ce temps de « jeu » est la garantie d’une créativité de l’accord in fine ; si les négociateurs n’ont pas le temps « d’inventer à deux », ils n’inventeront rien et seront alors tentés in fine, en guise de pseudo accord, de « couper la poire en deux ».

 

 

  • Techniques de discussion

 

a) faire le point des accords et des désaccords

 

-la discussion doit permettre de « faire le point des accords et des désaccords ». L’idée est de délimiter le plus précisément possible le ou les désaccords, ce qui oblige à préciser les points d’accord y compris et surtout, s’ils ne sont pas explicites.

Par exemple :

Le directeur  « n’est pas d’accord sur le fait de devoir transférer une mission d évaluation des risques au CHSCT, ce qui était demandé par la délégation syndicale . »

Enregistré ainsi, le désaccord « est total ».

En fait et si la délégation avait questionné le directeur sur le point de désaccord, au-delà de la réponse oui/non, il apparaissait que :

« Le directeur n’était pas d’accord pour que le CHSCT seul, soit désigné pour évaluer les risques »

Et même, si la délégation avait encore mieux délimité le champ du désaccord , il serait apparu que :

« Le directeur n’était pas d’accord pour que le CHSCT seul évalue les risques psychosociaux et non pas les autres risques »  etc….

Délimiter les points de désaccord réels consiste donc en un patient travail d’écoute fine pour délimiter, toujours plus, la réalité du désaccord réel pour parfois se rendre compte qu’il est infiniment plus faible que celui  qui était « annoncé »

 

b) faire  progresser la discussion

 

la discussion doit permettre d’avancer par la qualité de l’argumentation . Le  principe d’une discussion progressive est , grâce à l’écoute attentive des arguments de l’autre partie, de rebondir avec les arguments de l’autre partie pour échanger de nouvelles propositions ; c’est ainsi que la discussion progresse.

Par exemple et de manière typique, des propositions pertinentes et permettant de progresser sur le terrain de la flexi-sécurité sont des arguments qui vont reprendre :

        – pour les uns (qui défendent la flexibilité), les arguments de la sécurité pour atteindre la flexibilité souhaitée

        – pour les autres (qui défendent la sécurité), les arguments de la flexibilité pour atteindre la sécurité souhaitée.

             C’est dans la dynamique ainsi créée ,que la part de créativité peut apparaître et non pas dans le « coupage de poire en deux », c’est-à-dire dans le jeu des « contreparties » (auxquels les négociateurs français sont hélas trop habitués, ce qui explique généralement leur peu de créativité commune).

            La bonne discussion conduit aussi moins à des compromis boiteux et plus à l’invention de solutions inédites, ce qui invite à dire que le fait d’en arriver à « couper la poire en deux dans un compromis » est plutôt l’indice d’une mauvaise qualité de discussion que d’une bonne qualité de progression commune dans la discussion ; car pour couper la poire en deux , on n’aurait même pas ,à la limite, besoin de se rencontrer :

« le syndicat voulait 4% d’augmentation de salaire, et la direction, 0% d’augmentation de salaire et  finalement, on a décidé 2% »,est l’indice d’un marché conclu comme dans une bonne foire à bestiaux,  mais pas celui d’une négociation réussie.

« le syndicat est parti sur 4% mais finalement ce sera 1% tout de suite et 5% en janvier ,dés que le chiffre d’affaire repartira grâce à une nouvelle équipe de travail qui sera embauché dés le mois prochain »

est le signe d’une négociation ayant progressé, où personne n’en est resté à sa ligne de départ mais ou personne, non plus, n’ « a coupé de poire en deux » et ou chacun y a gagné :pour cela il aura fallu que la délégation syndicale réalise qu’en fait, la direction n’était pas opposée à une augmentation , mais à une augmentation « immédiate et sans hausse de chiffre d’affaire », ce qui nécessitait de bien « cerner les points de désaccord » (voir plus haut) en amont de l’accord conclu et dénote manifestement  une discussion  approfondie et de qualité entre les deux parties.

 

c) ouvrir des options

 

Ouvrir les options fait partie de la technique de discussion : il s’agit de ne jamais présenter les propositions de manière fermée en choix binaires (ou cela ,ou rien) mais toujours avec des options ouvertes(voici quelles sont les options possibles). Cette technique a de nombreux avantages

–  elle n’accule pas le  partenaire à accepter ou à refuser, mais à choisir

– elle permet à chaque option choisie de se repositionner de manière plus précise et plus fine

– elle ne fait « perdre la face » à personne et n’impose ni frustration excessive, ni  entêtement stérile .

 

  • Facteurs d’image autour de la négociation

 

Qu’on le veuille ou non l’image est présente et les enjeux d’image vont jouer un rôle plus ou moins important dans une négociation ; les enjeux d’image jouent d’autant plus qu’il y a de parties autour de la table, et évidemment, les ignorer serait une méconnaissance grave ; que l’on voit plutôt :

Dans une négociation à 3 acteurs entre la direction (D) et les syndicats (A) et (B)

– D joue son « image » vis à  vis de (A et B)

– A joue son  « image » vis-à-vis de D mais aussi vis-à-vis de B

– B joue son image vis-à-vis de D, mais aussi vis-à-vis de A

             Enfin derrière D, A et B, chacun joue son image vis-à-vis des salariés, avec les effets de concurrence d’image entre D,A et B. .

Ceci complique singulièrement la donne parce qu’évidemment, on ne peut faire l’autruche en pensant que ces effets d’image ne pèsent pas sur la négociation elle même. Il est même certains cas où les effets d’image sont tels qu’ils annihilent toute possibilité d’une réelle négociation, laquelle se transforme alors en un show, moins à cause des caméras pouvant se trouver là, qu’à cause de la situation qui pousse à « se montrer avant tout » à son avantage devant les autres, en les devançant par l’image qu’on veut donner de soi.

On peut prédire sans risque, que devant le perron de Matignon par exemple, quand ministre , syndicalistes et patronat se « montrent négociant à la table des négociations », qu’ils ne négocient rien du tout, sinon leurs postures pour le show qui va suivre.

Les vraies négociations ont lieu ailleurs, là où les effets d’image se tassent un peu.

Comment dés lors, réduire les effets d’image de manière à ne pas perturber le réel travail d’élaboration que nécessite une réelle négociation ?

On pourra s’en tenir à trois principes :

 

– le premier est de prendre soin de ne jamais faire « perdre la face » à qui que ce soit dans ou hors la négociation, car l’effet est immédiat ; cela pousse les enjeux d’image à revenir sur la table à la place des enjeux de la négociation : si c’est la direction elle voudra montrer « qu’elle est forte » et si c’est le ou les syndicats ,ils voudront montrer « qu’ils sont forts et que les salariés les soutiennent » ; l’enjeu de la négociation s’est alors échappé au profit des enjeux d’image.

 

– le deuxième est de valoriser l’action entreprise et non pas ceux qui l’ont entrepris ; la posture de négociateur n’est pas celle d’une « vedette ». Quelque part, la sobriété, pour ne pas dire l’abnégation, est de mise dans cette figure du négociateur, qui doit se retirer lui-même de l’effet de brillance de l’image pour mettre, à sa place, l’importance de l’action et de son résultat.

 

– le troisième est de communiquer sur les positions et sur l’état des actions entreprises lors de la négociation; comme on le sait ,les effets d’image prédomineront d’autant plus qu’aucune information concrète ne circule, notamment vis-à-vis des absents de la négociation, c’est-à-dire les salariés. Il est alors essentiel de communiquer quelque soit l’état des discussions et le plus possible sur un mode objectivant, qui ne remet pas en jeu l’image et ses effets : s’abstenir de critiquer le partenaire ou l’autre pendant la négociation ,mais dire « sobrement mais précisément » quelles sont les positions des uns et des autres, laisse le salarié seul juge (on ne juge pas à sa place) et fait comprendre ce qui se joue ; dés lors les enjeux d’image ainsi que les rumeurs, sont mieux « tenues en laisse ».

 

Ces principes, si on s’y tient, permettent de limiter l’interférence entre les enjeux de négociation et ceux de l’image, ils n’empêchent jamais les enjeux relatifs à l’image de jouer, mais ils joueront alors de façon marginale et non plus essentielle.

 

Et enfin quant à l’objection attendue à l’énoncé de ce type de principes, selon laquelle : « d’accord, mais c’est l’autre  partie en face qui ne respecte pas ces principes et non pas nous »,la réponse sera simple : et alors ? Si l’autre ne les respecte pas, vous, vous montrez déjà votre respect pour vous-même en les appliquant et puis il faut savoir que c’est contagieux de voir face à soi quelqu’un qui se comporte « bien »  lors qu’on se comporte « mal », et que ça donne même des idées en face et que parfois même , de telles idées se propagent, bien malgré eux…….


[1] C’est d’ailleurs un problème que ce soit « celui qui conduit la lutte et qui est efficace en tant que « guerrier », conduise aussi l négociation alors que la figure du négociateur n’ a rien à voir avec celle du guerrier »

CE : comment argumenter pour mieux négocier?

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CE : de l’argumentation à la négociation

 

1°)Enjeux :

 Dans le contexte des attributions économiques du CE, savoir argumenter est crucial, pour plusieurs raisons toutes impliquées dans le cadre juridique de l’action du CE.

 

– la première raison est que lorsque le droit parle de « motivation » (l’avis du CE doit être « motivé ») , il veut dire « argumenté » ; c’est la signification du langage juridique du terme de  motivation.

 

– la deuxième est que si l’avis du CE n’est pas motivé, c’est-à-dire argumenté suffisamment, il y a peu de chance que le CE puisse exercer son « droit de suite » (L2323-3CT) , car que peut répondre l’employeur pour donner suite à un avis non argumenté ?

 

– enfin une autre raison et non des moindres : c’est la qualité de l’argumentation qui permet d’approfondir le dialogue et d’avancer vers des compromis intéressants. A contrario, moins la qualité de l’argumentation est bonne, plus, toutes choses égales par ailleurs, le compromis ou la négociation portant sur le fond sera superficielle et peu novatrice de solutions.

 

2°)Les conditions d’une argumentation de qualité

 

une condition basique indispensable à la qualité de l’argumentation est d’abord et avant tout la qualité de l’écoute qui l’aura précédée.

Meilleure est l’écoute et plus l’argument que vous trouverez sera adéquat au contexte de votre interlocuteur. Réciproquement , moins vous écoutez attentivement votre interlocuteur, et plus votre argument sera « inadéquat » au contexte qu’il vous donne.

