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Reconnaissance au travail : mais de qui ?

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Le débat est ouvert : pour certains, la reconnaissance au travail vient du fait de reconnaître le travail lui-même pour ce qu’il est ; pour d’autres, ce sont les salariés qui doivent être reconnus pour leur travail. Pour d’autres enfin, si le salarié a pu effectuer un travail de qualité, alors il se reconnaîtra de lui-même et lui même dans ce travail.

Alors bien sûr, toutes ces options disent quelque chose de vrai. La première, qui énonce que le travail doit être reconnu pour ce qu’il est, énonce que fondamentalement, la nature du travail doit le destiner à une forme de reconnaissance, autrement dit, il doit être visible, reconnaissable, si ce n’est admirable.

Le travail est en soi une valeur et derrière cette option on entend aussi le dicton selon lequel « tout travail mérite salaire» (parce qu’il est travail).
La deuxième n’est pas fausse non plus : derrière le travail, il y a celui ou ceux qui l’effectuent. Ceux qui l’effectuent doivent être reconnus en tant que tels et la reconnaissance, symbolique et/ou monétaire du travailleur,  garantit qu’il en soit ainsi.

La troisième ajoute quelque chose d’intéressant : ne pas oublier que la qualité est l’essence d’une reconnaissance parce qu’elle est valeur en soi partagée ; on déteste ,à juste titre , faire du « mauvais travail » ou être obligé de le bâcler. La reconnaissance du travail se fait donc à travers la reconnaissance d’une qualité de ce travail, intrinsèque et partagée à travers « l’amour du travail bien fait ».

On ne tranchera donc pas entre ces trois options, dont chacune est légitime pour sa part. On remarque cependant qu’aucune ne répond vraiment à la question « qui », c’est-à-dire à la question « qui est supposé reconnaissant du travail ? »

Car à la question « qui reconnaît le travail », on ne saurait, sous prétexte que le travail aurait, de lui-même, une qualité intrinsèque (ce qui est vrai) répondre qu’il suffise que le salarié lui-même le reconnaisse, ou se reconnaisse dans cette qualité. Pourquoi ? Parce que la dimension du travail est sociale avant tout : il est destiné à « l’autre ». Ou comme le disent les psychologues, le travail n’est pas qu’un objet à vocation « narcissique».

A contrario, imaginons un travail énorme effectué par un travailleur qui ne verrait jamais l’objet de son travail réalisé pour quelqu’un d’autre que lui-même. Parlerait on encore de « travail » ou bien déjà de folie, et cela même si son travail est de qualité ,car qui serait à même d’en juger ?

En fait le travail, s’il veut être reconnu, doit être « destiné » à autrui et donc échapper au seul jugement du travailleur.
Mais alors, se pose une question à la quelle ne répondent pas forcément, ni la première, ni la deuxième option:  qui est le « Reconnaissant  » dans la reconnaissance du travail ?

Certains , avec raison, soulignent un phénomène contemporain : l’éperdue soif de reconnaissance ; est ce à dire que ce qui viendrait à manquer aujourd’hui, c’est justement le « Reconnaissant » ? Est ce à dire que ce qui manque c’est la figure « reconnaissante » du travail ,par rapport à cette soif qui devient aujourd’hui aussi éperdue  de reconnaissance  et qui ne trouve nulle part où s’étancher?

Bien sûr, on est tenté face à cette situation de regarder dans deux directions pour trouver la figure reconnaissante du travail:premièrement vers le commanditaire du travail, soit la direction de l’entreprise ou de l’établissement, deuxièmement vers le destinataire du travail, soit le client, le marché ou l’usager de ce travail.

1) Les salariés sont tentés d’attendre de la part de leurs managers ou de leur direction la figure du « Reconnaissant » de leur travail. C’est d’ailleurs ce que les enquêtes montrent : c’est  de la part de leur management, que les salariés attendent, en premier lieu, de la reconnaissance.

. Seulement voilà, il y a là maldonne le plus souvent , et on peut expliquer pourquoi :

Le manager ou le dirigeant, en lui même, ne peut « être la figure du Reconnaissant du travail des salariés » non pas à cause de sa personne, mais à cause de son statut : c’est qu’il est intéressé dans un sens particulier au travail du salarié : il est intéressé par le rendement de ce travail ; il ne peut donc le « reconnaître pour ce qu’il est mais pour ce qu’il vaut sur le marché », ce qui bien sûr, détourne de la reconnaissance pour produire de la « motivation » . La reconnaissance du manager en soi ne peut donc produire qu’une motivation à « faire plus encore » demain qu’il n’a été fait aujourd’hui et à ne« valoriser » le travail que dans cette mesure où le manager distingue le salarié parmi les autres pour valoriser son produit.  La preuve en est que le manager « récompense le travail».

Une petite incidente sur la « récompense »: sans forcer sur l’étymologie, il s’agit là quand même de « re- compenser » et non pas de « reconnaître ».

