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qualité du travail et qualité de vie au travail: le temps des dérives

De la qualité du travail à la qualité de vie au travail, il y a un filet dérivant dont, pour poursuivre la métaphore de la pêche, nous craignons fortement qu’il n’ entraîne le poisson à finir par se noyer.

Le poisson c’est la qualité du travail: la qualité du travail en appelle à la qualité intrinsèque du travail aussi bien qu’à la qualité des conditions dans lesquelles le travailleur l’effectue.

la qualité du travail satisfait à l’exigence de qualité du travailleur lui même ,en apportant la notion de travail bien fait et de qualité et que ce travail se réalise dans de bonnes conditions fait partie de cette qualité du travail.

C’est la qualité du travail qu’il s’agit en premier lieu d’améliorer à travers ses conditions, qui sont les conditions de travail.

Ce sont les conditions de travail qui sont l’objet au cœur de la compétence d’un CHSCT , Comité d’hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail.

La qualité de vie au travail est un concept différent, qui fait appel à des acteurs différents. La qualité de vie au travail n’est plus centrée sur le processus de travail lui même et sur ses conditions d’exercice, mais sur la personne du salarié .

Or une infinité de facteurs agissent pour déterminer sa qualité de vie au travail du salarié; ces facteurs sont aussi bien externes à l’entreprise qu’internes; y entrent notamment en compte des éléments qui appartiennent à la sphère d’ordre privé et relative aux comportements du salarié, à son hygiène de vie,  au comportement alimentaire, à son équilibre de vie, toutes choses qui sont de l’ordre de sa sphère intime.

Nous avions déjà , en analysant l’esprit de l’ accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail du 19/06/2013, souligné le risque de confusion existant entre s’occuper de la qualité de vie au  travail  et s’occuper de la vie privée des salariés  .

En effet, cet accord national interprofessionnel, sous prétexte « d’élargir »le champ des conditions de travail à celui de la qualité de vie au travail, intègre les dimensions qui ressortent de la sphère hors entreprise .

Il intègre les rapports entre vie privé et vie professionnelle des salariés, (comme par exemple concernant les conditions de transport entre le domicile du salarié et l’entreprise, ou les services améliorant le quotidien des salariés au travail ,services aux salariés pour améliorer leurs qualité de vie , comme des services de conciergerie, de garde d’enfants etc.) .

Or, ces domaines d’amélioration de la qualité des conditions de vie au travail, jusqu’ à présent et selon une jurisprudence constante (1975), relèvent en fait du monopole de gestion des activités sociales et culturelles dont la définition est donnée par la Cour de Cassation.

ainsi  selon la Cour de cassation:

« Constitue une activité sociale et culturelle toute activité ,non obligatoire légalement, quel que soit sa dénomination, la date de sa création et son mode de financement, exercée principalement au bénéfice du personnel de l’entreprise, sans discrimination, en vue d’améliorer les conditions collectives d’emploi , de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise »(ch.soc,13/11/1975)

Aussi notre inquiétude quant à cette confusion sur la qualité de vie au travail qui intégrerait les dimensions hors travail, s’appuie-t-elle d’abord sur une donnée évidente et fondamentale et qui a son cadre juridique :

 En aucun cas les CHSCT ne sont habilités juridiquement à traiter des conditions hors travail qui peuvent influer sur la « qualité de vie au travail ». Traiter de ses conditions hors travail et du lieu de travail, reviendrait donc à exclure les CHSCT de leurs mises en œuvre effective ; prenons un exemple : que l’entreprise mette ou non un transport domicile travail au service des salariés ne relève pas du champ des compétences d’un CHSCT, mais éventuellement du monopole de gestion des activités sociales et culturelles d’un CE, activités dont, nous dit la cour de cassation « l’objectif est d’assurer l’amélioration les conditions collectives de vie et de travail »des salariés.

Cette négociation sur la qualité de vie au travail du 19/06/2013 est donc, dans ce sens, en partie hors sujet et empiète, de fait, sur le monopole de gestion des activités sociales et culturelles du CE.