 Exemple :

Considérez cet échange :

-Le Directeur : aujourd’hui, je ne suis pas sûr d’avoir le temps d’aborder la question Z, je vous suggère de la remettre à la prochaine séance :

-Réponse A : c’est à l’ordre du jour, et c’est obligatoire de traiter la question Z.

-Réponse B : on gagnera alors du temps en traitant tout de suite la question Z et la question Y  qui, elle, peut être remise à plus tard,  on peut la traiter lors d’une autre séance.

 

B et A ont le même objectif : traiter la question Z tout de suite : seulement B a beaucoup plus de chance d’être « convaincant » pourquoi ? Parce qu’il a entendu le contexte relatif au directeur : la contrainte de temps , et il l’a reprise dans son argumentation alors que A, qui a peut être raison d’un point de vue juridique situe son argument « hors contexte de l’interlocuteur » ; il montre dés lors « qu’il ne l’ a pas écouté » et le dialogue risque de tourner court après deux ou trois « transactions «  du même style .

 La deuxième condition basique pour développer une argumentation solide est de développer une argumentation réelle et d’éliminer tout ce qui n’est pas de l’ordre de l’argumentation, c’est-à-dire :

a)Les transactions dévalorisantes ou disqualifiantes, dont le but n’est pas de donner des arguments, mais de disqualifier l’interlocuteur . Cette pratique est courante ; on peut donner cet exemple

Pierre : je suggère de prendre le parti de donner tout de suite cette information aux salariés

Paul :Pierre, tu es trop jeune au CE pour savoir de quoi tu parles..

Paul en réalité n’a en rien « argumenté ». Il a juste tenté de « disqualifier » Pierre en fonction de sa jeunesse au CE ; ceci n’est pas un argument mais une transaction disqualifiante ou dévalorisante. Les exemples sont innombrables

Exemples de transactions disqualifiantes :

– tu es une femme, tu ne peux pas comprendre

– tu es un homme et les hommes ne comprennent pas que…..

tu es trop vieux pour…

tu es trop jeune pour…

un intérimaire n’a pas l’expérience pour…

un cadre ne sait pas ce que vivent les ouvriers et il ne peut donc….

Les ouvriers ne comprennent pas l’économie et ils ne peuvent donc pas…..

b) D’éliminer également ce qui par ailleurs peut être légitime mais ne constitue pas un argument :

-Les opinions

-Les sentiments

-Les jugements de valeur

Même si les opinions sont fondées, même si les sentiments sont nobles et même si les jugements de valeur nous confortent, ils ne sont aucunement des arguments.

Exemples : « je fais confiance à Nadine pour être trésorière » :c’est sympa pour Nadine et c’est un « bon sentiment », mais ce n’est pas un argument pour confier le poste de trésorière à Nadine, c’est un sentiment (honorable) envers Nadine.

                      «  Je fais confiance à Nadine pour être trésorière car elle a 10 années de comptabilité derrière elle » est un solide argument.

                  On remarque donc sur l’argument quelque chose qui paraît à première vue paradoxal : C’est bien dans la mesure où l’argument donne prise à sa discussion qu’il révèle sa « nature d’argument » .

                   Un sentiment, un jugement de valeur, une opinion ne prêtent pas à la discussion mais « à être du même sentiment, de la même opinion, du même jugement que celui l’ayant émis ou  alors au contraire , à ne pas le partager ».

 Autrement dit, ils prêtent à l’acquiescement ou à la désapprobation, mais pas à une discussion: avoir confiance en Nadine ne se « discute pas en soi » .Certains lui font confiance et d’autres, non; argumenter selon le fait « qu’elle a 10 ans de comptabilité derrière elle » renvoie à une discussion sur le thème : est il nécessaire ou non qu’un trésorier ait une expérience de comptabilité ? Çà se discute et cette discussion est intéressante parce qu’elle permet d’approfondir un profil de poste sans impliquer « la personne de Nadine » en tant que telle .

                 On voit donc apparaître une qualité de l’argument quand il en est vraiment un : il conduit à une discussion objective (et non subjective) qui porte un intérêt en soi en dehors de toute question personnelle. La qualité de l’argument va donc être « de faire avancer une discussion de nature intéressante et objectivante ».

2°)La pertinence de l’argument

 

On va dire qu’un argument est d’autant plus pertinent qu’il est « fort » intrinsèquement et adéquat au contexte que situe l’interlocution.

 

         – force de l’argument : c’est sa capacité logique à soulever l’objection c’est-à-dire de préciser l’objectivité de son contenu

         – adéquation de l’argument : c’est sa capacité à être adéquat au cadre d’interlocution dans lequel il est évoqué

 

On donnera les exemples économiques suivants

 

 1er exemple : le directeur : notre entreprise se porte mal parce que notre secteur va mal

Argument peu adéquat ( précisant peu le contexte) et peu susceptible de préciser l’objectivité d’un contenu : l’entreprise pourrait aller bien, même dans un contexte difficile !

 

2ème exemple : le directeur : notre chiffre d’affaire ayant reculé de 10% cette année, notre entreprise va mal

Argument précisant un peu plus l’objectivité d’un contenu, un peu plus fort que le précédant, mais très peu adéquat, c’est-à-dire imprécis quant au contexte : le bénéfice s’est il accru malgré la baisse du chiffre d’affaires ? La baisse du chiffre d’affaire est elle ponctuelle (juste cette année ?) ou « structurelle » et dure –t-elle depuis plusieurs années ?

 

3ème exemple : le directeur : notre part de marché a diminué de 50% par rapport aux concurrents sur les 5 dernières années, le chiffre d’affaire stagne depuis 3 ans et il n’y a plus de bénéfice mais des pertes depuis 3 ans.

Argument plus adéquat et précisant un contexte dans lequel l’objectivité est plus précise et donc… argument plus pertinent et  donc plus discutable , puisque chacun des points soulevés peut faire l’objet d’une discussion , notamment sur les causes explicatives des faits relevés.

L’argument est donc plus pertinent, car donnant prise à une discussion plus approfondie et plus intéressante

 

3°)De la pertinence de l’argumentation  à la qualité de la négociation

 

Si le préalable à la qualité de l’argumentation est bien la qualité de l’écoute, de même, on soulignera que la qualité de la négociation a bien comme préalable la qualité de l’argumentation.

 

C’est la qualité de l’argumentation réciproque des parties en présence dans la négociation qui rend possible la richesse et la qualité d’une négociation pouvant aboutir à des issues innovantes, notamment.

 

Plus l’argumentation est pertinente et plus les adéquations dans les contextes sont spécifiées , et plus la négociation recèle des ressources potentielles inexplorées jusqu’alors. Le fond des arguments permet ainsi au partenaire de trouver des points d’accords inédits.

Reprenons le troisième exemple d’argument économique ci dessus cité

le directeur :

notre part de marché a diminué de 50% par rapport aux concurrents sur les 5 dernières années, le chiffre d’affaire stagne depuis 3 ans et il n’y a plus de bénéfice mais des pertes depuis 3 ans

 

cet argumentaire laisse en fait beaucoup plus de possibilités de trouver  ce qui va permettre de fonder un accord possible, plutôt qu’avec le premier ou le second argumentaire, pour peu qu’en face , on en saisisse l’opportunité c’est-à-dire qu’on ait « bien écouté ce qui vient d’être dit ».

Car là,par exemple , on pourra « objecter justement » qu’il serait sans doute possible de développer le chiffre d’affaires en recrutant des vendeurs , qu’on peut en espérer une hausse du chiffre d’affaire dans les 6 mois grâce à ce recrutement et que les pertes diminueront en conséquence, en espérant retrouver le bénéfice ultérieurement après un an ou deux maximum.

Si l’argument du directeur n’avait pas été « pertinent »,c’est à dire fort et adéquat , sa réponse, qu’on appellera le contre argument, n’aurait pu l’être non plus. A son tour, cet argument de réponse là peut être contre argumenté, mais sur la base d’une même qualité et pertinence d’argumentaire, qui finit par conduire au « point d’entente possible » dont il faudra ensuite, délimiter le cadre.

                     On peut en déduire deux règles de discussion

– la qualité argumentaire est un cercle « vertueux ». Il est un fait que plus vous augmentez la vôtre et plus , nécessairement, en face, on est obligé de « suivre » et d’augmenter aussi la sienne.

– l’inverse est également vrai : plus votre qualité d’argumentation baisse et plus, en face , vous incitez à la baisser.

                 La première conclusion est imparable : si vous pensez que le niveau d’argumentation est faible dans votre entreprise, vous en êtes autant responsable « qu’en face ».

                 La deuxième imparable conclusion en est aussi que seule l’argumentation, par sa qualité, conduit à la résolution des problématiques et que ce n’est ni la bonne volonté, ni les bons sentiments, ni l’envie de faire plaisir ou de ne pas faire plaisir, qui solutionnent quoique ce soit
Rappelons qu’au moment où les CE vont enfin avoir voie au chapitre sur la discussion concernant les orientations stratégiques de l’entreprise sur les 3 années à venir suite à la loi du 14/06/2013, il est temps de travailler  la pertinence des arguments (économiques notamment) !

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 Sans vouloir prétendre être exhaustif sur cet accord sur la « qualité de vie au travail » il pose toute une série de questions et appelle des remarques nombreuses sur son contenu et sur son esprit.

Pour classer certaines questions et remarques , on les ordonnera d’abord par rubriques, avant de s’essayer à envisager quelques remarques générales sur ce texte et l’esprit qui y préside.

Trois rubriques feront ici l’objet de questionnements

a) la première a une teinte économique et concerne la tranquille certitude des signataires quant à leur affirmation de principe selon laquelle :

« la performance d’une entreprise repose à la fois sur des relations collectives constructives et sur une réelle attention portée aux salariés en tant que personnes », déclaration de préambule à  laquelle on peut ajouter, ce qui suit à la page 8 et qui est le titre même du titre5 de l’ANI à savoir:

 « TITRE V- AMELIORER LA QUALITE DE VIE AU TRAVAIL ET L’EGALITE  PROFESSIONNELLE DANS LE CADRE DU DIALOGUE SOCIAL POUR  CONTRIBUER A RENDRE L’ENTREPRISE PLUS COMPETITIVE »

 

b) la deuxième rubrique non moins susceptible d’attirer les remarques, concerne  « la conciliation entre vie privée et vie professionnelle » ,dont les signataires sont absolument persuadés qu’il s’agit là d’un sujet qui soit pertinent à négocier dans le cadre d’accords sur le travail sans envisager le moins du monde les risques encourus à confondre ce sujet  dans le cadre de négociations englobant l’amélioration des conditions de travail des salariés.

 c) La troisième rubrique, plus juridique peut être , concerne le flou artistique entretenu à propos des « espaces de discussion au travail » avec le cadre de la loi Auroux du 4 Août 1982 qui en prévoyait déjà un et qui n’est déjà que si peu appliquée.

