Irpforma

Accueil » Articles irpforma » articles conditions de travail » évaluation professionnelle et performance des salariés

évaluation professionnelle et performance des salariés

connaitre le droit du travail

une pédagogie centrée sur l’apprenant

une pédagogie centrée sur l'apprenant

l’analyse des conditions de travail

comment évaluer les risques et pourquoi

visite de sécurité efficace

analyse transactionnelle

un moyen de communication

un outil de résolution de problèmes

prévention des risques psychosociaux

image orga trav       

Evaluation professionnelle individuelle et performance des salariés

 

           Il y a certainement aujourd’hui un contre sens qui court dans les esprits concernant la notion de « performance » et l’évaluation professionnelle centrée sur l’individu, telle qu’elle se pratique dans une grande partie des entreprises à l’heure actuelle. La performance est attribuée à l’individu, alors qu’elle devrait l’être avant tout à l’organisation du travail, cependant que la notion de compétence, et qui découle de la performance de l’organisation du travail tend, elle, à disparaître.

                   S’il y a une mauvaise ou une bonne performance de l’atelier z, comment penser, à priori, que cela est dû à Pierre, à Jacques où à Paul qui le composent, plutôt qu’à un fonctionnement collectif et organisationnel qu’il conviendrait d’évaluer avant toute mise en cause individuelle, positive ou négative, des uns ou des autres ?

                   Le fait que l’entreprise soit le lieu de travail  d’un collectif, où l’organisation de ce collectif est la première responsable de l’efficacité du travail de tous, avant que d’être un lieu de performance individuelle, est occulté par la démarche de l’évaluation individuelle.

Cette occultation donne  déjà un indicateur : plutôt que de privilégier une approche organisationnelle, conduisant à repenser les fonctionnements organisationnels, on privilégiera l’approche individuelle des « performances ». Mais ces « performances » individuelles  sont rarement évaluables en terme de travail, parce que le travail lui-même et son résultat ne sont pas liés, en premier lieu, aux performances individuelles, mais à l’organisation des compétences et à la capacité organisationnelle à les intégrer pour un résultat collectif.

                             En réalité, le lien entre performance individuelle et résultat de l’entreprise est totalement indirect et passe, d’abord, par un lien direct entre organisation du travail et efficacité de l’entreprise.  C’est en réalité à l’organisation du travail d’être « performante » pour les résultats de l’entreprise ; et la performance de l’entreprise consisterait justement à savoir intégrer les compétences des salariés et non pas à les pousser à la performance individuelle.

                     En somme, c’est la performance de l’organisation  qui est évaluable, en premier lieu, concernant le résultat de l’entreprise, bien plus que les performances des individus : par exemple, si je suis vendeur de voitures, on peut me dire que je n’ai pas beaucoup vendu de voitures ce mois ci, mais on ne peut me l’imputer qu’en faisant, d’abord, la part entre ce qui m’incombe et celle qui ressort du marché, de l’organisation du travail et de la politique commerciale de la concession. Pourquoi, dés lors, serais je mis en avant dans ma performance avant toute évaluation organisationnelle et collective ? La performance de l’organisation consisterait alors à me permettre de développer ma compétence de vendeur et non pas de m’imputer, à moi, la baisse des ventes, dont je ne peux être tenu responsable avant l’évaluation du marché lui-même et de l’organisation du travail elle-même.

             Cette approche de la  performance individuelle avant tout, ressort tout à fait du jeu télévisé qui avait pour titre « le maillon faible » ; dans l’esprit du jeu, les participants étaient invités, à chaque tour, à « éliminer le maillon faible » de manière à ce qu’il n’en reste qu’un ; évidemment, le principe repose sur une absurdité de base : alors que le groupe et son organisation  (voire son absence d’organisation) est collectivement responsable, dans l’ensemble, de l’enchaînement des bonnes réponses qui déterminent les gains avant chaque individu en particulier, le jeu oblige à « individualiser » , en premier, la responsabilité des individus en éliminant tour à tour un participant, omettant totalement celle du collectif et de l’organisation de ce collectif . Ce jeu est évidemment caricatural, mais comme toute bonne caricature, il vise juste, car sinon il ne ferait pas rire (jaune). Combien d’entreprises jouent elles, peu ou prou, « au maillon faible  », grâce à la primauté donnée à l’évaluation individuelle ?

                   Hélas, la caricature du « maillon faible » est actualisée dans la réalité. Elle a aujourd’hui un autre nom, on appelle cela « le ranking forcé ». Directement importé des USA, il consiste à positionner un pourcentage de salariés comme « sous performants » (10%), d’autres « sur performants » tandis que la majorité sera classée comme performants au niveau attendu. C’est un extrême visible de l’aboutissement d’une logique de « l’évaluation compétitive ». C’est un facteur de stress pour tous, induisant une contrainte psychique permanente, conduisant à des conduites concurrentielles et non coopératives, que cela soit pour « rester mieux classé » que les autres, ou bien, pour les 10% mal classés et pestiférés, à sortir de la catégorie maudite avant le prochain licenciement qui ne manquerait pas de les cibler.

                     Un système d’évaluation individuelle est un facteur de stress, on l’a dit et même les cours de justice l’ont reconnu en indiquant, dans plusieurs arrêts similaires(exemple : jugement Airbus, 21 /09/2011, cour d’appel de Toulouse), que du fait du stress qu’il pouvait provoquer, un avis du CHSCT (Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail) était obligatoire avant sa mise en application.