Mais outre cet argument juridique de base, se profile une autre confusion, qui peut être selon nous autrement plus redoutable : c’est la confusion entre qualité du travail (et de ses conditions) et qualité de vie au travail, qui serait prise sous la forme d’une qualité de vie en dehors de la qualité du travail lui-même, mais sur son lieu, c’est-à-dire « au lieu d’elle »

Pour donner un exemple typique : qu’on en vienne à s’occuper de la qualité de gestion du stress par la secrétaire (condition de sa qualité de vie au travail), à la place de s’occuper d’améliorer la qualité du travail effectif de la secrétaire, qui  subit des doubles contraintes paradoxales toute la journée durant ( qualité du travail et de ses conditions), ce qui génère son stress.

C’est ainsi que la préoccupation de la qualité de vie au travail en viendrait à détourner de se préoccuper de la qualité du travail.

Donnons un exemple encore plus intéressant pour l’avenir:  certaines compagnies de mutuelles privées vont  négocier dans les entreprises des contrats, sous le prétexte « d’améliorer la qualité de vie au travail des salariés».

Pour cela, elles mettront en avant qu’elles vont « améliorer la qualité de vie au travail » en proposant aux entreprises de gérer les comportements attendus des salariés en matière de tabagisme, de diététique, de comportements sains, et dont elles seules seraient amenées à statuer sur le caractère sain. Imaginons alors que ces normes de santé fassent partie d’un contrat entre l’entreprise et la mutuelle,.

Que resterait il alors aux CHSCT de prérogatives, puisque le cadre de la « qualité de vie au travail  » inclue aussi bien le comportement individuel au travail en le confondant nommément avec la qualité du travail et de ses conditions ? Et que resterait-il de la liberté des salariés de vivre comme ils l’entendent ? Va-ton alors assister à une chasse, dans l’entreprise, aux comportements anormaux sous prétexte d’améliorer « la qualité de vie au travail » ? Les salariés en surpoids et les fumeurs n’auront-ils alors  qu’à bien se tenir ?

Sommes nous excessivement pessimistes à craindre ce type de dérive ou de dérivatif confusant, qui amènerait à détourner l’attention de ce qui reste un domaine où la prérogative du CHSCT est la plus fondamentale – l’amélioration des conditions de travail -vers l’amélioration des conditions de vie « au travail », où le CHSCT n’est pas toujours juridiquement compétent ,et ensuite vers le lien entre vie privée et vie dans l’entreprise  où le CHSCT ne serait franchement plus juridiquement compétent ni légitime du tout à intervenir?

Hélas nous avons de bonnes raisons de craindre cette dérive de la qualité du travail vers la qualité de vie au travail : pourquoi ? Parce que nous la constatons déjà  : comment ?