 

 

 

a) compétitivité de l’entreprise et qualité de vie au travail

 

 

Remarque 1 : « la performance d’une entreprise repose à la fois sur des relations collectives constructives et sur une réelle attention portée aux salariés en tant que personnes », affirme en préambule l’ANI ;

est ce là déclaration d’intention, vœu pieux, programme politique ou méthode Couet ?

le problème est justement là ; le type de compétitivité qu’imposent généralement beaucoup d’entreprises est totalement antinomique avec « la qualité de vie au travail » et « la réelle attention portée aux salariés en tant que personnes », et si ce n’était pas le cas d’ailleurs, en quoi aurait on besoin d’un « accord sur la qualité de vie au travail » ?

Sauf à penser, (ce que l’on ne croit pas), que les signataires de l’accord vivent au pays des bisounours, ils commettent là une erreur logique dans la discussion : type d’erreur que nos professeurs de mathématiques n’arrêtaient pas de dénoncer sur nos copies (qui n’étaient pas toujours excellentes) : supposer résolu le problème ,justement, qui se pose : c’est bien parce qu’une certaine conception de la compétitivité amène , par exemple, à exacerber la concurrence salariale et l’isolement du salarié, qu’il y a des problèmes de harcèlement et de stress et de violences et bien parce que le  modèle de « compétitivité » de certaines entreprises se pose, qu’il « y a non respect des salariés en tant que personnes ». Comment dés lors, croire le problème posé déjà résolu et faire comme s’il l’était pour préconiser des solutions ?

Les signataires auraient dés lors peut être été mieux inspirés de partir du constat inverse : le problème de cette conciliation entre la compétitivité et la qualité de vie au travail n’étant pas résolu, voici les pistes que nous suggérons pour faire qu’au niveau des branches , cette problématique soit discutée ( et non pas enterrée).

 

 Remarque 2

Mais pour ce faire ,il n’aurait pas fallu commencer par ce préambule sans appel, page 8 de l’accord, selon lequel « l’organisation du travail est de la seule responsabilité de l’employeur », parce qu’une fois cela dit, il n’y a plus qu’ « à tirer l’échelle ».

S’il est admis d’emblée, que les salariés et leurs représentants, malgré l’ensemble des droits relatifs aux consultations obligatoires de leurs institutions représentatives (CE et CHSCT), par exemple, n’ont pas d’impact sur « l’organisation du travail », à quoi bon alors, espérer un changement de cette organisation pour améliorer les conditions de travail et la qualité de vie au travail ?

En réalité une petite erreur sémantique et juridique s’est glissée là de manière impromptue et bien fâcheuse dans cette petite phrase : non, l’employeur n’est pas le seul responsable de l’organisation du travail, il est seulement le décideur final de cette organisation. Il est par ailleurs civilement et pénalement responsable des conséquences sur la santé physique et mentale des salariés, quant aux effets de l’organisation du travail à travers son obligation de sécurité de résultat.

La confusion entre « responsable, décideur final et l’obligation de droit » est à la limite pardonnable pour des néophytes. Pour des signataires syndicaux à ce niveau de la négociation, on s’interrogera quand même…

Le fait est que les conséquences résultant de l’organisation du travail doivent  être négociées avant la décision finale de l’employeur sur la mise en œuvre de cette organisation, (consultation obligatoire du CE : L2323-27CT  ) et qu’il n’ y a pas de responsabilité juridique quant à l’organisation du travail, mais quant à ses conséquences , dont l’employeur assume, sur la santé des salariés, sa part d’obligations (juridiques).

Autrement dit, l’organisation du travail est l’espace de négociation par excellence ,en ce qu’elle implique en matière de conditions de travail, grâce aux accords d’entreprise, de branche et aux avis consultatifs des instances représentatives du personnel,.

L’employeur est donc « obligé juridiquement» en la matière, de ne pas prendre ses décisions « tout seul » : voilà ce qu’aurait du rappeler l’accord sur la qualité de vie au travail, plutôt que cette phrase malencontreuse qui fait de l’employeur « le seul décideur »de l’organisation du travail.

Car que reste –t-il à négocier si l’employeur décide « seul » de l’organisation du travail ? Implicitement l’ANI donne en fait la réponse : il reste à négocier »tout ce qui est  « à coté » et qui n’a pas d’impact sur l’organisation du travail : la vie privée des salariés par exemple !

 

 

 

 

b) conciliation entre vie privée et vie professionnelle

 

Véritable leitmotiv de cet accord, la conciliation entre « vie privée et vie professionnelle » s’impose et en détermine l’article 11 entier de l’ANI.

À ce sujet, plusieurs remarques.

On va supposer que les signataires , notamment syndicaux, de cet accord sont conscients de ce qu’ils font quand ils invitent ainsi l’entreprise à s’occuper de la vie hors entreprise, c’est-à-dire de la vie privée des salariés ; ils attirent alors trois conséquences peu évitables :

Remarque 1

– la première conséquence,  c’est de détourner l’attention des processus inhérents à l’organisation du travail sur des effets de vie privée qu’un CHSCT ne pourra guère contrôler : les transports SNCF, les conciliations individuelles entre l’employeur et le salarié pour ménager ou aménager tel ou tel arrangement entre vie professionnelle et vie privée seront de toutes façons hors champ de la prévention, telle que la traite un CHSCT : une prévention collective contre les risques liés aux processus organisationnels  et de production, tant sur le plan de la santé physique que mentale et hors champ de l’amélioration des conditions de travail  étant entendu que ce qui est hors entreprise est hors champ de compétence du CHSCT.

Comment un CHSCT pourrait il, par exemple, contraindre un employeur à organiser des navettes entre les domiciles et le travail, par exemple ?  Ou des services facilitant les gardes d’enfants pour les femmes ou les hommes qui le souhaiteraient ?

L’ambiguïté sur le terme « qualité de vie au travail » a, on le craint là encore , fait opérer à un glissement sémantique particulièrement non contrôlé; c’est « au travail » que la qualité de vie doit être « améliorée » et quant à la qualité de vie tout court , désolé de le dire, elle n’est pas de l’ordre d’une prévention au travail ni d’ailleurs d’une négociation sur un tel sujet , la preuve en est  contenue dans notre deuxième remarque.

 Remarque 2 

 

Devinette : qui a qualité pour «  améliorer les conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise ? » et qui est donc à même de traiter de  cet  « équilibre entre vie privée et travail ? »

 Pas besoin d’accord sur la qualité de vie au travail pour trouver la réponse : il s’agit du CE ; et c’est même là la définition des activités sociales et culturelles donnée par la chambre sociale depuis, quand même, le 13 novembre 1975, qui l’énonce ainsi !

Service de billetterie, service de gardiennage , tout service améliorant la qualité de vie au travail et qui facilite « l’équilibre de vie entre la vie privée et le travail »  est en fait ,de l’ordre de « l’activité sociale et culturelle », dont le CE détient le monopole depuis 1945.

Dés lors les négociateurs ont aussi oublié de se faciliter la vie à eux mêmes: ils se seraient mis d’accord pour seulement donner enfin  un minimum légal au budget Activités Sociales et Culturelles du CE- minimum qui n’existe pas aujourd’hui- ( par exemple 2% de la masse salariale) pour gérer cet aspect de la vie des salariés en conciliation de leur vie au travail, cela aurait amélioré la qualité de vie au travail, tout en évitant pas mal de confusions entre amélioration des conditions de travail et amélioration des conditions de vie au travail et éviter  le risque, maintenant, de voir s’engouffrer les employeurs dans cette  brêche devenue béante car ils auront maintenant toute raison de dire : « ne parlons plus de l’organisation du travail,….parlons de la vie privée des salariés et voyons donc comment la faciliter ! »

Remarque 3

 

 Les négociateurs de cet accord, on l’a déjà dit, ne vivent pas au pays des bisounours. Quand ils invitent les employeurs à se mêler de la vie privée des salariés, en oubliant le CE au passage, comme on vient de le voir, ils savent ce qu’ils font :

ils invitent les entreprises et les groupes à bien soigneusement sélectionner les salariés qui « ne vont pas avoir de problèmes de qualité de vie au travail ». Par exemple ceux qui n’ont pas trop de transport et qui ne risquent pas le « stress à cause de la SNCF », ceux qui ont un mode de vie équilibré et qui ne sont pas trop « gros »( preuve de mauvaise alimentation et de mauvaise qualité de vie), ceux évidemment,qui n’auront pas trop de problématiques familiales entraînant des absences dommageables.

Ont-ils déjà remarqué, ces négociateurs, qu’en général le salarié répugnait de trop parler devant son employeur ou sa hiérarchie, de sa vie privée ou personnelle ? Le salarié aurait il par hasard une bonne raison pour cela ? Est-ce réellement judicieux d’entraîner l’employeur « à y regarder de plus près ? » 

Est ce que  de « négocier sur la vie privée des salariés en lien avec la vie au travail » va encourager le droit collectif des salariés dans l’entreprise, ou bien le maquis des aménagements personnels, particuliers  et privés, des conditions spécifiques relatives à chaque « individu »de traiter « son cas personnel en tête à tête avec l’employeur » ?  Les négociateurs ont-ils eu conscience de l’engrenage dans lequel ils s’engouffraient et dans lequel ils engouffraient les salariés derrière eux en négociant sur ce sujet ?

 C)  des espaces de discussion au travail

 

L’article 12 de l’ANI précise : « Ces espaces de discussion s’organiseront sous la forme de groupes de travail entre salariés d’une entité homogène de production ou de réalisation d’un service. Ils peuvent s’organiser en présence d’un référent métier ou d’un facilitateur chargé d’animer le groupe et d’en restituer l’expression et comportent un temps en présence de leur hiérarchie. »

Par ailleurs un paragraphe de l’article 14 de l’ANI indique qu’en cas d’absence d’accord sur ces thèmes :

« En l’absence d’un tel accord, les entreprises resteront liées par les différentes obligations de négocier en vigueur et devront aborder les questions de qualité de vie au travail lors de la négociation annuelle prévue à l’article L.2281-5 du Code du travail relative à l’expression des salariés ».

