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La nouvelle consultation du CE prévue par la loi du 14 juin 2013 sur les orientations stratégiques de l’entreprise et ses conséquences

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On distinguera utilement 3 conséquences à cette nouvelle consultation :

a) la première a trait au droit de la consultation. Cette loi, peut permettre de mieux assurer le CE de l’exercice effectif de toutes les prérogatives qu’il tient du droit de la consultation en général.

b) la deuxième conséquence , c’est de pouvoir changer le rapport entre le CE et les salariés, le CE jouant dés lors plus utilement son rôle de prévention, au sens où il pourra mieux informer les salariés sur ce qui les attend et sur les options dont ils peuvent disposer.

c) la troisième est le changement de rapport que cette loi introduit entre organes dirigeants (Conseil d’Administration par exemple) et CE, en instituant un dialogue direct entre eux, sans passer par le management de l’entreprise.

Pour commencer, rappelons, en premier lieu, les termes de la loi concernant cette consultation nouvelle prévue à  l’article L2323 7-1 CT:

« Chaque année, le comité d’entreprise est consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise, définies par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages.

Le comité émet un avis sur ces orientations et peut proposer des orientations alternatives. Cet avis est transmis à l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, qui formule une réponse argumentée. Le comité en reçoit communication et peut y répondre…»

D’abord,  soulignons la nouveauté de la loi qui institue là une perspective d’anticipation pour le CE sur les décisions à venir de l’employeur. Cette visibilité sur l’avenir est d’autant plus nécessaire quand on connaît les conditions actuelles dans lesquelles s’effectuent la plupart des consultations pour le CE : bien souvent, ces consultations, qui devraient requérir des informations écrites et précises ( L2323-4CT ) avant que le CE ne se prononce par un avis définitif, sont faites à la hâte , au dernier moment et par conséquent, se résument souvent à une simple procédure « d’information » pour lesquelles l’avis du CE ne sert que de prétexte à entériner un fait déjà accompli, selon la décision déjà prise au préalable par l’employeur. Autrement dit, cette procédure permet rarement au CE de jouer son rôle de « contre-proposition ». Le CE donne un avis « positif » tant mieux, il donne un avis négatif, l’employeur passe outre et c’est ainsi qu’il ne reste que peu d’espace à une réélaboration collective de la décision de l’employeur, notamment sur ses conséquences sur l’emploi, la formation , l’organisation du travail et celui des conditions de travail, domaine pour lesquels le CE est légitime, et donc juridiquement compétent, pour intervenir au nom des salariés qu’il représente en donnant son avis.

De ce point de vue, on peut espérer à travers cette consultation sur les orientations stratégiques une plus grande anticipation du CE sur les décisions qui risquent d’être prises dans les mois ou les années à venir et donc, on peut entrevoir deux effets qui peuvent directement impacter le CE , notamment dans ses rapports avec les salariés.

1°) le CE devrait pouvoir, grâce à cette consultation sur les orientations stratégiques, se faire une idée plus précise des alternatives et options qu’il pourra proposer en face des projets de l’employeur : il bénéficiera (enfin) de temps pour les anticiper. Il pourrait donc, grâce à cette anticipation, mieux préparer les futures consultations qui en seront les conséquences et par conséquent, être plus précis dans ses demandes d’informations préalables à l’employeur et surtout, plus pertinent dans la motivation de ses avis consultatifs [2].
Prenons l’exemple de la formation professionnelle continue, domaine important de la veille du CE, et sur lequel, on le rappelle, il possède non seulement le droit de consultation, mais aussi celui d’initiative (L 2323-1al 2CT ). En anticipant stratégiquement quelle sera l’évolution dans les trois années à venir l’évolution des métiers dans l’entreprise grâce à cette consultation , en la rapportant à celle sur les orientations professionnelles qui a lieu annuellement ( L2323-33CT) , le CE aura en main l’ensemble des outils de prospective suffisamment tôt à l’avance pour préparer activement ses propositions concernant ,notamment, la double consultation annuelle sur l’exécution du plan précédant et sur le projet de plan de formation (L2323-34CT ).

Du coup et en l’absence de propositions suffisamment pertinentes et convaincantes de l’employeur sur le plan de formation de l’année suivante, le CE pourra pousser ses propositions alternatives de manière beaucoup plus argumentée et en connaissance de cause, puisqu’il s’appuiera sur les perspectives stratégiques de l’entreprise, et il deviendra alors de plus en plus difficile à l’employeur d’expliquer pourquoi il refuserait ses propositions aussi dûment étayées (et qui vont dans le sens de l’avenir que l’entreprise elle-même projette).