  •  en constatant d’abord la préférence des entreprises pour orienter hors l’entreprise la prévention des risques psychosociaux inhérents à l’organisation du travail dans l’entreprise . Elles ont déjà bien trop cette tendance à ne pas s’occuper de la qualité du travail et de ses conditions pour trouver des solutions extérieures et qui ne mettent pas en cause l’organisation du travail dont dépend la qualité du travail Cette préférence se manifeste par exemple, par la faiblesse des mesures de prévention primaire concernant les risques psychosociaux, telles que les entreprises les mettent en place . Cette faiblesse de la prévention primaire, et donc organisationnelle, au profit de la prévention secondaire ,dit assez la difficulté des entreprises à regarder du côté de l’organisation du travail pour la remettre en cause ,et souligne l’intérêt presque exclusif qu’elles portent à la prévention secondaire en son lieu et place : ainsi préférera-t-on largement mettre en place dans les entreprises ,à titre de prévention du stress au travail, des « numéros verts »  (exemple:des psychologues extérieurs à appeler sur une ligne spéciale en cas de stress au travail- prévention secondaire-), plutôt qu’à revoir l’organisation du travail générant le stress (prévention primaire) pour ne plus en générer, c’est-à-dire à ne plus générer le risque de stress lui-même.
  • Cette tendance à chercher à l’extérieur des solutions à un problème avant tout interne, s’accompagne d’un discret mais réel transfert de responsabilité: Après tout ,le stress au travail, par exemple, ne deviendrait  il pas alors le problème des salariés (à eux de savoir gérer leur stress) ,et non plus celui de l’organisation du travail qui génère le risque de stress; mieux vaut alors payer un sophrologue pour « améliorer la qualité de vie au travail » en  relaxant  des salariés une fois par semaine, que de revoir les processus d’organisation du travail pour améliorer la qualité du travail.
  • Dés lors il est plus simple de sélectionner les « salariés résistants au stress et sachant le gérer » que de gérer ses causes ; insensiblement le problème se transforme donc , de problème relatif à l’organisation du travail en problématique du salarié en personne; l’approche de la « qualité de vie au travail » permet le glissement de responsabilité de l’organisation du travail vers une problématique du salarié ,ce que ne permet justement pas l’approche centrée sur la qualité du travail et de ses conditions (de travail) .
  • par ailleurs, la rigidification des processus de travail  amène de plus en plus les entreprises  à normer et à codifier les actes de travail , de telle sorte que l’espace restant pour modifier réellement le travail dans le sens d’une qualité du travail améliorée se voit restreint comme peau de chagrin. Car non seulement, les objectifs chiffrés et non négociables dans quasi toutes les professions affluent de partout, (secteurs privés, publics, Santé , tertiaire, banques, assurances), mais l’espace de discussion et de négociation autour de la qualité du travail lui-même se restreint, chacun étant assigné de plus en plus par ses objectifs personnalisés et quantifiés ( lean management en croissance   exponentielle dans le tertiaire et jusqu’aux cliniques privées, ainsi que le management par objectifs, dans le tertiaire public et privé).
  • enfin, la difficulté extrême qu’éprouvent actuellement les CHSCT pour appréhender le cœur de leur mission et ne pas se disperser sur des objectifs qui ne relèvent pas de ce cœur facilitera ,on le craint , leur dispersion à se focaliser sur la qualité de vie plutôt que sur la qualité du travail :  c’est déjà ainsi que beaucoup se dispersent, comme par exemple lorsqu’ils collaborent aux enquêtes de l’employeur pour trouver le coupable du harcèlement moral , plutôt que d’enquêter pour prévenir le harcèlement en se centrant sur l’organisation du travail l’ayant rendu possible, comme lorsqu’ils confondent leurs missions avec celles des DP ,en se centrant sur les cas individuels au lieu de se centrer sur la prévention collective, primaire si possible, afin d’éradiquer ,ou sinon de diminuer, les risques professionnels dont font partie les risques psychosociaux (stress, harcèlements , violences).
  • Dés lors, la tentation sera forte pour les CHSCT de laisser tomber l’amélioration de la qualité du travail pour s’occuper de collaborer à la surveillance des normes de santé devenues obligatoires pour tous les salariés au titre des exigences des mutuelles ,par exemple.

Alors non, nous ne sommes pas exagérément pessimistes sur les dérives qui , de la sémantique  entre qualité du travail et qualité de vie au travail, risquent de faire dériver :

  • De la recherche d’amélioration de la qualité du travail et de ses conditions, qui implique une pensée du travail , de son processus, de son utilité et des conditions  qui le composent, vers la recherche exclusive d’amélioration des normes prescrites au salarié pour qu’il reste performant sur son lieu de travail par l’application de normes de santé (posées par l’intermédiaire des mutuelles de santé, notamment).
  • De l’amélioration de sa qualité de vie  au travail vers l’application de normes extérieures au travail ,et sur lesquelles CE comme CHSCT seront contournés, ou détournés de leurs missions, pour régenter les comportements des salariés eux-mêmes dans leurs vies privées , sous le prétexte « d’améliorer leur qualité de vie au travail », avec ,en prime l’arrivée d’acteurs extérieurs à l’entreprise, très intéressés, qui imposeront leurs normes de santé aux entreprises, et par là même aux salariés qui les composent, en empiétant  sur leur liberté fondamentale d’en décider par eux-mêmes.

Ce que nous souhaiterions le plus, c’est de nous tromper, mais il est à craindre que l’avenir nous donne raison très vite.