L’article L2281-5 du code du travail est référé au droit d’expression collective des salariés sur les conditions de travail et fait partie du cadre des lois Auroux ;autrement dit l’ANI indique qu’en l’absence d’accord concret sur la qualité de vie au travail, on se référera au cadre de la loi Auroux du 4 Août 1982, qui oblige à une négociation triennale sur la mise en place du droit d’expression ; seulement il y a deux problèmes :

a) la loi Auroux est beaucoup moins restrictive que le cadre de cet accord qui oblige ainsi (p8)

 « Ces espaces de discussion s’organiseront sous la forme de groupes de travail entre salariés d’une entité homogène de production ou de réalisation d’un service. Ils peuvent s’organiser en présence d’un référent métier ou d’un facilitateur chargé d’animer le groupe et d’en restituer l’expression et comportent un temps en présence de leur hiérarchie ».

On a bien entendu : les salariés s’expriment librement …en présence de leur hiérarchie. Dans sa sagesse, la loi Auroux avait exclu une pareille possibilité en parlant seulement de « conditions spécifiques d’exercice du droit d’expression dont bénéficie le personnel d’encadrement ayant des responsabilités hiérarchiques , outre leur participation dans les groupes auxquels ils sont rattachés du fait de ces responsabilités »( L2281-11CT)

Autrement dit, alors que la loi Auroux permettait à la hiérarchie de bénéficier aussi du droit d’expression dans des groupes spécifiques, l’ANI oblige les salariés « à s’exprimer devant leur hiérarchie ». C’est plus qu’une nuance, c’est un renversement : l’obligation a changé de camp, elle est dans celui des salariés et  la liberté d’expression des salariés est passée où, dans ce «  tour de passe passe »?  

 b)  Mais surtout et c’est là le plus grave, ce dispositif de l’ANI ne reprend pas le dispositif protecteur de la loi Auroux et l’on voit disparaître cette garantie fondamentale qu’elle apportait en son article L2281-3 CT :

«  les opinions que les salariés ,quelque soit leur place dans la hiérarchie, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement »

à la place de cela, on voit ce florilège, page 9 de l’ANI

« Ces modes d’expression mis en place ne doivent pas faire obstacle aux attributions des institutions représentatives du personnel ni au pouvoir hiérarchique du management »

On voit donc que si la hiérarchie est bien protégée par l’ANI du pouvoir du droit d’expression des salariés, le droit d’expression  des salariés ,lui , n’est guère protégé des hiérarchies !

Nous ne voyons qu’une explication pour comprendre comment les négociateurs syndicaux ont pu laissé passer cela : c’était à l’heure de la sieste et ils somnolaient benoîtement…

On est donc revenu en arrière, soyons clair, de la loi  Auroux sur le droit d’expression avec moins de garantie pour les salariés. Mais les négociateurs, que la logique décidément n’étouffe pas, renvoient quand même à la loi Auroux au cas où …aucun accord ne serait signé suite à l’ANI.

C’est pourquoi, là encore, on se contentera de cette minime suggestion, gagneuse de temps et d’énergie pour tous : et si on se contentait d’appliquer la loi Auroux ?

 

Conclusion

 

L’ANI est parti de ce postulat page 3

 « L’intégration de l’égalité professionnelle dans la démarche de qualité de vie au travail permet d’aborder des thèmes étroitement imbriqués mais traités jusqu’alors de façon séparés, afin de les articuler de façon dynamique. Outre le fait que cette approche cloisonnée n’a pas produit tous les effets escomptés, ouvrir la possibilité d’une approche globale doit conduire à davantage d’effectivité pour résoudre les problèmes vécus par les salariés »

 Que signifie cela en réalité? Quelque chose d’assez paradoxal : constatant l’échec assez conséquent des précédents ANI sur le stress, le harcèlement et les violence notamment et du fait de la non obtention de résultats tangibles sur l’égalité professionnelle,on en tire une conclusion curieuse. Au lieu de centrer l’effort sur la discussion autour de l’organisation du travail, des processus de production des biens et des services et de ses conséquences, on va, dans le sens inverse, vers une « généralisation » des problèmes et une visée tous azimuts pour pouvoir les résoudre, comme si en les mixant tous, on allait mieux les solutionner.

Autrement dit, tout se passe comme si on se comportait comme un sauteur à la perche, qui constatant qu’il n’a pu passer les 5m, mettrait la barre à 6 mètres pour le prochain essai ; il y a deux prétextes à cela , mais ils sont mauvais tous les deux :

 

a) le premier est de soit disant « simplifier les négociations » et qu’une négociation « fourre tout » remplace l’ensemble déjà en place : pêle mêle, l’égalité hommes femmes, la qualité de vie, les conditions de travail, les discussions au travail, la NAO etc..cette volonté de simplifier est une féroce illusion basée sur une confusion entre l’administratif (qu’il faut effectivement simplifier au mieux) et le juridique, dont la nature n’est pas d’être simple, mais d’être cohérent et juste, soit ajusté là où il est nécessaire qu’il le soit. C’est évidemment la revendication patronale de « simplifier le droit du travail» c’est-à-dire en fait, de l’abroger derrière un discours de « simplification ». Le droit, par définition n’est pas simple et surtout le droit du travail, qui doit défendre les plus faibles ; les « simplificateurs » de ce droit sont les plus forts, pour qui  ce serait plus simple, en effet, s’il n’existait pas.

 Que le patronat tienne ce discours, on le comprend, pourquoi les syndicats enfourchent ils ce cheval ? En réalité il n’y a aucun intérêt à « simplifier le droit » du point de vue des salariés ; ce n’est tout simplement pas un objectif pour eux.

b) le deuxième est de rendre « holistique » la prise en compte de « l’individu » dans tous ces aspects de vie , lien entre vie privée  et professionnelle compris, voir de le prendre « en tant que tout ».Mais là il y a une lourde confusion ; autant l’individu doit être traité dans tous ses aspects de son individualité, autant un système ne doit surtout pas devenir holistique autour de l’individu. On connaît ce qu’il se passe quand un système se rêve holistique : on appelle cela un système « totalitaire ».

Or incidemment, en prétendant fonder un système holistique qui prenne « tout en compte,  toutes les données , toutes les variables de la qualité de vie de l’ individu au travail et même hors travail» de manière très naïve, c’est vers un « système holistique »  et non pas vers un individu pris en compte de façon holistique que tend un tel système.
Pourquoi ? Parce que c’est à l’individu et non pas « au système » de gérer, y compris les tensions entre vie privée et vie sociale, entre vie familiale et vie au travail, avec l’éventuelle intermédiation déjà existante  du CE par exemple, et que surtout, il n’appartient pas à des négociateurs non habilités à traiter de la vie privée mais de la vie au travail, d’en traiter à la place des individus.

La différence entre un système qui prétend « tout prendre en compte » et un qui s’en tient à la sagesse de n’en rien faire, s’appelle « la liberté » laissée à l’individu de choisir comment il  concilie ses espaces privés et de travail.

Enfin il est clair qu’on ne sautera pas 6m ,sous prétexte qu’on n’a pas pu su sauter 5m ; multiplier le nombre de variables ne simplifie pas l’équation, mais le risque très net est au contraire de diluer le problème fondamental qui ,à tort, est supposé résolu par cet ANI :

 » Comment s’attaquer à l’organisation du travail pour l’infléchir vers d’autres modalités productives que celles qui cassent physiquement et psychiquement les salariés et ne  respectent pas leur intégrité ? »

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 CHSCT

Les multiplicateurs extérieurs de la puissance du CHSCT

 

                 Après avoir passé en revue les moyens en interne de développer la puissance du CHSCT en s’appuyant sur les réseaux internes à l’entreprise, voyons maintenant ce qu’on peut appeler les « multiplicateurs de puissance » à l’extérieur de l’entreprise, au rang desquels on peut mettre le médecin du travail[ l’inspecteur du travail, l’ingénieur ou contrôleur de la CARSAT et l’expert mandaté par le CHSCT,ainsi que les organismes agréés :ANACT,INRS qui techniquement peuvent apporter soutien et aide ; deux remarques préliminaires à ce sujet.

 

1°) On appellera ici les intervenants extérieurs des « multiplicateurs de puissance » et à juste titre, pour deux raisons :

                 a) la première est que si le CHSCT fonctionne à 25% de sa puissance interne, en admettant que l’ensemble des intervenants extérieurs ci-dessus cités aboutissent à multiplier par 2 cette puissance, eh bien le résultat ne dépassera pas….50% !

         Si la puissance interne est de 70%, le résultat sera de 140%

         Si la puissance interne est proche de zéro, le résultat sera ….. ?? on laisse le soin au lecteur de compléter !

b) les CHSCT ont donc compris que tous les intervenants ci-dessus cités ne sauraient se substituer à leurs propres manques et à leurs propres insuffisances, au contraire : moins les CHSCT sont puissants et plus tous ces intervenants seront relativement impuissants !

c) C’est donc dire que le CHSCT, c’est vous, les élus, d’abord et avant tout !

d) C’est enfin dire que tous ces intervenants sont objectivement vos alliés, et là il ne faut pas se tromper ; pour l’expert mandaté par vous, bien sûr, puisqu’il est à votre service, mais aussi pour les autres qui ne « sont pas à votre service » mais qui ont des missions qui recoupent les vôtres. La mission  en partie commune légitime le rapport d’alliance objective entre ces intervenants et vous, c’est ce qui vous met en rapport ; la différence est nette avec la direction : vos alliés objectifs, ce n’est pas la direction (contrairement à ce qu’on vous serine parfois), parce qu’elle a des objectifs différents : sa mission n’est pas de préserver la santé des salariés, car c’est pour elle une obligation et non pas une mission ! La mission de l’employeur n’a jamais été de préserver la santé des salariés, c’est de rentabiliser l’entreprise ! Au contraire s’il ne respecte pas son obligation, vous avez des moyens légitimes d’action à son encontre, notamment celui  de rapporter vos observations à l’inspecteur du travail . Avec la direction vous cherchez des compromis négociés et non pas une « alliance » ; vous devez assumer la confrontation normale avec la direction sur des objectifs différents et assumer l’alliance avec vos alliés objectifs. Avec vos alliés, vous cherchez à améliorer la qualité de l’alliance pour aller ensemble vers la part commune de vos missions respectives ; avec la direction, vous devez assumer et tenir vos positions pour aller dans un sens favorable à vos objectifs. Aussi, pour bien comprendre ces points plutôt que d’énoncer ce qui est connu par ailleurs sur les rôles et missions de ces intervenants, on se centrera sur ce qui n’est jamais explicité ailleurs, à savoir la relation utile pour vous servir de ces intervenants, ce qui n’est pas péjoratif : utiliser n’est pas instrumentaliser et chacun se sent mieux en étant utile, plutôt qu’inutile.
On commencera par le médecin du travail,  puis l’inspecteur du travail et enfin l’ingénieur ou contrôleur CARSAT .