La récompense est toujours située ailleurs que dans la reconnaissance ; on récompense un enfant par « des bons points », mais c’est une illusion de penser que par là, on le reconnaît par son travail ; au contraire en faisant cela, on annihile la valeur de son travail pour la « compenser » ailleurs et la détourner vers une « récompense ».

Ainsi  annihile-t-on la valeur en soi du travail pour « décorer » le travailleur et affecter sur autre chose cette valeur du travail en la détournant sur une valeur de « compensation » ou de re- compensation ou de récompense ; la récompense ne valorise pas le travail en soi ,elle en donne une contrepartie pour soi.

Alors, bien sûr, les salariés peuvent être satisfaits et même flattés d’être ainsi « distingués et récompensés », mais si c’est par le manager qui a intérêt à ce travail, alors il ne s’agit pas de reconnaissance en réalité, mais d’une « distinction compensatoire et d’une ré-compense ».

La fameuse « médaille du travail »en est un exemple flagrant: elle récompense le travail, quelque soit la valeur intrinsèque du travail effectué et donc ne le reconnait pas, mais le distingue de manière compensatoire.

La question rebondit alors encore : dés lors même que le travail est à destination d’autrui et que sa reconnaissance  est légitime (sinon il pourrait n’être que folie) , et que la récompense n’est pas une reconnaissance, mais qui donc « est le Reconnaissant ? »

Pas le manager ou la direction de l’entreprise en tant que tel, qui, intéressé par la valorisation du travail pour engendrer sa  motivation  , ne peut que le « récompenser »ou « l’encourager » ; alors qui ?

2) Le client comme on l’indique parfois ? Le  succès  du produit qui est vendu sur le marché et qui contient ce travail ?

En vérité, rien non plus, dans le succès du produit ou même dans la satisfaction du client, ne « reconnaît le travail » ,car ce qui est reconnu là , c’est son efficacité et son utilité ,pas ce qu’il est, mais ce qu’il fait ou ce qu’il produit comme effet.

En réalité la reconnaissance du travail ne tient pas essentiellement d’un autre en particulier qui en aurait l’utilité ,mais d’un autre en général qui le salue en tant que tel.

Or ce « autre qui le salue en tant que tel » en s’érigeant en figure du Reconnaissant n’est autre que la « communauté de travail » qui en est la mesure de reconnaissance , parce que ce collectif sait l’apprécier pour ce qu’il est, et non  pas par ce qu’il « vaut sur un Marché », ou par ce qu’il détermine comme motivation,ou détient comme utilité .

– pour un acteur de théâtre, cet autre Reconnaissant s’appelle le « public » (et non pas le succès ou le nombre d’entrées, mais la présence immédiate du public qui reconnaît le travail de l’acteur qui s’effectue devant lui).

– pour un salarié, qui n’a pas de public en vis à vis du travail effectué, cet autre est constitué par ce collectif de pairs et qui s’appelle la « communauté de travail ».

La communauté de travail peut être définie par le collectif qui partage l’expérience au travail dans un échange coopératif des compétences et des savoir faire.

Elle suppose un être ensemble qui construit ensemble.

Ce » Reconnaissant » par destination que constitue la communauté de travail, peut bien sûr être représenté à un moment donné par un seul et pourquoi pas, par le dirigeant de l’entreprise.

C’est pourquoi, quand la direction participe de la communauté de travail, elle peut légitimement reconnaître le travail de chacun  en étant  représentante de tous et de la communauté de travail .

Mais l’on comprendra aussi que cette vertu n’est pas du tout celle qu’on prête aux directions d’entreprise des organisations modernes , dont une des caractéristiques est le turn-over managérial, doublé de leur polyvalence parfaite, puisque la plupart du temps, ils ne connaissent pas le travail du salarié mais se contentent de gérer ce travail, quel qu’il soit : ainsi les managers  contemporains peuvent-ils diriger aussi bien des combinats industriels que des hôpitaux, après être passés dans des cabinets ministériels: que connaissent-ils de la réalité d’un travail auquel ils ne participent pas en fait (contrairement à un patron de PME familiale), mais exploitent, au sens premier du terme?

C’est pourquoi la qualité de la reconnaissance, exprimée par sa direction, dépend en fait de la légitimité de sa position à représenter la communauté de travail, et non pas ses intérêts gestionnaires dans l’exploitation particulière du travail de chacun .

 Or, si les salariés sont  déçus par le manque de reconnaissance de leurs dirigeants , c’est que leurs dirigeants ont en fait  bien souvent perdu cette légitimité qui les instituait au nom de ce collectif de travail, comme des représentants légitimes.

Dans les organisations où les dirigeants eux mêmes ne connaissent pas le travail qu’effectue le salarié, comment pourraient ils s’instituer comme légitimes représentants d’une « communauté de travail », et comment ne décevraient ils pas alors fatalement le besoin de l’être humain de voir son travail reconnu?

Thierry Ponsot

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8 commentaires

  1. […] notion d’expérience au travail est donc aussi inséparable d’une forme de reconnaissance du travail , de sa qualité et d’un environnement capable d’en apprécier la valeur […]

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