Sylvia Hay et Thierry Ponsot

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Que cache l’inflation des procédures et des normes dans le travail?

L’univers Courtelinesque auquel nous sommes de plus en plus soumis, et finalement presque habitués au travail,  pourrait faire sourire un martien qui ,lors de sa première visite sur Terre, voudrait comprendre comment on y travaille.

Il ne manquerait alors pas d’observer des phénomènes tentaculaires qui se renforcent en boucle et se développent à grande vitesse:

Premièrement, il constaterait l’accroissement sans précédant des activités de « reporting » et cela dans tous les secteurs, publics comme privés, secteurs de la santé comme secteurs industriels, services de l’Etat ou services privés, où à la limite beaucoup de salariés passent désormais plus de temps à justifier de leurs activités qu’à les réaliser,

Ainsi  ces salariés passent ils leurs temps  principal à fournir d’innombrables rapports et statistiques sur leurs activités à des services de tutelle (ARS pour le secteur de la Santé), de contrôle (services de l’Etat) ou de coordination (Comex des grands groupes), rapports et statistiques dont il n’apparaît pas vraiment nettement aux yeux des intéressés qui les exécutent qu’il en  ressorte nécessairement une utilité directe en retour, utilité qui serait  en tous cas comparable à l’effort qu’ils ont dû  fournir pour en transmettre les données.

Outre la perte de temps que fait prendre ce « reporting » ,quasi permanent dans bien des cas, et qui se trouve être chaque fois du temps amputé au service actif qu’est censé rendre le salarié, l’efficacité générale du système de reporting dans le retour concret et opérationnel entre gain réel et coût (en temps et donc en argent) apparaît pour le moins problématique…car si ce gain est réel , alors les salariés ne s’en  aperçoivent que rarement, l’autre hypothèse restante serait  que ce gain soit carrément mineur par rapport au coût réel qu’il engendre.

Mais ce phénomène seul, ne suffirait peut être pas encore à dérider franchement notre martien venu observer notre façon de travailler sur Terre, si on ne lui ajoutait pas son  corollaire, en quoi consiste le développement, quasi monstrueux dans tous les secteurs de l’économie, même à des proportions différentes, des normes et des procédures applicables .

Bien sûr nos réflexes, peut être déformés, nous inclinent à penser spontanément que cette inflation gigantesque de procédures et de normes en tous genres augmenterait la sécurité, que cette sécurité soit celle du consommateur, de l’usager ou qu’elle concerne la qualité du produit.

Qui ne pense spontanément par exemple, et surtout en France, que les procédures doivent être le plus nombreuses possibles, voir les plus tatillonnes possibles ,pour assurer la sécurité alimentaire des produits fabriqués ?

Mais cette façon de penser très automatique laisse pourtant une faille derrière elle et qui coûte cher  : celle de la qualité du travail elle-même et derrière elle encore, celle de l’excellence professionnelle.

Est-on plus rassuré par l’avalanche des procédures et des normes qui contraint le travailleur, ou par la qualité d’apprentissage et d’excellence des travailleurs qui maîtrisent leurs savoir faire ? Qu’est ce qui nous rassure au fond ?

L’apparente évidence selon laquelle c’est la norme et la procédure qui augmenteront notre sécurité engendre plusieurs coûts invisibles, qu’il serait peut être temps de considérer :

D’abord, un coût économique croissant ,du fait du matériel de contrôle nécessaire à ce système procédural et normatif proliférant qui coute de plus en plus cher et qui s’ajoute au prix de revient.

 A ce titre, il est intéressant de noter que le récent conflit des éleveurs en France en juillet 2015 a fait apparaître que la différence entre le prix payé aux éleveurs pour la viande bovine – prix trop peu élevé – et le prix élevé que paye le consommateur ,ne provenait pas tant des marges du distributeur, que des coûts normatifs engendrés par l’accumulation des normes et des procédures de contrôle liés aux exigences sans cesse accrues de normes et de procédures dans le secteur alimentaire.