       a) la mission du médecin du travail est  exclusivement préventive (L4622-3CT) ; donc le médecin du travail a exactement le même objet de mission que le CHSCT sur la part préventive avec un objectif de préservation de la santé physique et mentale des salariés. D’autre part, il est l’appui conseil des élus en matière d’amélioration des conditions de travail et de vie dans l’entreprise (R4623-1 al 1). Ceci donne au médecin du travail sa place légitime au CHSCT, mais en plus, dote le CHSCT d’une compétence et d’une puissance d’action qu’il n’aurait certainement pas sans lui. Le médecin du travail est le conseiller des élus, il est aussi doté de pouvoirs propres tels que la proposition de transformations de postes de travail justifiés par l’état de santé des salariés (L4624-1CT). Il peut par ailleurs prescrire toute analyse de substances ou de produits qui lui paraîtrait nécessaire et détermine les aptitudes des salariés avec les réserves éventuelles qu’il convient d’amener. Il est au premier chef impliqué dans la formation à la sécurité qu’il inspire (R4141-6CT). Par ailleurs on rappelle que le médecin du travail, malgré le fait de son contrat de travail(qui dans les grandes entreprises le lie à l’employeur lui-même), n’est néanmoins pas soumis au rapport de subordination à l’employeur, car ses missions ressortent exclusivement de la Loi ; il doit agir en priorité dans l’intérêt de la santé publique et dans celui des personnes et de la sécurité au sein des entreprises ou des collectivités qui l’emploient (R4127-95 code de la santé publique) et ne peut en aucun cas aliéner son indépendance sous quelque forme que ce soit ( R4127-5 code de la santé publique). L’employeur n’a donc pas à juger de ce qu’il fait parce qu’il le fait au nom de sa mission attribuée par la Loi. En outre, le médecin du travail  est un personnel bénéficiant d’une protection juridique, il ne peut être licencié qu’après autorisation de l’inspecteur du travail (L4632-5CT).

                   Le CHSCT doit évidemment s’appuyer sur le médecin du travail et sans vouloir donner quelque conseil que ce soit au médecin lui-même, on notera que de se priver de l’appui du CHSCT pour remplir sa mission serait aussi contre productif pour lui.

Par ailleurs, on note que le médecin dispose de son propre ordre de priorité d’actions à travers la fiche d’entreprise  et que le CHSCT doit pouvoir dialoguer avec le médecin pour comprendre ses priorités et les raisons qui l’amènent à les considérer ainsi.

Le médecin est donc objectivement l’allié du CHSCT et partage une grande part de mission commune avec lui ; la base juridique de cette alliance étant posée que constate-t-on ? Souvent un dialogue insuffisant entre le médecin du travail et les élus ; de la part des élus, constatons qu’ils connaissent plus ou moins bien les prérogatives du médecin et qu’ils n’osent pas toujours le questionner. Ils devraient au contraire passer du temps à le faire et même organiser une rencontre spécifique avec lui  n’est pas du temps perdu, mais sera du temps gagné pour la suite. Il faut poser les questions au médecin du travail; si la réponse parait peu explicite, ne pas hésiter à demander « pourquoi ? »

 

b) l’inspecteur du travail

L’inspecteur du travail a une mission commune avec les CHSCT : « veiller à l’observation des prescriptions légales et réglementaires ».

En matière d’hygiène et de sécurité, sécurité aussi bien dans l’ordre de la santé physique que mentale. L’inspecteur du travail non seulement veille à cette application du droit , mais il veille aussi à ce que l’instance CHSCT soit elle-même respectée dans ses prérogatives ,puisqu’il peut aussi relever une entrave à son fonctionnement s’il constate qu’elle se trouve empêchée d’exercer ses prérogatives ( droit de visite, droit de consultation , droit d’enquête etc.) ;

Bien sûr l’inspecteur est un allié objectif dans la mesure de sa mission commune avec vous de veiller à l’application du droit; dés lors comment aider au mieux l’inspecteur afin qu’il vous aide au mieux ? C’est simple : en parlant la langue commune entre vous ; cette langue a un nom : c’est celle du « constat ». Mieux vous savez constater les faits, les situations, plus vous êtes précis, objectifs, plus vous relevez et consignez les faits avec précision et objectivité et plus vous parlez « la langue de l’inspecteur ». Donc plus il pourra vous relayer , vous appuyer , et utiliser ses puissants moyens,d’ordre pénal si nécessaire, à votre appui ; à l’inverse ,plus vous êtes flous, vagues, ne faisant aucun constat écrit sur votre PV de CHSCT, ne remplissant pas correctement le « registre danger grave et imminent » quand une situation de danger grave et imminent est constaté  et moins l’inspecteur pourra vous aider et moins son action sera ou serait efficace.

Jamais l’inspecteur ne sera à votre place 8heures par jour dans l’entreprise et si vous ne constatez rien de précis et de précisé (enregistré sur PV du CHSCT par exemple) et moins vous jugerez l’inspecteur « efficace »pour constater ce qu’il n’aura peut être constaté qu’une fois, alors que même cela se produit tous les jours mais qu’il n’en sait rien, faute de constats préalables suffisamment précis et circonstanciés de votre part !

 c) ingénieur ou contrôleur de sécurité CARSAT

C’est parmi les 3 intervenants au CHSCT celui qui détient les clefs techniques de l’amélioration des conditions de travail ; quel aménagement futur, quelles techniques utiliser pour construire l’environnement le plus adapté et le moins risqué, selon quels procédés ? C’est donc l’interlocuteur idéal pour discuter de l’amélioration de l’existant et de l’impact des projets de réalisation de l’entreprise comme de nouveaux bureaux, de nouveaux ateliers , de nouveaux quais de chargement de marchandises, de nouvelles lignes de production ;

sachez aussi qu’au-delà du conseil, il dispose d’un pouvoir civil important et qu’il peut majorer ou minorer les cotisations de l’entreprise en fonction, notamment, de la gravité et de la fréquence des accidents du travail et des maladies professionnelles ; il peut aussi faire appel à l’inspecteur du travail pour qu’il utilise si besoin est, son pouvoir pénal à l’appui de ses propres constats ou des injonctions qu’il émet.

                                En définitive ces trois interlocuteurs, qui sont des alliés objectifs , partageant toute ou partie de vos missions, sont vos démultiplicateurs de puissance : si vous savez dialoguer avec le médecin du travail (interroger et écouter), si vous savez constater, dans la langue commune du constat de l’inspecteur et si vous savez projeter avec l’ingénieur sur les conséquences des projets, vous utilisez au mieux les compétences présentes autour de la table ; dés lors votre action et la leur en sort renforcée .

                          Imaginez vous vraiment qu’un tel rapport de forces autour de la table du CHSCT puisse laisser de marbre l’employeur ? Imaginez vous qu’il ne puisse démultiplier votre impact au point que vous soyez enfin réellement écoutés au CHSCT?

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Délégués du personnel et CHSCT : comment travailler ensemble ?

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La mesure de l’efficacité des instances représentatives s’envisage sous deux aspects:

-le premier a trait à la façon dont elles ne se court-circuitent pas et respectent le cadre de leurs missions et de leurs modalités propres à chacune pour y intervenir.

-le deuxième a trait à la façon dont ces instances   produisent ensemble de la synergie, au bénéfice des salariés qu’elles représentent toutes.

Le pire c’est quand les instances représentatives confondent leurs missions et produisent ensemble peu de synergie, et le mieux étant exactement l’inverse.

La situation rencontrée le plus souvent est, hélas, la méconnaissance des missions de chacune, qui les amène à se court circuiter, ou à fonctionner « chacune de leur côté » sans se soucier de fonctionner en synergie.

Ceci est dommageable pour les salariés, dont les membres élus DP et CHSCT sont les représentants.
Entre DP et CHSCT, pour faire un point sur cette question de la synergie efficace, il faut d’abord constater le champ commun sur lequel ces deux instances opèrent : celui de l’hygiène sécurité et des conditions de travail.

D’autre part, il faut envisager l’état d’esprit différent selon lequel ces deux instances travaillent : alors que le CHSCT a  comme mission première la prévention (L4612-3CT)  et l’amélioration des conditions de travail (L4612-1CT), ainsi que l’analyse de ces risques et de ces conditions de travail (L4612-2CT), les délégués du personnel, eux ,ont pour mission de « présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives (L2313-1CT) » relatives à l’ensemble de l’application du droit du travail, conventions et accords collectifs applicables compris.

A partir de ces constats et considérant le champ commun d’action, hygiène, sécurité et conditions de travail, la ligne de frontière des actions ne sera pas celle du champ d’action, mais celle de leurs modalités d’action.

– alors que le CHSCT agit dans un cadre collectif et institué et vise la  prévention par une préconisation efficace et suivie d’effets, après avoir analysé les conditions de travail et les risques professionnels , le DP, lui , agit de manière privilégiée pour  accompagner  les personnes et rapporter   les situations de travail vécues par les salariés ;

-alors que le CHSCT préconise des solutions, le DP traite des réclamations (L2313-1 al 1CT), signale les situations qui font l’objet de réclamations au CHSCT, lui rapporte les observations du personnel (L2313-9CT), accompagne les personnes, au niveau juridique notamment, puisque sa mission d’ensemble le place comme défenseur du droit, aux avants postes de l’inspecteur du travail, auprès de qui, explicitement, il rapporte les plaintes (L2313-1al2CT).

– alors que le CHSCT enquête, analyse les accidents du travail, le DP signale la situation dangereuse et alerte l’employeur, utilisant pour ce faire et si nécessaire son propre droit d’alerte (L2313-2CT)-pourtant généralement si peu utilisé-.

Maintenant que les différentes modalités d’approche des deux instances sur le même champ de mission sont ainsi balisées, voyons ce qui est susceptible de créer la meilleure synergie entre elles.