2) Le deuxième effet, engendré par le premier, s’avère alors déterminant : mieux armé pour anticiper, le CE sera aussi mieux armé pour réellement informer les salariés qu’il représente, afin que cesse cette véritable maladie qui ronge d’abord et avant tout sa propre crédibilité : « radio tam tam et bruits de couloirs [3]» ;car à défaut de savoir « ce qui va bien pouvoir leur arriver » c’est la rumeur(en général déprimante) qui sévit chez les salariés et le CE en est la première victime, lui dont la mission est de représenter les salariés et de veiller à leurs intérêts dans les décisions de l’entreprise (L2323-1CT ).

Car comment un salarié peut il apprécier ses représentants du personnel, s’ils ne sont pas en mesure de l’informer sur ce qu’il va advenir de son métier dans l’entreprise, de son emploi, de sa situation professionnelle, de ses conditions de travail et des perspectives de développement de ses compétences ? A quoi sert d’avoir un CE alors ? A distribuer des chèques cadeaux uniquement ?

Alors bien sûr et même si certaines informations peuvent être données sous le sceau de la confidentialité[4], il faut rappeler qu’il y a manière de diminuer l’impact de la confidentialité en la cernant le plus précisément possible (en demandant : qu’est ce qui est réellement confidentiel et jusqu’à quand ? ) et , d’autre part, qu’il y a bien manière aussi d’informer sans révéler ce qui reste confidentiel : Ceci reste une compétence communicationnelle[5] que les CE peuvent se permettre d’ acquérir.

A cet effet de développement de capacité d’anticipation du CE, de meilleure relation de confiance entre salariés et CE, il faut ajouter une troisième conséquence : l’effet de lien direct entre le CA (ou organe administratif de gouvernance) et le CE, puisque cette consultation est faite sur la base des orientation définies par le CA ou l’organe dirigeant lui-même sans passer par la direction de l’entreprise proprement dite.

Alors bien sûr, certains penseront peut être :mais il y a déjà des liens entre CA et CE puisque dans les sociétés (SA,SAS,certaines SARL) un , deux ou quatre délégués du CE siègent avec voie consultative (L2323-62Ct) au CA (ou au conseil de surveillance pour les SA ou les SAS). Cependant force est de constater ceci : jusqu’à présent, généralement, le rôle réel des CE au sein de ces instances dirigeantes a été fort discret (c’est un euphémisme). Alors pourquoi cette nouvelle disposition de la loi changerait- elle les choses ? Parce qu’elle institue une action nécessaire et réciproque entre les deux instances CE et CA et pas seulement une présence d’un ou de plusieurs représentants du CE dans l’instance dirigeante du CA.

Cette action consiste, de la part de l’organe dirigeant (CA), non seulement à transmettre au CE les orientations stratégiques, mais aussi à répondre de façon argumentée aux propositions alternatives du CE et à donner réponse à ses communications : autrement dit, cet article de loi institue un dialogue direct entre CE et CA et une obligation pour le CA de « répondre de façon argumentée aux propositions du CE », à l’instar de l’obligation pour l’employeur de répondre de façon argumentée (motivée) à ses propres observations dans une consultation ordinaire.
Ceci, et peut être les CE ne le réalisent ils pas encore, est déjà une certaine entaille au pouvoir (qui semble absolu) des managers : voilà que le CE peut « passer au dessus de leurs têtes » pour dialoguer en direct avec ceux (CA) qui les nomment et fixent leurs rémunérations !

On ne dira donc pas que cette réforme est anodine. On dira seulement qu’il appartient au CE de s’en saisir et de prendre vraiment la place que le législateur vient de leur ouvrir pour œuvrer dans l’intérêt des salariés qu’ils représentent, afin d’accroître la visibilité des décisions des employeurs et anticiper préventivement sur leurs conséquences, éventuellement fâcheuses pour les salariés et leur avenir, afin de savoir proposer eux-mêmes, à temps, des alternatives crédibles.

Thierry Ponsot


[1] CT : code du travail

[2] On rappelle que les avis consultatifs du CE sont motivés (L 2323-4CT)

[3] On sait que la seule manière de couper court aux rumeurs est de donner de l’information

[4] Pour qu’une information soit considérée juridiquement comme confidentielle,il faut encore qu’elle soit de nature confidentielle et qu’elle soit en plus donnée comme telle . (lire « la liberté de communication des CE)

[5] Si le lecteur veut en savoir plus sur l’intérêt et l’impact des savoir faire communicationnels à l’usage d’un CE, il pourra lire l’article intitulé « la communication des institutions représentatives du personnel » sur ce même blog.


2 commentaires

  1. […] décisions de l’entreprise instituant les organisations du travail ‘grâce notamment à la consultation obligatoire sur les orientations stratégiques, en anticipant sur ses effets d’isolement compétitifs, permettraient aux « espaces de […]

  2. […] en ce domaine ,la nouvelle loi du 14/06/2013 sur la consultation du CE concernant les orientations stratégiques de l’entrep…e, et la base de données unique qui en est conséquente, donnent une portée et une visibilité […]

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