Ceci conduit à une élimination progressive de tous ceux qui ne peuvent prétendre suivre la cadence économique qu’imposent ces coûts normatifs et procéduraux  qui tendent à devenir exorbitants : les restaurateurs, par exemple n’auront pas besoin de traduction pour comprendre là ce dont il s’agit : si on continue de leur imposer des normes de plus en plus draconiennes et qui plus est, changeantes, beaucoup disparaîtront, dont on n’est pas au fond certain qu’ils s’agirait des plus mauvais, mais certainement ,il s’agira des moins riches.

Ensuite, et c’est un point auquel on ne fait pas attention, l’inflation des normes et des procédures impose un changement du type de travail demandé au salarié qui devient, quoiqu’il en soit, absorbé de plus en plus par la procédure à respecter plutôt que par l’excellence à exercer le métier qu’il exerce.

Ainsi, beaucoup de discussions entre salariés consistent à savoir s’ils ont satisfait aux exigences normatives imposées bien plus qu’à se soucier de la qualité de leur travail, ceci est flagrant dans le secteur de la Santé par exemple, mais pas exclusif à ce secteur.

Certains pourraient objecter à cette remarque que le respect de la procédure fait partie de l’excellence du professionnel à exercer sa profession, mais ce n’est pas le cas, ou plus le cas, car en réalité l’inflation des procédures rend inassimilable l’intégration des procédures normatives dans le contexte pertinent d’un savoir être professionnel.

Car en réalité, dans l’excellence professionnelle, la norme et la procédure ne font pas l’objet d’un apprentissage direct en tant que norme, mais d’un apprentissage indirect en tant que comportement impliquant au-delà d’un savoir faire, un savoir être.

Par exemple, l’apprenti cuisinier apprend de son maître que toucher la nourriture implique qu’on se lave les mains au préalable, non parce qu’il apprend à appliquer une procédure, mais parce qu’il suit, d’homme à homme, un enseignement dans lequel entre en partie la procédure (se laver les mains) au sein d’un comportement général de respect de soi, du travail et du produit.

Autrement dit, l’apprenti se forge une « conscience professionnelle » au sein de laquelle les procédures sont inscrites pour une excellence de la qualité et pour  l’excellence professionnelle . le Maitre d’apprentissage , à la limite ,n’a même pas besoin de « lui inculquer la procédure » en lui répétant de se laver les mains ,car c’est inscrit dans l’excellence d’un comportement général qui vise à la qualité et du travail et du produit.

Or, ce qui est en cause aujourd’hui à travers l’inflation des procédures , c’est la substitution de la procédure à la qualité du travail, car ce que cherchent les systèmes contemporains ,c’est à éliminer la part humaine de la transmission qui est soupçonnée d’être entachée « d’erreurs ».

L’exemple le plus fameux pourra s’illustrer à travers celui de la joaillerie ; il est de tradition, dans la joaillerie pour les professionnels, de se faire confiance et de se passer de l’un à l’autre des bijoux d’une très grande valeur et ce, sans aucune procédure de contrôle ; il s’agit là d’un savoir être transmis de joaillier à joaillier. Ainsi peut-on dire que chez les joailliers la procédure de contrôle est incluse dans la valeur « honnêteté », qui est la confiance que s’accordent les joailliers entre eux ; cela fait partie du « savoir être joaillier », bien au delà de toute procédure de contrôle.

Lorsque certains fonds de pension ont pris le contrôle de maisons de joaillerie, ils ont été totalement affolés par cette pratique d’ailleurs ancestrale dans la profession de se passer les bijoux d’une grande valeur  entre joailliers et ce,sans aucun contrôle ; qu’ont-ils alors fait ? Ils ont mis en place des procédures de contrôle pour faire circuler les bijoux entre les joailliers, ce qui montre bien la nature du problème posé : à défaut de faire confiance aux professionnels, ils ont substitué ,au savoir être professionnel ,des procédures de contrôle, détruisant au passage la transmission d’un savoir être au profit d’un savoir faire procédural : ont-ils pour autant augmenté la sécurité ? On se permettra d’en douter.

Inflation du reporting, inflation des normes et des procédures relèvent donc bien d’un point de vue commun qui se trouve être l’absence de confiance dans l’excellence du travail transmis par expérience d’Homme à Homme.