– tout d’abord il faut partir du constat suivant : quoi qu’il en soit, les DP sont toujours plus nombreux que les élus CHSCT qui, de plus, n’ont pas de suppléant.

-par ailleurs , l’efficacité de l’action d’un CHSCT dépend aussi de ses capacités à mobiliser des réseaux relais dans l’entreprise pour servir les causes légitimes qu’il défend, et notamment celle de la prévention des risques et de la préservation de la santé physique et mentale  des salariés.   

par conséquent quel meilleur réseau relais à priori peut trouver le CHSCT, sinon les DP, nombreux avec les suppléants,  et orientés aussi vers le même champ d’action que lui, l’hygiène sécurité et le respect des normes et lois concernant les conditions de travail ?

C’est évidemment au CHSCT qu’appartient l’initiative de structurer les DP en réseau relais et non l’inverse, car c’est le CHSCT l’instance qui fonctionne de manière collégiale et qui, à ce titre, peut faire inscrire sur un PV de CHSCT des résolutions conduisant à placer les DP en réseau relais.

– par exemple au titre de l’article L1152-6 CT ,pour construire un réseau de médiateurs et de prévention des risques psychosociaux, et notamment du harcèlement moral.

L’efficacité des instances ensemble, soit leur synergie, doit ainsi tenir compte de ce rapport entre les missions considérées d’un point de vue unifiant : globalement,  le CHSCT a la mission cruciale de la prévention et seul, réduit à sa seule force et au petit nombre qu’il est et à son peu d’heures de délégation (2H pour les entreprises de 50 salariés !), il a une efficacité très réduite. Il faut donc impérativement qu’il « démultiplie sa puissance d’action » en trouvant des relais.

Le CHSCT doit donc « mettre les DP à son service »(utile),en leur permettant par là même d’effectuer au mieux leurs missions propres de DP, d’observation des situations de travail auprès des salariés et qui peuvent générer des risques sur la santé physique et mentale, voir des dangers graves.

Les DP disposent pour signaler ces dangers d’un droit d’alerte propre.

Sa mise en oeuvre  n’exige pas forcément le même degré d’imminence  que celui nécessaire au droit d’alerte CHSCT (danger grave et imminent L4131-2CT) pour être utilisé légitimement.

Enfin, cette approche des synergies entre CHSCT et DP serait incomplète, si on ne signalait pas comme tiers participant, au moins deux « partenaires essentiels » du dispositif qu’ils forment, mis à part l’employeur ou ses services, qui n’ont pas eux, de légitimité à représenter le personnel et qui ne défendent pas les mêmes intérêts.

d’abord bien sûr, le CE, dont la compétence en matière d’organisation du travail et sur les conditions de travail le met en rôle de « tour de contrôle » dans la mesure ou, non seulement, il peut « missionner le CHSCT » (L4612-13CT ) mais où encore, il bénéficie de ses avis consultatifs avant de se prononcer lui-même sur tout projet concernant la modification importante des conditions de travail et qui implique à ce titre ces deux instances( L2323-27CT et L4612-8CT).

– et enfin, les « grands oubliés »: les salariés eux mêmes, qui ,à travers le droit d’expression directe sur leurs conditions de travail , Loi Auroux du 4 Août 1982, sont la base de l’action sur leurs propres conditions de travail dont ils ne se contentent d’ailleurs pas de parler, puisqu’ eux aussi ont un droit à la « préconisation » .

il y a donc lieu pour le CHSCT d’harmoniser avec les salariés dans le cadre du droit d’expression, les préconisations qu’il souhaite mettre en oeuvre en leurs noms

On rappellera  donc ce droit de base à tous, mais aussi aux DP et au CHSCT, pour que chacun sache ce qu’il a à faire et puis surtout, pour que personne ni aucun droit ne soit « occulté » :

L2281-2CT :

« L’expression directe et collective des salariés a pour objet de définir les actions à mettre en place pour améliorer leurs conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production dans l’unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l’entreprise »

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Reconnaissance au travail : mais de qui ?

 

Le débat est ouvert : pour certains, la reconnaissance au travail vient du fait de reconnaître le travail lui-même pour ce qu’il est ; pour d’autres, ce sont les salariés qui doivent être reconnus pour leur travail. Pour d’autres enfin, si le salarié a pu effectuer un travail de qualité, alors il se reconnaîtra de lui-même et lui même dans ce travail.

Alors bien sûr, toutes ces options disent quelque chose de vrai. La première, qui énonce que le travail doit être reconnu pour ce qu’il est, énonce que fondamentalement, la nature du travail doit le destiner à une forme de reconnaissance, autrement dit, il doit être visible, reconnaissable, si ce n’est admirable.

Le travail est en soi une valeur et derrière cette option on entend aussi le dicton selon lequel « tout travail mérite salaire» (parce qu’il est travail).
La deuxième n’est pas fausse non plus : derrière le travail, il y a celui ou ceux qui l’effectuent. Ceux qui l’effectuent doivent être reconnus en tant que tels et la reconnaissance, symbolique et/ou monétaire du travailleur,  garantit qu’il en soit ainsi.

La troisième ajoute quelque chose d’intéressant : ne pas oublier que la qualité est l’essence d’une reconnaissance parce qu’elle est valeur en soi partagée ; on déteste ,à juste titre , faire du « mauvais travail » ou être obligé de le bâcler. La reconnaissance du travail se fait donc à travers la reconnaissance d’une qualité de ce travail, intrinsèque et partagée à travers « l’amour du travail bien fait ».

On ne tranchera donc pas entre ces trois options, dont chacune est légitime pour sa part. On remarque cependant qu’aucune ne répond vraiment à la question « qui », c’est-à-dire à la question « qui est supposé reconnaissant du travail ? »

Car à la question « qui reconnaît le travail », on ne saurait, sous prétexte que le travail aurait, de lui-même, une qualité intrinsèque (ce qui est vrai) répondre qu’il suffise que le salarié lui-même le reconnaisse, ou se reconnaisse dans cette qualité. Pourquoi ? Parce que la dimension du travail est sociale avant tout : il est destiné à « l’autre ». Ou comme le disent les psychologues, le travail n’est pas qu’un objet à vocation « narcissique».

A contrario, imaginons un travail énorme effectué par un travailleur qui ne verrait jamais l’objet de son travail réalisé pour quelqu’un d’autre que lui-même. Parlerait on encore de « travail » ou bien déjà de folie, et cela même si son travail est de qualité ,car qui serait à même d’en juger ?

En fait le travail, s’il veut être reconnu, doit être « destiné » à autrui et donc échapper au seul jugement du travailleur.
Mais alors, se pose une question à la quelle ne répondent pas forcément, ni la première, ni la deuxième option:  qui est le « Reconnaissant  » dans la reconnaissance du travail ?

Certains , avec raison, soulignent un phénomène contemporain : l’éperdue soif de reconnaissance ; est ce à dire que ce qui viendrait à manquer aujourd’hui, c’est justement le « Reconnaissant » ? Est ce à dire que ce qui manque c’est la figure « reconnaissante » du travail ,par rapport à cette soif qui devient aujourd’hui aussi éperdue  de reconnaissance  et qui ne trouve nulle part où s’étancher?

Bien sûr, on est tenté face à cette situation de regarder dans deux directions pour trouver la figure reconnaissante du travail:premièrement vers le commanditaire du travail, soit la direction de l’entreprise ou de l’établissement, deuxièmement vers le destinataire du travail, soit le client, le marché ou l’usager de ce travail.

1) Les salariés sont tentés d’attendre de la part de leurs managers ou de leur direction la figure du « Reconnaissant » de leur travail. C’est d’ailleurs ce que les enquêtes montrent : c’est  de la part de leur management, que les salariés attendent, en premier lieu, de la reconnaissance.

. Seulement voilà, il y a là maldonne le plus souvent , et on peut expliquer pourquoi :

Le manager ou le dirigeant, en lui même, ne peut « être la figure du Reconnaissant du travail des salariés » non pas à cause de sa personne, mais à cause de son statut : c’est qu’il est intéressé dans un sens particulier au travail du salarié : il est intéressé par le rendement de ce travail ; il ne peut donc le « reconnaître pour ce qu’il est mais pour ce qu’il vaut sur le marché », ce qui bien sûr, détourne de la reconnaissance pour produire de la « motivation » . La reconnaissance du manager en soi ne peut donc produire qu’une motivation à « faire plus encore » demain qu’il n’a été fait aujourd’hui et à ne« valoriser » le travail que dans cette mesure où le manager distingue le salarié parmi les autres pour valoriser son produit.  La preuve en est que le manager « récompense le travail».

Une petite incidente sur la « récompense »: sans forcer sur l’étymologie, il s’agit là quand même de « re- compenser » et non pas de « reconnaître ».

La récompense est toujours située ailleurs que dans la reconnaissance ; on récompense un enfant par « des bons points », mais c’est une illusion de penser que par là, on le reconnaît par son travail ; au contraire en faisant cela, on annihile la valeur de son travail pour la « compenser » ailleurs et la détourner vers une « récompense ».

Ainsi  annihile-t-on la valeur en soi du travail pour « décorer » le travailleur et affecter sur autre chose cette valeur du travail en la détournant sur une valeur de « compensation » ou de re- compensation ou de récompense ; la récompense ne valorise pas le travail en soi ,elle en donne une contrepartie pour soi.

Alors, bien sûr, les salariés peuvent être satisfaits et même flattés d’être ainsi « distingués et récompensés », mais si c’est par le manager qui a intérêt à ce travail, alors il ne s’agit pas de reconnaissance en réalité, mais d’une « distinction compensatoire et d’une ré-compense ».

La fameuse « médaille du travail »en est un exemple flagrant: elle récompense le travail, quelque soit la valeur intrinsèque du travail effectué et donc ne le reconnait pas, mais le distingue de manière compensatoire.

La question rebondit alors encore : dés lors même que le travail est à destination d’autrui et que sa reconnaissance  est légitime (sinon il pourrait n’être que folie) , et que la récompense n’est pas une reconnaissance, mais qui donc « est le Reconnaissant ? »

Pas le manager ou la direction de l’entreprise en tant que tel, qui, intéressé par la valorisation du travail pour engendrer sa  motivation  , ne peut que le « récompenser »ou « l’encourager » ; alors qui ?

2) Le client comme on l’indique parfois ? Le  succès  du produit qui est vendu sur le marché et qui contient ce travail ?