                       Mais au-delà même , un système d’évaluation des salariés n’ aurait d’intérêt économique réel que conditionné à une analyse des dysfonctionnements de l’organisation, .Sinon l’intérêt est avant tout idéologique , de persuader le salarié qu’il est responsable de la performance de l’entreprise, (ce qui est faux).

                         Une entreprise efficace sait intégrer un collectif humain et l’organiser de façon à ce que la performance des individus ne soit pas déterminante pour assurer le résultat du travail commun. C’est en principe son organisation qui doit « être performante » à ce point de vue. La performance  serait justement que l’organisation du travail constitue un dispositif intégrateur, permettant à tous le salariés d’y prendre place selon ses « compétences », et non pas selon ses performances individuelles !

                      La différence est de taille : si l’organisation est performante elle permet aux compétences, non seulement de se révéler, mais aussi d’évoluer ; en ce sens que signifie alors la polarisation sur la performance des individus ? Elle signifie que l’organisation du travail ne serait plus  performante, car elle ne serait plus capable d’intégrer les compétences de salariés, mais se reposerait sur les individus pour être performants…à sa place !

                 

                             Mais si, effectivement, le but devient, non pas de rendre le travail efficace, mais d’extraire de chaque salarié le maximum de rendement en un minimum de temps, alors la « performance individuelle » l’emportera sur la compétence.

C’est pourquoi l’évaluation basée sur la performance individuelle est très exactement le reflet d’une logique managériale basée sur le principe du rendement maximum à extraire au plus vite de chaque salarié.  Car la performance est une valeur à effet immédiat, tandis que la compétence est une valeur à effet de moyen ou de long terme, qui s’enrichit du contact d’autrui dans un contexte de confiance et de sécurité.

                    En réalité et surtout dans un collectif important, personne n’est jamais « compétent » seul, mais dans un ensemble organisé qui fait émerger la compétence, alors que la performance replie la compétence sur le seul individu. Des salariés « compétents » sont des salariés qui ont appris des uns des autres pendant un temps suffisant pour le devenir, compétents, et non pas des salariés qui réaliseraient des prouesses individuelles chacun dans leur coin.C’est d’ailleurs ainsi que se créé ce qu’on appelle l’expérience professionnelle, c’est à dire le savoir coopératif partagé d’équipes solidaires, ayant affiné et partagé suffisamment longtemps leurs savoirs et savoirs faire respectifs pour en tirer des apprentissages transférables.

                             En fait, la décomposition quantitative du travail qui s’opère dans la quasi-totalité des secteurs aujourd’hui, sous pression de l’étau de l’exigence de rentabilité à court terme, tend par ailleurs à dénaturer la compétence pour en retenir seulement la performance. Elle tend aussi à dénaturer le travail lui-même en le décomposant en tâches isolables. C’est d’un même mouvement que l’organisation du travail produit, à la fois, la décomposition du travail en tâches isolables et la désintégration d’une compétence en performances individuelles.

                   De fait, en décomposant le travail en tâches et en affectant aux tâches une évaluation, on rend la performance seule visible, cependant que la compétence est une notion qui disparaît. Le travail en devient « déréalisé » et n’est plus visible à hauteur humaine . Le résultat réel du travail échappe alors à l’appréciation du travailleur. Le travail devient alors « invisible »pour lui.

La substitution progressive de la notion de performance à celle de compétence devient ainsi l’indice d’un travail qui « se déréalise » de plus en plus, n’apportant plus la satisfaction d’un travail de qualité, et promoteur de « compétences » dans un contexte de solidarité des salariés au travail. Se substitue alors, à la compétence émergente d’un individu placé dans un contexte solidaire, l’isolement concurrentiel de salariés évalués et réduits à leurs seules performances  individuelles.

     Thierry Ponsot

les lecteurs intéressés peuvent lire aussi sur ce site:

L’invisibilité du travail

Isolement et concurrence entre salariés

l’expérience au travail disqualifiée: pourquoi?

compétence et performance du salarié: deux notions bien distinctes

qualité du travail et qualité de vie au travail: le temps des dérives


8 commentaires

  1. […] notion de compétence, qui découle de ce Temps de mûrissement de l’expérience au travail et d’échange […]

  2. […] qu’il y a des problèmes de harcèlement et de stress et de violences et bien parce que le  modèle de « compétitivité » de certaines entreprises se pose, qu’il « y a non respect des salariés en tant que […]

  3. […] et plus de compétitivité, c’est-à-dire plus de références à la culture de la course à la performance individuelle qui sont intégrées par les salariés eux même dans les […]

  4. […] participer leurs collaborateurs à des « jeux de rôle » jamais innocents, et qui sous tendent l’évaluation permanente dont les collaborateurs sont plus ou moins discrètement […]

  5. […]     Ce n’est donc pas au salarié d’être performant, mais c’est à lui de devenir compétent, cependant que l’organisation performante organise, de […]

  6. […] humaines  , les savoir faire coopératifs, mais repose de plus en plus sur la mise en concurrence des performances individuelles de plus en plus immédiatement exigibles pour chaque salarié pris individuellement (management par […]

  7. […] n’est donc pas au salarié d’être performant, mais c’est à lui de devenir compétent, cependant que l’organisation du travail se doit, […]

  8. […] plus de compétitivité, c’est-à-dire plus de références à la culture de la course à la performance individuelle .on demande alors aux salariés d’intégrer la concurrence entre eux comme une dimension […]

Laisser un commentaire

Accés aux articles irpforma