Aussi parlera-t-on à juste titre d’inflation procédurale dans ce sens : il ne s’agit pas de contester le bien fondé selon lequel il y  a des procédures normales, mais il s’agit d’interroger l’inflation ( à la manière d’un économiste) procédurale et normative, et de regarder ce qu’elle recèle de caractère anormal, voir monstrueux. Or notre analyse jusqu’à présent permet au moins d’en comprendre un mécanisme qui va engendrer une boucle d’auto alimentation.

Dans la mesure où la procédure se substitue à la confiance en la qualité de la transmission d’Homme à Homme à travers l’excellence professionnelle , il est clair qu’à terme, elle affecte cette qualité elle-même ; il y aura effectivement de moins en moins de professionnels dignes de confiance puisque les procédures et les normes se seront substituées à eux ; dés lors ,le système s’auto-justifiera de remplacer d’autant plus la transmission humaine par de la transmission de procédures ; cette transmission de normes et de procédures sur ces deux volets, reporting permanent d’un côté  et fabrique de normes et de procédures de l’autre, s’accroît alors au fur et à mesure :

  1. Par la hausse du reporting, toujours de plus en plus important, parce que ce reporting permet d’alimenter les transmissions de procédures à la place de la transmission d’homme à homme, car c’est le reporting des activités  qui permet de dégager les procédures et les normes. Ainsi les actes et activités de travail sont ils de plus en plus  codifiés, normés et susceptibles de transmissions par simples procédures normatives, sans transmission d’expérience d’homme à homme à travers la transmission d’un savoir être.
  2. Par la hausse des procédures et des normes à la place des transmissions de savoir être professionnels, et d’une économie qui basera sa sécurité sur le respect des procédures en disqualifiant de plus en plus l’expérience transmise d’homme à homme à travers un savoir être.

Le mécanisme d’inflation procédurale s’explique alors par une boucle auto-renforçante entre nécessité croissante de décomposer toujours plus les activités en normes procédurales, et substitution des procédures à la confiance en la transmission du savoir être professionnel, transmis d’homme à homme dans l’expérience professionnelle.

Cette inflation a encore un effet indirect, en ce qu’elle ne permet plus aux salariés de distinguer entre norme utile et norme générée par l’inflation procédurale, accroissant la confusion déjà régnante dans les esprits  entre une nécessité liée à une juste norme et un effet pervers lié à l’abus de procédures et de normes.

C’est pourquoi seul un martien serait finalement  tenté de rire en observant cette évolution inquiétante du travail humain.

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Reconnaissance au travail : mais de qui ?

 

Le débat est ouvert : pour certains, la reconnaissance au travail vient du fait de reconnaître le travail lui-même pour ce qu’il est ; pour d’autres, ce sont les salariés qui doivent être reconnus pour leur travail. Pour d’autres enfin, si le salarié a pu effectuer un travail de qualité, alors il se reconnaîtra de lui-même et lui même dans ce travail.

Alors bien sûr, toutes ces options disent quelque chose de vrai. La première, qui énonce que le travail doit être reconnu pour ce qu’il est, énonce que fondamentalement, la nature du travail doit le destiner à une forme de reconnaissance, autrement dit, il doit être visible, reconnaissable, si ce n’est admirable.

Le travail est en soi une valeur et derrière cette option on entend aussi le dicton selon lequel « tout travail mérite salaire» (parce qu’il est travail).
La deuxième n’est pas fausse non plus : derrière le travail, il y a celui ou ceux qui l’effectuent. Ceux qui l’effectuent doivent être reconnus en tant que tels et la reconnaissance, symbolique et/ou monétaire du travailleur,  garantit qu’il en soit ainsi.

La troisième ajoute quelque chose d’intéressant : ne pas oublier que la qualité est l’essence d’une reconnaissance parce qu’elle est valeur en soi partagée ; on déteste ,à juste titre , faire du « mauvais travail » ou être obligé de le bâcler. La reconnaissance du travail se fait donc à travers la reconnaissance d’une qualité de ce travail, intrinsèque et partagée à travers « l’amour du travail bien fait ».