En vérité, rien non plus, dans le succès du produit ou même dans la satisfaction du client, ne « reconnaît le travail » ,car ce qui est reconnu là , c’est son efficacité et son utilité ,pas ce qu’il est, mais ce qu’il fait ou ce qu’il produit comme effet.

En réalité la reconnaissance du travail ne tient pas essentiellement d’un autre en particulier qui en aurait l’utilité ,mais d’un autre en général qui le salue en tant que tel.

Or ce « autre qui le salue en tant que tel » en s’érigeant en figure du Reconnaissant n’est autre que la « communauté de travail » qui en est la mesure de reconnaissance , parce que ce collectif sait l’apprécier pour ce qu’il est, et non  pas par ce qu’il « vaut sur un Marché », ou par ce qu’il détermine comme motivation,ou détient comme utilité .

– pour un acteur de théâtre, cet autre Reconnaissant s’appelle le « public » (et non pas le succès ou le nombre d’entrées, mais la présence immédiate du public qui reconnaît le travail de l’acteur qui s’effectue devant lui).

– pour un salarié, qui n’a pas de public en vis à vis du travail effectué, cet autre est constitué par ce collectif de pairs et qui s’appelle la « communauté de travail ».

La communauté de travail peut être définie par le collectif qui partage l’expérience au travail dans un échange coopératif des compétences et des savoir faire.

Elle suppose un être ensemble qui construit ensemble.

Ce » Reconnaissant » par destination que constitue la communauté de travail, peut bien sûr être représenté à un moment donné par un seul et pourquoi pas, par le dirigeant de l’entreprise.

C’est pourquoi, quand la direction participe de la communauté de travail, elle peut légitimement reconnaître le travail de chacun  en étant  représentante de tous et de la communauté de travail .

Mais l’on comprendra aussi que cette vertu n’est pas du tout celle qu’on prête aux directions d’entreprise des organisations modernes , dont une des caractéristiques est le turn-over managérial, doublé de leur polyvalence parfaite, puisque la plupart du temps, ils ne connaissent pas le travail du salarié mais se contentent de gérer ce travail, quel qu’il soit : ainsi les managers  contemporains peuvent-ils diriger aussi bien des combinats industriels que des hôpitaux, après être passés dans des cabinets ministériels: que connaissent-ils de la réalité d’un travail auquel ils ne participent pas en fait (contrairement à un patron de PME familiale), mais exploitent, au sens premier du terme?

C’est pourquoi la qualité de la reconnaissance, exprimée par sa direction, dépend en fait de la légitimité de sa position à représenter la communauté de travail, et non pas ses intérêts gestionnaires dans l’exploitation particulière du travail de chacun .

 Or, si les salariés sont  déçus par le manque de reconnaissance de leurs dirigeants , c’est que leurs dirigeants ont en fait  bien souvent perdu cette légitimité qui les instituait au nom de ce collectif de travail, comme des représentants légitimes.

Dans les organisations où les dirigeants eux mêmes ne connaissent pas le travail qu’effectue le salarié, comment pourraient ils s’instituer comme légitimes représentants d’une « communauté de travail », et comment ne décevraient ils pas alors fatalement le besoin de l’être humain de voir son travail reconnu?

Thierry Ponsot

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organisation du travail: repérer le malaise

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Des signes cliniques de malaise dans l’organisation du travail

Peut on décrire, cliniquement parlant, des phénomènes pathologiques qui ressortent de l’organisation du travail?
Autrement dit, peut on parler d’organisation pathologique du travail et en décrire les symptômes visibles chez les salariés sans rejeter la pathologie sur les salariés eux mêmes?
Peut on décrire comment l’organisation du travail fragilise les salariés sans penser, d’abord, que la fragilité est du ressort de salariés fragiles en soi ?

Peut on décrire ,par ses effets ,la pathologie d’une organisation lorsqu’elle imprègne les salariés sans imputer aux salariés la pathologie et les conduire chez le psychologue pour se soigner eux ,et non pas elle?
On utilisera, pour comprendre comment entrer dans une clinique de l’organisation à partir des vécus des salariés une figure connue des analystes transactionnels, et qu’on appelle : « le triangle Persécuteur, Victime, Sauveteur ».
Rappelons le principe de cette figure ; quand un système est pathogène , il fournit l’occasion à ceux qui s’insèrent dans ce système, à « monter sur un triangle » où , quoi qu’ils fassent, ils seront, soit Victimes , soit  Persécuteurs ,soit Sauveteurs .

Le propre du triangle , c’est la faculté de ceux qui circulent sur le triangle  à se retrouver successivement dans une, puis l’autre position, puis la troisième position, dans cet ordre ou dans un ordre différent et à en changer d’ailleurs fréquemment.
La fréquence avec laquelle les acteurs d’une telle scène changent de position (Victime,Persécuteur, Sauveteur) sur le triangle est par ailleurs un bon indicateur du degré de pathologie du système pathogène dans lequel ils se retrouvent, à la fois, emballés et coincés.
Si l’on prend  cet outil d’analyse qu’est le triangle, on se rend assez vite compte qu’il va permettre de situer un certain nombre de  malaises vécus au travail par les salariés souvent sous le terme de « mauvaise ambiance de travail » et dont ceux-ci ne sont pourtant pas l’origine.
Par exemple, ce qui créé malaise dans l’organisation du travail est souvent conséquent à ce qu’on peut appeler « le flou des postes et des fonctions ».
Ce flou est à l’origine de bien des frictions et des conflits répercutés ensuite à des échelons divers des services ou des hiérarchies.

Ce flou des postes , amène alors les salariés qui le subissent à se retrouver dans des situations, soit d’attaque (persécuteur) , soit de défense(victime) , soit de sauvetage (sauveteur), positions qui changent et qui fluctuent suivant les circonstances et les événements .
Il sera dés lors facile à n’importe quel salarié de glisser d’une position de départ – sauveteur par exemple – puis de se retrouver « attaquant», soit persécuteur, et de se mettre du coup, face à la réaction défensive provoqué, en position de « victime » face à ce qu il considérera comme « attaque ».
Par exemple mon collègue me demande de l’aider et je ne refuse pas (je suis sauveteur, mais je ne le sais pas encore). Puis je me rends compte que plus je l’aide en fait, et plus il s’attribue les mérites de ce que je fais pour lui, notamment auprès des collègues et du manager (dans un système concurrentiel entre nous deux, c’est lui ou moi pour la promotion et en plus nos attributions particulièrement floues se chevauchent particulièrement).
Alors au moment où je me rends compte de cela, je cesse de l’aider, forcément. Seulement lui ne le vit pas ainsi : à ses yeux , je suis devenu« persécuteur parce que je suis jaloux de ses progrès. Par conséquent il se défend, c’est-à-dire qu’il m’attaque. Il dit à mon manager que je ne l’aide pas et même , que je lui glisse sans cesse des peaux de banane . Je me sens  alors outragé par ces incroyables accusations et forcément ,je me sens victime à  mon tour. Je suis donc passé par les trois positions ; d’abord sauveteur, puis persécuteur et enfin victime 

Le cycle peut alors recommencer sans qu’il soit conscient. Simplement, dans une telle situation, ce que ressentent généralement les salariés, c’est qu’il y a, décidément, « une bien mauvaise ambiance de travail » !
Pour maintenant commencer de comprendre cette « bien mauvaise ambiance de travail », on invitera chaque salarié ayant ressenti cela à se poser cette simple question : combien de fois, dans cette « mauvaise ambiance », sont ils passés d’une position à l’autre , entre la sensation d’être victime, celle ou ils « ont voulu sauver la situation », et, celle ou ils ont « attaqué » l’un ou l’autre (sans le vouloir) ,au gré des événements et des circonstances ?
Ils ont peut être alors cru, de bonne foi, que tout cela était dû à eux ,ou bien à un simple conflit interpersonnel, mais en réalité, qu’ils regardent de plus près et qu’ils notent le nombre de fois ou de pareilles situations se sont reproduites .
Est-ce alors seulement le fruit d’une  coïncidence ? Peuvent ils continuer à croire alors qu’il s’agirait seulement de conflits interpersonnels, d’incompatibilité d’humeur ou alors, d’un manque de chance sidérant et qui se reproduirait malencontreusement à chaque fois?
En réalité , ce que les salariés sont tentés de qualifier sous le terme de « mauvaise ambiance de travail » recouvre un symptôme clinique de l’organisation qu’ils n’ont juste pas toujours les moyens de déceler, souvent pas les moyens de nommer, et pratiquement pas les moyens de contextualiser à sa juste place, c’est-à-dire au niveau organisationnel d’où il tient son origine.

Pourtant le fait ,déjà ,de savoir en repérer les signaux du malaise sous forme de répétition systématique de situations de conflits, ou d’incompréhension caractéristique, ou d’impasse systématique de communication, leur ferait franchir un grand pas.

Car si un conflit épisodique et ponctuel ne signe pas ,en soi, la présence d’un malaise organisationnel, il est clair que la répétition, la fréquence, l’étendue ainsi que la gravité de tels conflits, sont eux, symptomatiques du niveau organisationnel qui détermine leur occurrence d’apparition.
Les contextes organisationnels déterminants de l’ambiance  délétère d’une organisation peuvent être variés et multiples, n’empêche qu’il est d’abord essentiel d’en comprendre le signal comme étant un signal d’une problématique organisationnelle, et non pas seulement comme signalant des problématiques personnelles ou interpersonnelles. 
Pour cela, en répondant à ces cinq questions, le salarié pourra déjà se faire une idée pour son entreprise ou son établissement :

1°) les conflits entre salariés sont ils fréquents et concernent ils un ensemble de salariés à priori très divers?

2°) la concurrence salariale est elle encouragée par des notes de service ou des systèmes de prime ou de promotion « au mérite » ou « à la performance » ? S’accompagne –t-elle d’un flou des tâches, des fonctions et des rôles de chacun ?

3°) Existe –t- il un collectif salarié suffisamment cohérent et autonome pour donner un sentiment de soutien à l’ensemble des salariés ? (DP, CE, CHSCT, syndicat?)

4°) Les délégués du personnel jouent ils le rôle d’accompagnement des salariés qu’ils devraient avoir, en accompagnant les salariés individuellement, notamment dans la défense du droit et des libertés dans l’entreprise ?