On ne tranchera donc pas entre ces trois options, dont chacune est légitime pour sa part. On remarque cependant qu’aucune ne répond vraiment à la question « qui », c’est-à-dire à la question « qui est supposé reconnaissant du travail ? »

Car à la question « qui reconnaît le travail », on ne saurait, sous prétexte que le travail aurait, de lui-même, une qualité intrinsèque (ce qui est vrai) répondre qu’il suffise que le salarié lui-même le reconnaisse, ou se reconnaisse dans cette qualité. Pourquoi ? Parce que la dimension du travail est sociale avant tout : il est destiné à « l’autre ». Ou comme le disent les psychologues, le travail n’est pas qu’un objet à vocation « narcissique».

A contrario, imaginons un travail énorme effectué par un travailleur qui ne verrait jamais l’objet de son travail réalisé pour quelqu’un d’autre que lui-même. Parlerait on encore de « travail » ou bien déjà de folie, et cela même si son travail est de qualité ,car qui serait à même d’en juger ?

En fait le travail, s’il veut être reconnu, doit être « destiné » à autrui et donc échapper au seul jugement du travailleur.
Mais alors, se pose une question à la quelle ne répondent pas forcément, ni la première, ni la deuxième option:  qui est le « Reconnaissant  » dans la reconnaissance du travail ?

Certains , avec raison, soulignent un phénomène contemporain : l’éperdue soif de reconnaissance ; est ce à dire que ce qui viendrait à manquer aujourd’hui, c’est justement le « Reconnaissant » ? Est ce à dire que ce qui manque c’est la figure « reconnaissante » du travail ,par rapport à cette soif qui devient aujourd’hui aussi éperdue  de reconnaissance  et qui ne trouve nulle part où s’étancher?

Bien sûr, on est tenté face à cette situation de regarder dans deux directions pour trouver la figure reconnaissante du travail:premièrement vers le commanditaire du travail, soit la direction de l’entreprise ou de l’établissement, deuxièmement vers le destinataire du travail, soit le client, le marché ou l’usager de ce travail.

1) Les salariés sont tentés d’attendre de la part de leurs managers ou de leur direction la figure du « Reconnaissant » de leur travail. C’est d’ailleurs ce que les enquêtes montrent : c’est  de la part de leur management, que les salariés attendent, en premier lieu, de la reconnaissance.

. Seulement voilà, il y a là maldonne le plus souvent , et on peut expliquer pourquoi :

Le manager ou le dirigeant, en lui même, ne peut « être la figure du Reconnaissant du travail des salariés » non pas à cause de sa personne, mais à cause de son statut : c’est qu’il est intéressé dans un sens particulier au travail du salarié : il est intéressé par le rendement de ce travail ; il ne peut donc le « reconnaître pour ce qu’il est mais pour ce qu’il vaut sur le marché », ce qui bien sûr, détourne de la reconnaissance pour produire de la « motivation » . La reconnaissance du manager en soi ne peut donc produire qu’une motivation à « faire plus encore » demain qu’il n’a été fait aujourd’hui et à ne« valoriser » le travail que dans cette mesure où le manager distingue le salarié parmi les autres pour valoriser son produit.  La preuve en est que le manager « récompense le travail».

Une petite incidente sur la « récompense »: sans forcer sur l’étymologie, il s’agit là quand même de « re- compenser » et non pas de « reconnaître ».

La récompense est toujours située ailleurs que dans la reconnaissance ; on récompense un enfant par « des bons points », mais c’est une illusion de penser que par là, on le reconnaît par son travail ; au contraire en faisant cela, on annihile la valeur de son travail pour la « compenser » ailleurs et la détourner vers une « récompense ».

Ainsi  annihile-t-on la valeur en soi du travail pour « décorer » le travailleur et affecter sur autre chose cette valeur du travail en la détournant sur une valeur de « compensation » ou de re- compensation ou de récompense ; la récompense ne valorise pas le travail en soi ,elle en donne une contrepartie pour soi.

Alors, bien sûr, les salariés peuvent être satisfaits et même flattés d’être ainsi « distingués et récompensés », mais si c’est par le manager qui a intérêt à ce travail, alors il ne s’agit pas de reconnaissance en réalité, mais d’une « distinction compensatoire et d’une ré-compense ».