5°) Existe-t-il des lieux tiers et médiateurs dans l’entreprise ou l’établissement, où sont discutées par les salariés eux mêmes les normes et les conditions de travail, des lieux comme les groupes de supervision et/ ou alors des groupes d’expression directe des salariés sur les conditions de travail , juridiquement sécurisants pour les salariés qui viennent à s’y exprimer, comme l’offre la loi Auroux du 4 Août 1982 sur le droit d’expression collective des salariés sur leurs conditions de travail?

Très clairement, si les réponses aux 3 dernières questions sont négatives et que les réponses aux deux premières sont positives, toutes choses égales par ailleurs , on peut en déduire qu’un signal du symptôme organisationnel du malaise est bien allumé pleins feux!

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La formation du CHSCT et ses enjeux

CHSCT

une formation « de droit »

On rappellera en premier lieu que la formation des membres élus du personnel au CHSCT est de droit.

Est ce à dire qu’elle soit « obligatoire », comme on l’entend souvent dire ?
Non et il y a une sérieuse différence entre ce qui est obligatoire et ce qui est de droit. Quand une obligation n’est pas respectée, il y a une sanction, au moins civile. Or l’employeur n’a nullement l’obligation de former les membres élus CHSCT ; par contre, si ceux-ci demandent une formation, l’employeur ne peut refuser que dans certaines conditions définies par la loi, car cette formation est de droit pour les élus.

Aucun inspecteur du travail ne viendra donc sanctionner un employeur qui « n’aura pas formé les élus du CHSCT », mais il pourra sanctionner les refus injustifiés de ce dernier d’envoyer les élus CHSCT en formation, alors que ceux-ci en auraient fait la demande dans les conditions prévues par la loi et les règlements en vigueur (R4614-30, 31,32 CT) .

Ceci est d’ailleurs compréhensible : car obliger l’employeur à former les élus (comme c’est le cas pour la formation à la sécurité sur la base de l’article L4121-1 CT), serait obliger, ipso  facto, les élus à suivre la formation. Or la formation CHSCT est un droit pour les élus et non pas …une obligation pour eux !

Que faut il en conclure ? Déjà ceci :

élus du CHSCT demandez votre formation indispensable pour effectuer votre mandat !

Par ailleurs quand on sait que le mandat CHSCT est court (2 ans : R4613-5CT), on réalise qu’il ne vaut mieux pas attendre 18 mois et réaliser son stage de formation seulement en fin de mandat.

Le contenu des formations CHSCT

 

Ce contenu est encadré par les articles R4614-21 à 24 CT. Il est intéressant de s’arrêter sur l’article R4614-21 CT qui en définit l’objectif :

«  1°) développer leur aptitude (des élus CHSCT) à déceler et à mesurer les risques professionnels et leur capacité à d’analyse des conditions de travail 

   2°) initier aux méthodes et procédés à mettre en œuvre pour prévenir les risques professionnels et améliorer les conditions de travail ».

En principe donc, la formation de base de tout CHSCT devrait être axée sur ces objectifs qui, tous, on le remarquera, visent à ce que les élus acquièrent une certaine autonomie d’analyse (que ce soit dans l’évaluation des risques ou dans l’analyse des conditions de travail).

Ces objectifs sont d’ailleurs totalement cohérents avec les missions du CHSCT, qui précisent clairement que le CHSCT « analyse les risques professionnels, analyse les conditions de travail et contribue à la prévention des risques et à l’amélioration des conditions de travail ( L4612- 1,2 et 3CT) ».

Or, que peut on constater la plupart du temps ?

  • Qu’ils sont bien rares les élus qui disposent de moyens réels d’analyse des conditions de travail et des risques professionnels à l’issue des formations et qui les mettent en pratique.
  • Qu’ils sont bien rares les élus CHSCT ne s’en remettant pas quasi exclusivement, soit au service hygiène sécurité de l’entreprise( quand il y en a un), soit éventuellement et dans les cas prévus par la loi (L4614-12 CT) à l’expert extérieur,  soit à l’employeur, pour réellement participer à l’analyse (des risques, ou des conditions de travail). La plupart du temps ,ils se contentent de constater les risques ou de constater les conditions de travail  ou alors, ils  traitent des plaintes et réclamations émanant des salariés concernant l’hygiène sécurité  et les conditions de travail, (empiétant alors en plus sur le rôle des délégués du personnel dont c’est pourtant  la mission.- L2313-1CT).
  • En fait peu de CHSCT arrivent au niveau de l’analyse, au point de pouvoir faire prévaloir leur propre préconisation, car l’enjeu est là : qui sait analyser de façon autonome est beaucoup plus entendu pour ensuite préconiser, autrement dit : le savoir est une condition du « pouvoir ».
  •  en ce sens ,  savoir analyser  est une condition du pouvoir de préconiser de façon pertinente et de pouvoir être entendu dans ses préconisations.

De ce point de vue « constater ou même décrire les risques ou les mauvaises conditions de travail, ou s’en plaindre ou réclamer à leurs propos » ne suffit pas ; il faut savoir les analyser (avec une certaine autonomie)  pour ensuite « être écouté », voir « entendu » et surtout suivi dans ses préconisations !

Comment alors expliquer cette situation d’écart entre les objectifs de formation désignés par la loi et la réalité du rôle que joue le CHSCT, constatée sur le terrain ?

Trois pistes

– la première, c’est que les formations  de base dispensées ne respectent que peu les objectifs désignés par la loi, et donc seraient peu adéquates à son ambition de voir un CHSCT autonome dans ses capacités d’analyse.

– la deuxième, c’est que ces formations sont trop courtes : 3 jours pour les moins de 300 salariés (R4614-24CT) et 5 jours pour les plus de 300 salariés (en référence à l’article L2325-44 CT).

– la troisième, c’est que l’attitude et la posture de l’élu CHSCT ne sont pas suffisamment clarifiées pendant sa formation initiale  et que l’élu CHSCT « ne voit pas le lien entre sa mission et ce qu’on lui  a appris en formation ».

Nous laissons le soin aux élus CHSCT d’évaluer la ou les bonne pistes, mais l’expérience de plus de vingt années de formation en tant que formateur de CHSCT, nous conduira , quant à nous, à cocher un peu les trois, en insistant  d’abord sur la troisième  : il ne sert à rien de donner « du bagage technique  pour analyser», si ce n’est à le relier de manière forte à la réalité des missions et à la nécessité, pour l’ élu CHSCT, de comprendre l’originalité de la posture qu’elle engage ; et si ce n’était un peu grandiloquent, on dirait même que ce dont il est question pour lui, c’est d’acquérir « la culture CHSCT ».

De ce point de vue et cela rejoint la deuxième piste: trois ou cinq jours  de formation demeurent insuffisants (comme est sans doute insuffisant un mandat d’élu CHSCT de deux ans), si ce n’est à renouveler la formation ; pas seulement à cause des changements technologiques de l’entreprise, comme le prévoit la réglementation (R4614-23CT), mais pour complémenter et renforcer la culture CHSCT , grâce à l’expérience du mandat que l’élu vient de vivre.

Autrement dit, il faut une durée d’expérience dans ce mandat pour qu’il soit possible ensuite de référer cette expérience à la « culture CHSCT ».

Spécificité de la « culture CHSCT »

                         Il faut donc des « rappels » de formation, comme des rappels de vaccin, car l’attitude ou la posture d’élu au  CHSCT n’est pas innée et comporte des spécificités par rapport à d’autres missions d’élus, aussi importantes peut être, mais peut être pas aussi « originales » ou novatrices dans l’ensemble de la culture des « représentants du personnel », notamment en considérant ces points.

– l’instance CHSCT est la seule instance « experte » de toutes les instances de représentant du personnel. En effet, qui est appelé à « analyser sinon un expert ? »

– l’instance CHSCT est la seule instance clairement appelée à collaborer avec un nombre et une variété importante d’intervenants sur le même champ que lui ou sur des champs connexes, par exemple : outre l’employeur et le service interne hygiène et sécurité, l’inspecteur du travail, le médecin du travail, l’ingénieur ou contrôleur de la CARSAT, mais aussi  et encore peut être les groupes « qualité » opérant dans l’entreprise, ou peut être encore des « groupes de pilotage (COPIL) d’action de prévention ou de qualité, sans oublier bien sûr ,les DP et le CE et les organismes externes de prévention.

Par conséquent,  le CHSCT est particulièrement destiné aux interfaces, avec les chances que cela occasionne de voir, grâce à ces interfaces, démultiplier sa puissance d’impact, mais aussi, le risque que cela occasionne, de se voir noyé sous la masse des intervenants qui opèrent sur le même champ ou sur un champ qui lui est connexe (comme celui de la qualité par exemple).

– le champ spécifique sur lequel le CHSCT intervient : la prévention notamment, lui donne un impact particulièrement sensible, parce que ce champ touche chaque salarié  dans la préservation de  sa santé physique et mentale et aussi, parce qu’il y  là une enjeu considérable avec derrière, des pressions, notamment judiciaires, considérables pour l’employeur, vue son obligation de sécurité de résultat : l’obligation , pour l’employeur de tout faire pour que le résultat de la sécurité pour ses salariés soit atteint , et non pas de se contenter que des moyens soient mis en oeuvre  pour cela (obligation de moyen seulement).

le CHSCT est donc au cœur d’enjeux importants, d’où il peut sans doute le plus pour les salariés qu’il représente légitimement [1], mais d’où aussi il est plus susceptible d’être le plus mis à l’écart par ceux qui le trouvent décidément bien encombrant et qui aimeraient « se passer de lui ».

Plus que les autres élus, les élus CHSCT sont  donc soumis aux tentatives de noyade ou de débordement de leur instance, qu’ils ont du mal à faire respecter en tant qu’instance,  alors qu’individuellement chaque élu peut parfois faire l’objet de cajolerie, de séduction, mais souvent au prix d’une mise à l’écart de l’instance qu’il représente[2].

La différence entre les deux situations extrêmes, celle où le CHSCT est le plus puissant au service de la santé des salariés et de l’amélioration de leurs conditions de travail et celle où il est impuissant , mis à l’écart, résidera  cependant moins dans la crainte qu’il peut inspirer que dans la compétence par laquelle il peut s’imposer.

C’est pourquoi l’enjeu de formation est, pour lui notamment, particulièrement déterminant.

Thierry Ponsot


[1] Même s’il n’est pas directement mais indirectement élu

[2] Ainsi une habituelle et très courante  pratique des entreprises est de solliciter l’avis d’un membre du CHSCT et de passer par-dessus l’instance CHSCT pour ensuite déclarer que « le CHSCT a donné son aval »

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