La fameuse « médaille du travail »en est un exemple flagrant: elle récompense le travail, quelque soit la valeur intrinsèque du travail effectué et donc ne le reconnait pas, mais le distingue de manière compensatoire.

La question rebondit alors encore : dés lors même que le travail est à destination d’autrui et que sa reconnaissance  est légitime (sinon il pourrait n’être que folie) , et que la récompense n’est pas une reconnaissance, mais qui donc « est le Reconnaissant ? »

Pas le manager ou la direction de l’entreprise en tant que tel, qui, intéressé par la valorisation du travail pour engendrer sa  motivation  , ne peut que le « récompenser »ou « l’encourager » ; alors qui ?

2) Le client comme on l’indique parfois ? Le  succès  du produit qui est vendu sur le marché et qui contient ce travail ?

En vérité, rien non plus, dans le succès du produit ou même dans la satisfaction du client, ne « reconnaît le travail » ,car ce qui est reconnu là , c’est son efficacité et son utilité ,pas ce qu’il est, mais ce qu’il fait ou ce qu’il produit comme effet.

En réalité la reconnaissance du travail ne tient pas essentiellement d’un autre en particulier qui en aurait l’utilité ,mais d’un autre en général qui le salue en tant que tel.

Or ce « autre qui le salue en tant que tel » en s’érigeant en figure du Reconnaissant n’est autre que la « communauté de travail » qui en est la mesure de reconnaissance , parce que ce collectif sait l’apprécier pour ce qu’il est, et non  pas par ce qu’il « vaut sur un Marché », ou par ce qu’il détermine comme motivation,ou détient comme utilité .

– pour un acteur de théâtre, cet autre Reconnaissant s’appelle le « public » (et non pas le succès ou le nombre d’entrées, mais la présence immédiate du public qui reconnaît le travail de l’acteur qui s’effectue devant lui).

– pour un salarié, qui n’a pas de public en vis à vis du travail effectué, cet autre est constitué par ce collectif de pairs et qui s’appelle la « communauté de travail ».

La communauté de travail peut être définie par le collectif qui partage l’expérience au travail dans un échange coopératif des compétences et des savoir faire.

Elle suppose un être ensemble qui construit ensemble.

Ce » Reconnaissant » par destination que constitue la communauté de travail, peut bien sûr être représenté à un moment donné par un seul et pourquoi pas, par le dirigeant de l’entreprise.

C’est pourquoi, quand la direction participe de la communauté de travail, elle peut légitimement reconnaître le travail de chacun  en étant  représentante de tous et de la communauté de travail .

Mais l’on comprendra aussi que cette vertu n’est pas du tout celle qu’on prête aux directions d’entreprise des organisations modernes , dont une des caractéristiques est le turn-over managérial, doublé de leur polyvalence parfaite, puisque la plupart du temps, ils ne connaissent pas le travail du salarié mais se contentent de gérer ce travail, quel qu’il soit : ainsi les managers  contemporains peuvent-ils diriger aussi bien des combinats industriels que des hôpitaux, après être passés dans des cabinets ministériels: que connaissent-ils de la réalité d’un travail auquel ils ne participent pas en fait (contrairement à un patron de PME familiale), mais exploitent, au sens premier du terme?

C’est pourquoi la qualité de la reconnaissance, exprimée par sa direction, dépend en fait de la légitimité de sa position à représenter la communauté de travail, et non pas ses intérêts gestionnaires dans l’exploitation particulière du travail de chacun .

 Or, si les salariés sont  déçus par le manque de reconnaissance de leurs dirigeants , c’est que leurs dirigeants ont en fait  bien souvent perdu cette légitimité qui les instituait au nom de ce collectif de travail, comme des représentants légitimes.

Dans les organisations où les dirigeants eux mêmes ne connaissent pas le travail qu’effectue le salarié, comment pourraient ils s’instituer comme légitimes représentants d’une « communauté de travail », et comment ne décevraient ils pas alors fatalement le besoin de l’être humain de voir son travail reconnu?

Thierry Ponsot

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